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L’intérêt des États pour la problématique de la torture

Suite à la mobilisation citoyenne internationale contre les pratiques de torture et des traitements dégradants qui a été canalisée par Amnesty International, un ensemble d’États qui représentent une distribution géographique multiple ainsi que diverses formes de civilisation à l’échelle planétaire s’est intéressé à la problématique de la torture au point de convaincre l’AGNU d’initier un projet de Convention contre la torture.78 Par

contre, si la Suède se distingue parmi ces États par le leadership dont elle a fait preuve dans le lobbying dans les couloirs des Nations Unies en faveur de ce projet, rien n’empêche les autres États d’en faire autant, contrairement aux thèses qui affirment qu’en raison d’une supériorité en matière de fonds et d’expertise dans le domaine des droits fondamentaux, ce genre de lobbying favoriserait les ONG et les États occidentaux.79

Sans tarder, la campagne pour l’abolition de la torture d’Amnesty International porte ses fruits : dès l’automne 1973, sur l’initiative de la délégation suédoise, les délégations de l’Autriche, le Costa Rica, la Hollande, la Trinidad, et Tobago décident de soulever la problématique de la torture et des traitements dégradants devant l’AGNU dans le cadre de la question de l’ordre du jour relative au 25ème anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme.80 De plus, la délégation égyptienne propose qu’on incorpore à cette résolution la nécessité que le Secrétaire Général informe l’AGNU des progrès accomplis à ce

78 UN. Doc. A/C.3/32/L.13 (1977).

79 Mutua, «Standard Setting in Human Rights: Critique and Prognosis,» Human Rights Quarterly

29 (2007) : 579.

sujet par la Commission des droits de l’homme et par les autres organes des Nations Unies qui travaillent sur cette question.81 De nouveau, en 1974, le sujet est soulevé dans le cadre de la question de l’ordre du jour de l’AGNU : un projet de résolution avancé par l’Autriche, le Bangladesh, le Costa Rica, la Hollande, l’Irlande, la Jordanie, la Suède, et les Philippines explique la nécessité de développer divers instruments pour combattre la torture et autres traitements dégradants.82 Aussi, l’AGNU adopte une série de déclarations, codes de conduite et principes d’éthique professionnelle visant les responsables de l’application de la loi, dont la police, les forces de l’ordre et les gardiens de prison, et le personnel de santé. Ces instruments incluent la Déclaration pour la prévention du crime et

le traitement des délinquants de 1975,83 la Déclaration sur la protection de toutes

les personnes contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants de 1975,84 le Code de conduite pour les responsables de

l’application des lois de 1979,85 les Principes d’éthique médicale applicables au

rôle du personnel de santé, en particulier des médecins, dans la protection des prisonniers et des détenus contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants de 1982.86 Mais ultimement, c’est la résolution 3453 de 1975 de l’AGNU qui prie la Commission des droits de l’homme d’assurer une observation effective de la Déclaration sur la protection de toutes les personnes

contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

81 Ibid., 14. 82 Ibid. 83 Rés. 3452 (XXX) de l’AGNU. 84 Rés. 3453 (XXX) de l’AGNU. 85 Rés. 34/169 de l’AGNU. 86 Rés. 37/194 de l’AGNU.

qui s’avère être déterminante pour le projet de la Convention contre la torture, dans la mesure où suite à cette résolution, la question a été soulevée si les Nations Unies doivent adopter un instrument doté de mécanismes juridiques de mise en œuvre pour prohiber la torture à l’échelle planétaire.87

Bien entendu, en tant qu’avocat des citoyenEs à l’échelle planétaire, Amnesty International se montre favorable à l’existence d’un tel instrument.88 La Suède en fait autant.89 De plus, cet État fait du lobbying dans les couloirs des Nations Unies pour rallier autant d’États que possible à ce projet de convention.90 Suite à cette initiative, le 28 octobre 1977, l’Autriche, Cuba, le Danemark, l’Égypte, l’Équador, l’Espagne, le Ghana, la Grèce, la Hollande, l’Inde, l’Iran, la Jamaïque, le Kenya, le Maroc, le Mexique, la Nouvelle Zélande, le Portugal, la Suède, et la Yougoslavie parrainent une résolution qui prie l’AGNU d’initier un projet de Convention contre la torture.91 Ici, on note que l’État du Maroc accueille favorablement l’initiative d’un projet de Convention

contre la torture.92 Plus tard, d’autres États se sont joints aux États qui sont intéressés par ce projet, soit l’Australie, le Cameroun, l’île de Chypre, la Colombie, le Costa Rica, la Hongrie, l’Iraq, l’Irlande, l’Italie, l’Angola, le Lesotho, le Mali, la Mozambique, le Nigeria, la Norvège, le Panama, la Pologne, la République démocratique allemande, et la Tanzanie.93 Devant l’intérêt de la communauté internationale des États pour la problématique de la torture,

87 Burgers & Danelius, op.cit., 18. 88 Ibid., 33.

89 Ibid., 34. 90 Ibid.

91 UN. Doc. A/C.3/32/L.13 (1977). 92 UN. Doc. E/CN. 4/1314/Add. 1, § 15. 93 Burgers & Danelius, op.cit., 34.

l’AGNU adopte la résolution 32/64 le 8 décembre 1977, qui prie la Commission des droits de l’homme d’élaborer un projet de Convention contre la torture et

autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, à la lumière des

principes énoncés dans la Déclaration sur la protection de toutes les personnes

contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.94

À ce stade, faisons remarquer que si l’État de la Suède a joué un rôle déterminant dans l’existence de la Convention contre la torture, d’autres États ont soutenu l’intérêt de la Suède pour la problématique de la torture, si bien que l’AGNU décide d’initier un projet de convention. En fait, les États ont devant eux toute une panoplie de moyens résistance à l’émergence de nouveaux normes et standards internationaux relatifs à la protection des droits fondamentaux, dont en premier lieu la possibilité de ne montrer aucun intérêt pour les normes et standards émergeants.95 De surcroît, pour répondre aux thèses qui soutiennent que les droits fondamentaux proviennent du monde occidental,96 rien n’empêche les autres États, y compris les petits d’entre eux, de se distinguer en faisant du lobbying dans les couloirs des Nations Unies pour l’avancement des standards de protection des droits fondamentaux. S’il est vrai que ce genre de lobbying favorise les ONG occidentales et les États du Nord à cause de leur supériorité en matière de fonds et d’expertise dans le domaine des droits fondamentaux,97 il

n’en demeure pas moins que cette supériorité n’est pas une barrière

94 32 U.N. GAOR, Supp. (No. 45) 137 U.N. Doc. A/32/45 (1978).

95 Mutua, «Standard Setting in Human Rights: Critique and Prognosis,» op.cit., 570.

96 Mutua, «Ideology of Human Rights,» Virginia Journal of International Law 36 (1995-1996) :

592.

insurmontable pour les petits États qui sont sérieusement intéressés par l’avancement des droits fondamentaux. Rappelons à titre d’exemple que le droit à l’autodétermination des peuples a été garanti suite aux initiatives des petits États.98 D’ailleurs, comme on va le voir dans les paragraphes qui suivent, une fois que l’AGNU a confié à la Commission des droits de l’homme la responsabilité d’élaborer un projet de Convention contre la torture, les États et les ONG qui sont intéresséEs par la problématique de la torture peuvent soumettre à cette commission un projet de convention ou de tout autre instrument connexe.