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Chapitre I. La liberté de l’art

Section 1. La protection juridique de la liberté de l’art

B. Les instruments internationaux de protection de la liberté de l’art

Les sources primaires de la protection juridique de la liberté artistique sont la Déclaration universelle et les deux Pactes Internationaux du 16 décembre 1966, le Pacte international des droits civils et politiques (PIDCP)et le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC).

La Déclaration universelle met en évidence tantôt la dimension civile, tantôt la dimension culturelle de l’art. D’un côté, elle protège la liberté de pensée, d’expression, la transmission des idées à travers l’art : « Tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d’expression que ce

soit »104. De l’autre côté, elle garantit les droits du public à l’accès à l’art, mais aussi

les droits d’une communauté entière de jouir de sa propre identité culturelle et artistique : « chacun a le droit de prendre part librement à la vie culturelle de la

communauté, de jouir des arts [...] »105.

104 Article 19§1 de la Déclaration Universelle de 1948. Voir, HISCOCK-LAGEOT Céline, « La dimension universelle de la liberté d’expression dans la déclaration des droits de l’homme de 1948 », RTDH, 2000, pp.230-239.

105 Article 27§1 de la Déclaration Universelle. En effet, cette formulation a été réussite grâce à l’un des membres du Comité de rédaction de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (la DUDH), et premier directeur de la Division des Droits de l’Homme du Secrétariat des Nations Unies), le canadien John Humphrey, qui avait certaines sensibilités « artistiques » (comme le relève M. Morsink, Humprhery et sa femme Jeanne étaient impliqués dans la vie culturelle et artistique du Canada et connaissaient un grand nombre d’artistes). René Cassin s’alignait sur ce point de vue. Ainsi, lorsque le Brésilien Amado a soulevé des objections, René Cassin a rétorqué que « cet article comprenait une idée nouvelle, celle de la participation à la vie culturelle ». Ces commentaires, nous sont en effet transmis par M. Morsink, professeur de Science politique qui, après une étude

Les deux Pactes de 1966 complètent de façon normative ces énoncés. D’une part, le PIDCP protège le droit à la liberté d’expression artistique comme droit civil et politique. Le paragraphe 3 de l’article 19 prévoit que « Toute personne a droit à la liberté d’expression ; ce droit comprend la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute espèce, sans considération de

frontières […] sous une forme orale, écrite, imprimée ou artistique, ou par tout autre

moyen de son choix. » D’autre part, le PIDESC protège notamment la dimension culturelle de l’expression mais aussi, et expressément, la liberté de l’art. Dans l’article 15 §1 a) du Pacte, les États parties reconnaissent à chacun le droit de participer à la vie culturelle. En outre, l’article 15 §3 prévoit que « les États parties du Pacte s’engagent à respecter la liberté indispensable à la recherche scientifique et aux activités créatrices ».

La volonté des États de garantir un art avec un degré d’ingérence le moindre possible a été rendu visible à plusieurs stades de l’adoption de ces textes. En ce qui concerne l’adoption de l’article 27 de la DUDU, c’est la délégation péruvienne, et spécifiquement José Encinas, qui ont beaucoup insisté pour que le mot « librement »

(freely) soit inséré, permettant de viser spécifiquement la liberté de création106. Par

ailleurs, pendant les travaux préparatoires du PIDESC, et à propos de l’article 15§ 2, les représentants des États ont refusé de soumettre la liberté de l’art et des sciences à quelque restriction que ce soit, même celle stipulant que les mesures positives des États visant à promouvoir la science et la culture devraient être prises « dans l’intérêt

du maintien de la paix et de la coopération entre les Nations »107. La France en

at the United Nations in New York », réussit à nous éclaircir sur son ouvrage relatif à la rédaction de

la DUDH. MORSINK Johannes, The Universal Declaration of Hulman Rights ; Origins, Drafting

and Intent, Philadelphia, University of Pensylavania Press, 1999, p. 218et s. Voir aussi :

STAMATOPOULOU Elsa, Cultural rights in international law : article 27 of the UDHR and

beyond », Leiden-Boston, Martinus Nijhoff, 2007 ; CHAPMAN Audrey et RUSSEL Sage(éd),

Core Obligations: Building a Framework for Economic, Social and Cultural Rights, Antwerp-Oxford –New York, Intersentia,2002.

