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L’encadrement du désarmement pour prévenir l’agression et éviter toute définition de l’agression

LES CONSÉQUENCES D’UN TRAITEMENT POLITIQUE DE LA QUESTION DE L’AGRESSION

B. L’encadrement du désarmement pour prévenir l’agression et éviter toute définition de l’agression

L’attention, après les deux grands conflits mondiaux, va être focalisée sur la question du désarmement. En désarmant, on empêche toute agression et on n’a plus besoin de définir l’agression. La course aux armes a eu pour résultante les deux grandes guerres mondiales qui ont causé d’énormes préjudices à l’humanité. Certains vont proposer, afin de rétablir la paix mondiale et de garantir la sécurité collective mise à mal par les guerres, qu’il soit procédé au désarmement, à la réduction ou la limitation des armements363, car « c’est la prolifération des

362 PELLA (V.), « La codification du droit pénal international », art. précité, p. 380. Pour Alfaro aussi, « [s]eule une

définition de l’agression peut constituer l’instrument juridique permettant de déterminer l’agresseur ». ALFARO,

A/C.N.4/S.R.94, précité. Allant dans le même sens, Aroneanu ajoute que, « [l]a définition de l’agression, on le voit

est nécessaire pour faciliter la tâche des organes chargés de prendre des mesures collectives non seulement contre l’agresseur mais aussi en faveur de la victime. » ARONEANU (E.), La définition de l’agression, op. cit., p. 127

363 V. par ex. article 8 du Pacte de la SdN

Il faut préciser que cette pratique existait déjà avant les deux grandes guerres : « l’obligation de limitation des

armements imposées par Napoléon Ier à la Prusse et celle imposée par l’Angleterre à la France en 1814. On retrouvera cette pratique bien après les Conférences de la Haye » in LAVIEILLE (J-M.), Droit international du désarmement et de la maîtrise des armements, op. cit., p. 17. Avant la première guerre mondiale, émerge déjà l’idée

qu’on peut « [r]ésoudre tous les conflits par l’arbitrage et … [le] désarmement, telles étaient les exigences

primordiales qui, vers la fin du XIXe siècle, furent présentées par l’Union interparlementaire, par le congrès de la paix et par les associations pacifistes des diverses nations ». WEHBERG (H.), « Le problème de la mise de la guerre

hors la loi », RCADI, 1928, t. IX, p. 158. V. aussi sur cette question, GRALINSKI (Z.), Le règlement pacifique des

différends internationaux, op. cit., p. 293, ZOUREK (J.), « Enfin une définition de l’agression », AFDI, 1974, vol.

détenteurs d’armes nucléaires qui constituerait une menace à la paix »364. L’idée est la suivante : les problèmes de sécurité, d’agression et de désarmement « sont étroitement solidaires »365 et, si on parvient à désarmer les États, il n’est plus besoin de définir l’agression. La question du désarmement366 va, fort de la mise en avant de ce raisonnement, occuper une place importante dans la vie internationale.

Cette période du désarmement peut se résumer en trois phases :

« 1. Volonté de désarmement général et complet (de la SDN jusqu'aux premières années

de l'ONU)

2. Politique et maîtrise des armements (arms control) = Régulation de la course aux armements nucléaires (à partir des années 1960)

3. Désarmement et limitation des armements = préoccupations accrues et élargies pour les questions du désarmement (depuis 1978 : session extraordinaire de l'Assemblée générale des Nations Unies) »367.

Une idée majeure anime ces différentes phases : l’agression ne peut être évitée et la paix ne peut être effectivement maintenue que si l’on se trouve dans un monde où tous les États ont été complètement désarmé368. Plusieurs traités ou textes internationaux vont, dès lors, essayer d’encadrer le désarmement, ceci dans le but d’empêcher toute agression future. Ainsi le traité de Versailles de 1919 impose le désarmement de l’Allemagne par des obligations telles que la réduction de son armée, de sa marine, la renonciation à son aviation de guerre, la démilitarisation de certains de ses territoires (ceux situés sur la rive gauche du Rhin et le long de la rive droite sur 50 km) ou encore la cessation des importations ou exportations et production de matériel de guerre369. Ces obligations, imposées à l’Allemagne, marquent le début, sur la scène internationale, d’une période en faveur du désarmement, mouvement qui ne faiblira pas par la suite. En effet, dans la continuité du Pacte de Versailles, de nombreux traités ou conférences vont porter sur le désarmement. On peut citer, à titre d’exemple, le protocole de Genève de 1925,

364Ann CDI, 1976, vol. I, p. 79 (intervention de M. Tsuruoka)

365WEHBERG (H.), « Le problème de la mise de la guerre hors la loi », art. précité, p. 170. V. aussi DUPUIS (Ch.),

Le droit des gens et le rapport des grandes puissances avec les autres États avant le Pacte de la Société Des Nations,

Plon, Paris, 1921, p. 358

366Le désarmement peut être défini en droit international public comme la « [s]uppression des moyens permettant de

mener des opérations militaires contre les États étrangers, à l’exclusion des forces de police ». CORNU (G.), Vocabulaire juridique, op. cit., p. 280. On peut aussi le définir comme la « réduction des armements et mesures permettant de limiter le risque d[e] recourir » à la guerre et par ricochet à l’agression.

