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Chapitre II. La liberté religieuse

Section 1. La protection juridique de la liberté religieuse

B. Les instruments internationaux de la protection

2. La liberté religieuse comme droit absolu ?

La liberté religieuse n’est certainement pas un droit absolu, puisque son exercice peut être limité pour un nombre de raisons spécifiques. Ces restrictions en effet, sont prévus dans les textes des instruments internationaux ; l’article 18§3 du PIDSCP par exemple dispose que « La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l'objet que des seules restrictions prévues par la loi et qui sont nécessaires à la protection de la sécurité, de l'ordre et de la santé publique, ou de la morale ou des libertés et droits fondamentaux d'autrui» ; de même la Convention européenne admet des restrictions si du moment où elles sont « prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l'ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ». D’autres auteurs d’ailleurs, pensent aussi que l’application de la limite de la légalité peut également s’avérer précieux, par le biais du critère de l’ « ordre public »427.

424 Toutefois, pendant les travaux du Pacte, le droit des parents d’élever l’enfant à partir de leur propres convictions a été une des questions provoquant le plus de débats, en raison de les pratiques différentes dans les religions. En effet, en certaines États, les enfants suivent la religion de leurs parents comme résultat de la loi divine et il est impossible d’envisager une religion de l’enfant différente de celle de ces parents. voir VAN BUEREN Géraldine, The international law…,op.cit.

pp.155-157.

425 D’après l’article 14 du Pacte « Les États parties respectent le droit de l'enfant à la liberté de pensée, de conscience et de religion », « Les États parties respectent le droit et le devoir des parents ou, le cas échéant, des représentants légaux de l'enfant, de guider celui-ci dans l'exercice du droit susmentionné d'une manière qui corresponde au développement de ses capacités » et « La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut être soumise qu'aux seules restrictions qui sont prescrites par la loi et qui sont nécessaires pour préserver la sûreté publique, l'ordre public, la santé et la moralité publiques, ou les libertés et droits fondamentaux d'autrui ».

Or, le PIDCP contient une disposition qui pourrait justifier une lecture « absolutiste » de la liberté religieuse et dont l’acception placerait cette dernière au dessus de la liberté d’expression : il s’agit de l’article 4 concernant les « États d’urgence », qui tente le compromis difficile entre la sauvegarde des droits individuels et les intérêts étatiques en période de crise. Cette disposition, en effet, situe la liberté religieuse parmi les droits énoncés à l’article 4, à côté donc du droit à la vie (article 6), du droit à ne pas subir de tortures, de peines ou de traitements cruels (article 7), de ne pas être tenu en esclavage (article 8), de ne pas être condamné pour des actions ou omissions qui ne constituaient pas un délit (article 11), de ne pas être emprisonné (article 15) et de se voir reconnaître en tous lieux sa personnalité juridique (article 16)428.

Nous avons considéré ici utile d’exposer les nombreuses raisons pour lesquelles nous ne considérons pas cette lecture pertinente, et qui sont liées notamment à la nature exceptionnelle et spécifique des dérogations aux traités des droits de l’Homme429: 1) L’article 4 vise à régulariser un régime d’exception, le cas d’un « menace » ou d’un « danger » national (public emergency). En effet, ces situations, dont les causes sont souvent perplexes, semblent augmenter le danger que l’étendue des « mesures de nécessité » prises par un État soient particulièrement vastes, nécessitant alors une plus grande rigueur de traitement, puisque l’État partie pourrait essayer de prendre des mesures discriminatoires sous certains prétextes. Par l’adoption de l’article 4 du Pacte, la Comité de rédaction a donc voulu assurer qu’« en aucun cas la proclamation d’un état d’exception [...] ne [puisse] être invoquée par un État partie pour justifier qu’il se livre [...] à de la propagande en faveur de la guerre où à des appels à la

protection internationale de la liberté religieuse,op. cit., p.231.

