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La formation universitaire des migrants andins en Europe

1 |L’associatif migrant qualifié andin en Europe

1.3. La formation universitaire des migrants andins en Europe

La littérature sur le brain drain incite à voir dans le départ des migrants une source de déstabilisation des États en imaginant l'ensemble des investissements (réalisés par ceux-ci) improductifs. On peut, à l'inverse, penser que ces migrants qualifiés s'adaptent à un marché du travail peu propice à l'évolution professionnelle et tentent d'échapper à des conditions de travail peu favorables à la recherche et à l'innovation. De même, le tournant positiviste du lien migration-développement [De Haas, 2010] tend à faire penser que le départ des individus hautement qualifiés peut se mettre au service du développement scientifique et technique (notamment le renforcement des formations doctorales), dans la mesure où la fuite des cerveaux se comprend dorénavant comme une opportunité à accumuler le capital humain et social. Il s'agit d'imaginer, qu'en favorisant le départ (contrôlé) de jeunes diplômés, leur retour sera profitable au développement de nouvelles compétences dans les universités et centres de recherche nationaux. On ne considère donc plus le départ comme un élément de déstabilisation des institutions du pays d'origine mais plutôt comme un moteur de transferts entre au moins deux espaces. Cette version positivée consiste donc en un glissement de paradigme depuis le brain drain vers la circulation des compétences.

Cet état des réflexions portées sur la mobilité des migrants qualifiés nous incite à analyser le contexte dans lequel les compétences sont mises en mobilité. C’est pourquoi, on s’attache à présenter ici des données qui permettent de comprendre les conditions de réalisation des circulations migratoires. Ayant mis en évidence les motivations de départ des migrants qualifiés depuis les pays andins, nous souhaitons, à présent, au moyen d’une étude de leur parcours migratoire, évaluer leur capacité de transferts (des connaissances et compétences). C’est pourquoi nous exploitons les données issues de nos entretiens avec les migrants membres de structures associatives en Europe. Celles-ci serviront à apprécier leur parcours professionnel autant que migratoire et à engager une réflexion sur les configurations prises par leurs circulations.

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Analyser l’impact des départs en migration des jeunes talents sur l’économie et les sciences nationales requiert la restitution des parcours professionnels des migrants concernés par notre travail de terrain. C’est pourquoi, avant de poursuivre sur les logiques de mise en circulation du savoir, nous veillerons d’abord à mettre en lumière la pratique des lieux du savoir dans les pays d’origine et d’accueil. Nous cherchons par cette étude des lieux à caractériser l’espace d’apprentissage et d’exercice des sciences et révéler ainsi sa transnationalité au sein de la population migrante. Pour cela, nous choisissons d’étudier les espaces de formation des migrants interrogés en Europe (50 personnes), membres des 35 associations identifiées102F

103

.

Le tableau n°7 présente le parcours universitaire des migrants interrogés et se construit donc à partir de 50 entretiens mobilisables. Il s’agit de connaître le ou les lieux de formation des migrants faisant partie de l’échantillon en restituant, à l’échelle nationale, les lieux dans lesquels ils se sont formés (ou se forment encore). Il est évident, au regard de ce tableau, qu’ils sont nombreux à avoir fait leurs études à la fois dans leur pays d’origine et leur pays d’accueil et que ce parcours universitaire s’est construit dans un désir d’acquérir des connaissances de niveau supérieur.

Tableau n°7 : Les espaces de formation universitaire des migrants de l’échantillon (sur la

base de 50 migrants qualifiés, 35 associations).

Lieu de formation universitaire Nombre de migrants et pourcentage

Pays d’origine seulement 7 (14%)

Pays d’accueil seulement 7 (14%)

Pays d’origine et d’accueil à niveau égal 4 (8%)

Pays d’origine et d’accueil avec accès à connaissances de niveau supérieur

25 (50%)

Au moins une partie dans un pays tiers 7 (14%)

Source : C.Caplan, Enquêtes 2010-2011

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Ici, les résultats confirment que le parcours scientifique des migrants interrogés prend une forme transnationale et ne correspond pas au profil discuté dans l’idéologie du brain drain. En effet, ils sont diplômés dans 72% des cas d’universités du pays d’accueil et seuls 7 migrants sur 50 n’ont effectué leurs études que dans leur pays d’origine. Aussi, l’investissement n’inclut que très peu la formation supérieure. Parce qu’ils sont 60% environ à avoir étudié à la fois dans leur pays d’origine et leur pays d’accueil, les migrants semblent pouvoir être majoritairement familiers avec les deux systèmes nationaux de science et technologie et semblent donc être dans une situation favorable aux circulations migratoires. Ces données sont particulièrement intéressantes dans la mesure où elles présentent un parcours universitaire qui associe les deux pays et qui semble participer à l’obtention de nouvelles compétences (25 migrants sur 50). Cette complémentarité reste toutefois à discuter au regard de nos données et doivent également être mises en perspectives avec d’autres travaux.

Une discrétisation par âge devrait permettre de nuancer ce constat et discuter de la complémentarité en montrant que les parcours migratoires varient en fonction de l’âge des migrants. Ces données montrent en effet que la tendance à la complémentarité est particulièrement marquée chez les plus jeunes. A la lecture de ce tableau on remarque en effet que 10 jeunes (de 20 à 35 ans) sur 17 au total dans cette tranche d’âge, ont étudié dans leur pays d’origine et d’accueil. Tous, en revanche, ont étudié (au moins en partie) dans leur pays d’accueil.

