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L’AGRESSION : FAIT INTERNATIONALEMENT ILLICITE OU CRIME INTERNATIONAL DE L’ÉTAT ?

B. L’échec de cette conception

En fai sa nt de l’agre ssion un cri me in ternati onal de l ’État e t non plus un « si mpl e » fait int ernati on al e ment illi cit e d e l’État , le ré gi me juridi qu e de l a re spons abilit é d e l ’État dev ait l o giq ue me nt chan ger et être di ffé rent de celui de la responsabilité pour fait internationalement illicite542. On devait aboutir à un régime de

538

Ann CDI, 1994, vol. I, p. 75, précité

539Ceci conformément au principe ex injuria jus non oritur. V. LAUTERPACHT (H.), « Règles générales du droit de la paix », RCADI, 1937-4, t. 62, pp. 290-291, NISOT (J.), « La Namibie et la Cour Internationale de Justice. L’avis consultatif du 21 juin 1971 », RGDIP, 1971-2, p. 942, Conséquences juridiques pour les États de la présence continue de l’Afrique du Sud en Namibie (Sud-Ouest africain) nonobstant la résolution 276 (1970) du Conseil de Sécurité, précité, pp. 54 et 56, §§ 119 et 126, GUGGENHEIM (P.), « La validité et la nullité des actes juridiques internationaux », RCADI, 1949-1, t. 74, p. 16, Ann CDI, 1984, vol. I, p. 313 (intervention de M. Ni), WECKEL (P.), « Le chapitre VII de la Charte et son application par le Conseil », art. précité, p. 175

540 V. sur cette question, KELSEN (H.), Théorie du droit international public, op. cit., pp. 57-61, art. 41 du Projet d’articles de la CDI, précité, arrêt Barcelona Traction, précité, p. 32, § 34, Ann CDI, 1996, vol. II, partie 2, p. 75 (Crimes internationaux…Commentaire), CORTEN (O.), « Quels droits et quels devoirs pour les États tiers ? Les effets juridiques d’une assistance à un acte d’agression » in L’intervention en Irak et le droit international, op. cit., pp. 109 et s.

541Ann CDI, 1976, vol. II, partie 2, p. 107 (« Article 19. — Crimes et délits internationaux … Commentaire »)

542

DUPUY (P-M.), « Observations sur le crime international de l’État », art. précité, p. 468. V. également Ann CDI, 1976, vol. II, partie 1, p. 50(‘CHAPITRE III, Violation d'une obligation internationale, 4. Contenu de l’obligation

internationale’), Ann CDI, 1976, vol. II, partie 2, pp. 108- 109 (‘Article 19. — Crimes et délits internationaux, Commentaire’), Ann CDI, 1993, vol. II, partie 1, p. 33 (« ‘Les conséquences des ‘crimes internationaux des États’(article 19 de la première partie du projet d’articles) »)

responsabilité plus sévère ou plus grave543. Mais tel ne fut pas le cas544. À t it re d ’exe mpl e, la possi bilit é d e do mma ge s -i nt é rê ts a ggr av és ou puniti fs en c as d e c ri me intern ati onal a é té a bandon né e545. La CD I n’a p as pu abouti r à un ré gi me d e l a re spons abilit é disti nct p ou r l e cri me i nternation al qu’e lle a mê me rebaptis é « violat ion gra ve d’une obligation d éc oulant d es nor me s i mpérati v es du droit

internati onal généra l »546. O r, il est di ffi cil ement a dmissi bl e q ue de ux noti ons de nat ure di fférent e, avec des c ons éq ue nc es différent es, pui ss ent engen drer l e même ré gi me d e respons ab ilité pou r les Ét ats547. C’était là l’une des preuves de l’échec même de la notion de crime international de l’État, qu’il s’agisse de l’acte d’agression ou de tout autre acte548.