428 Article 4 du PIDCP : « Dans le cas où un danger public exceptionnel menace l'existence de la nation et est proclamé par un acte officiel, les États parties au présent Pacte peuvent prendre, dans la stricte mesure où la situation l'exige, des mesures dérogeant aux obligations prévues dans le présent Pacte, sous réserve que ces mesures ne soient pas incompatibles avec les autres obligations que leur impose le droit international et qu'elles n'entraînent pas une discrimination fondée uniquement sur la race, la couleur, le sexe, la langue, la religion ou l'origine sociale » et 4§2 : « La disposition précédente n’autorise aucune dérogation aux articles 6, 7, 8 (par 1 et 2), 11, 15, 16 et 18 ».

429 Voir généralement, HIGGINS « Derogation Under Human Rights Treaties », Vol.48, BYIL,

1976-1977, pp.281-320 ; HARTMAN Joan, « Derogation from Human Rights Treaties in Public Emergencies ; A Critique of Implementation by the European Commission and Court of Human Rights and the Human Rights Committee of the United Nations », Harvard International Law Journal, Vol.22, 1981, pp.1-52.

haine nationale, raciale ou religieuse qui constitueraient une incitation à la

discrimination, à l’hostilité ou à la violence »430. En effet, les dispositions concernant

les menaces ou dangers et généralement les situations d’urgence et les dérogations qui pourraient être accordées aux obligations découlant des traités des droits de l’Homme, font appel à des situations particulièrement graves, politiquement sensibles, instables et exceptionnelles431. Il s’agit généralement de coups d’États, de situations d’agitation des minorités, de révoltes, ou d’autres situations impliquant le plus souvent des violations massives des droits de l’Homme (à l’époque de la rédaction du PIDCP par exemple, il s’agissait notamment des révolutions dans les anciennes colonies)432. De ce fait, l’article 4 devrait être pris en compte dans sa spécificité – et sa finalité – et non pas comme l’indice d’une lecture de la liberté religieuse en tant que droit absolu. 2) Un autre élément qui indique la spécificité des situations de « danger ou menace exceptionnelle » est le fait qu’il n’y ait pas de « standard commun » dans les dérogations aux instruments des droits de l’Homme. A cet égard, l’article 4§1 ne devrait être pris en compte dans une perspective isolée ; son étendue, son sens et sa finalité devraient être examinés à la lumière des dispositions d’autres instruments des droits de l’Homme et en particulier la Convention européenne des Droits de l’Homme. Nous pouvons alors remarquer que la Convention européenne précise que la manifestation de la liberté religieuse peut être restreinte pour plusieurs raisons, qui y sont énumérées dans l’article 8 §2433, alors qu’elle ne contient aucune autre disposition qui laisserait sous entendre que la liberté de manifestation des croyances puisse faire l’objet d’une lecture absolue. Plus spécifiquement, l’article 15 de la Convention européenne, concernant les cas de guerre ou « autre danger public menaçant la vie de la nation », précise dans son paragraphe 2 que cette disposition

430 OG n°21, adoptée le 24 juillet 2001 à propos des « États d’urgence», CCPR/C/21/Rev.1/Add.11, qui remplaça donc l’OG n°5 du 31 juillet 1981.

431 Voir aussi l’OG n°5, §3( 31 juillet 1981): « Le Comité est d'avis que les mesures prises en vertu de l'article 4 ont un caractère exceptionnel et temporaire, et ne peuvent être maintenues que tant que l'existence de la nation intéressée est menacée ».

432 HARTMAN Joan, « Derogation from Human Rights Treaties… », op. cit., p.2.

433 Article 8§2 de la Convention européenne : « La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, àlaprotection de l'ordre, de lasanté ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d'autrui » . Dans le même sens, la Charte africaine précise elle aussi que la manifestation de cette liberté peut être restreindre pour des raisons liées à l’ordre public. Article 8 de la Charte africaine: « Sous réserve de l'ordre public, nul ne peut être l'objet de mesures de contrainte visant à restreindre la

