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La Cour pénale internationale, instituée par le Statut de Rome de 1998, est une juridiction indépendante et permanente à qui incombe la charge de juger et de punir les auteurs des crimes internationaux, inscrits dans son Statut, crimes parmi lesquels on retrouve le crime d’agression. La CPI aura compétence à l’égard du crime d’agression une fois que la définition de ce crime

ainsi que les conditions de l'exercice de la compétence de la Cour à l’égard de ce crime seront adoptées et incorporées dans le Statut de Rome91.

L’objectif principal de la CPI est la justice et celle-ci passe bien évidemment par la répression des auteurs de ces crimes internationaux qui « menacent la paix, la sécurité et le bien-être du

monde »92 et la prévention de ces crimes. La compétence de la CPI sur le crime d’agression a été posée comme pour les autres crimes par l’article 5 du Statut :

« 1. La compétence de la Cour est limitée aux crimes les plus graves qui touchent l'ensemble

de la communauté internationale. En vertu du présent Statut, la Cour a compétence à l'égard des crimes suivants :

a) Le crime de génocide ;

b) Les crimes contre l'humanité ; c) Les crimes de guerre ;

d) Le crime d'agression. »

La CPI, organe juridictionnel et indépendant, devra donc lorsqu’elle jugera des personnes accusées de crime d’agression, être totalement tenue par la définition pénale du crime d’agression qui sera insérée dans le Statut de Rome. Elle sera aussi soumise, de façon générale, au respect des règles du droit international pénal. Il est certain, de par la nature de la CPI et des objectifs qui sont les siens, que les préoccupations juridiques, l’application du droit international pénal primeront toujours sur la recherche de la paix. En effet, on imagine difficilement que lorsque la compétence de la Cour pénale internationale sur le crime d’agression sera effective, cette dernière décide, devant une situation dans laquelle un crime d’agression semble avoir été commis, de ne pas ouvrir une enquête ou de ne pas poursuivre une personne présumée coupable de la préparation ou de la commission de ce crime, sur la base des motifs portant sur la stabilité régionale ou le maintien de la paix.

Cette démarche qui peut être, sans surprise, celle du Conseil de sécurité est difficilement acceptable de la part de la Cour pénale internationale, surtout qu’elle porterait atteinte à la mission même de la Cour. Il est bien évidemment admis, même si ceci reste discutable, que la répression pénale par la CPI de l’agression ne peut ou ne pourra pas être sans conséquences sur le « pouvoir concurrent et discrétionnaire »93 que détient le Conseil de sécurité lorsqu’il connait d’une situation portant sur l’agression. Tout comme il est difficile d’imaginer qu’une constatation

91 Article 5, alinéa 2 du Statut de Rome

92 Préambule du Statut de la CPI

de l’agression faite par le Conseil de sécurité puisse ne pas avoir une influence sur l’attitude de la Cour, du moins en ce qui concerne l’ouverture d’une enquête pour crime d’agression. On imagine, par exemple, qu’il sera plus complexe même si pas impossible, pour la CPI, d’ouvrir une enquête et même de lancer des poursuites pour crime d’agression lorsque le Conseil de sécurité, sur cette situation donnée, ne s’est pas prononcé (pour diverses raisons) sur l’existence ou non d’une agression de l’État.

On peut, au regard de ces quelques points soulevés, s’interroger sur les avantages et peut-être plus sur les inconvénients de cette compétence concurrente de ces deux organes distincts lorsqu’il faudra connaître d’une situation portant sur la commission d’un crime d’agression.

Il faut dire que ces questionnements, comme bien d’autres interrogations qu’on peut relever, viennent surtout mettre en exergue la difficulté à concilier les réalités et les exigences qui sont celles du droit international du maintien de la paix avec les règles plus strictes du droit international pénal.

Le problème principal est en effet celui de savoir comment définir et encadrer le crime d’agression tout en respectant les règles cardinales du droit international pénal d’un côté et les exigences du droit de la Charte ou du droit international du maintien de la paix de l’autre côté. Autrement dit, comment concilier dans le cadre du crime d’agression, les exigences du droit international pénal et celles du droit international du maintien de la paix ?

Cette question principale formulée ainsi cache bien évidemment de nombreuses autres questions connexes telles celle du type de définition à retenir pour ce crime d’agression et les enjeux de cette définition par rapport au maintien de la paix94 ; celle du lien ou des enjeux entre cette définition du crime d’agression et la notion de légitime défense. Il est aussi important de s’interroger sur le moyen de parvenir à concilier les pouvoirs de l’organe politique principal de la Charte, compétent en matière de constatation de l’agression, avec les pouvoirs d’une Cour pénale internationale, organe juridique indépendant. Est-il possible d’envisager l’intervention d’autres organes onusiens ? On pense par exemple à la Cour internationale de Justice ou à l’Assemblée générale des Nations Unies.