En effet, le régime juridique de la responsabilité pour agression considérée comme crime international de l’État a eu beaucoup de mal à se définir différemment de ce qu’on connaissait jusque là. Il s’est appuyé sur le Conseil de sécurité pour traiter des conséquences ou de la responsabilité en cas de commission d’une agression549. Ainsi, à part l’accent qui est mis sur la gravité de l’agression en la qualifiant de crime, on tire peu de conséquences de cette qualification. Le régi me de la res pons abilit é d es État s pou r agression con si dé ré c omme cri me intern ati onal de l ’Ét at va ain si c onti nu er à êt re ess enti ell ement en cadré par l e Cons eil de séc uri té550, et ce ci d e fa çon discrétionnaire, comme on l ’a vu

543 V. Ann CDI, 1976, vol. II, partie 1, p. 50, précité, Ann CDI, 1996, vol. II, partie, 1, p. 2 (« Chapitre premier.

Problèmes soulevés par le régime applicable aux faits internationalement illicites qualifiés de’crimes’ à l’article 19 de la première partie du projet d’articles »)

544

CRAWFORD (J.), Les articles de la C.D.I. sur la responsabilité de l’État, op. cit., p. 14, BOWETT (D. W.), « Crimes of State and the 1996 Report of the International Law Commission », art. précité, pp. 169-170

545V. DAUDET (Y.), « Travaux de la Commission du droit international », AFDI, 1998, p. 506, PELLET (A.), « Les articles de la CDI sur la responsabilité de l’État », art. précité, p. 14, v. A/CN.4/517, précité, § 53, Ann CDI, 1976, vol. II, partie 1, p. 51, précité, WECKEL (P.), « Le chapitre VII de la Charte et son application par le Conseil de sécurité », art. précité, pp. 176 et s.

546La CDI a en effet abandonné le mot « crime », tout en conservant l’idée. V. Ann CDI, 1996, vol. I, p. 28 (v. intervention de M. Villagrân Kramer), PELLET (A.), « Les articles de la CDI sur la responsabilité de l’État », art. précité, pp. 10 et 14, PELLET (A.) et DAILLIER (P.), DIP, op. cit., p. 770, DAUDET (Y.), « Travaux de la Commission », art. précité, p. 506

547 V. Ann CDI, 1976, vol. II, partie 1, p. 51, précité

548 PELLET (A.), « Remarques sur une révolution inachevée », art. précité, pp. 23 et 24, WECKEL (P.), « Le chapitre VII de la Charte et son application », art. précité, pp. 176 et s.

549Ann CDI, 1976, vol. II, partie 1, pp. 51-52, précité, Ann CDI, 1994, vol. I, p. 95 (V. intervention de M. Pellet),

FORTEAU (M.), Droit de la sécurité collective, op. cit., pp. 547 et s.

550« Le Conseil de sécurité peut tenir compte des principes relatifs à la responsabilité des États lorsqu’il prend ses

décisions mais le projet d’articles ne saurait régir celles-ci ». V. BELAÏCH (F.), « Les réactions des gouvernements

au projet de la CDI sur la responsabilité des États », AFDI, 1998, p. 517. V aussi Ann CDI, 1976, vol. II, partie 1, pp. 51 et s., précité, FORTEAU (M.), Droit de la sécurité collective, op. cit., pp. 542 et s.

préc éd emment.

En qualifiant l’agression de crime international de l’État et en annonçant que c’est toute la communauté internationale qui est touchée ou concernée par sa commission, on se serait attendu

«… idéalement, [à] trouver un ‘cadre d’intervention centralisé’ »551ou une réaction coordonnée de la communauté internationale pour protéger selon les termes du professeur P-M. Dupu y « l’intérêt général » ou « l’ordre public »552 violé. Mais tel ne fut pas le cas. Pour le professeur Ago, avec la notion de crime international de l’État, il y a une « ébauche de personnification de

