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ET MULTI-SCALAIRES

1.2. Clarification de l’objet : définir les termes

1.2.1. L’étude de l’ « associatif migrant »

Si les études manquent dans le domaine associatif pour le cas très particulier de la migration qualifiée, on ne peut dire que les organisations de la société civile n'aient pas été étudiées, bien au contraire. Elles sont principalement reconnues pour leur rôle dans la constitution de « communautés » qui se spatialisent au-delà de cadres politiques circonscrits et qui « organisent les pratiques de mobilisation » [Sökefeld, 2006] dans un espace devenu « transnational ». On retrouve donc les travaux sur les groupes de migrants, au travers notamment des « HTA » ou Hometown Association [Orozco, 2005] ou Clubes de Oriundos [Lanly, 2004] dans lesquels le village conditionne le lien de solidarité entre les membres du groupe [Levitt, 2001]. Le groupe serait donc « pré-construit », avant même l’acte de migrer, à l’échelle locale mais aussi nationale [Guarnizo et Smith, 1998]. Vues comme un facteur d’intégration des migrants [Faist et Amelina, 2008], ces organisations sont de plus en plus couramment perçues comme des partenaires pour le développement, expliquant alors l'importance accordée aux systèmes associatifs dans les travaux français sur les migrations de travail [Lacroix 2005, 2009 ; Faret 2000, 2004, 2006]. Aussi, des réunions entre organisations se multiplient, à l’image de la Rencontre des Organisations de la Diaspora d’Amérique Latine et des Caraïbes, pilotée par la FOCAL. Parce que la « formation d’une diaspora requiert des structures et pratiques de mobilisation » [Sökefeld, 2006], l’intérêt des études à venir réside dans l’observation de la construction de liens de proximité faisant fi des distances géographiques. Déjà les travaux d’Antoine Dumont [Dumont, 2008], lequel cherche à obtenir des données autant sur la proximité sociale que spatiale par l’étude de réseaux transnationaux,

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montrent un effet d’élargissement de l’espace de vie associative par les circulations. C’est cette dimension que la thèse cherchera à approfondir, en allant au-delà de la bipolarité et en envisageant les circulations au-delà des seules circulations humaines dans l’espace migratoire. La population à l’étude étant les expatriés qualifiés, les récents travaux développés par Valeria Hernandez et Jean-Baptiste Meyer sur les groupes « auto-organisés » sont déterminants dans la construction de notre objet, dans l’adoption des termes du sujet et dans la formulation de la problématique. Leurs travaux concluent en effet que ces groupes auto- organisés sont la solution à l’exode des compétences [Meyer et Hernandez in Nedelcu 2004]. De ces travaux nous retiendrons la notion centrale « d’associations cognitives » [Meyer et al. 2003] puisque c’est au moyen du « cognitif » qu'est envisagé le lien au développement. Nouvel objet du capitalisme, le cognitif, aussi appelé « capitalisme informationnel » par Manuel Castells, est le point d’intérêt des diasporas intellectuelles. Car ces diasporas peuvent potentiellement faire partager les connaissances et compétences acquises en « situation d’expatriation », faire part de leur raisonnement sur des questions scientifiques, techniques ou encore politiques et c’est justement cette expertise que les États convoitent. Toutefois ces travaux se placent dans le contexte d’ « élites courtisées » [Lynn-Ho, 2011] par les pays d’origine, voire d’accueil, aussi mettent-ils l’accent sur les programmes étatiques et internationaux de constructions diasporiques, sans pour autant donner une place à part aux processus « par le bas » à savoir les initiatives des migrants eux-mêmes. Aussi nous veillerons à ne pas restreindre l’analyse des rétroactions à l'échelle étatique de la décision. C’est l’ensemble de la société civile et des institutions impliquées qui retient notre attention.