94V. KAMTO (M.), L’agression en droit international, Pedone, Paris, 2010, p. 282

Soulignons que pour certains auteurs, la définition du crime d’agression doit justement servir comme « … tools [aux

juges pour] make sure that the Court will not be overburdened by the task of deciding major controversies about contemporary international security law through the backdoor of the international criminal justice. » KRESS (C.) et

Von HOLTZENDORFF (L.), « The Kampala Compromise on the Crime of Aggression », JICL, 2010, vol. 8, p. 1211

Il reste à présenter la démarche et le plan qui conduiront l’analyse et le traitement de ces différentes interrogations. Il convient tout d’abord de dire que, dans le cadre de ce travail qui porte sur le crime d’agression et qui permet d’analyser les interactions que ce crime fait naître entre les deux branches du droit international public que sont le droit international du maintien de la paix et le droit international pénal, on ne présentera pas systématiquement et on n’analysera pas en détails, sauf lorsque cela sera nécessaire pour la pertinence de l’étude, tous les différents travaux qui ont été menés au lendemain de la création de l’ONU95 et ont conduit à l’adoption de la résolution 3314 de l’AG des Nations Unies portant définition de l’agression. Ces travaux du Comité spécial pour la question de la définition de l’agression (ainsi que ceux des sous-comités) ont en effet été largement et longuement présentés et commentés par la doctrine96. Cependant, on discutera dans le cadre de ce travail de la pertinence de cette définition adoptée par consensus par le Comité spécial, recommandée pour adoption à l’Assemblée générale des Nations Unies et adoptée par cette dernière dans la résolution 3314, mais ceci afin de voir les questions que soulèvent sa transposition en l’état dans le cadre d’une définition pénale de l’agression. Il faut rappeler que ce travail n’a pas pour but de reprendre et commenter tous les travaux qui ont porté sur l’agression (travaux conduits durant de nombreuses années sur l’agression par les différents comités et sous comités mis en place par l’AG des NU, ceux conduits par la CDI sur l’agression au moment de l’élaboration du projet de Code des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité, écrits de la doctrine sur l’agression et ceux un peu plus rares sur le « crime contre la

paix », notion consacrée en 1945 dans les Statuts des TMI), mais d’utiliser ces travaux lorsque

cela s’impose pour mettre en exergue toute la difficulté, dans le cadre du droit international pénal, de la criminalisation de l’agression.

Dans le cadre de cette recherche, un effort sera cependant fait pour répertorier et analyser

95On pense surtout ici aux travaux du Comité spécial pour la question de la définition de l’agression, créé en application de la résolution 2330 (XXII) de l’AG du 18 décembre 1967

96V. par ex. ARONEAU (E.), La définition de l’agression, Les Éditions internationales, Paris, 1958, 405 p., KOMARNICKI (W.), « La définition de l’agression dans le droit international moderne », RCADI, 1949-II, pp. 5-113, RAMBAUD (P.), « La définition de l’agression par l’Organisation des Nations Unies », RGDIP, 1976 (2), pp. 835-881, CHAUMONT (C.) et FISCHER (G.), « Explication juridique d’une définition de l’agression », AFDI, vol. 2, 1956, pp. 521-529, RÖLING (B.V. A.), « The 1974 U.N. Definition of Aggression » in The Current Legal

Regulation of the Use of Force, ss. dir. CASSESE (A.), M. Nijhoff, Dordrecht, 1986, pp. 412 à 421, Réalités du droit international contemporain, op. cit., pp. 9 et s., BERNADEZ SANTIAGO (T.), « L’examen de la définition de

l’agression », AFDI, vol. 11, 1965, pp. 528-545 et encore plus récemment KAMTO (M.), L’agression en droit

tous les travaux (rapports, comptes rendus ou documents) réalisés par la Commission préparatoire de la Cour Pénale Internationale sur l’agression ainsi que par le Groupe de travail spécial sur le crime d’agression, groupe créé afin d’élaborer des propositions en vue d’une disposition relative à l’agression conformément au paragraphe 2 de l’article 5 du Statut de la CPI97. Au sujet de ces travaux, il convient de relever qu’ils sont d’une grande ampleur. Nonobstant cette réalité, il est tout de même utile de répertorier et de s’appuyer sur ces travaux pour montrer toute la difficulté d’une définition du crime d’agression et de la criminalisation de l’agression, et dans cet objectif on ne manquera pas d’apprécier et de critiquer le texte portant définition du crime d’agression et des conditions d’exercice de la compétence de la Cour sur ce crime98, adopté par consensus lors de la Conférence de révision du Statut de Rome qui s’est tenue à Kampala (Ouganda) en juin 2010. On verra que ce document qui est un texte de compromis, met en exergue toute la difficulté de la criminalisation de l’agression, de la définition du crime d’agression et de la détermination des modalités d’exercice de la compétence de la CPI sur ce crime tout en soulignant également ce lien très fort entre l’agression, fait illicite de l’État et l’agression, crime individuel.