la Communauté internationale »553. Pourtant, il est difficile de déterminer exactement ce que constitue cette communauté internationale, tout comme il est impossible de la structurer. Et, à défaut de pouvoir le faire, on laisse ainsi l’État démuni en cas d’agression554. Il n’existe pas une « communauté internationale organisée et harmonieuse »555qui pourrait se saisir de la situation lorsqu’une agression est commise. M. Calero Rodrigues avait proposé, pour résoudre ce problème, de pouvoir remplacer la communauté internationale, difficile à identifier, par une entité capable de la représenter et qui puisse réagir en cas de crime (une communauté d’États)556. Cette proposition, en elle-même, ne règle pas tous les problèmes557, et même si on avait pu déterminer une telle communauté d’États, elle n’aurait pas pu être compétente pour connaître de l’agression dont la charge revient, de façon explicite en vertu de la Charte des NU, au Conseil de sécurité. Il eut fallu modifier la Charte, ce qui est un autre problème. Certains auteurs ont proposé de considérer le Conseil de sécurité comme le représentant de cette communauté internationale558. Or, le Conseil de sécurité est un organe politique et peu d’États ou de personnes sont prêts à lui reconnaître la qualité de représentant de la communauté internationale et surtout « …on ne peut

551 DUPUY (P-M.), « Observations sur le crime international de l’État », art. précité, p. 551. V. également sur ce sujet, A/CN.4/469, 4 mai 1995, pp. 7 et 18

552 DUPUY (P-M.), « Après la guerre du Golfe », art. précité, p. 635. V. aussi sur ce sujet, COTTEREAU (G.), « De la responsabilité de l’Iraq selon la résolution 687 », art. précité, pp. 116 et 117

553

Ann CDI, 1970, vol. I, p. 187 (intervention de M. Ago), v. aussi Ann CDI, 1970, vol. II, p. 197 (« Chapitre premier Règles générales I. — Le fait illicite international en tant que source de responsabilité »), Ann CDI, 1995,

vol. II, partie 1, p. 22, précité

554 Ann CDI, 1994, vol. I, p. 95, précité, v. aussi BELAÏCH (F.) « Les réactions des gouvernements », art. précité, p. 524

555Ann CDI, 1994, vol. I, p. 75 (intervention de M. Calero Rodrigues), v. aussi Ann CDI, 1993, vol. II, partie I, pp.

44-46, précité, Ann CDI, 1980, vol. I, p. 85 (intervention de M. Schwebel)

556Ann CDI, 1994, vol. I, p. 75, précité. V. aussi sur ce sujet, FORTEAU (M.), Droit de la sécurité, op. cit., pp.

547-549

557

V. les critiques faites sur la proposition de M. CALERO à l’Ann CDI, 1996, vol. II, partie 1, p. 4

558Ann CDI, 1993, vol. II, partie, I, pp. 44-46 (« d) Le rôle de la ‘communauté internationale organisée’ » sur ‘La

Responsabilité des États’), Ann CDI, 1984, vol. I, p. 283, précité, Ann CDI, 1970, vol. I, p. 194, précité, VIRALLY (M.), L’Organisation mondiale, op. cit., p. 451. V. également sur ce sujet, FORTEAU (M.), Droit de la sécurité

dire que [s]a conduite soit inspirée par la cohérence ou l'impartialité »559. Ainsi, force était de constater que :

« …le processus de réaction au crime d’État n’attei[gnai]t pas encore le degré de

développement technique et de centralisation que suppose l’imposition de la sanction pénale de droit interne ... ».560

En effet, dire que l’agression est un crime laissait également entendre qu’il y avait une analogie avec le droit pénal561, mais surtout, qu’il fallait entrevoir une responsabilité pénale de l’État et des sanctions pénales à l’encontre de l’État562. À propos de cette idée de responsabilité pénale de l’État, deux principales thèses s’affrontaient : celle qui pensait que la responsabilité pénale de l’État pouvait être admise car l’idée que les États étaient capables de commettre des crimes « n’avait rien d’extraordinaire »563et celle qui n’admettait pas une responsabilité pénale de l’État564. Il faut aussi souligner que l’un des problèmes principaux était de savoir sur qui reposerait la sanction pénale ? Autrement dit, qui serait touché par les sanctions pénales formulées à l’encontre de l’État ? Et la réponse certaine à cette question était que ce sont les

559 Ann CDI, 1994, vol. I, p. 104, précité. V. aussi BOWETT (D. W.), « Crimes of State and the 1996 Report of the International Law Commission », art. précité pp. 169-170. Et comme le note P-M. Dupuy, « [l]es États même

attachés à l’affirmation de valeurs communes, ne sont que très sporadiquement désireux d’en défendre le respect, notamment par le canal des institutions communes dont ils se sont dotées, à commencer par les Nations Unies ».

