• Aucun résultat trouvé

3| Le passé : un temps mis « au présent » dans l’associatif migrant qualifié andin en Europe

3.1. Des solidarités contextuelles sur le déclin ?

Dans la littérature, il est vérifié que la production sociale en migration résulte de nombreuses contraintes, d’opportunités contextuelles ou structurelles, telles que la situation économique, sociale et professionnelle des migrants [Dumont, 2010, Smith 2003 ; Amelina et Faist 2008, Bosco, 2001, Massey et al. 1998]. On suppose par conséquent que la consolidation des réseaux se réalise en fonction des opportunités offertes, et/ou des contraintes rencontrées par les migrants pour pratiquer l’espace. C’est particulièrement aux conséquences sociales d’opportunités contextuelles que l’on s’intéressera ici. Les externalités positives, individuelles, dégagées par la poursuite d’études à l’étranger semblent en effet se traduire par la construction de collectifs professionnels de solidarité cherchant à avoir des

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

! "K&!

répercutions sur le développement des communautés professionnelles autant dans l’espace d’accueil que dans l’espace d’origine.

3.1.1. Le déclenchement des solidarités transnationales par la frontière sociale.

Les associations de professionnels migrants en Espagne prennent corps dans un contexte d’intégration pénible sur le marché du travail local (besoin d’homologuer son diplôme pour accéder au marché de l’emploi), produisant un tissu animé par l’entraide. Les périodes de plus forte activité des structures associatives (réunions plus régulières) concordent alors avec la nécessité qu’éprouvent les membres de bénéficier du soutien des autres (afin d’entreprendre ou poursuivre leur démarche d’homologation). On observe donc un partage des difficultés et de la douleur qui cimente contextuellement des solidarités interindividuelles. La limite est que, dans ce cas, il devient difficile d’envisager la poursuite des activités. Une fois l’obstacle dépassé et l’objectif atteint, les membres arrêtent de pratiquer l’espace associatif. Aussi, il semblerait au regard de certaines expériences que l’usage contextuel ne soit pas profitable à la pérennisation du tissu social, ce qui va dans le sens de l’hypothèse d’une « réduction de l’espérance de vie » des associations contextuelles. Bien entendu, l’effet de contexte ne peut être la seule raison d’un échec ou d’une baisse d’activité associative. Le manque de ressources, de concertation, d’échanges multilatéraux est également responsable du manque de diversification du noyau initial. En outre, la fidélisation est un effort malaisé à entreprendre, du fait qu’il faille concerter un plus grand nombre de membres (à mesure que l’auditoire s’agrandit).

Mais d’autres cas révèlent combien les solidarités contextuelles peuvent se maintenir, à l’état latent ou actif, et être bénéfiques sur le long terme à la constitution multi-située d’un groupe social. Les cas de la fédération des médecins péruviens, ainsi que celui des anciens étudiants en ex-URSS, illustrent notre propos. Dans ces deux cas, c’est l’existence de

contraintes à l’origine qui est productrice de mobilités internationales lesquelles ont cimenté à leur tour des solidarités contextuelles (absence ou accès difficile à la formation).

!

"K"!

solidarités. Dans leurs cas, ce sont des opportunités qui conditionnent la solidarisation et la socialisation des migrants.

Au regard de l’espace d’accueil (temporaire ou définitif, présent ou passé), on peut donc différencier les « solidarités d’opportunités » des « solidarités de contraintes ». Dans le cas des solidarités d’opportunités, les externalités tirées de la solidarisation se font aux échelles collective, individuelle, interindividuelle et interinstitutionnelle. A l’inverse, on attend des solidarités de contraintes d’en retirer un bénéfice individuel. Toutefois, une fois le problème résolu, la solidarité est mise en danger.

Cette section rendra compte de deux exemples de solidarité d’opportunités. Ces exemples, qui devront postérieurement nous renseigner sur le maintien dans le temps des solidarités, permettront d’interroger à nouveau les questions d’identités très discutées dans le champ des migrations internationales (Diaspora, Transnational). En associant les parcours associatifs aux contextes politiques des pays d’accueil et d’origine, l’étude d’espaces sociaux issus de champs migratoires révolus devra mettre en lumière le rôle central des institutions gouvernementales dans la production diasporique, impliquant alors de décentrer l’acception de la diaspora et d’en faire une catégorie pratique.