1.2.2. Une seule définition du « professionnel » ?

Puisqu'il s'agit de définir ce que sont les groupes sociaux migrants qualifiés auto- organisés, définir le « qualifié » implique de se confronter à une littérature déjà existante. Certes, l'approche que l'on propose se démarque des travaux existants dans la mesure où l'on envisage le migrant qualifié à posteriori, c'est-à-dire après avoir réalisé le travail d’identification des structures associatives. Mais il est impératif de tenir compte des définitions de la migration qualifiée que les chercheurs, ayant investigué dans ce domaine, ont données.

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Martin Schaaper et Andrew Wyckoff donnent une définition en négatif, les « intellectuels » étant ni les « étudiants », ni les « immigrants » [Schaaper et Wyckoff, 2006]. D’autres travaux s’appuient sur les classifications internationales en matière de formations universitaire (ou du supérieur). C’est notamment le cas de Lowell et Findlay qui, en 2001, n'incluent que les individus ayant achevé et validé au moins quatre années d’études dans le supérieur. D’autres, comme Adela Pellegrino, se sont focalisés sur les visas pour migrants qualifiés mis en place par les pays d’accueil – États-Unis notamment –. L'activité exercée par l’individu apparaît également comme une variable possible pour définir le migrant qualifié. C'est ainsi que les chercheurs et les ingénieurs trouvent leur place dans les travaux de Jean- Baptiste Meyer et Valeria Hernandez [2004]. Parfois les étudiants sont également intégrés à l'étude [Luchilo, 2011] mais leur considération reste encore marginale. Enfin, à l’inverse, et s'approchant un peu plus de notre définition, les travaux de Mihaela Nedelcu [Nedelcu, 2009] et Binod Khadria [Khadria, 2006] envisagent d’abord la capacité des migrants à produire des circulations, pour ensuite donner une définition de ce qu'est le qualifié. Mihaela Nedelcu s’intéresse d’abord aux « compétences transférables », Binod Khadria, quant à lui, dénombre les migrants de retour à Bangalore impliqués dans le secteur des nouvelles technologies. Dans cette thèse, c'est en nous appuyant sur l'existence des structures associatives que nous envisagerons de définir le collectif professionnel en présence dans notre corpus.

1.2.3. Une population : un cadre régional

L’approche ethnographique dans l’étude des réseaux de diasporas, objet d'une abondante littérature, est dorénavant remise en question. Butler critique cette approche puisque, selon lui, l'identité ne peut plus être considérée comme le résultat d’une origine commune mais le résultat de la mobilisation [Butler 2001 : 190 cité par Sökefeld 2006 : 279]. R.C. Smith invite à revoir également les fondements de l’identité et principalement les principes d’adhésion à une communauté politique qui, à son sens, restent trop collés à un « statut marshallien garanti par l’État » [Smith, 2003]. Ces critiques encouragent les chercheurs à produire une littérature détachée du « nationalisme méthodologique » [Wimmer et Schiller, 2003]. C'est en prenant compte de ces critiques que nous choisissons d'adopter un cadre géographique plus vaste. Au moyen de recherches empiriques, nous pensons que ce cadre géographique rend possible l’observation et la compréhension des phénomènes de

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multiplication des points d'ancrages identitaires favorables à la multi-localisation des réseaux et de l’action. Au-delà du désir de rompre avec une perspective ethnographique, c’est donc un choix méthodologique que d'élargir la focale d'un espace national à un espace régional. En faisant ce choix, nous pensons voir émerger des formes de sociabilités à l'échelle supra- nationale, qu'il s'agisse du substrat territorial ou social. C’est aussi une question de gouvernance qui nous guide vers ce choix. Les processus de consultation régionaux (RCP) ainsi que les processus d'intégration régionaux, en l'occurrence la Communauté Andine des Nations, pouvant inciter les pays d’origine à construire du lien à distance avec leurs expatriés. Ce cadre permet donc de questionner le rôle des institutions internationales dans la gouvernance migratoire de la sous-région.