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Deux concepts entre interchangeabilité et complémentarité

1| Redéfinir l'espace des sociétés

2.2. Deux concepts entre interchangeabilité et complémentarité

La multiplication des usages de diaspora et transnational intervient à un moment où les liens hors des cadres territoriaux figés et immuables sont de plus en plus nombreux. Les États conteneurs [Pries, 2002] sont donc dépassés et c’est l’entre-deux qui prévaut et cela même à l’échelle infranationale83F

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. En effet, l’intérêt pour le réseau, et donc la connexité, prime sur la contiguïté. Le réseau s’envisage alors de plus en plus comme une ressource, comme le suggérait déjà Emmanuel Ma Mung [Ma Mung, 2000]. Dans ce monde de la connexité, malgré son évolution sémantique, le terme de diaspora reste toujours marqueur et révélateur de la coprésence des membres d’une communauté à l’échelle internationale. Transnational a quant à lui été forgé pour traduire l’inverse de la rupture entre espace d’origine et espace d’accueil, le vide interstitiel devenant l’espace transnational, fait de liens denses envisagés dans un espace continu entre accueil et origine. Aussi, ces deux termes se trouvent-ils au service de la compréhension de phénomènes de coprésence à distance.

Diaspora et transnational sont deux champs sémantiques qui sont de plus en plus mobilisés pour rendre compte des politiques étatiques en matière d’extension hégémonique. En effet, il est question d’envisager, pour ces deux champs, la culture du lien par delà les frontières nationales, autant par les migrants que par les institutions gouvernementales. Ce sont les notions de déterritorialisation et reterritorialisation qui traduisent alors la mise en culture du lien État-migrant. Dans le courant des diasporas studies, ce sont les diasporas policies qui révèlent cette tendance des États à produire du lien avec les migrants. Dans ce cas, l'État endosse le rôle d'agent de production sociale dans l'espace transnational.

Employés dans des réalités similaires, leurs usages tendent à se confondre. Traducteurs d’une nouvelle coprésence à distance et de liens qui transcendent les frontières nationales, il est en effet légitime de penser à l’interchangeabilité de ces deux termes. Toutefois, leur parcours sémantique et leur empreinte spatiale concourent à les différencier.

Lorsque Roger Rouse contribue au premier numéro de la revue Diasporas en 1991, il documente, avec le cas Mexicain, un phénomène « nouveau », celui d’observer des communautés dispersées à travers les frontières et qui pourtant continuent à « faire communauté ». Pourtant, il n’y mentionne jamais le terme diaspora, privilégiant l’usage de

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« circuits migrants transnationaux ». Le même constat peut-être fait dans Nations Unbound [Schiller et al., 1993]. L’usage du mot diaspora est réduit à quelques occurrences tout au plus. Aucune perspective comparatiste n’est alors envisagée entre transnational et diaspora. Pourtant, déjà en 1991, Khachig Tölölyan produit la nouveauté en juxtaposant les deux termes pour la création d’une nouvelle revue intitulée Diaspora : A Journal of Transnational Studies. Il juxtapose les deux termes, tout en y mêlant implicitement une dissociation. Les diasporas y sont alors vues comme des « communautés exemplaires d’une époque transnationale » et sont recontextualisées dans un monde de la coprésence :

« The idea of diaspora – as an unending sojourn across different lands – better captures the emerging reality of transnational networks and communities than the language of immigration and assimilation »84F

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. [Tölölyan, 1991 : 1]

Les deux concepts seraient alors parfaitement interchangeables, puisque si l’on suit la logique des études transnationales on remarque qu’elles se justifient, comme dans cette définition donnée par Tölölyan, par la nécessité d’adopter de nouveaux éléments de langage indispensables pour décrire des phénomènes sociaux jusque là non observés.