Extrait d’entretien n°6 : 60E2%E#%0& /K%>& ^_`M& & ;R=R2/E#@0&

Q/E#@0/<%&=%$&1R=%>#0$&7R2"K#%0$M&(:&W"#0&+:-:L&

X^_!#! L&'+! >11(C&-+! G! )>! 0(-! 7'! ,;,)*! 7*! -&.1*! C(*! >,.(C*E! )*! 1*/&+! >11(C*! 5>(+ 7*+! >,.(C(.6+! +'1K(++*-.E! *. ,&-.(-'*1&-.! G! +'1K(1!*.!-&'+!7*C1&-+!;!0>(1*!0>,*2!`>(+!)*!,;,)*!7*!,*!,&))*,.(0! *+.! *-! .1>(-! 7*! +86.*(-71*2! L&'+! >C&-+! B*+&(-! 7*! F*'-*+2! L&'+! >C&-+! B*+&(-! <'8()+! /1*--*-.! >,.*! 7*! )8(7*-.(.6! 7*! ,*..*! >++&,(>.(&-! *.! <'8()+! ,&-.(-'*-.! >C*,! )8(-01>+.1',.'1*! <'*! -&'+! >C&-+! 5(+*! *-! /)>,*! *.! <'8()+! 0>++*-.! >C>-,*1! ,*! K1&'/*E! />1,*! <'*!/&'1!-&'+!,8*+.!B(*-.H.!0(-(2!\-!/1*-7!-&.1*!1*.1>(.*2!

! "K$!

3.1.2. Les solidarités d'opportunité : Le cas péruvien en Espagne

Le cas de la fédération des médecins péruviens en Espagne (FNMPE), dont les activités ont été étudiées au cours de ce doctorat, est une illustration des conséquences que peuvent avoir les opportunités de nature contextuelle. C’est en profitant de la situation économiquement favorable en Espagne (au regard des Péruviens), dans le contexte d’après- guerre, que les jeunes Péruviens étudiants en médecine sont allés poursuivre leurs études dans la péninsule. Des solidarités se sont tissées alors par le partage d’une expérience migratoire similaire et par un même intérêt envers leur pays d’origine. Ainsi, jeunes et en quête d’une formation indisponible dans leurs pays128F

129

, nombreux sont ceux à avoir quitté leur Pérou natal pour partir vers l’Espagne à la découverte d’un continent jusque là inconnu. Des voyages initiatiques en bateau, pour certains, ont permis de cimenter des liens sociaux très forts et que l’on retrouve aujourd’hui encore. Mais si ce réseau de médecins a été actif sur la deuxième moitié du 20e siècle, les acteurs vieillissants du réseau peinent à trouver la relève129F

130

. Cette micro-communauté professionnelle est en effet « à part » dans l’associatif migrant qualifié, car elle ne semble pas s’être construite uniquement sur la base d’une identité nationale forte. Le socle social est en effet celui du microcosme dans lequel les étudiants évoluaient alors. Toutefois, l’intégration d’une nouvelle génération semblant compromise, la fédération et les associations paraissent désormais condamnées à s'essouffler.

On comprend donc ici que les conditions initiales de socialisation, qui n’ont plus cours aujourd’hui, ont cimenté une socialisation que l’on pourrait qualifier de « contextuelle ». Comment alors cette socialisation a-t-elle pris ? Comment les relations sociales ont-elles évolué ?