367

RENAUDEAU (C.) et APRIN (P.) at http://xlab.club.fr/desa.html, consulté le 27 septembre 2007

368CLARK (G.) et SOHN (L. B.), La paix par le droit mondial, PUF, Paris, 1961, p. 323

369Sur le désarmement de l’Allemagne imposé par le Traité de Versailles, v. GENEVEY (P.), « Le désarmement après le traité de Versailles », Politique étrangère, 1967, vol. 32, n°1, pp. 87-112 et SALEWSKI (M.), Entwaffnung

conclu grâce à la SdN et la Conférence du désarmement de février 1932370. Mais ces engagements n’empêcheront pas une nouvelle guerre mondiale, guerre à la fin de laquelle la question du désarmement sera remise à l’ordre du jour371, surtout qu’il demeure difficile pour les États, voire impossible, de se mettre d’accord sur une définition de l’agression. Le raisonnement qui prévaut est le suivant :

« les peuples du monde, s’ils veulent vraiment empêcher la guerre, doivent être prêts à

renoncer à leurs forces nationales et accepter un désarment, non seulement universel et garanti, mais aussi complet. »372

La Conférence pour établir l’ONU va être, une fois encore, l’occasion de traiter de la question du désarmement ; des résolutions sont prises dans la Charte de 1945 (les articles 11§1373, 26374 et 47§1375) et un service d’inspection des Nations Unies est créé pour effectuer un recensement de l’armement376. En mettant l’accent sur le désarmement dans la Charte, on éloigne ou repousse le problème de la définition de l’agression qui n’a pas pu être adoptée et inscrite dans la Charte qui condamne pourtant à son article 39 les actes d’agression.

Vers 1955, on peut constater l’échec du désarmement général et la persistence des agressions sur la scène internationale. Mais le constat de cet échec du désarmement complet va plutôt ouvrir une nouvelle phase qui est celle de la limitation, la réduction et la maîtrise des armements377. Cette phase est marquée, au niveau international, par les accords SALT378 I du 26

370 SdN, Conférence pour la réduction et la limitation des armements. Docs de la Conférence, vol. 2 (DOC. D/C.G, 108, pp. 683-684)

371

Á la Conférence de Potsdam de 1945, les trois grands (États-Unis, Grande Bretagne et URSS) se sont fixés comme objectifs le désarmement et la démilitarisation de l’Allemagne.

372CLARK (G.) et SOHN (L. B.), La paix par le droit mondial, op. cit., pp. 333 et 324

373 « L’Assemblée générale peut étudier les principes généraux de coopération pour le maintien de la paix et de la

sécurité internationales, y compris les principes régissant le désarmement et la réglementation des armements, et faire, sur ces principes, des recommandations soit au Conseil de sécurité, soit aux Membres de l’Organisation et au Conseil de sécurité. »

374 « Afin de favoriser l’établissement et le maintien de la paix et de la sécurité internationales en ne détournant vers

les armements que le minimum de ressources humaines et économiques du monde, le Conseil de sécurité est chargé, avec l’assistance du Comité d’état- major prévu à l’article 47, d’élaborer des plans qui seront soumis aux Membres de l’Organisation en vue d’établir un système de réglementation des armements. »

375 « 1. Il est établi un Comité d’état-major chargé de conseiller et d’assister le Conseil de sécurité pour tout ce qui

concerne les moyens d’ordre militaire nécessaires au Conseil pour maintenir la paix et la sécurité internationales, l’emploi et le commandement des forces mises à sa disposition, la réglementation des armements et le désarmement éventuel. »

376 V. sur ce sujet, CLARK (G.) et SOHN (L. B.), La paix par le droit mondial, op. cit., pp. 335 et s.

377LAVIEILLE (J-M.), Droit international du désarmement, op. cit., p. 24

« À Londres à partir de mars 1955 les États-Unis, le Royaume-Uni, la France, l’Union soviétique, le Canada, dans

mai 1972 et SALT II du 18 juin 1979, suivis plus tard par les accords START379I (31 juillet 1991) et START II (26 janvier 1996).

Ces différentes tentatives d’encadrement du recours aux armes ne vont pas permettre de garantir la paix et la sécurité collective, car elles n’empêchent pas la commission des agressions sur la scène internationale. Il devient impératif de constater que :

« [l]e désarmement ne peut pas seul régler tous les problèmes de sécurité, ne peut pas

remplacer les nouvelles façons de penser la sécurité des nations, des peuples, de l’humanité. Les États en général n’acceptent ce processus que si, à chaque étape, il maintient ou développe une sécurité »380.

Les États et les différentes délégations réalisent que, mettre la question du désarmement au centre des débats, ne permet pas d’occulter la question d’une définition de l’agression381.