DUPUY (P-M.), « Quarante ans de codification du droit de la responsabilité des États. Un bilan. », RGDIP, 2002, pp. 305-348. V. également sur cette question COTTEREAU (G.), « De la responsabilité de l’Iraq selon la résolution 687», art. précité, p. 116

560

MAISON (R.), La responsabilité individuelle pour crime d’État, op. cit., p. 19

561

PELLET (A.), « Remarques sur une révolution inachevée », art. précité, p. 23, v. aussi BELAÏCH (F.) « Les réactions des gouvernements », art. précité, p. 524, FORTEAU (M.), Droit de la sécurité collective, pp. 260 et s.

562 SICILIANOS (L-A.), Les réactions décentralisées à l’illicite, op . cit., pp. 50-57, PELLET (A.), « Remarques sur une révolution inachevée », art. précité, p. 22, SPINEDI (M.), « La responsabilité de l'État pour ‘crime’: une responsabilité pénale ? » in Droit international pénal, op. cit., pp. 95 et s., FORTEAU (M.), Droit de la sécurité

collective, op. cit., pp. 256 et s., DONNEDIEU de VABRES (H.), Les principes modernes du droit pénal international, Panthéon-Assas, Paris, 2004, pp. 437 et s., KAMTO (M.), L’agression en droit international, op. cit.,

pp. 60 et s.

563

V. sur ce sujet, Ann CDI, 1995, vol. II, partie 2, p. 51(« iv) La notion de crime d'État à la lumière de l'adage

societas delinquere non potest »), Ann CDI, 1983, vol. I, pp. 10 et 12, précité, Ann CDI, 1954, vol. I, p. 246, précité,

BASSIOUNI (M.), Introduction au droit pénal, Bruylant, Bruxelles, 2002, p. 37, CRAWFORD (J.), Les articles de

la C.D.I., op. cit., p. 23, DONNEDIEU de VABRES (H.), Les principes modernes du droit pénal international, op. cit., pp. 437 et s., MAREK (K.), « Criminalizing State Responsibility », RBDI, n° 14, 1978-1979, pp. 460, 483,

BOEVING (J. N.), « Aggression, International Law, and the ICC », art. précité, pp. 595 et s.

564Certains auteurs n’étaient pas d’accord avec cette idée. V. Ann CDI, 1980, vol. I, p. 85(« Rapport préliminaire sur

le contenu, les formes et les degrés de la responsabilité internationale (Deuxième partie du projet d’articles) [fin] »

v. par ex. l’intervention de M. Schwebel), Ann CDI, 1994, vol. I, p. 107 (intervention de M. Tomuschat), Ann CDI, 1989, vol. II, partie 2, p. 80 (« a) Traitement séparé des conséquences juridiques des délits internationaux et des

crimes internationaux »), Ann CDI, 1981, vol. II, partie 1, p. 75 (intervention de la République fédérale d'Allemagne

sur ‘La responsabilité des États’), Ann CDI, 2001, vol. II, partie 2, p. 119, précité. V. aussi sur ce sujet, TUNKIN (G. I.), Theory on International Law, op. cit., p. 402, BASSIOUNI (M.), Introduction au droit pénal, op. cit., p. 37, MAISON (R.), La responsabilité individuelle pour crime d’État, op. cit., p. 19, FORTEAU (M.), Droit de la sécurité

populations ou le peuple qui seraient affectés directement par les sanctions à l’encontre de l’État pour son crime. On aboutissait par ce mécanisme de crime d’État, au châtiment du peuple, car il est impossible objectivement de sanctionner pénalement un État565. Lorsqu’on observe les différentes sanctions qui ont été infligées à des États agresseurs (l’Allemagne, l’Irak par exemple), force est de constater que ces sanctions n’ont pas touché l’État dans son essence ou dans son être. Ce n’est pas directement l’État qui va payer les indemnités imposées mais ce sont les populations ; d’où les ressentiments et aversions des populations pour ces sanctions. Cette finalité est injuste quand on sait que le peuple est déjà, très souvent, la première victime de tout crime d’agression comme d’ailleurs de tout autre crime566. C’est l’État qui a organisé et mis en œuvre le crime, c’est l’État qui est coupable du crime d’agression, mais la sanction ne l’atteint pas réellement. Dès lors, « le risque est grand, en voulant sanctionner l’État, de punir sa

population »567 et il serait dangereux « d’infliger une punition grave à tout un peuple pour les

agissements de son gouvernement et, par là, de compromettre la sécurité et la stabilité internationales »568.

