• Aucun résultat trouvé

Un espace en réseau : les apports des travaux contemporains

3| Dénaturaliser les rapports de l’Homme à l’espace

3.1. Un espace en réseau : les apports des travaux contemporains

3.1.1. L'approche transnationale ou la science de la double présence

Contrairement à diaspora, transnational est un terme beaucoup plus récent puisqu’il ne s’est diffusé que dans la deuxième moitié du XXe siècle. On se trouve donc dans l’histoire immédiate, le présent. Bien que le terme apparaisse au début du XXe siècle dans le désormais célèbre transnational America de Randolph Bourne, la signification prise par ce terme s’est forgée bien plus tardivement. C'est à partir des écrits de Nina Glick Schiller, Cristina Szanton Blanc et Linda Basch que le terme a été popularisé. Nations Unbound, ou la bible du transnational. En effet on note entre la fin des années 1980 et le début des années 1990 une grande accélération des usages du terme. On comprend alors que l’effort déployé dans Nations Unbound est bien celui de circonscrire les usages du terme pour en éviter la dispersion. Il s'agit alors probablement d'éviter le sort ironique réservé à diaspora89F

90

. En 1994,

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

)+

++?0550! @3-.@0! /56@5! 30;0B/0! M63! f-E034! I32<6W03! 0.! "++%! O6.4! a3(+ _-#"%0,'">+ -#"%0,'"! 635@N;0! M632! O6.4! ;0! k-23.6;!P&3$#7+"$-+:"7#"/+\&=-#(%9!

!

**)!

transnational trouve donc ses lettres de noblesse sous la plume anglo-saxonne et c’est bien plus qu’un terme qui naît puisque les chercheurs construisent dans le même temps le champ lexical du transnationalisme en incorporant les termes de transmigrant, de transnationalisation ainsi que d’autres substantifs qui participent à circonscrire les réalités à rendre compte par les transnational studies.

Contrairement aux diasporas studies, les transnational studies ont toujours participé à construire une image positivée du migrant et de la migration. Et c’est notamment autour de l’identité nouvellement définie d’un migrant dans l’entre deux que se construit ce nouveau champ. En effet le transmigrant bénéficie d’une image très élogieuse. Tel qu'il est définit en 1994 par Nina Glick Schiller et al., le transmigrant est l’acteur social qui « connecte les nations » [Glick Schiller et al., 1994 : 8].

« Les transmigrants mènent des actions, prennent des décisions, et développent des subjectivités et des identités intégrées dans des réseaux de relations qui les connectent simultanément à deux voire plusieurs États-Nations ». [Glick Schiller et al., 1994 :7].

Leur réflexion construite à partir de l’exemple caribéen contribue à ériger une connotation positive du terme, qui est d’ailleurs mobilisé dans ce but. L'image du transmigrant consiste alors à évoquer les contributions politiques de celui-ci vers son pays d'origine (depuis l'extérieur). L'ensemble du champ lexical auquel s'attache le transmigrant permet alors de rendre compte des constructions de tissus sociaux denses dans l'espace migratoire. Ces constructions sociales ont alors la particularité de connecter des espaces distants. On retrouve les premières théories de l'espace transnational dans les écrits de Rouse en 1991 lorsque ce dernier décrit et analyse les réseaux tissés entre les résidents d’un village au Mexique et les individus qui en sont originaires aux États-Unis. Le transmigrant, ou le « nouvel ambassadeur » des pays d’origine, se fait l’animateur d’espaces différenciés au bénéfice de la construction de continuités pour un espace qui ne fait plus qu’un [Rouse 1991 : 164]. L’existence de structures sociales telles que les organisations90F

91

de villageois, la régularité des communications à distance, les allers-retours plus ou moins réguliers sont alors les marqueurs d’une double présence et semblent être les vecteurs du changement social pour les pays concernés par ces circulations migratoires.

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

)*!!!

804!-3E6.@465@-.4!40!O/G@.@440.5!N-DD0!O04!a!7,//(7&#6%+<=#+%(+6,')($&+%='+/"+4"%(+.,/,$&"#'(+-"$%+/(+4=&+ ->,4&($#'+%"&#%6"7&#,$+-(%+,4W(7&#6%+?+pX0;64N-!>35@`7!"++"q!

! *"+!

Les années 90 ont donc participé à forger une image de continuité, à mettre en valeur les productions sociales dépassant les territoires nationaux, à mettre en évidence des processus de (re)production des identités à distance, et à faire connaître les modes de contributions à distance mis en place par les migrants. Conceptualisé en opposition à la désormais célèbre « double absence » d’Abdelmalek Sayad [Sayad, 1999], la « double présence » s’impose peu à peu, à mesure que les évidences empiriques révèlent les dimensions territoriales naissantes de communautés unies par la solidarité transfrontière.

