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UNE CONSTATATION POLITIQUE CONSTANTE INDÉPENDAMMENT DE L’ORGANE RESPONSABLE

A. L’approche politique de la Société des Nations

La Société des Nations établie à la fin de la première guerre mondiale (1919), commence à fonctionner en tant qu’organisation à partir de l’entrée en vigueur du Traité de Versailles, le 10 janvier 1920. Le texte fondateur de la Société est le Pacte. Ce Pacte est constitué par les vingt six premiers articles des traités de paix signés entre les Puissances alliées et l’Allemagne (Traité de Versailles du 28 juin 1919) ; l’Autriche (Traité de Saint Germain-en-Laye du 10 septembre 1919) ; la Bulgarie (Traité de Neuilly-sur-Seine du 27 novembre 1919) et la Hongrie (traité de Trianon du 4 juin 1920)143.

Au sein de la SdN, c’est essentiellement à des organes politiques, que sont attribués les pouvoirs de constater l’agression et de prendre les mesures adéquates pour y mettre fin. Il y a au sein des principaux organes de la SdN une influence prépondérante des Puissances victorieuses144 ; de ce fait, pour le plus grand nombre, le fonctionnement de ces principaux organes se réalise davantage sur une base politique. Ainsi, pour Titus Komarnicki, la SdN « est

une institution essentiellement politique dans son fonctionnement »145.

Quant à la compétence de ces organes en matière d’agression, l’article 3 du Pacte de la SdN déclare que « [l]’Assemblée connaît de toute question qui rentre dans la sphère d’activité de

141 V. sur cette question, BROWNLIE (I.), International Law and the Use of Force by States, op. cit., pp. 14 et s.

142LEBEN (Ch.), Les sanctions privatives de droit ou de qualité dans les organisations internationales spécialisées, Bruylant, Bruxelles, 1979, p. 301

143 MAISON (R.), La responsabilité individuelle pour crime d’État, op. cit., pp. 33-34

144 KORMANICKI (T.), La question de l’intégrité territoriale dans le Pacte de la Société des Nations, (Article X), PUF, Paris, 1923, p. 141

la Société ou qui affecte la paix du monde » ; l’article 4 du Pacte accorde les mêmes pouvoirs au

Conseil en ces termes : « [l]e Conseil connaît de toute question rentrant dans la sphère d’activité

de la Société ou affectant la paix du monde ». L’Assemblée et le Conseil peuvent connaître de

toute agression car l’agression fait partie des actes qui affectent la paix du monde.

Ces deux organes ont tout de même une composition assez différente. L’Assemblée est composée de représentants des Membres de la Société, alors que le Conseil est composé de représentants des Principales Puissances alliées et associées, et de quatre autres Membres de la Société146. L’Assemblée est un organe plénier et égalitaire, quand le Conseil est dominé par les membres permanents (Puissances Alliées) qui disposent de véritables pouvoirs. Les pouvoirs de ces deux organes en matière d’agression ne sont pas également répartis. Ceux accordés au Conseil de la SdN sont plus conséquents ou importants que ceux dévolus à l’Assemblée. C’est l’article 10 du Pacte qui pose cette règle. Cet article dispose que :

« [l]es Membres de la Société s’engagent à respecter et à maintenir contre toute agression

extérieure l’intégrité territoriale et l’indépendance politique présente de tous les Membres de la Société. En cas d’agression, de menace ou de danger d’agression, le Conseil avise aux moyens d’assurer l’exécution de cette obligation ».

Le Conseil dans ce cas se réunira sous la convocation du Secrétaire de la Société147. C’est le Conseil qui constate l’agression ou qui décide s’il y a agression et prend des mesures nécessaires pour y mettre fin148. Le Conseil de la SdN est l’organe à qui le Pacte attribue de véritables et larges pouvoirs en cas d’agression (voir par exemple l’article 16 du Pacte de la SdN)149. Pour certains auteurs, cette forte domination du Conseil essentiellement composé d’États

146Á l’exception des États-Unis qui n’ont pas signé le Pacte de la SdN.

147

L’article 11 du Pacte de la SdN dispose :

« [i]l est expressément déclaré que toute guerre ou menace de guerre, qu’elle affecte directement ou non l’un des

Membres de la Société, intéresse la Société toute entière et que celle-ci doit prendre des mesures propres à sauvegarder efficacement la paix des Nations. En pareil cas, le Secrétaire général convoque immédiatement le Conseil à la demande de tout Membre de la Société. »

Sur une critique de l’article 10 du Pacte, v. KORENITCH (F.), L’article 10 du Pacte de la Société des Nations, Contemporaines, Paris, 1930, 210 p. V. aussi DINSTEIN (Y.), War, Aggression and Self-Defence, Cambridge University Press, 2e éd, Cambridge, 1994, pp. 77 et s.

