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UNE CONSTATATION POLITIQUE CONSTANTE INDÉPENDAMMENT DE L’ORGANE RESPONSABLE

A. La mise en accusation de Guillaume II pour agression

Le Traité de Paix de Versailles qui met en accusation Guillaume II de Hohenzollern, a été établi au cours de la Conférence préliminaire de la paix organisée à Paris du 12 janvier au 28 juin 1919114. Plusieurs États, en l’occurrence, les cinq plus « Grands » États vainqueurs de la guerre à savoir les États-Unis, le Royaume-Uni, la France, l’Italie et le Japon y participent. Ni les États vaincus115, ni l’URSS, qui s’était retirée de la guerre en 1917 ne participa à cette Conférence116. Une commission composée de 15 membres est désignée pour « déterminer les auteurs et les

responsables de la guerre au premier rang desquels la délégation française plaçait l’ancien empereur Guillaume II »117.

Dans le Traité de Versailles (article 227), il est reproché à Guillaume II d’avoir violé, par la guerre qu’il a orchestrée, la neutralité de la Belgique et du Luxembourg, ceci en transgressant les règles du droit des gens, confirmées par les Conventions de la Haye118. L’article 227 du Traité de paix de Versailles du 28 juin 1919 dispose :

« [l]es Puissances alliées et associées mettent en accusation publique Guillaume II de

HOHENZOLLERN, ex-empereur d’Allemagne, pour offense suprême contre la morale internationale et l’autorité sacrée des traités.

Un Tribunal spécial sera constitué pour juger l’accusé en lui assurant les garanties

113Ce constat permet de comprendre cette phrase de Balzac : « [l]es conspirateurs vaincus seront des brigands,

victorieux ils seront des héros ». De BALZAC (H .), Une ténébreuse affaire, 1841, p. 40 at http://fr.wikisource.org,

consulté le 15 juin 2009

114

V. DILLON (E. J.), The Peace Conference, Hutchinson & C°, London, 1919, p. 439

115La responsabilité de la première guerre mondiale était attribuée au régime Prusse et les Alliés refusèrent de traiter avec ce Gouvernement. Sur cette question, v. KOMARNICKI (W.), La définition de l’agression, op. cit., p. 14

116 Quelques États dénommés les « lesser States » sont présents à cette Conférence et « the representatives of the

lesser States had sometimes been permitted to put questions and present objections. But later on even this privilege was withdrawn ». DILLON (E. J.), The Peace Conference, op. cit., p. 206

117Pour les caractéristiques de ce Traité, v. FONTETTE de (F.), Le procès de Nuremberg, Que sais-je ? PUF, Paris, 1996, 1ère éd., pp. 12-13

118Il faut rappeler que, « [a]t the time of World War I, waging war was not generally held to be unlawful. Thus, when

Article 227 of the Treaty of Versailles arraigned the former German Emperor Wilhelm II as the author of ‘a supreme offence against international morality and the sanctity of treaties’, his indictment referred to the breach of the treaties concerning the neutrality of Belgium and Luxembourg rather than to the infringement of an obligation not to wage war. » GAJA (G.), « The Long Journey towards Repressing Aggression » in The Rome Statute of the International Criminal Court: A commentary, Oxford University Press, Oxford, 2002, p. 428

essentielles du droit de défense. Il sera composé de cinq juges, nommés par chacun des cinq Puissances suivantes, à savoir : les États-Unis d’Amérique, la Grande Bretagne, la France, l’Italie et le Japon.

Le Tribunal jugera sur motifs inspirés des principes les plus élevés de la politique entre les nations avec le souci d’assurer le respect des obligations solennelles et des engagements internationaux ainsi que la morale internationale. Il lui appartiendra de déterminer la peine qu’il estimera devoir être appliquée… »119.

Une lecture attentive des dispositions de différents articles du Traité de Versailles (article 227 et suivants) laisse apparaître une réelle mainmise des vainqueurs sur les vaincus. Les dispositions du Traité de Versailles qui mettent en accusation Guillaume II pour agression sont conçues et rédigées par la Conférence de paix, organe politique non juridictionnel composé et dominé par les « Puissances alliées et associées »120 (surtout les Cinq « grands ») ayant vaincu l’Allemagne, sorte de « gouvernement international de fait »121 à qui on a attribué un rôle juridictionnel122.

Au cours de cette Conférence, il fut également question de l’établissement d’un Tribunal pour juger Guillaume II pour agression, tribunal exclusivement composé des personnes nommées par les Cinq vainqueurs ; cette constitution atypique qui pose le problème de la neutralité et de l’impartialité de ce Tribunal123est cependant peu contestée par les autres États présents. En réalité, seule la volonté des Cinq « grands » pèse et les autres États, les « lesser States », ne peuvent pas réellement objecter124.