« Leurs expériences et leurs vies n’étaient pas segmentées entre les sociétés d’origine et d’accueil » [Glick Schiller et al., 1994 : 5]

Légitimé par le maintien du lien à distance au sein même des familles dites alors transnationales, le cas des Saint Vincentais et Grenadins (utilisé par Nina Glick Schiller) aura mis en lumière l’intensification des pratiques sociales par-delà les frontières nationales (au sens territorial du terme). Ces pratiques sont alors traduites par la mise en place d’« agendas transnationaux » [Ibid. : 104] que l’on retrouve dans l’étude des organisations de migrants. Aussi le transnational permet-il de rendre compte des relations sociales qui se nouent entre origine et accueil. Plus concrètement, ce sont les projets et activités dits transnationales qui animent cet espace nouvellement désigné de l’entre-deux : le « twin involvment » [Ibid. : 118].

En résulte généralement une étude bi-polarisée des espaces de vies et des pratiques de mises en circulation des migrants. Les études s'appuient alors particulièrement sur les couples migratoires tels que Mexique/États-Unis, Maroc/France, Tunisie/France, Turquie/Allemagne même si les travaux tendent à suggérer, de plus en plus, des logiques de solidarités multi- polaires. Les productions scientifiques construites à partir d'études empiriques assoient la réflexion sur les processus de socialisation à l'œuvre à l'échelle transnationale qui combinent des acteurs migrants et non-migrants et qui permettent de produire des liens durables à travers les frontières nationales.

Les études sur le transnational sont également intéressantes dans la mesure où elles conceptualisent le lien entre le migrant et son pays d'origine. Les études révèlent en effet que le départ des migrants s'associe à une tendance des États à « embrasser » ses communautés expatriées. Il s'agit donc pour les pays de départ de prendre de nouvelles dispositions législatives et gouvernementales leur permettant de conserver symboliquement ces migrants dans la « nation ». La transnationalisation des politiques suggère par conséquent la redéfinition des fonctions de l'État et de son administration. Les chercheurs suggèrent donc

!

*"*!

rapidement deux volets de la transnationalisation : la transnationalisation par le haut, ou l'opportunité qu'ont les pays d'étendre leurs compétences à l'extérieur de leur frontières territorialisées ; et la transnationalisation par le bas, (désignées sous le terme de grass-roots activities) il s'agit de repérer les pratiques mises en place par les migrants. Cette conception duale connaît cependant de nombreuses critiques dans la mesure où elle garde une vision conteneurisée de l'État-nation. En s'attachant à l'étude des processus transcendantaux des espaces nationaux, l’échelle de réflexion risque alors de se figer sur la nation et de limiter les échelles d'observation.

3.1.2. La communauté multi-située de l'approche diasporique

Ramenée à sa signification grecque, dia speiro, diaspora est une notion héritée des textes bibliques. Une assise historique qui lui confère à la fois toute sa légitimité et qui la rend vulnérable puisque c’est dans le temps de son histoire que diaspora a évolué sémantiquement. L'évolution sémantique, caractérisée par la polysémisation de diaspora, se comprend par les différentes significations et acceptions du terme qui lui ont été conférées. Souvent, et contrairement à la signification de diaspora dans la Bible des Septantes, le terme est souvent associé aux termes de galuth et golah notamment dans les travaux adoptant une vision judéo- centrée. Dans ses écrits, Stéphane Dufoix [Dufoix, 2012] renvoie aux significations premières du terme qui sont : la terreur, le bannissement, la préservation et la semence. Ces deux derniers sens du terme, positivement connotés et qui conduisent à penser la présence nationale à l'étranger comme une ressource, sont à présent de plus en plus utilisés dans la littérature. Dans son acception contemporaine, diaspora prolonge l'idée que la nation, en tant que communauté imaginée, peut se reproduire en dehors de tout support territorial et œuvre donc en faveur d'une image a-territorialisée de la nation.

Si les perspectives contemporaines permettent d'envisager la diaspora comme une ressource désirable, on retrouve dans la littérature plus ancienne une perception négative de celle-ci. C’est le cas notamment chez William Cornelis Van Unnik, lequel associe la diaspora à la catastrophe. On identifie le même discours chez quelques auteurs contemporains, notamment dans les écrits de Gabriel Scheffer dont les travaux plaident en faveur d'une

! *""!

utilisation judéo-centrée de diaspora. L'ouvrage Diaspora Politics consiste alors pour Gabriel Scheffer à définir et circonscrire le champ lexical de diaspora pour le détacher de ses usages en sociopolitique [Scheffer, 2003]. Si diaspora reste un terme assimilé à la catastrophe de la dispersion chez de nombreux auteurs, d’autres comme Salomon Zeitlin insistent sur le volontarisme de l’acte, qui rend la conception du départ plus proche des migrations internationales. Zeitlin évoque ainsi une double connotation du terme, portant à la fois sur ceux qui ont été bannis mais aussi ceux qui se sont volontairement installés dans d’autres pays alors qu’ils avaient eu l’opportunité de rentrer dans ce qu’était alors la Judée.