Tableau n°8 : les espaces de formation universitaire en fonction de l’âge des migrants de

l’échantillon (sur la base de 50 entretiens et 35 associations).

20-35 35-50 50-65 65 et plus

Études pays d’origine - 3 4 -

Études pays d’accueil 4 2 - 1

Études pays d’origine et accueil même niveau

3 1 - -

Études pays d’origine et d’accueil niveau supérieur

10 11 4 -

Études pays tiers - 7 - -

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Aussi le modèle de la « complémentarité » domine les trajectoires migratoires chez les jeunes. Le pouvoir d’association de ces jeunes étudiants et jeunes diplômés, formés à la fois dans leur pays d’origine et à la fois dans leur pays d’accueil, constitue un lien fort sur lequel les pays d’origine sont susceptibles de s’appuyer dans leur effort de (re)construction d’une identité partagée qui s’avère être déjà en cours d’élaboration dans de nombreux pays [Caplan, Fornalé, Panizzon, 2014]. Ceci explique sûrement la tendance actuelle des États à renforcer les dispositifs d’aide à la mobilité étudiante. L’idée d'administrer le retour des cerveaux contribue à élaborer un modèle qui plébiscite la mobilité étudiante. Tirer profit de ses faiblesses, en permettant la réintégration des plus qualifiés dans le secteur productif, c’est aussi une façon d’user de la migration comme source de développement [Taylor, 1999]. Aussi, plus qu’une « Option diaspora », la récupération du talent peut se penser comme une « stratégie ». Nous détaillerons cette tendance à user des mobilités dans notre description de la gestion des mobilités et des circulations migratoires.

Cette tendance des États, que nous ne manquerons pas d'approfondir car elle est en continuelle expansion, à favoriser le départ des plus savants à l’étranger n’est pas sans conséquence pour leur propre développement scientifique et technique, et surtout pour l’accumulation du capital humain hors de leurs frontières. En l’espace de quinze ans, la Colombie à réussi à doubler le nombre de chercheurs munis d’un doctorat et à septupler le nombre de titre de doctorat octroyés en un an, en combinant l’effet du retour des migrants qualifiés (RedCaldas) à une politique de renforcement des formations de haut niveau103F

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. Dans le même temps, cette capacité à envoyer les plus jeunes talents à l’étranger vient modifier les caractéristiques démographiques de la migration qualifiée.

Revenons toutefois sur le modèle de la complémentarité que nous évoquions précédemment. D’après les données empiriques, on constate que les acteurs de l’associatif migrant ont été formés, pour la plupart, aussi bien dans leur pays d’origine que dans leur pays d’accueil. Pour la plupart, 22 cas sur 50, ils étaient titulaires d’un diplôme généraliste (licence) et sont ainsi venus se spécialiser en Europe (Master, doctorat)104F

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. D’autres (15 interviewés)

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étaient déjà titulaires d’un diplôme qualifiant (master, diplôme d’ingénieur) et sont allés en Europe soit pour exercer leur métier, soit pour se réorienter ou encore pour affiner leurs compétences. Enfin, d’autres ont quitté leur pays sans diplôme (13 interviewés), ce qui s’explique, dans la majeure partie des cas, par la réussite à un concours leur ouvrant droit à une formation à l’étranger105F

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. Ces résultats suggèrent donc une complémentarité entre les deux espaces, une complémentarité que nous pourrions qualifier de fonctionnelle puisqu’elle permet d’accéder à des connaissances supérieures ou additionnelles et parce qu’elle suggère que les migrants (jeunes) disposent de capital social dans ces deux espaces (seulement 7% des interviewés ont fait toutes leurs études dans le pays d’origine). Par conséquent les migrants semblent facilement disposés à faire circuler leur savoir. En effet, la pratique d’au moins deux espaces académiques constitue un facteur d’échange scientifique et technique. Par conséquent, la réalisation d’études sur deux espaces au moins semble favoriser l’articulation entre les espaces et faciliter les constructions sociales transnationales.

Rompant avec un modèle rigide de la migration qualifiée, ces résultats révèlent l’implication de la mobilité étudiante dans les constructions sociales transnationales qualifiées106F

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. L’exploitation de ces données confirme également que l'on ne peut pas valider le modèle de transfert inverse de technologie107F

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dans la mesure où les trajectoires universitaires incluent majoritairement le pays de destination (ou autre pays du Nord). Dans notre échantillon, les jeunes migrants qui participent à l'associatif migrant ont majoritairement complété leur formation universitaire initiale, acquise dans leur pays d'origine, à l'étranger et ce pour acquérir un diplôme supérieur à celui qu'ils détenaient dans leur pays d'origine (Master et doctorat). Cette situation nous permet de faire le constat suivant : le double ancrage géographique des études universitaires semble participer à l'investissement personnel du migrant dans des réseaux scientifiques et techniques.

On peut par conséquent supposer que l’acquisition d’une formation universitaire sur au moins deux espaces nationaux est susceptible d'être un moteur de circulations migratoires par le fait que :

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2. Le migrant dispose de contacts scientifiques dans son pays d’origine (amis, connaissances, professeurs) ;

3. Le migrant a agrandi son capital social et dispose d’une plus grande facilité à intégrer le marché du travail national d’accueil.

L’insertion des mobilités étudiantes dans le paradigme mobilitaire et son lien au développement semble confirmer l’intérêt à déployer pour les mobilités étudiantes. Les étudiants, de plus en plus nombreux à venir faire leurs études en Europe et dans les pays de l’OCDE, pourraient alors être des vecteurs de renforcement des circulations du savoir. Reste à savoir comment les étudiants sont mobilisés et mobilisables.