148 « On n’a en aucune façon abandonné cette constatation aux États particuliers ». KORMANICKI (T.), La

question de l’intégrité territoriale, op. cit., p. 160. V. également sur le rôle du Conseil, DINSTEIN (Y.), War, Aggression and Self-Defence, op. cit., pp. 78 et s.

149 Le Pacte de la SdN a le mérite par son article 16 de faire le lien entre l’agression et la sécurité collective et c’est pour cette raison, entre autres, que le Pacte servira de « base pour tous les progrès futurs ». KOLB (R.), Le droit

relatif au maintien de la paix internationale, op. cit., p. 22, DINSTEIN (Y.), War, Aggression and Self-Defence, op. cit., pp. 78 et s.

vainqueurs ne constituait pas une véritable garantie pour la paix150, mais, surtout, un organe au service de ces vainqueurs soucieux de conserver le pouvoir qu’ils ont acquis en sortant victorieux de la guerre. Cette situation va justifier la méfiance de nombreux États et auteurs par rapport à cette nouvelle organisation mondiale151. Ce rôle, attribué au Conseil et à l’Assemblée, en cas d’agression, aura d’importantes conséquences.

La constatation de l’agression par ces organes, essentiellement politiques, va être largement influencée par des considérations politiques ou des situations politiques152comme on le verra plus loin. La constatation de l’agression dépendra toujours de la situation politique du moment 153 et du bon vouloir ou des intérêts des grandes Puissances. Ces Puissances, qui détiennent à travers le Conseil le pouvoir de constatation de l’agression, n’ont aucune volonté ou envie de le soumettre à des règles prédéterminées. L’absence d’une définition juridique de l’agression et le fait que le Pacte de la SdN « ne fournit aucune précision pour éclairer la notion,

seulement quelques principes généraux qui devront guider les responsables »154 n’arrangeront pas non plus les choses. Comme le note T. Komarnicki, là où les définitions juridiques sont éminemment souples et même dans le cas présent absentes, « ce sont évidemment des facteurs

politiques qui imposeront la solution »155.

La constatation de l’agression par les organes principaux (Assemblée et Conseil) de la SdN, ne représente encore, une fois de plus, que l’expression des considérations politiques et d’une justice propre aux vainqueurs156. L’Organisation des Nations Unies mise en place au lendemain de la deuxième guerre mondiale, ne s’éloignera pas vraiment de ce modèle qui a jusque là dominé la scène internationale.

150Il eut été « préférable que ce fut un corps spécial, une cour internationale qui eut décidé dans l’espèce si on est en

présence d’un cas d’agression ». KORMANICKI (T.), La question de l’intégrité territoriale, op. cit., p. 160

151

V. KORENITCH (F.), L’article 10 du Pacte de la Société des Nations, op. cit., pp. 2 et s. Certains auteurs ne partagent pas cette vision selon laquelle la SdN ne serait qu’une institution politique avec des buts politiques, dépendant de par son organisation, de la volonté des puissances déterminées. V. KORMANICKI (T.), La question de

l’intégrité territoriale dans le Pacte, op. cit., p. 141

152

Ibid., p. 144. V. aussi op. individuelle de B. Simma dans l’arrêt CIJ, RDC c. Ouganda, précité, p. 1, § 3

153KORENITCH (F.), L’article 10 du Pacte de la Société des Nations, op. cit., p. 5, v. aussi A/2211 du 3 octobre 1952, §251 (Docs. Officiels de l’AG, 7e session)

154RAMBAUD (P.), « La définition de l’agression par l’Organisation des Nations Unies », art. précité, p. 842

155KORMANICKI (T.), La question de l’intégrité territoriale dans le Pacte, op. cit. , p. 137, ARONEANU (E.), La

définition de l’agression, op. cit., p. 207

156 « Exercise by a victorious State of the power derived from victory over the vanquished enemy ». DILLON (E. J.),

The Peace Conference, op. cit., p. 310, A/2211 §251, précité, FITZMAURICE, A/C.6/SR/281, Travaux de la

sixième Commission de l’AG du 5 au 22 janvier 1952, Docs. Officiels de l’AG, sixième session, sixième commission, 281e séance