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On peut clairement penser que l’un des points de friction qui a aussi rendu difficile toute acceptation de la criminalisation de l’agression, et par conséquent laborieux tout accord sur la définition de ce crime, est cette réalité selon laquelle le crime d’agression concerne d’abord et même exclusivement les personnes détentrices de la plus haute autorité au sein de l’État. La criminalisation de l’agression et la répression de ce crime s’adressent en effet, directement aux personnes occupant de hauts postes de responsabilité au sein de l’entité à l’origine de l’agression. Lorsqu’on fait référence aux hautes autorités de l’État susceptibles de voir leur responsabilité engagée en cas de la commission d’un crime d’agression, on pense directement aux chefs d’États ou aux chefs de gouvernements, à certains ministres (ministre de la défense ou des armées ou ministre des affaires étrangères par exemple72), aux hauts gradés au sein de l’armée. De façon plus générale, cette dénomination permet de désigner surtout les plus hauts responsables politiques et militaires d’un pays73.

Ainsi, lorsqu’on est face à un crime d’agression, la « dimension de direction d[o]it être

satisfaite dans tous les cas. »74 Cette règle posée pour la première fois par les Tribunaux

militaires internationaux de Nuremberg et de Tokyo est restée largement inchangée et incontestée même si, depuis les précédents des TMI, aucune juridiction pénale internationale n’a plus poursuivi ni jugé des individus pour crime d’agression ou crime contre la paix.

Dire que le crime d’agression est un crime de dirigeants conduit obligatoirement à s’intéresser directement à la structure même de l’État, au « lieu du pouvoir étatique d’où émane

l’intention agressive »75. Cette démarche va permettre ainsi de déterminer si, de par cette

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PCNICC/1999/INF/2, 2 August 1999, Compilation of proposals on the crime of Aggression submitted by the Preparatory Committee on the Establishment of an International Criminal Court (1996-1998), the United Nations Diplomatic Conference of Plenipotentiaries on the Establishment of an International Criminal Court (1998) and the Preparatory Commission for the International Criminal Court (1999), p. 7. V. également PCNICC/1999/WGCA/RT.1, 9 December 1999, Discussion paper proposed by the Coordinator, Consolidated text of proposals on the crime of aggression, p. 4

72 V. sur ce sujet, Ann CDI, 1965, vol. 2, pp. 152 et 153

73 Ce caractère contribue à faire que le crime d’agression se trouve bel et bien aussi entre deux notions que sont la politique et la justice.

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ICC-ASP/4/SWGCA/INF.1, AEP, 4e session, Note du Secrétariat, 28 novembre – 3 décembre 2005, p. 8, v. aussi sur ce sujet, V. sur ce sujet par ex., article 16 du Projet de Code des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité,

Ann CDI, 1996, vol II, partie 2, p. 44, MAISON (R.), La responsabilité individuelle pour crime d’État, op. cit., pp.

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position, l’individu accusé de crime d’agression a joué un rôle effectif dans la préparation, la planification, la commission ou l’exécution d’un acte d’agression76. Cette règle trouve son fondement dans l’idée que pour un grand nombre d’auteurs, le crime individuel d’agression reste en effet strictement relié à l’acte de l’État. Ce dernier élément peut même être considéré comme une condition indispensable pour affirmer l’existence du crime individuel77. Comme le note Raphaëlle Maison, « (le crime contre la paix]… vise en effet à réprimer un phénomène étatique,

le recours à la guerre… »78. Et qui dit phénomène étatique, dit non seulement que ce crime est d’abord celui de l’État ou encore un acte commis « dans l’exercice de l’autorité

souveraine »79 mais aussi que ce crime est, par conséquent, directement ordonné et planifié par les hautes autorités politiques et militaires de l’État80.

Parce que la criminalisation de l’agression concerne directement et même exclusivement les hautes autorités de l’État ou les personnes à la tête de l’État, cette réalité peut, à elle seule, justifier tous ces longs et infructueux débats et ce temps gagné par les États pour retarder la compétence de la CPI sur ce crime. On peut d’ailleurs constater qu’il a été plus facile ou du moins plus rapide pour les États ayant participé aux travaux sur l’élaboration du Statut de Rome de convenir des différentes définitions des autres crimes internationaux que sont le crime de guerre, le crime contre l’humanité ou le crime de génocide, alors que les discussions ont dû être ajournées pour ce qui concerne la définition du crime d’agression. Cette particularité permet de relever « le caractère exceptionnel »81 du crime d’agression.