106 Cet amendement a été adopté à l’unanimité, par 38 votes pour et 2 abstentions. En effet, d’après M. Encinas, la liberté de participation à la vie culturelle relevait alors du « droit de le faire, en cette liberté sans laquelle il n’y a pas de création de l’Homme digne de l’être » [« The right to do so, in that complete freedom without which there is no création worthy of man »]. Selon lui, puisqu’un article était déjà adopté concernant la liberté de pensée, « il paraîtrait pertinent maintenant de reconnaître un autre, sur la pensée créative, afin de la protéger des injures beaucoup trop fréquentes dans l’histoire récente » [«An earlier article had been adopted that dealt with freedom of thought […] it seemed pertinent now to recognise freedom of creative thought, in order to protect it from harmful pressures which were only too frequent in recent history »].

107 E/3764, Rapport du 3ème Comité, 1957, §71. A noter que le premier article de la Convention créant l’Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture, adoptée à Londres le 16

particulier, comme le rapporte Mylène Bidault, aurait considéré cette remarque comme une volonté « d’orienter les activités littéraires et artistiques vers un but unique, le maintient de la paix et que sculpteurs et peintres soient tenus de se

cantonner dans les allégories exaltant l’amitié entre les peuples »108.

En ce qui concerne le PIDCP, celui-ci ne se réfère pas à l’art séparément des autres types d’expression. Il adopte néanmoins un point de vue généralement libéral, bien qu’un peu flou. En effet, en 1983, le Comité a émis une Observation générale concernant l’interprétation de l’article 19109. Dans cette Observation assez brève (quatre paragraphes), née, comme le signale M. Bouziri, « à l’époque où la guerre froide pesait sur les travaux du Comité », le Comité réitère en effet que « le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions est un droit qui ne permet aucune exception, ni restriction » (§1), que la liberté d’expression comprend également l’expression « en forme d’art » (§2) et que l’étendue réelle du droit [à la liberté d’expression] est défini justement par l’interaction ente ce droit des individus et ses restrictions ou limitations (§3). Le Comité des droits de l’Homme a également mis l’accent sur les devoirs et responsabilités accompagnant ce droit (§4) – sans pourtant pouvoir définir à cet époque l’étendue de ces devoirs et responsabilités.

Ce n’est que très récemment que ces questions ont été abordées de façon plus détaillée. En effet, le Comité, lors de sa centième session en octobre 2010, acheva l’élaboration d’un nouveau projet d’Observation générale pour l’article 19 du Pacte(OG n°34)110. Dans ce projet extrêmement riche en idées, nettement plus long que l’Observation générale n°10(douze pages), et écrit dans un langage beaucoup plus « direct » que le langage onusien habituel111, le Comité va aborder la quasi-totalité la paix et de la sécurité en resserrant, par l’éducation, la science et la culture, la collaboration entre nations[...]».

108 796è séance du troisième Comité, 1957(France), §36, cité par BIDAULT Mylène, La protection internationale des droits culturels, Bruylant, Coll.de l’Université Catholique du Louvain, 2010, p.510.

109 Observation Générale n°10 (article 19), formulée lors de la dix-neuvième session du Comité, 29 juin 1983. Voir aussi BOUZIRI Nejib, La protection des droits civils et politiques par l’ONU; l’oeuvre du Comité des droits de l’Homme…, op.cit., pp.432-433.

110 Projet d’Observation Générale n°34 (article 19 du PIDCP) du 25 novembre 2010,

CCPR/C/GC/34/CRP.5.

111 En effet, lors des discussions, Mme Ruth Wedgewood, experte des États-Unis, a encouragé les membres du Comité à utiliser ce style plus direct, voir le Communiqué de Presse de 19 mars 2010,

des questions relatives à la liberté d’expression, y compris des questions « difficiles », comme par exemple l’accès des minorités aux médias, les sensibilités culturelles et la diffamation religieuse112.