Il existait une autre méfiance à l’égard de cette idée de considérer l’agression comme un

565 V. sur ce sujet, DINSTEIN (Y.), War, Aggression and Self-Defence, op. cit., p. 114, DROST (P. N.), The Crime of

State, vol. I, A. W. Sythoff, Leyden, 1959, p. 292, BASSIOUNI (C.), Introduction au droit penal international, op. cit., p. 56, MUNCH (F.), « State Responsibility in International Criminal Law and Collective Responsibility » in Individual and Collective Responsibility in I A Treatise on International Criminal Law-Crimes and Punishment, ss.

Dir. BASSIOUNI (C.) et NANDA (Ved P.), Springfield, Illinois, 1973, vol. I, pp. 143-152, TOMUSCHAT (C.), « L’immunité des États en cas de violations graves des droits de l’homme », RGDIP, 2005, p. 70

Certains auteurs comme J. N. Boeving pensent qu’il est possible et facile de sanctionner l’État lorsqu’il commet un crime d’agression. V. les mécanismes proposés par cet auteur pour sanctionner l’État in « Aggression, International Law, and the ICC », art. précité, pp. 603 et s.

566

Ann CDI, 1995, vol. II, partie 2, p. 51, précité, Ann CDI, 1996, vol. II, partie, 1, pp. 2-3 (« Chapitre premier

Problèmes soulevés par le régime applicable aux faits internationalement illicites qualifiés de ‘crimes’ à l’article 19 de la première partie du projet d’articles »), Procureur c. Blaskic, TPIY affaire IT-95-14-AR 108 bis, ILR, vol. 110

(1997), § 25, p. 698

Cependant, certains auteurs comme Boeving, il n’est pas injuste que le peuple soit directement ou indirectement atteint par la sanction pénale qui pèserait sur l’État, tout simplement parce que, selon lui le peuple est aussi responsable de l’agression que l’État. V. BOEVING (J. N.), « Aggression, International Law, and the ICC », art. précité, pp. 609 et 610

567 A/CN.4/488, 25 mars 1998, p. 58. Cette argumentation soutenue par le gouvernement français lors des travaux de la CDI (sur la responsabilité des États : A/51/10, précité, p. 147) a été appuyée par l’Irlande, v. Ibid., p. 62 et Singapour, A/CN.4/488, add III, p. 6, v. aussi Ann CDI, 1995, vol. II, partie 2, p. 51, précité, Ann CDI, 1990, vol. I, p. 1 (« Hommage à la mémoire de M. Paul Reuter »), BROWNLIE (I), International Law and the Use of Force, op.

cit., p. 153, MUNCH (F.), « State Responsibility in International Criminal Law and Collective Responsibility », art.

précité, pp. 143-152, ROSENBAUM (A. S.), Prosecuting Nazi War Criminals, Boulder, Westview Press, 1993, p. 106

568A/CN.4/488, précité, p. 66, v. aussi ibid., p. 150, STAHN (C.), « ‘Jus ad bellum’, », art. précité, p. 940, DINSTEIN (Y.), War, Aggression and Self-Defence, op. cit., p. 115. Ce type d’argumentation a également été soutenu par la France lors de l’imposition des sanctions à l’Irak à la suite de la guerre du Golfe. V. S/PV. 2981, 3 avril 1991, p. 93

crime international de l’État ; certains craignaient qu’en condamnant l’État pour crime d’agression, on oublie de réprimer et de punir les individus, alors que « les personnes morales

sont des abstractions juridiques dont les politiques et activités sont conçues et exécutées par des individus »569. Les individus qui se cachent derrière l’État et agissent pour son compte pourraient échapper à toute poursuite pour commission du crime d’agression, si l’accent était seulement focalisé sur le crime de l’État. Cette crainte était aussi renforcée par la situation internationale. En effet, après la tentative échouée de juger Guillaume II et les jugements des TMI de Nuremberg et Tokyo, la société internationale n’avait pas encore réussi à établir ou à mettre en place une juridiction pénale internationale permanente, capable de juger les individus pour crimes d’agression. Il y avait ainsi une réelle peur que cette condamnation de l’État pour crime d’agression occulte l’importance de condamner les individus, considérés par un grand nombre comme les véritables auteurs et artisans du crime d’agression.