Par les articles 228 et 230 du Traité, les vainqueurs imposent de façon claire d’importantes obligations à l’Allemagne vaincue :

« [l]e gouvernement allemand devra livrer aux Puissances alliées et associées, ou à celle

119Traité de Paix de Versailles entre les Puissances alliées et associées et l’Allemagne, du 28 juin 1919 in Le code de

droit international humanitaire (textes au 1er mars 2002), Bruylant, Bruxelles 2002, DAVID (E.), TULKENS (F.),

VANDERMEESH (D.), p. 366. L’article 227 du Traité de Versailles est considéré comme le point de départ de la mise en accusation d’un dirigeant ou responsable politique pour une agression commise vis à vis d’autres États.

120« Expression utilisée dans le Traité de Versailles du 28 juin 1919 pour tenir compte de la situation particulière

des États-Unis qui avaient déclaré être non pas puissance alliée mais puissance associée aux États alliés de la première guerre mondiale. » C’est pour ceci que le Traité de Versailles parle de « puissances alliées et associées ». Dictionnaire de Droit International Public, op. cit., p. 914.

121 ASCENSIO (H.), L’autorité de chose décidée en droit international public, thèse, Paris X, Nanterre, 1997, p. 427

122 Sur la question de l’octroi d’une fonction juridictionnelle à un organe non juridictionnel, v. FORTEAU (M.),

Droit de la sécurité collective, op. cit., pp. 507 et s.

123

Ce Tribunal ne sera jamais constitué. V. sur ce sujet, FERNANDEZ (J.), La politique juridique extérieure des

États-Unis à l’égard de la Cour pénale internationale, op. cit., p. 21

124 « But the Great Powers operated less with argument than with more forcible stimuli. Holding the economic and

financial resources of the world in their hands, they sometimes merely toyed with reasoning and proceeded to coerce where they were unable to convince or persuade... ». DILLON (E. J.), The Peace Conference, op. cit., p. 171

d’entre elles qui lui en adressera la requête, toutes personnes qui, étant accusées d’avoir commis un acte contraire aux lois et coutumes de la guerre, lui seraient désignées soit nominativement soit par le grade, la fonction ou l’emploi auxquels ces personnes auraient été affectées par les autorités allemandes » ; « [l]e Gouvernement allemand s’engage à fournir tous documents et renseignements, de quelque nature que ce soit, dont la production serait jugée nécessaire pour la connaissance complète des faits incriminés, la recherche des coupables et l’appréciation exacte des responsabilités ».

Seules les dispositions de l’article 231 du Pacte de Versailles mentionnent le mot agression. Cet article 231 du Traité dispose :

« [l]es Gouvernements alliés et associés déclarent et l'Allemagne reconnaît que

l'Allemagne et ses alliés sont responsables, pour les avoir causés, de toutes les pertes et de tous les dommages subis par les Gouvernements alliés et associés et leurs nationaux en conséquence de la guerre qui leur a été imposée par l'agression de l'Allemagne et de ses alliés ».

Les expressions utilisées dans ce paragraphe sont fortes et laissent bien voir de quel côté se trouvent la puissance et la capacité de juger : « [l]es Gouvernements alliés et associés

déclarent » et l’Allemagne, elle, « reconnaît ». L’essentiel des dispositions du Traité mènent à la

conclusion qu’on est bien là face à un « diktat » des puissances victorieuses sur l’Allemagne. Les Alliés voulaient sans aucun doute asseoir, par le biais de la Conférence de paix, une véritable domination sur l’Allemagne. Ce qu’il faut surtout relever, c’est que ce texte est le premier à considérer l’agression comme un crime international125. Les règles adoptées de façon essentiellement autoritaire sont plus politiques que juridiques et imposent de lourdes obligations à la puissance vaincue qu’est l’Allemagne. On est bien là dans une constatation unilatérale et politique de l’agression par un organe autoritaire (Conférence de paix) qui a une essence politique. On comprend, dès lors, pourquoi, l’Allemagne a toujours considéré les dispositions du traité de Versailles comme étant politiques et émanant d’un organe politique126. Cette expression de la volonté des vainqueurs, au moyen d’un organe politique, qu’est la Conférence de paix ne s’est pas faite seulement au lendemain du premier conflit mondial. On va retrouver quelques

125« La première formulation de l’agression envisagée comme crime international remonte au traité de Versailles (art. 227 préc.). L’expression est traditionnelle depuis le projet de traité d’assistance mutuelle de 1923 (préc.). …».