Cette concentration des idées et des esprits sur le désarmement et les problèmes annexes n’appartiennent pas totalement à l’histoire. Le désarmement est, encore aujourd’hui, mis en avant après une agression. Ainsi, la question du désarmement de l’Irak a été posée dans des résolutions des Nations Unies ; dans la résolution 660 sur l’Irak, le Conseil de sécurité ne constate pas l’agression de l’Irak sur le Koweït, mais dans la résolution 687 (3 avril 1991) l’Irak est identifié comme étant l’agresseur et, une fois ce constat posé, des obligations de désarmement lui sont imposées (désarmement des armes biologiques, chimiques, nucléaires et des missiles balistiques et impossibilité d’acquérir et de produire des armes et munitions)382 ; une Commission spéciale (U.N.S.C.O.M) remplacée plus tard par la CoCoVINU383 est créée avec pour mission d’organiser et de veiller au désarmement de l’Irak384.

Cet exemple récent ainsi que l’écho donné aux travaux et aux récentes conférences des

désarmement général et complet parce que l’obstacle du contrôle apparaît politiquement insurmontable (refus de l’Union soviétique) ». Ibid., p. 25

378

Strategic Arm Limitation Talks

379

Strategic Arms Reduction Talks

380 LAVIEILLE (J-M.), Droit international du désarmement, op. cit., p. 40

381 Par ex., on a remarqué à quel point « la question de la définition de l’agression s’était imposée avec acuité à la

Conférence sur le désarmement » organisée par la SdN en 1933. ARONEANU (E.), La définition de l’agression, op. cit., p. 151

382 Extrait de la rés. 687 du Conseil de sécurité : « l’Irak doit accepter inconditionnellement que soient détruits,

enlevés ou neutralisés, sous supervision internationale toutes les armes chimiques et biologiques, éventuellement nucléaires, ainsi que tous les missiles balistiques d’une portée supérieure à 150 kilomètres ainsi que tous les principaux composants et les installations de réparation et de production ».

383

Commission de contrôle, de vérification et d’inspection des Nations Unies

384 V. SUR (S.), « La Résolution 687 (3 avril 1991) du Conseil de sécurité dans l’affaire du Golfe : problèmes de rétablissement et de garantie de la paix », RGDIP, 1991, pp. 25-97, v. aussi AFDI, 1999, pp. 99-117, l’article de COTTEREAU (G.), « De la responsabilité de l’Iraq selon la résolution 687 du Conseil de sécurité » et MICHAUD-SELLIER (F.) et NOVOSSELOFF (A.), « Le désarmement de l’Iraq », art. précité, pp. 202-220

Nations Unies sur le désarmement385viennent montrer les tentations, aujourd’hui encore présentes dans le domaine du maintien de la paix, de faire du désarmement ou du contrôle des armements, un moyen pour garantir la paix386. Dans ce sens, Serge Sur pense que le désarmement est une mesure préventive au maintien de la paix387.

Cependant, de nombreuses décennies d’immobilisme prouvent l’échec global du désarmement et des tentatives de réduction ou de limitation des armes. Comme le disait Maurice Torreli, l’utopie du désarmement est porteuse d’un mythe puissant (la disparition des armes assurera la paix), elle oublie que ce ne sont pas les armes qui tuent mais les hommes et que l’abolition des armes ne supprimerait pas la puissance du nombre388. On peut penser que « [l]e

droit a beaucoup de réponses à apporter, et encore davantage d’imagination à déployer… »389

pour résoudre la question du maintien de la paix et de la sécurité internationales ou collectives. En effet, il est difficile de concevoir un système de sécurité collective dépourvu de caractère juridique390 et surtout caractérisé par une absence de normes définissant l’agression.

385

V. par ex. aussi la campagne du secrétaire général intitulé : « ADM : Nous devons désarmer ».

386 « Pour l’avenir, l’hypothèse la plus réaliste est celle de la poursuite de la maîtrise des armements et du

désarmement ». GUILHAUDIS (J. F.), « La maîtrise des armements et le désarmement, dix ans après la guerre

froide », AFRI, 2001, vol. II. Il existe « un débat juridique sur l’existence d’une obligation générale de désarmement

(à laquelle la Cour internationale de justice a fait écho dans son avis consultatif du 8 juillet 1996 sur la ‘Licéité de l’utilisation des armes nucléaires’) ». V. AC sur la licéité de l’utilisation de l’arme nucléaire, CIJ, Rec. 1996, v. aussi

COUSSIRAT-COUSTERE (V.), « Armes nucléaires et droit international. À propos des avis consultatifs du 8 juillet 1996 », AFDI, 1996, p. 337

387V. SUR (S.), « La Résolution 687 (3 avril 1991) du Conseil de sécurité dans l’affaire du Golfe », art. précité

388

TORRELI (M.), « Stratégies juridiques et militaires » in Mélanges René-Jean Dupuy, Pedone, Paris, 1991, p. 313, V. aussi sur ce sujet, ARON (R.), Paix et guerre entre les nations, op. cit., pp. 629 et s.

389 SUR (S.), « Désarmement et droit international », http://www.afri-ct.org/Desarmement-et-droit-international, juin 2008

CHAPITRE II