Pourtant, il n’est pas difficile d’observer une tendance actuelle au mélange de ces concepts. On ne s'étonnera donc pas à la lecture de La question migratoire au XXIe siècle écrit par Catherine Wihtol de Wenden en 2010, ouvrage dans lequel l’auteur fait mention de « diasporas transnationales ». Dans ce mélange des genres, les études sur les diasporas produisent alors une transnational diaspora litterature [Lie, 1995] : la culture y est transnational diasporic, et le Black Atlantic de Paul Gilroy devient une illustration des transnational roots of the African American experience [Lie, 1995]85F

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La diaspora comme identité transnationale durable [Reitel : 25-26], comme chaine transnationale de communautés minoritaires [Ray, 2008 : 13], comme produit de la transnationalisation de l’identité nationale [Salazar Parréas, 2001] semble se perdre dans une accumulation de notions qui, loin de rendre le concept plus lisible, le complexifie et le rend inutilisable, voire même le rend dépendant du concept de transnational. Dans cette

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juxtaposition, diaspora se trouve alors réduite à une simple dispersion, comme chez Marc Priewe lorsqu’il fait état de récits diasporiques transnationaux [Priewe, 2006 : 523], ou lorsque d’autres auteurs font part de diasporic location [Levitt et Glick Schiller, 2004 : 1012 ; Patterson 2006]. Michael Kearney participe également à cette juxtaposition, sans comparaison, lorsqu’en 1995 il écrit :

« …the foundation of the diasporic Oaxacan communities and their transnational migrant organisations ».86F

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Toutefois, on peut également y voir des tentatives de définition des termes par dissociation des deux comme chez Dahinden qui, en mentionnant le « transnationalisme diasporique », se réfère aux liens qui entretiennent des formations sociales à travers les frontières, maintenus par les migrants et leurs collectifs installés dans leurs pays d’accueil. Ces formations sociales produisent alors des champs ou des espaces transnationaux [Dahinden, 2009]. En réalité, adopter une perspective géographique permet d’identifier des divergences d’usage entre les deux et permet de dissocier les concepts qui, pour Thomas Faist, diffèrent principalement par leur « généalogie intellectuelle » et par l’opposition entre communauté et processus [Faist et Bauböck, 2011]. L’ouvrage co-dirigé par Faist et Bauböck traduit cet intérêt nouveau à une comparaison des deux termes. C’est dans cet ouvrage que Thomas Faist s’interroge sur l’association des deux concepts qui, pour lui, est essentielle :

« The two concepts cannot be separated in any meaningful way. To do so would be to neglect the rich panoply of definitions and meanings that constantly overlap »87F

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[Ibid.: 13]

Reprenant une définition traditionnelle de diaspora, associée à la dispersion forcée, aux expériences à travers les frontières et le retour à l’origine, il y conclut que le terme de diaspora est utile pour révéler la distinction culturelle des communautés expatriées dans leur espace d’installation et pour marquer l’importance de la dispersion. En revanche, transnational reste une notion associée à l’espace, au champ, à la mobilité et aux réseaux. Entre intégration partielle à la société d’installation – Diaspora – et changement des formes d’appartenances – transnational – se trouverait donc la divergence des concepts.

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« While the term « diaspora » always refers to a community or a group and has been heavily used in history and literary studies, concepts such as transnationalism – and transnational spaces, fields and formations – refer to processes that transcend international borders and therefore appear to describe more abstract phenomena in a social science language ».88F

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[Ibid.: 14]

Pourtant, Faist lui-même évoque un changement dans la perception du retour pour les diasporas. En effet, il avance déjà en 2008 que le « retour » est de plus en plus remplacé par des liens denses et continus à travers les frontières [Faist et Amelina 2008, Faist et Bauböck, 2011]. C’est pourquoi les notions de champs et d’espaces ne sauraient être suffisantes, par elles-mêmes, pour différencier diaspora de transnational. Revoir l'usage de la diaspora semble par conséquent un préalable à la construction de notre corpus. En l'envisageant sous l'aspect communautaire, tel que le suggère Thomas Faist, il semblerait que nous puissions donc utiliser le terme de diaspora aux côté de celui de transnational. Renvoyant à l'idée de communautés et d'espaces socialisés hors de l'État d'origine et maintenant un lien avec celui- ci, le terme serait complété, pour répondre aux besoins de cette thèse, du terme de transnational qui viendrait, quant à lui, éclairer les processus de socialisation et permettrait la description des espaces géographiques pratiqués.

En nous inspirant des travaux de Thomas Faist, la partie suivante s'attachera donc à délimiter les usages que nous employons dans cette thèse de diaspora et transnational.