RAMBAUD (P.), « La définition de l’agression par l’Organisation des Nations Unies », art. précité, p. 846

126

V. sur cette question l’article de Norman Paech, « Les apports du procès de Nuremberg au droit pénal,

international de l’époque » in Le procès de Nuremberg, conséquences et actualisation, op. cit., RENOUVIN (P.), Histoire des relations internationales, t. 7, 1957, ZAPPALA (S.), La justice pénale internationale, op. cit., 154 p., La paix de Versailles, vol. III : responsabilité des auteurs de la guerre, Paris, 1930, p. 266, ASCENSIO (H.), L’autorité de chose décidée en droit international public, op. cit., pp. 427 et 428

caractéristiques similaires dans l’établissement, la constitution et le jugement des Tribunaux militaires internationaux de Nuremberg et de Tokyo institués au lendemain du second grand conflit mondial.

B. L’approche institutionnelle des Tribunaux Militaires

Internationaux

Les Accords de Londres127 furent signés le 8 août 1945 par les quatre grands vainqueurs de la seconde guerre mondiale : le Gouvernement provisoire de la République française, le Gouvernement des États-Unis d’Amérique, de l’URSS et celui du Royaume-Uni de Grande Bretagne et de l’Irlande du Nord. La Conférence au cours de laquelle cet Accord fut rédigé, débuta le 26 juin 1945, soit le jour même de la signature de la Charte des Nations Unies128.

L’accord, adopté par les quatre Puissances, déclarait qu’un Tribunal Militaire international « sera créé pour juger et punir de façon appropriée et sans délai, les grands criminels des pays

européens de l’Axe. »129 Les Accords de Londres instituèrent le Tribunal militaire international de Nuremberg (TMI). Un autre Tribunal militaire international, plus connu sous la dénomination, de Tribunal de Tokyo, fut constitué pour connaître des crimes commis en Extrême-Orient. C’est un décret, pris par le général Mac Arthur (Commandant suprême des Puissances Alliées en Extrême-Orient) en date du 19 janvier 1946 et conformément à la Conférence de Potsdam, qui institua le Tribunal de Tokyo130. On s’est interrogé sur la signification de l’ajout du mot « militaire » à ces tribunaux. François de Fontette apporte cette réponse :

« … il ne s’agit pas d’une cour martiale à procédure expéditive ; tous les juges sauf le

général Nikitchenko étaient des civils ; selon certains il y a lieu de penser que cette appellation a été voulue pour éviter d’avoir à soumettre au congrès américain la création

127 Les travaux de la Commission de Londres ont duré six semaines et ont abouti à la publication de l’Accord et de la Charte du TMI de Nuremberg.

128 V. sur cette question, CONDORELLI (L.), VILLALPANDO (S.), « Les Nations Unies et les juridictions pénales internationales » in La charte des Nations Unies, Commentaire article par article, Economica, Paris, 2005, 3e éd., p. 204

129 Statut du Tribunal militaire international de Nuremberg, 8 août 1945

130V. CONDORELLI (L.), VILLALPANDO (S.), « Les Nations Unies et les juridictions pénales internationales », art. précité, p. 204

d’une nouvelle juridiction, les tribunaux militaires relevant directement du président des États-Unis. »131

Les TMI de Nuremberg et de Tokyo sont présentés à la communauté internationale comme une réponse aux horreurs du régime nazi en Europe ainsi qu’aux atrocités commises par l’armée japonaise durant l’occupation des nations du Sud-est asiatique132. « Les deux tribunaux

présent[a]nt les mêmes caractéristiques fondamentales ; il est donc possible d’en parler comme d’un phénomène unique »133. Ces Tribunaux sont institués uniquement par la volonté des vainqueurs de la deuxième guerre mondiale. Les Statuts, la constitution, la juridiction et les fonctions de ces Tribunaux sont conçus et établis par les Puissances victorieuses, groupe politique constitué de la France, l’Angleterre, les États-Unis et l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques (URSS). Les vaincus ou les accusés n’avaient aucune possibilité de récuser les Tribunaux. L’article 3 du Statut du TMI de Nuremberg prévoit que : « [n]i le Tribunal, ni ses

membres, ni leurs suppléants ne pourront être récusés par le Ministère public, par les accusés ou par des défenseurs ».