Extrait d’entretien n°7: 60E2%E#%0& /K%>& ]LM& ?%=& =%& P%=#>@$&

a#$7/0@BI%2"/0@$M&F#1/M&-4&W"#0&+:--L !"#$%&"&$''(&")*+,-&".*+"+(/,+(+"0"123/-4(+&-,5".25,*-,"-')$&&-61(7""81" 9*11*-,"*4$-+"%/")*++*-/":" !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! 129!';/)!2,9!./,91:;-9!2,!/%'(+%&".1*%&%&!1)B9!*:<:1@P!*+(88B9!Z!*(!D;)<(1:;-!@1(:1!./(9:<,-1!:-(88,99:R*,?! "%&!![,*;-!*,!A)@9:2,-1!2,!*(!W4d'5P!(/!<;<,-1!2,!*+,-1),1:,-P!*,9!<,<R),9!(/)(:,-1!,-1),!J&!,1!K&!(-9?!

!

"K%!

Dans les années 1960, la restriction à l’entrée en faculté de médecine au Pérou, impose à ceux qui sont dépourvus de réseau de quitter le territoire national pour aller réaliser leurs études à l’étranger. C’est alors que certains partent suivre leur formation de médecine en Espagne, à Madrid et dans d’autres grandes villes, principalement à l’aide de leurs propres moyens.

La première étape :

Très rapidement, les solidarités se sont constituées autour d’un premier tissu associatif aidé par le gouvernement espagnol (Centro Hispano-peruano). A ce stade, ce sont les étudiants qui s’organisent dans les villes d’installation. S’il s’agit quasi-exclusivement d’activités culturelles (28 Juillet, Noël etc.), elles permettent à ces jeunes Péruviens de mieux se connaître entre eux (à l’échelle de la ville, voire du territoire national). La multiplication des noyaux d’activités à l’échelle locale tisse finalement une toile sur l’ensemble du territoire espagnol. Si ces associations sont aujourd’hui oubliées de la « toile », elles ont cimenté un réseau national de médecins qui demeure jusqu’à aujourd’hui130F

131

.

La deuxième étape :

À partir des années 1980, les associations, telles qu'elles existent aujourd’hui, se sont constituées à mesure que les médecins péruviens terminaient leurs études et prenaient leurs postes définitifs. C’est donc à partir des années 1980 que les associations de médecins se constituent dans plusieurs communautés autonomes d’Espagne : Catalogne, Aragon, Andalousie, Canaries, Leon, et Valencia131F

132

. Il s’agit alors de continuer l’initiative qui était portée par les associations d’étudiants jusque là (et qui prennent fin avec la naissance de cette deuxième génération associative132F

133

). Cette fois, il s’agit de porter des projets porteurs de développement (transfert de matériel, de connaissances…). Le développement sur l’ensemble

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

"%"

!!L-!)@9,(/!1)(-9-(1:;-(*!9+,91!;)=(-:9@!=)O8,!(/G!<@2,8:-9!A@)/M:,-9!),91@9!,-!59A(=-,!,1!;)=(-:9@9!A()!*(! D@2@)(1:;-! 2,! <@2,8:-9! A@)/M:,-9! EW4d'5HP! ,1! *,! )@9,(/! 2,! <@2,8:-9! s:9A(-;YA@)/M:,-9! ./:! 9+;)=(-:9,! 2,A/:9!*,!'@);/!,1!A()1:8:A,!(/G!(81:M:1@9!2,!*(!W4d'5?!

"%$!! S/Q;/)2+C/:P! *(! A;A/*(1:;-! 2,! <@2,8:-9! A@)/M:,-9! ,-! 59A(=-,! ,91! ,91:<@,! Z! K&&! E),8,-9,<,-1! 2,! $&&J!

(/A)B9! 2,9! 8C(<R),9! 2,! 8;<<,)8,9H?! V,11,! 2;--@,! ,91! :99/,! 2,! *+,-1),1:,-! (M,8! *,! A)@9:2,-1! 2,! *(! D@2@)(1:;-!,1!-+(!A(9!A/!01),!M@):D:@,?!!

"%%!! e+/-,! A()1P! *,9! @1/2:(-19! ,-! <@2,8:-,! 1,)<:-,-1! *,/)9! @1/2,9! 2;-8! 9+:-M,91:99,-1! 2(-9! /-,! (81:M:1@!