Tout d’abord, il est intéressant de noter que, dans ce projet, qui comprend de nombreuses références à la jurisprudence antérieure, le Comité adopte une position très ouverte sur la liberté de pensée et d’opinion, considérant qu’une réserve sur le droit à la « liberté d’opinion et de pensée » n’est pas compatible avec le PIDCP et que cette liberté « ne peut faire l’objet d’aucune dérogation pendant l’état d’urgence », même si elle n’est pas comprise parmi les articles cités dans la disposition de l’article 4 §2 du PIDCP (§4). Dans ce projet, le Comité consacre plusieurs pages aux restrictions légitimes de la liberté d’expression, aux liens entre l’article 19 et les articles 18 et 20 du Pacte, ainsi qu’aux notions de « devoirs et responsabilités » accompagnant la liberté d’expression du fait des sensibilités culturelles. Ainsi, il est affirmé tout d’abord que « lorsqu’un État partie impose des restrictions à l’exercice de la liberté d'expression, celles-ci ne sauraient mettre en danger le droit lui-même » (§22) et que les lois sur la diffamation en général seraient incompatibles avec les sociétés démocratiques, lorsqu’elles visent à étouffer la liberté d’expression113. Toutefois, le Comité note également, tenant compte aussi de son OG n°22 relative à la liberté religieuse, que « les lois sur le blasphème ne devraient pas être comprises d’une façon incompatible avec le paragraphe 3 de l’article 19 ou d’autres dispositions du Pacte […] » et que ces lois ne devraient pas discriminer en faveur des croyants d’une religion spécifique (§50)114. Il est spécifiquement noté d’ailleurs que « les lois sur le blasphème ne devraient pas être utilisées pour prévenir ou réprimer les critiques des chefs religieux ou un commentaire sur la doctrine religieuse et les dogmes de la foi » et que « Les États parties devraient abroger les dispositions du droit pénal concernant le blasphème et des manifestations d’irrespect des religions ou des systèmes de croyances, autres que celles qui sont conformes avec l’article 20 du Pacte ». Dans son examen des articles 19 et 20 du Pacte, qui interdit le langage de

112 A propos de la diffamation religieuse et le blasphème, voir infra, Chapitre 4, notes 666 et 1160.

113 La même conclusion a été tirée dans les Observations finales pour le Royaume Uni et l’Irlande du Nord en 2008, CCPR/C/GBR/CO/6.

114 OG n°22, relative au droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion (article 18 du

PIDCP), adoptée en juillet 1993 pendant la 48e session du Conseil, 30 juillet 1993,

haine, le Comité constate que les deux dispositions sont complémentaire et que, dans une certaine mesure, l’article 20 pourrait être considéré comme lex specialis par rapport à l’article 19 §1115.

Il existe également d’autres instruments garantissant la liberté artistique, notamment ceux qui visent des groupes spécifiques. Il s’agit notamment :

- de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW), qui garantit pour les femmes l’exercice de tous les droits culturels sans discrimination et notamment « le droit de participer aux activités

récréatives, aux sports et à tous les aspects de la vie culturelle »116 ;

- de la Convention des droits de l’enfant (Convention on the Rights of the Child- CRC), dont l’article 14 garantit le droit des enfants à la liberté d’expression par un moyen de leur choix117. Par ailleurs, la liberté d’expression créative étant un droit traditionnellement lié à l’enfance, la CRC considère les médias comme un outil qui devrait viser à l’éducation de l’enfant118. D’après la CRC, les États parties devraient également encourager la diffusion des livres d’enfants et inciter les médias à tenir comptes des besoins particuliers des enfants appartenant à des minorités culturelles et linguistiques119 ;

- de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des personnes appartenant à des minorités (DDDM)120, qui proclame dans son premier article que « les États protègent l’existence et l’identité [entre autres] culturelle des minorités […] et favorisent l’instauration des conditions propres à promouvoir cette identité ». Elle stipule ensuite, en s’inspirant des dispositions de l’article 27 du Pacte international, que « les

115 Voir analytiquement, infra, Chapitre 2.

116 Adoptée le 18 décembre 1979, article 13§1(c).

117 Adoptée et ouverte à la signature, ratification et adhésion par l'Assemblée générale dans sa résolution 44/25 du 20 novembre 1989. Pour une meilleure compréhension de la Convention, voir DETRICK Sharon, The United Nations Convention on the Rights of the Child: Aguide to the

‘Travaux préparatoires’, Dordrecht-Boston, Martinus Nijhoff, 1992. Pour l’instant, la quasi-totalité des États (191 États) ont signé le Traité, à l’exception de la Somalie et des États Unis. Voir aussi,

VAN BUEREN Géraldine, The international law on the rights of the child, Dordrecht, Martinus

Nijhoff, 1995, p.131et s.