Ces Tribunaux ont pour mission de juger les personnes accusées des crimes internationaux les plus graves, soit quatre crimes au total, et, parmi ceux-ci, le crime contre la paix. Les membres de ces Tribunaux, exclusivement les représentants des Puissances victorieuses (ce type de représentation est critiquable)134, doivent juger et punir les personnes responsables de crimes contre la paix ou de crime d’agression135. Ces juges doivent appliquer des textes (sur la détermination des infractions, des personnes à juger, des peines, etc.) qui ont été, au préalable, élaborés par ces mêmes vainqueurs. Ainsi, ils vont établir eux-mêmes par exemple, l’élément légal du crime d’agression (violation du Pacte de Paris,…). On verra d’ailleurs plus loin, que la volonté de rattacher ces textes aux législations nationales et surtout au droit coutumier sera assez contestée136. Cette démarche, adoptée par les vainqueurs et les TMI pour connaître du crime

131

FONTETTE de (F.), Le procès de Nuremberg, op. cit., p. 29

132ZAPPALÀ (S.), La justice pénale internationale, op. cit., p. 55

133 Ibid.

134 V. pour la critique des TMI, RÖLING (B .V. A.), « The Law of War and the National Jurisdiction Since 1945 »,

RCADI, 1960-II, p. 356, KRESS (C.) et SLUITER (G.), « Imprisonment » in The Rome Statute, op. cit., p. 1764

135

Les TMI avaient surtout pour but de punir les vaincus. V. sur ce sujet, MAOGOTO NYAMUYA (J.), State

Sovereignty and International Criminal Law : Versailles to Rome, Transnational Publishers, New York, 2003, p.

273, KRESS (C.) et SLUITER (G.), « Imprisonment », art. précité, p. 1764

136V. sur cette question, PAECH (N.), « Les apports du procès de Nuremberg au droit pénal, international de l’époque », art. précité, p. 25. V. aussi les arguments de la défense dans le jugement des procès de Nuremberg, op.

d’agression, n’a pas été sans conséquence. En effet, pour ces différentes raisons, les Tribunaux militaires internationaux ont été considérés par un grand nombre comme des instruments au service des vainqueurs ; le Tribunal de Nuremberg était considéré par certains comme étant le « Tribunal international des États vainqueurs »137. Pour échapper à cette critique,

« … il eût probablement mieux valu, comme il fut suggéré alors, que les nazis fussent

jugés dans un procès organisé par les États restés neutres pendant le conflit ou par des Allemands ayant lutté, en Allemagne même ou en exil contre le nazisme. »138

Tel ne fut pas le cas. Les TMI, qui vont juger les individus pour crime contre la paix ou de l’agression, sont dominés exclusivement par les Puissances victorieuses. Cette réalité montre une récurrence au cours de ces deux époques (fin de la première et de la deuxième guerre mondiale), de la volonté de faire constater l’agression par un organe politique ou par un Tribunal constitué et largement contrôlé par les Puissances qui ont gagné la guerre. Il était possible après la première guerre mondiale, de penser et de mettre en place un mécanisme juridictionnel neutre pour constater la réalisation d’une agression. On pense, par exemple, à un Tribunal permanent avec une représentation neutre, ou, comme cela a été le cas « des juridictions de circonstance »139. Mais tel n’a pas été le souhait des grandes puissances140, démontrant ainsi un désir manifeste des vainqueurs, de rester maîtres du processus de constatation de l’agression.

§II. La constatation de l’agression par des organes

politiques institutionnels chargés du maintien de la paix

La Société internationale fonctionnant sur le modèle westphalien, c’est-à-dire composée d’États et régie par le principe de souveraineté, n’a jamais été une société caractérisée par une

cit., ASCENSIO (H.), L’autorité de chose décidée en droit international public, op. cit., p. 428, GLENNON (M.

J.), « The Blank-Prose Crime of Aggression », YJIL, 2010, vol. 35, pp. 74 et s.

137 V. sur ce sujet, les arguments soulevés par M. el-Khoury devant la CDI in Ann CDI, 1950, vol. II, p. 33. V. aussi

Ann CDI, 1983, vol. II, partie 1, p. 147 (« CHAPITRE PREMIER Évolution de la codification du droit pénal international… B. — Après la seconde guerre mondiale » )

138 DESTEXHE (A.) et FORET (M.), De Nuremberg à la Haye et Arusha, Bruylant, Bruxelles, 1997, p. 23

139 Ann CDI, 1983, vol. II, partie 1, p. 147, précité

140V. sur la notion de « Grandes Puissances » et ses caractéristiques, ASCENSIO (H.), L’autorité de chose décidée

paix durable141. Elle a toujours connu des guerres et vécu des agressions, ce qui a conduit les États à mettre en place des organisations internationales dotées d’un caractère essentiellement politique142, à qui était confiée la mission ou la charge de maintenir la paix et la sécurité collective. C’est dans ce but que la Société des Nations (A) et l’Organisation des Nations Unies (B) vont être mises en place, avec pour mission de constater toute agression qui surviendrait dans la Société internationale.