Cette argumentation conduit à démontrer, une nouvelle fois, si l’on pouvait encore en douter, que la difficulté à définir le crime d’agression découle aussi des relations étroites que ce crime entretient avec la politique. Définir le crime d’agression ou criminaliser l’agression est une

76 Article 8 bis du Texte adoptée le 11 juin 2010 à Kampala par l’Assemblée des États Parties au Statut de la CPI, Doc. C.N.651.2010.TREATIES-8, « ADOPTION DES AMENDEMENTS RELATIFS AU CRIME D’AGRESSION», http://treaties.un.org/doc/publication/cn/2010/cn.651.2010-frn.pdf, consulté le 11 juillet 2011

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V. sur ce sujet, GARGIULO (P.), « Il controverso rapporto tra Corte penale internazionale e Consiglio di sicurezza per la repressione dei crimini di diritto internazionale », CI, 1999, p. 458, FITZMAURICE (G. G.), «The Definition of Aggression », ICLQ, 1952, n° 1, p. 138, BOEVING (J. N.), « Aggression, International Law, and the ICC », art. précité, p. 603

78 MAISON (R.), La responsabilité individuelle pour crime d’État, op. cit., p. 29, v. aussi Ibid., p. 65

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Article 2, alinéa 1, b), ii) de la Convention des Nations Unies sur l’immunité juridictionnelle des États et de leurs biens de 2004

80 On verra dans les développements suivants que le crime d’agression peut aussi dans certains cas, même si minoritaires, être le fait des individus n’appartenant pas à la sphère étatique.

question politique autant que juridique82 voire diplomatique. On peut d’ailleurs à ce sujet relever cette interrogation assez parlante d’Antonio Remiro Brotons,

« Aggression and crime: do they belong to the sphere of politics and diplomacy, but not to

that of justice, which can serve them but not displace them? »83.

Ces éléments relevés, il convient maintenant de voir que la difficulté à criminaliser l’agression, et par conséquent à définir le crime d’agression, découlerait aussi de la compétence concurrente ou de cette rencontre, que certains84 ont prédit impossible voire conflictuelle, entre ces deux organes que sont la Cour pénale internationale et le Conseil de sécurité.

§II. Les difficultés liées à la compétence concurrente de

deux organes distincts

Tout travail sur l’agression, et par conséquent toute définition de l’agression dans le cadre du droit international pénal, conduit en effet à traiter de la question de la « rencontre » entre le Conseil de sécurité, responsable en vertu de la Charte des Nations Unies de constater « l'existence

…d'un acte d'agression »85 et la Cour pénale internationale, chargée, au niveau international, de juger les auteurs de ces crimes internationaux dont fait partie le crime d’agression. Ces deux organes, parce qu’ils sont de nature différente et parce que les obligations ou du moins les objectifs qui sont les leurs ne sont pas fondamentalement les mêmes, auront pour cette raison, une approche différente, voire divergente. Il est évident que le Conseil de sécurité, organe principal des Nations Unies en matière de maintien de la paix, aura une démarche davantage politique

82 V. CDI, séance du 31 mai 1949, A/CN. 4/SR. 30, p. 11 et RGDIP, 1952. V. aussi de FONTETTE (F.), Le procès

de Nuremberg, Que sais-je ?, PUF, Paris, 1996, p. 85

Dans le même sens, on peut rappeler ces propos de Antonio Cassese à propos des juridictions pénales internationales et notamment de leurs compétences et leur travail « …, les cours internationales ne peuvent être instituées qu’à

l’issue de négociations diplomatiques : la justice est enfantée par la diplomatie.

…, les hommes politiques et les diplomates ont la possibilité, et l’utilisent, de maintenir le travail des cours sous leur contrôle, que ce soit financièrement, ou à l’aide de pressions psychologiques, y compris en faisant en sorte de ne pas arrêter certains principaux accusés. » CASSESE (A.), « Quelques réflexions sur la justice pénale internationale »,

art. précité, p. 289

83 REMIRO BROTONS (A.), « Aggression, Crime of Aggression, Crime without Punishment », art. précité, p. 17

84 V. sur ce sujet, par ex., PAULUS (A.), « Second Thoughts on the Crime of Aggression » art. précité, pp. 1125 et s.

lorsqu’il connaîtra d’une situation portant sur l’agression (A) tandis que la Cour pénale internationale, en tant qu’organe judiciaire, sera plus soucieuse d’agir dans le cadre du respect des règles de droit international pénal (B). Cette réalité constitue, à n’en point douter, l’un des points d’achoppement de la définition du crime d’agression et de la détermination des compétences de la CPI sur ce crime.

A. La prééminence de l’élément politique dans la détermination de