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Le difficile consensus sur l’incorporation du crime d’agression dans le Statut de la CPI

détermination de l’infraction pénale de crime contre la paix

A. Le difficile consensus sur l’incorporation du crime d’agression dans le Statut de la CPI

L’incl usion du cri me d’a gre ssi on d ans le Sta tut de l a C P I n’ét ait pa s u ne évi dence po ur to us. En effet , la q ue stion de sa voi r si le cri m e d’a gre ssi on s erait incl us dans l a li st e des cri mes pour l es quels l a Co ur pénale intern ati onale a ura compét enc e, a soul evé d ’i mp ort antes d is cussions tan t au ni v ea u des réuni ons de la Commis sion p rép arat oire que de la C onfé rence de Ro me654. Il faut rapp el er d’aill eurs que l e C omité prépa rat oi re du Sta tut de l a CPI anal ys a le cri me d’agression s ans p ouvoi r préju ger de la dé cisi on fin al e conc ernant son incorporati on ou n on dans l e Stat ut de l a CPI655. Le c ri me d’agre ssion , co mme on l’a s ouvent not é, n’est pas un c ri me co mme les a utres ; il a u ne ess en ce ét atiq ue qui i nfl ue en core be auco up su r l a mis e en cause de la res ponsa bilit é in divi duell e. Il faut di re tout de mê me que ce qu esti onne ment qu ant à l’incorporation ou non du cri me d’a gress ion dans le St atut de Rome n’ét ait pas u ne que stion no uvell e. On se souvi en t que certa ins me mbre s de la C D I s ’é tai ent interro gé s lors de l’é laborat ion du Pro jet de co de su r le s cri me s c ont re la p ai x et la s écu rit é de

prise après le 1er janvier 2017 par « la majorité d’États Parties que celle requise pour l’adoption d’un amendement

au Statut. » Alinéa 3 de l’article 15 bis du texte adopté à Kampala (Ouganda)

654V. Ra p p o r t d u Co m i t é p r é p a r a t o i r e p o u r l a c r é a t i o n d ' u n e c o u r c r i m i n e l l e i n t e r n a t i o n a l e , U N D o c . A / 5 1 / 2 2 , p r é c i t é , p p . 1 8 e t 5 9 . V. é ga l e m e n t KIRSH (P.), OOSTERVELD (V.), « The Post-Rome Conference Preparatory Commission » in The Rome Statute, op. cit., p. 101, AG/J/183, 28 octobre 1996, BOEVING (J. N.), « Aggression, International Law, and the ICC », art. précité, p. 572, FLETCHER (K. M.), « Defining the Crime of Aggression », art. précité, p. 241

655 PCNICC/1999/INF/2/Add.1, 6 août 1999, p. 3. V. sur cette question l’article suivant : SCHUSTER (M.) « The Rome Statute and the Crime of Aggression: A Gordian Knot in Search of a Sword », Criminal Law Forum, 2003, vol. 14, n° 1, pp. 1-12

l’humanit é, s’il fall ait fai re fi gure r ou non le c ri me d’a gre ssi on dans le Cod e656. La C ommissi on, a près d e lon gs dé ba ts e t dis cussi ons a morcé s pa r s es memb res pour déterminer les compétences qui seraient attribuées à une Cour criminelle internationale qui devait être créée, ét ait final ement a rrivé e à l ’idé e que :

« [i]l serait en effet absurde de créer une juridiction pénale internationale qui n'aurait

pas compétence pour connaître du crime d'agression, car celui-ci est le plus grave de tous les crimes internationaux et il devrait au contraire être à la base de la compétence de la nouvelle Cour. »657

Cette position fort e, p rise j adis pa r l a CD I, n’a pas empê ché que l a ques tion soi t à n ouve au posé e lors de l ’élabora tion du St at ut d e l a C PI. Comme l’a not é l e profess eur Ga ja :

« [ t] here is an appa rent paradox i n th e way aggre ssio n is c onside re d in

inte rnati ona l so ci et y. Prohi bitio n of t he use of force is consi dere d a basi c principl e and a seri ous inf ri nge ment of this pri nc ipl e is regarded as the forem ost e xam pl e of the controver sial categor y of int ernational cri mes of State . How e ver, Stat es rare ly adv oc at e c riminal repre ssio n of indiv idu als who caus e ot he r St at es to ma ke t hat infri nge m ent. Politi cal consider atio ns gen erall y g et i n t he w ay of repres s ion. In sisti ng o n rep ression of indi vidu al cri m es [ et on pe ut ajou ter, s urt out pour l e cri me d ’agression] is ofte n re gard ed as a n obstacl e of p ea ce … »658.