118 VAN BUEREN Géraldine, op.cit., p.142. L’expression de la peur des enfants sensibles (des enfants réfugiés par exemple) par le biais de la thérapie artistique, devrait aussi être considérée couverte par cette disposition. Voir à cet égard des programmes de nombreuses organisations, y compris le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiées (UNHCR), par exemple « Lesson Plans For Ages 9-11 In Art: A Response Through Artwork ; Teaching Tools», disponible sur le site http://www.unhcr.org/ 468109712.html, consulté le 25 octobre 2010.

119 Ibidem, pp.141-142.

personnes appartenant à des minorités ont le droit de participer pleinement à la vie culturelle, religieuse, sociale, économique et publique » (2 §2) et que « Les États prennent des mesures pour créer des conditions propres à permettre aux personnes appartenant à des minorités d’exprimer leurs propres particularités et de développer leur culture, leur langue, leurs traditions et leurs coutumes[...]» (4§2) ;

- de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (DRIPS), qui affirme le droit des peuples autochtones « d’observer et de revivifier leurs traditions culturelles et leurs coutumes » et notamment « le droit de conserver, de protéger et de développer les manifestations passées, présentes et futures de leur culture, telles que les sites archéologiques et historiques, l’artisanat, les dessins et

modèles, les rites, les techniques, les arts visuels et du spectacle et la littérature121. En

outre, la DRIPS prenant en compte la nécessité de préserver et de promouvoir la diversité culturelle, insiste sur le droit des peuples autochtones « de préserver, de contrôler, de protéger et de développer leur patrimoine culturel, leur savoir traditionnel et leurs expressions culturelles traditionnelles ainsi que [...] leurs traditions orales, leur littérature, leur esthétique, leurs sports et leurs jeux

traditionnels et leurs arts visuels et du spectacle »122, reconnaissant une obligation

positive pour les États de prendre des mesures efficaces pour reconnaître ces droits et en protéger l’exercice, « en concertation avec les peuples autochtones »123. Dans des affaires récentes d’ailleurs, le Comité a insisté sur le droit des minorités à la liberté d’expression et sur le lien entre cette dernière et le développement de l’identité culturelle124.

L’UNESCO, pour sa part, prend nettement en compte le rôle important de l’activité artistique pour les sociétés contemporaines. La Déclaration du Mexique sur les politiques culturelles de 1980 stipule : « La liberté d’opinion et d’expression est indispensable à l’activité créatrice de l’artiste et de l’intellectuel [...] "il est indispensable de créer des conditions sociales et culturelles propres à faciliter, stimuler et garantir la création artistique et intellectuelle, sans aucune discrimination

121 Adoptée le 29 juin 2006 par la Résolution 2006/2 du CDH et le 3 septembre 2007 par la Résolution 61/295 de l’Assemblée Générale.

122 Article 31§1 de la DRIPS.

123 Article 31§2 de la DRIPS.

124 ComitéDH(jurisprudence): Poma Poma c. Peru, Communication No. 1457/2006, 24 avril 2009, CCPR/C/95/D/1457/2006. Voir sur la notion de la culture plus généralement, infra, Chapitre 3.

de caractère politique, idéologique, économique et social", tout en soulignant l’importance de la promotion d’activités de nature à sensibiliser l’opinion publique à

l’importance sociale de l’art et de la création intellectuelle »125. La même année, lors

de la formulation de la Recommandation relative à la condition de l’Artiste (1980), l’UNESCO a incité les États membres des Nations Unies à prendre toutes les mesures nécessaires afin de développer la création artistique126. La recommandation met en exergue, en particulier dans son préambule, que « la qualité de travailleur culturel qui est reconnue à l’artiste ne doit porter aucune atteinte à sa liberté de création, d’expression et de communication et doit, au contraire, lui assurer sa dignité et son

intégrité »127. Plus tard, en 1998, lors de la Conférence intergouvernementale de

Stockholm sur les politiques culturelles pour le développement, il a été proclamé que « les États doivent protéger, défendre et appuyer leurs artistes et la liberté artistique ». Il a également été affirmé que « L’art joue un rôle essentiel dans la vie et le développement de la personne et de la société » et que « les États doivent protéger,

défendre et appuyer leurs artistes et la liberté artistique »128.