Cette étude a pour objectif de montrer qu’on ne peut effectuer un travail sur le crime d’agression ou de façon plus précise, traiter des questions de définition du crime d’agression et des conditions d’exercice de la compétence de la Cour pénale internationale sur ce crime, sans être confronté à cette réalité et plus exactement à cette complexité, qui est celle de mettre en adéquation ces deux branches du droit international public, le droit international pénal et le droit international du maintien de la paix, qui portent des règles distinctes et ont des fonctions différentes. Le crime d’agression, contrairement aux autres crimes internationaux ou du moins de façon plus importante que d’autres crimes internationaux, et c’est là ce qui en marque « the

specificity »99, est un crime à la croisée du droit international pénal et du droit international du maintien de la paix. Cette rencontre n’est cependant pas, comme on l’a relevé, sans créer des difficultés.

Pour élaborer ce travail sur le crime d’agression, différentes méthodes sont envisageables même si elles n’ont bien évidemment pas la même pertinence ou plus exactement elles ne

97 Ce Groupe qui a commencé à émettre ces premiers rapports à partir de 2003 a rendu ces dernières propositions en 2010.

98

V. C.N.651.2010.TREATIES-8 du 11 juin 2010, 22 p. ou RC/Res.6., Amendements au Statut de Rome de la Cour pénale internationale relatifs au crime d’agression, Kampala, 11 juin 2010

99KRESS (C.), « Time for Decision: Some Thoughts on the Immediate Future of the Crime of Aggression », art. précité, p. 1144

permettent pas d’aborder de façon globale les axes qu’on peut considérer comme principaux dans cette analyse. Il est effectivement possible, et cette approche constitue d’ailleurs la méthode maîtresse qui dirigera cette étude, de partir des principes et notamment des corps de règles qui sous-tendent chaque branche du droit international en question dans ce travail (droit international du maintien de la paix et droit international pénal) et de vérifier comment une définition du crime d’agression ou des conditions d’exercice de la compétence de la Cour sur ce crime peuvent se concevoir et s’énoncer dans le respect de ceux-ci. Cette méthode a pour particularité de vérifier en quoi et comment la définition du crime d’agression, tout comme la détermination des conditions d’exercice de la compétence de la CPI sur ce crime peuvent se construire ou être élaborées, de façon à s’insérer dans chacun des corpus juridiques déjà en vigueur sans le violer ou sans entrer en contradiction avec lui. Il est vrai qu’en optant pour cette démarche, ce travail consisterait seulement à déterminer les points de non convergence d’un côté et ceux qui conflueraient de l’autre côté et enfin justifier en quoi l’un se retrouve dans l’une des catégories et pas dans l’autre.

Cette méthode bien que simple et claire semble cependant à elle seule insuffisante pour traiter dans son ensemble de toutes les questions que pose le crime d’agression. Il a paru important et utile, surtout que ce travail a commencé et s’est déroulé principalement au moment où étaient discutées au sein du Groupe de travail sur le crime d’agression, les différentes options ou propositions formulées dans le but d’adopter la définition du crime d’agression ainsi que les conditions d’exercice de la compétence de la CPI sur ce crime, de discuter et critiquer, lorsque cela était possible et en cohérence avec ce travail, les différentes propositions faites par les États100. Il en est de même de ce souci voire de cette exigence de formuler des suggestions claires et précises comme celle sur la nécessité de prendre en compte dans le cadre du crime d’agression le changement de paradigmes et d’évoluer par exemple vers une imputabilité des crimes d’agression aux dirigeants de groupes non étatiques. Cette étude sur le crime d’agression et sur l’agression de façon générale ne peut aussi se faire sans adopter à certains endroits, et ceci sans lui donner non plus une portée exagérément importante, une approche réaliste ou dans une perspective de sociologie juridique, lorsqu’il est par exemple discuté du rôle et du pouvoir du

100 Ces États étant ou non parties à l’Assemblée des États Parties (AEP) au Statut de Rome. Le Groupe spécial de travail sur l’agression constitué par l’AEP avait en effet été « ouvert à la participation, sur un pied d’égalité, de tous

les États Membres de l’Organisation des Nations Unies, des institutions spécialisées ou de l’Agence internationale de l’énergie atomique ».ICC-ASP/1/Res.1, 9 septembre 2002, p. 333

Conseil de sécurité ou des États, membres permanents du Conseil de sécurité, lorsqu’il faudra déférer une situation portant sur l’agression devant la Cour pénale internationale.

Ces précisions apportées, il est important de présenter et d’analyser toutes les différentes interrogations nées de la rencontre, dans le cadre du crime d’agression, de ces deux branches du droit international public que sont le droit international du maintien de la paix et le droit international pénal, et dans ce but il conviendra dans un premier temps, d’étudier la nature juridique de l’agression (Première partie). Cette partie permettra de s’arrêter sur les différentes qualifications juridiques de l’agression. On étudiera dans un second temps, le régime juridique du crime d’agression (Seconde partie). Il s’agira dans cette partie d’analyser l’impact des considérations liées au maintien de la paix sur le régime du crime d’agression.