P ar ces p ropos, l e pro fe ss eu r Gaj a résu me bie n t out es les diffi cult és ou obst acle s qui ren dai ent di ffici le et mê me i mposs ibl e pour ce rt ains , l’in co rporati on de ce c ri me da ns l e St atu t de l a C PI. Le s o ppos ants à l’int égratio n d e ce cri me dans l e St a tut de l a C P I mett ai ent en avant le s diffi cult és qui ét ai ent cel le s d u Co ns e il de s écurit é quand il s’a gi ss ait de con state r une d’agression et ce ci bien mê me quand ell e ét ait évi dent e (a ffaire Ira k-Kow eït p ar ex emp le) et esti mai ent qu e l es mê mes di ffic ult és att endaient

656V. par ex. Ann CDI, 1951, vol. I, p. 225 (V. intervention de M. Scelle), Ann CDI, 1951, vol. II, p. 31 (Memorandum présenté par M. Gilberto Amado, précité), Ann CDI, 1994, vol. I, p. 232 (intervention de M. Crawford)

V. aussi SCHUSTER (M.), « The Rome Statute and the Crime of Aggression », art. précité, pp. 1-12. Dans les années 1950 « [t]he United States had pressed for a precise definition that could be applied in the future, while the

Soviet Union, possibly culpable of aggression against Finland and Poland itself, wanted to limit the general principle with something more vague ». In « The Rome Statute and the Crime of Aggression », art. précité, p. 6

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Ann CDI, 1994, vol. I, p. 3, précité. V. aussi l’article 16 du Projet de Code des crimes contre la paix, v. Ann CDI, 1996, vol. II, partie 2, p. 31 (« Article 8 — Compétence… Commentaire »), PCNICC/2001/WGCA/DP.2, précité, p. 2

658GAJA (G.), « The Long Journey towards Repressing Aggression », art. précité, p. 427. V. aussi pour les arguments mis en avant par ceux s’opposant à l’incorporation du crime d’agression dans le StCPI, UN Doc. A / 5 1 / 2 2 , p r é c i t é , p . 1 8

tout Tribun al ou C our à qui on attribu era it la compét e nc e d e con na ître d u c ri me d’agression. Pour M. Tomuschat par exe mple ,

« [ u] n tribunal qui, dès le départ, aurait compétence pour juger des cas d'agression …

se heurterait à des obstacles presque insurmontables, ce qui ne serait pas le cas s'il devait statuer en matière de trafic de stupéfiants ou de génocide. Avec une compétence plus restreinte, la cour pourrait commencer d'exister et de faire ses preuves. Ce serait une victoire de principe. »659

Ces propos montrent clairement que pour certains auteurs, l’incorporation de l’agression dans le Statut d’une Cour criminelle internationale devait constituer une grande difficulté pour cette Cour. On peut d’ailleurs remarquer que, des différents Tribunaux pénaux internationaux (TPI) mis en place ces dernières décennies par le Conseil de sécurité pour juger les grands crimes commis lors des grands conflits internationaux ou nationaux, aucun n’a reçu compétence pour juger les individus pour crimes d’agression. Les TMI de Nuremberg et de Tokyo restent dans l’histoire les seuls Tribunaux à avoir reçu compétence pour juger les individus pour crimes d’agression ou crimes contre la paix. On pouvait ainsi relever un manque de volonté chez un grand nombre d’États à donner compétence à une Cour internationale pour réprimer le crime d’agression660. Certains États, on l’a souligné, comme les États-Unis pendant longtemps n’ont pas souhaité l’incorporation du crime d’agression dans le Statut de la CPI en arguant que « l'agression est le fait essentiellement d'États et non d'individus »661. Ce refus de faire figurer ce crime dans le Statut de Rome, soutenu par certaines délégations et même certains auteurs662, était

659

Ann CDI, 1990, vol. I, p. 40 (intervention de M. Tomuschat), v. aussi ibid., p. 42

« Quelques représentants ont estimé que le crime d'agression devait être pour le moment exclu de la liste des crimes

entrant dans le champ de compétence de la Cour, en raison des désaccords qui subsistaient à son sujet et des problèmes qu'il posait dans les relations entre le Conseil de sécurité et la future Cour. » AG/J/183, 28 octobre 1996,

v. aussi UN Doc. A/51/22, précité, pp. 18 et s.

660

G. Gaja note par exemple qu’après la guerre du Koweït, il n’y a eu aucune volonté de juger les leaders iraquiens pour l’agression qu’ils avaient commise à l’encontre du Koweït. V. GAJA (G.), « The Long Journey towards Repressing Aggression », art. précité, pp. 427 et 428

661 Ann CDI, 1994, vol. II, p. 50, précité. V. sur ce sujet, UN Doc. A/51/22, précité, pp. 18 et s., PCNICC/1999/INF/2, précité, p. 7, v. aussi sur cette question, WEDGWOODS (R.), « The International Criminal Court : An American View », EJIL, 1999, pp. 93-107, SCHUSTER (M.), « The Rome Statute and the Crime of Aggression », art. précité, pp. 1-12, FRANCK M. (T.) et H. YUHAN (S.), « The United States and The ICC : Unilaterism Rampant », NY University Journal of International Law and Politics, Spring, 2003, vol. 35, pp. 519 et s., GROSSMAN (M.), « American Foreign Policy and the International Criminal Court », 6 mai 2002, http://www.state.gov/p/9949.htm. consulté le 7 juin 2008, ZIMMERMANN (A.), « The Creation of a Permanent Criminal Court », Max Planck YB. of UNL, 1998, p. 199