« The word Diaspora does not mean forcible expulsion from the country but rather voluntary settling outside of the mother country », [Zeitlin,1943]91F

92

.

La notion de diaspora s'articule donc autour de l'idée du retour. Condition sine qua non de la réalisation de cette nation juive qui sans s’être intégrée aux sociétés de sa dispersion, s’est « associée » aux nations et a alors contribué aux avancées scientifiques majeures des XIXe et XXe siècles. L'idéologie du retour et la perspective de reconstruire une nation territorialisée sont alors les moteurs du maintien des solidarités qui se créent dans la dispersion. Cette conception État-centrée du lien diasporique, sera déstabilisée en 1948 lorsque de nombreux Juifs feront le choix de ne pas intégrer Israël. Finalement la deuxième moitié du 20e siècle va permettre à la notion de se forger sur une conception positive du lien entre un État existant et légitime et la population résidente à l'extérieur, notamment à partir des exemples Chinois et Indiens.

Définie depuis la Bible des Septante par sa relation avec le centre (l'État), diaspora s'est trouvée déstabilisée par les multiples significations qu'elle a pu revêtir. Pourtant aujourd'hui on constate que diaspora traduit de plus en plus une relation État-centrée avec les migrants internationaux. En effet, on peut observer que la conduite de projets et l'édition de nouvelles lois permettent de renouveler le lien État-migrant et recentrent le lien qui existe entre les communautés et l'État d'origine. La fabrique communautaire en migration par l'origine est alors symptomatique de l'extension hégémonique des États.

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

)"

a G#"%0,'"+$(+%#*$#6#(+0"'+=$(+(@0=/%#,$+6,'7A(+-(0=#%+/(+0"8%+->,'#*#$(+)"#%+0/=&X&+=$(+#$%&"//"&#,$+ .,/,$&"'#%&(+($+-(3,'%+-=+0"8%+->,'#*#$(!bC!R36O2N5@-.!O0!;P625023C!

!

*"#!

Depuis une image fortement négative, la notion de diaspora a évolué très fortement au XXème siècle et véhicule maintenant l'idée que les migrants peuvent être les vecteurs de profonds changements économiques et sociaux. Dans tous les cas c'est la capacité des diasporés à communiquer entre eux et à forger des espaces sociaux (construits sur une base identitaire) qui génère la production de communautés d'intérêts. En résulte des circulations. Celles-ci rendent visible, de plus en plus, le rôle joué par les gouvernements dans la production sociale en migration.

« La diaspora chinoise, comme les autres diasporas ; est un archipel de communautés dispersées et différenciées, parfois fortement, par les conditions de la migration et son évolution en fonction de chacun des contextes nationaux. Dispersées et différentes et pourtant reliées entre elles par des relations migratoires, économiques, affectives, informationnelles s’établissant sur la base d’un sentiment d’appartenance à un même groupe ». [Ma Mung, 2000]

Phénomène impensable par sa vastitude (Meyer, 2002 : 28), la diaspora prend corps dans la multiplicité et se bâtit sur les différences. Alors, dans ses études très détaillées sur les Chinois de l’extérieur ou overseas et particulièrement sur l’entrepreneuriat migrant, Emmanuel Ma Mung a mis au point une définition morphologique de la diaspora qui semble s’approcher des conceptions transcendantales courantes aux études sur le transnational. Afin de clairement différencier la diaspora d’une migration classique, il évoque alors deux paramètres incontournables pour la réalisation de celle-ci : la « multipolarité » et l’« interpolarité ».

« A l’échelle globale, le territoire de la diaspora est discontinu, constitué d’autant d’espaces disjoints qu’il y a de présence locale. Pourtant ces micro-territoires sont reliés entre eux d’une part au travers de circulations de biens, de personnes, d’informations […] bien réelles et d’autre part à travers la conscience diasporique ». [Ma Mung, 2000 :10]

Démunie de tout espace délimité lui appartenant, c’est la culture et l’intériorisation du soi, qui deviennent le socle de l’identité et font de la diaspora une entité au caractère extra- territorial. La diaspora comme entité qui a conscience d’elle-même, conscience de sa dispersion géographique, se conçoit alors comme une « organisation plutôt communautaire que nationale-territoriale » [Ibid. : 150]. Contrairement à ce que l'on observe dans la logique

! *"$!

État-centrée de la perspective transnationale, ici l'État évolue de manière à créer des espaces communautaires de dialogues et d'échanges. Il s'agit moins de contrôler la population expatriée que de veiller à son intégration au développement économique, politique et social national. On retiendra alors cet usage dans cette thèse. La production de nouveaux collectifs par l'initiative étatique trouve en effet une meilleure traduction dans le terme de diaspora que dans celui de transnational.

Aussi semble t-il préférable d'user du terme de diaspora et de son champ lexical pour l'étude de la fabrique du lien ethno-national et donc principalement pour l'étude des politiques de maintien du lien à distance, tel qu'on le retrouve généralement utilisé dans les écrits sur la migration qualifiée.