(99;8:(1:M,! 2,! -(1/),! A*/9! A);D,99:;--,**,?! e+(/1),! A()1P! *+()):M@,! 2+@1/2:(-19! M(! 9,! 1():)! (M,8! *(! <:9,! ,-! A*(8,!2,!-;/M,(/G!,G(<,-9!Z!*+,-1)@,!,-!59A(=-,!Z!*(!D:-!2/!)@=:<,!D)(-./:91,?!!

! "K#!

du territoire espagnol de ces associations culminera par la création, dans les années 1990, de la fédération nationale qui s'appuiera alors sur tout le réseau national133F

134

. Les années 2000 à 2010 ont été particulièrement actives pour la fédération puisque pendant cette période les médecins organisent annuellement des colloques134F

135

, soit en Espagne soit au Pérou renforçant les échanges transnationaux de connaissances.

Un devenir en suspend :

En 2011, la fédération révélait ses premières faiblesses, lors de l’organisation de la 10e rencontre nationale des médecins péruviens « convention ». Les entretiens révélaient des conflits entre les associations lesquelles n'arrivaient pas à s'entendre quant à l’organisation de l’évènement. Pourtant l’initiative perdure. Si le site web de la fédération a été supprimé, les rencontres ont cependant toujours lieu et semblent se poursuivre encore. Il faut noter toutefois que des liens semblent distendus entre certains nœuds du réseau. En effet, lors de la 10e convention qui se déroulait à Sitges, où je faisais partie de l'assistance, les intervenants étaient majoritairement résidents en Catalogne. De même, la 11ème édition concentrait des intervenants venant des Canaries (Tenerife), León et Lima. On constate généralement l'absence de médecins installés à Madrid. Celle-ci s’explique par l’inexistence d’une association de médecins péruviens dans la capitale. En effet, les médecins à Madrid ne semblent pas vouloir intégrer le réseau national comme l'ont fait leurs compatriotes. Ceci s’explique principalement par l’existence d’une autre structure associative de notre corpus, qui fédère des migrants de différentes professions et qui s’organise en plusieurs groupes de travail en fonction de leur profession « API ».

On constate que les organisateurs et les principaux contributeurs ne parviennent pas à renouveler l’association et laisser la place à une nouvelle génération de médecins. La période d’émigration majeure est en effet révolue et il est difficile de gagner la participation de nouveaux membres. En revanche, c’est grâce à l’organisation tous les deux ans de la « convention » au Pérou que les médecins péruviens installés en Espagne revoient leurs

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! 134!!!!^,9!2(1,9!9;-1!(AA);G:<(1:M,9!,1!:99/,9!2+,-1),1:,-9?!! "%I!! '()!,G,<A*,P!,-!$&&K!(!,/!*:,/!/-!8;**;./,!Z!3./:1;9!(/!'@);/!)(99,<R*(-1!2,9!9A@8:(*:91,9!A@)/M:,-9!M,-/9! 2,! 1;/1,! *+59A(=-,! (D:-! 2,! 2;--,)! 2,9! 8;-D@),-8,9! 9/)! *,9! 9/Q,19! 9/:M(-19!`! D)(81/),9! D(8:(*,9P! C@A(1:1,P!! 9(-1@! <,-1(*,! ,1! A(/M),1@P! )@(-:<(1:;-P! 9F91B<,! 2,! 9(-1@! ,9A(=-;*P! <(*(2:,9! -,/);*;=:./,9! 8C,b! *,9! <:=)(-19!,-!59A(=-,P!2@A),99:;-!8C,b!*,!A(1:,-1!!<:=)(-1!,18?!!

!

"KI!

confrères installés (et surtout retournés) dans leurs pays d'origine135F

136

. La dimension transnationale est par conséquent vérifiée et la structure associative semble avoir survécu aux solidarités de contexte ; d’abord, grâce à la volonté de garder des liens forts entre ceux restés en Espagne et ceux rentrés au Pérou et grâce, ensuite, à l’institutionnalisation des liens sociaux interindividuels et inter-organisationnels. Vieux de quarante ans, ce tissu associatif perdure.