662 V. par ex. à ce sujet, la position de R. Goldstone, ancien procureur général des tribunaux internationaux pour le Rwanda et l'ex-Yougoslavie in « Une réforme périlleuse pour la Cour pénale internationale », Le Temps, 27/05/10, consultable à l’adresse http://www.almendron.com/tribuna/, 2 p., consulté le 29 mai 2010, PAULUS (A.), « Second

cependant difficilement admissible pour d’autres délégations663 et surtout, assez difficile à comprendre au regard de l’histoire internationale. En effet, jusque là, l’agression était considérée par tous comme étant un crime international (adoption presque unanime ou consensuelle par les États, des résolutions 3314, 2625, textes dans lesquels les États affirmaient que l’agression engageait la responsabilité de ses auteurs, même s’il est vrai que dans ces textes, la responsabilité individuelle n’était pas envisagée). Ce crime faisait partie, avec les crimes de guerre, de génocide et les crimes contre l’humanité, des crimes que les TMI avaient instruits et pour lesquels des individus avaient été jugés et condamnés. Les principes dégagés par ces Tribunaux avaient été codifiés par la CDI et adoptés de façon unanime par l’Assemblée générale dans sa résolution 95 (I) du 11 décembre 1946. Ces principes étaient désormais inscrits tant dans le droit coutumier que dans le droit international pénal664. Fort de cet acquis, des pays comme l’Allemagne665 et la Nouvelle-Zélande soutenaient que ne pas inclure le crime d’agression dans le Statut de la CPI constituerait un recul par rapport à ces avancées marquées par les jugements des TMI et consacrées également dans la Charte des Nations Unies. Allant dans le même sens que l’Allemagne et la Nouvelle-Zélande, de nombreuses délégations militèrent fortement pour l’inclusion de ce crime dans le Statut de la CPI666.

Ne pas inclure le crime d’agression dans le Statut de la CPI aurait constitué un recul important de la part de la communauté internationale qui avait, depuis la condamnation de Guillaume II, marqué sa volonté de condamner ou de poursuivre les auteurs de toute agression. Cette volonté a été réaffirmée avec la création des TMI et les jugements des Tribunaux Alliés667, qui témoignent de la volonté de dissuader et de prévenir sur la scène internationale la commission de ces actes d’agression dont le caractère odieux et les conséquences graves constituent une véritable menace pour la paix et la sécurité internationales. La garantie d’une sécurité collective forte et solide passait forcément par une répression de l’agression, non pas seulement au niveau des États, mais aussi et surtout au niveau des individus, car « [c]e sont des hommes, et non des

entités abstraites qui commettent les crimes dont la répression s’impose comme sanction du droit

Thoughts on the Crime of Aggression » art. précité, pp. 1127 et s., SCHUSTER (M.), « The Rome Statute and the Crime of Aggression », art. précité, pp. 2, 8 et s

663 V. par ex. la position de la Belgique in UN. Doc. A/Conf.183/C.1/SR.6, 6e session du 18 juin 1998, p. 9

664

Ann CDI, 1994, vol. II, p. 60, précité, Ann CDI, 1994, vol. I, p. 4, précité

665PCNICC/1999/INF/2/Add.1, février-décembre 1999, p. 5

666V. PCNICC/1999/INF/2/Add.1, précité, pp. 3 et s, UN Doc. A/51/22, précité, pp. 18 et s.

667PCNICC/1999/INF/2/Add.1, précité, p. 6. Sur ce sujet, v. également FLETCHER (K. M.), « Defining the Crime of Aggression », art. précité, p. 241

international »668. D’autres pensaient qu’il fallait briser le cycle de l’impunité qui avait caractérisé ce crime jusque là et qu’il n'était pas acceptable de tenir des individus pour responsables de crimes de guerre ou de crimes contre l'humanité tout en accordant l'impunité aux architectes du conflit au cours duquel ces crimes ont été commis669. Pour d’autres enfin, tenir des individus pour responsables du crime d'agression devait avoir un effet dissuasif. Il fallait décourager un agresseur de commencer un conflit qui risquait de déboucher sur une conflagration au cours de laquelle les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité pourraient également être commis670. Finalement, la raison l’emportât sur les considérations personnelles ou politiques même si la compétence de la CPI est plus un compromis politique qu’un aboutissement juridique671. Ceci est assez vrai en ce qui concerne le crime d’agression et force est d’ailleurs de constater que, même si les États étaient parvenus à un consensus permettant d’incorporer le crime d’agression dans le Statut de la CPI, ils ne parvînrent tout de même pas à trouver une définition juridique qui devait permettre au juge international pénal de connaître de ce crime.

B. L’absence d’une définition du crime d’agression dans le Statut