« n’autorise aucune dérogation à l’article 2, sauf pour le cas de décès résultant d’actes licites de guerre, et aux articles 3, 4 §1 et 7 », sans donc inclure la liberté religieuse. A l’inverse, le fait que la disposition similaire de la Convention américaine (qui énumère, tout comme le Pacte, la liberté religieuse parmi les droits pour lesquels elle ne permet pas de dérogation en cas d’urgence) 434, interdit les dérogations pour une gamme extrêmement vaste de libertés (y compris certaines qui ne sauraient être considérées comme des droits absolus, telles que « le droit à un nom » ou « le droit à une nationalité » – ou des dispositions très générales, comme « les droits de l’enfant » ou « les droits politiques »)435. La variété et la généralité de cette disposition seraient donc la preuve qu’il s’agit d’une disposition qui vise à maintenir des équilibres difficiles pendant une période de crise, et qui ne devrait pas être prise « à la lettre », afin d’établir une prétendue inégalité formelle de la liberté religieuse et d’autres droits.

3) Cette approche est conforme également aux discussions pendant les Travaux préparatoires du Pacte. En effet, comme le relève M. Bossuyt, l’inclusion de l’article 18 dans l’article 4 n’est pas allée de soi ; en revanche, elle aurait provoqué de nombreuses contestations436. Le choix a pourtant été maintenu, du fait que la plupart des membres du Comité de rédaction ont considéré qu’il n’était pas souhaitable de fournir aux États une autorisation générale (« white blanket ») pour restreindre la liberté religieuse précisément pendant les temps de crise, et sachant que les autorisations permises dans l’article 18 §3 étaient déjà très vastes437.

4) D’ailleurs, lorsque le Comité des Droits de l’Homme s’est prononcé à propos de la liberté religieuse dans l’Observation générale n°22 438, les membres du Comité ont

434 Il s’agit de l’article 27 de la CADH, intitulée « suspension des garanties », qui prévoit qu’« en cas de guerre, de danger public ou dans toute autre situation de crise qui menace l'indépendance ou la sécurité d'un État partie, celui-ci pourra, strictement en fonction des exigences du moment, prendre des mesures qui suspendent les obligations contractées en vertu de la présente Convention, […] ».

435 Il s’agit en effet des articles: 3 (Droit à la reconnaissance de la personnalité juridique); 4 (Droit à la vie); 5 (Droit à l'intégrité de la personne); 6 (Interdiction de l'esclavage et de la servitude); 9 (Principe de légalité et de rétroactivité); 12 (Liberté de conscience et de religion); 17 (Protection de la famille); 18 (Droit à un nom); 19 (Droit de l'enfant); 20 (Droit à une nationalité); 23 (Droits politiques).

436 BOSSUYT Marc, Guide to the “Travaux Préparatoires” of the International Covenant on Civil and

Political Rights, Martinus Nijhoff, 1987, p.91-98 et analytiquement HARTMAN Joan, « Derogation from Human Rights Treaties… », op. cit., p.8et s.

437Ibidem, p.95.

rappelé que seul le for intérieur est protégé « sans réserve, au même titre que le droit de chacun de ne pas être inquiété pour ses opinions » et qu’« aucune restriction quelle qu’elle soit » n’est autorisée, alors que la manifestation de ces opinions peut être soumise à des restrictions autorisées par le paragraphe 3, « pour protéger la sécurité, l’ordre et la santé publics, ou la morale ou les libertés et droits

fondamentaux d’autrui » (§8)439.

5) Enfin, dans son Observation générale n°29 (2001)440, le Comité affirme explicitement la prépondérance de l’article 18 §3 sur l’article 4, en reconnaissant que « lorsque des circonstances exceptionnelles justifient la restriction de certains droits dans des situations légitimes et clairement définies autres que des situations d’urgence, les principes de nécessité et de proportionnalité doivent toujours être pris en considération » (§4), tout en ajoutant que « même en cas de danger public extrêmement grave, les États qui font obstacle à l’exercice de la liberté de manifester sa religion ou sa conviction doivent justifier leurs actions en fonction des impératifs mentionnés au paragraphe 3 de l’article 18 » (§7).