« Il ne suffisait pas, commençait-on à penser, de sanctionner les États personnes morales

de droit public (‘je n’ai pas déjeuné avec une personne morale’), mais surtout les personnes physiques agissant comme organes de l’État. »570

En considérant l’agression comme un crime international de l’État et en sanctionnant seulement l’État et non les individus, avec des répercussions peu justifiées sur la population, comme on a pu le voir, la répression du « crime des crimes » restait partielle, peu adéquate et inachevée. Si par l’artifice juridique du crime international de l’État, l’individu échappait à la répression, on portait une réelle atteinte au maintien de la paix et à la sécurité internationale ainsi qu’à la volonté de mettre la communauté internationale à l’abri de ce crime aux conséquences lourdes et graves.

Ces difficultés et ces craintes que vont poser cette conception de l’agression comme un crime international de l’État vont conduire à recentrer la réflexion et l’orienter sur l’idée que l’agression est une violation grave d’une obligation découlant de normes impératives du droit international général571, mais surtout à envisager l’agression comme un crime individuel qui

569 BASSIOUNI (C.), Introduction au droit pénal, op. cit., p. 37, v. aussi SALMON (J.), Le procès de Nuremberg,

conséquences et actualisation, op. cit., p. 178, Ann CDI, 1996, vol. I, p. 161 (intervention de M. Calero Rodrigues)

570FONTETTE de (F.), Le procès de Nuremberg, op. cit., pp. 14-15. V. aussi FERENCZ (B.), Defining International

Aggression, op. cit., vol. 1, pp. 505 et 506, Ann CDI, 1996, vol. I, p. 94 (v. intervention de M. Szekely)

571 Le contenu de cette notion n’est pas très différent de celui de crime (v. article 40 du projet de la CDI de 2001 précité) et qu’au niveau de la responsabilité, excepté l’article 41 qui n’apporte tout de même presque aucune nouveauté, le régime de la responsabilité n’est pas très différent de celui du fait internationalement illicite (coopération pour mettre fin à la violation et non reconnaissance de la situation illicite).

engage la responsabilité pénale individuelle. Cette responsabilité pénale individuelle, est pour certains, plus facile à appréhender, parce qu’elle a déjà été abordée par les TMI572.

Pour les partisans du crime individuel, « la criminalisation du comportement des États » ne permet et n’a permis aucune réelle avancée et, surtout, elle n’a pas contribué à « …lutter

efficacement contre les violations graves de normes fondamentales du droit international … comme aurait pu le faire la répression des actes criminels commis par des individus »573. Salah partage cette idée lorsqu’il note que c’est en punissant les individus que l’on peut espérer tarir la source de la criminalité internationale et relever le défi de l’effectivité574.

« Cet échec d’encadrer l’agression comme crime en droit international public va amener à évoluer vers une conception de l’agression comme crime toujours mais cette fois un crime individuel »575.

572 DAUDET (Y.), « Travaux de la Commission du droit international », art. précité, p. 505. Les textes des résolutions 2625 et 3314 « did not even make it entirely clear that repression of individuals was envisaged. » GAJA (G.), « The Long Journey towards Repressing Aggression », art. précité, p. 428

573

BELAÏCH (F.), « Les réactions des gouvernements », art. précité, p. 524

574SALAH (M. M.), « Interrogations sur l’évolution du droit international », art. précité p. 763. V. également DINSTEIN (Y.), War, Aggression and Self-Defence, op. cit., p. 117, GRAVEN (J.), Le difficile progrès du règne de

la justice et de la paix internationales par le droit, op. cit., pp. 561-563

SECTION II