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1| Redéfinir l'espace des sociétés

1.3. Every One Count 56F

Aujourd’hui, par le phénomène des migrations internationales, les cultures entrent en contact. Les frontières internationales se redessinent dans les échelles locales, procédant à la séparation sociale voire physique des populations selon leurs origines ethniques telle que Kevin Lynch [Lynch, 1960] et Mike Davis [Davis, 1990] la décrivaient en avant-garde pour les villes de Californie aux États-Unis. Mais si, parfois, les appartenances nationales dessinent des lignes de partage à l’échelle locale, il en va d’une autre réalité à l’échelle internationale. Les frontières sont transcendées, dépassées, deviennent floues et sont de plus en plus souvent contournées, bravées. Les frontières sont pourtant de plus en plus dures à franchir : dans

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l'Union Européenne57F

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, on note un contrôle accru des flux (priorité 1), une surveillance communautaire des frontières par patrouilles (priorité 2), une généralisation des visas (priorité 3) ainsi qu’une mise en commun des informations par Système d’information communautaire (priorité 4). Mais si les frontières sont de plus en plus imperméables, si des murs s’érigent (Ceuta, Melilla, Mexique/États-Unis etc.), les effets de contournements se multiplient grâce aux communications établies entre les migrants et leurs familles dans les lieux d'origine. Les communications transnationales, telles qu’elles ont été envisagées par Manuel Orozco dans ses travaux sur les migrants latino-américains aux États-Unis58F

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, sont révélatrices du maintien du lien à distance permis par les flux d’informations. Ainsi, 61% des Dominicains, 55% des Équatoriens et 39% des Colombiens [Orozco, 2005] appellent leur famille au moins deux fois par semaine. A ces communications dites transnationales, car hors du cadre de la nation, s’ajoutent des activités transnationales telles que les activités des clubs de migrants et/ou associations. Ces liens transnationaux sont alors perçus comme les producteurs d’un monde sans frontière qui tend soit à déstabiliser l'État, soit à le mettre sur la voie du développement économique, technologique, humain, social, politique etc. Dans notre recherche ce rapport au cadre national et aux frontières nous interpelle. De toute évidence le sans-frontiérisme a ses propres limites, mais il est indispensable d’évaluer ces constructions sociales qui transcendent les frontières, qui en produisent de nouvelles et qui se servent d’elles aussi.

1.3.1. Un monde post-national ?

Située dans un monde post-national et diasporique, la pensée d’Arjun Appaduraï montre bien les difficultés de se défaire du cadre national comme cadre de pensée, qui s'est longtemps imposé dans la littérature. Pourtant, les ethnoscapes, ou paysages « d’identité du groupe » sont, selon le sens qu'Appaduraï leur confère, construits dans le but de libérer l’identité du cadre spatialement limité et ethniquement homogène des groupes. C’est pourquoi Arjun Appaduraï s’interroge sur le lien qui existe entre post-nationalité et transnationalisme. Les contestations à l’encontre des État-nations prises ainsi en compte, il déduit alors une

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« ethnicité moderne » qui s’oppose à la dialectique interne/externe. Il envisage en effet la fluidité dans la construction moderne de l’ethnicité. Celle-ci se lit au travers du passage de la nation à la « transnation » et de son attachement à la production de la localité hors de l’espace et des échelles géographiques. L’État territorial s’érode au profit d’une nation sans limite alors même que le contexte laisse penser à une grande déstabilisation de l’État-nation en raison du contexte géopolitique actuel. Opérant socialement hors des limites territoriales des États, les ressortissants nationaux sont en effet (parfois) perçus comme des individus qui mettent à mal la souveraineté des États par des loyautés revisitées, et qui les forcent à revoir leurs stratégies nationales. Les réflexions d'Appaduraï conduisent donc à voir dans la reconstruction du social à l'étranger un processus de déterritorialisation, qu'il conçoit comme le résultat de « vies imaginées dans de vastes panoramas internationaux mais aussi nationaux, régionaux » [Appaduraï, 2005 : 108]. Pourtant les usages de cette notion se révèlent hétérogènes. En effet, même si Appaduraï décline une vision héritée du rhizome de Deleuze et Guattari, il ne va pas jusqu’à ériger une vision centrée des communautés dispersées. Or, dans une perspective transnationaliste, on retrouve dès les années 90 une vision des relations sociales centrée sur les États d'origine des migrants puisque c’est directement l’espace national qui est déterritorialisé par l’action des dirigeants politiques [Glick Schiller et al., 1994 : 125] qui considèrent le migrant comme un membre permanent de la nation :

« The construction of the deterritorialized nation-state is wrapped in expectations that the emigrants have continuing obligations to these states »59F

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. [Ibid. : 128]

Cette tendance des États implique alors l'érosion de la frontière entre politique intérieure et politique extérieure [Ostergaard Nielsen, 2001]. Les exemples révélateurs de l'incorporation physique des migrants dans l'enceinte administrative de l'État sont nombreux : l’image du dixième département d’Haïti est fortement éloquante60F

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. Ce département marque, en effet, l'effort de gouvernance au-delà des frontières nationales et de l'effort de reterritorialisation des migrants dans une entité administrative fictive.

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La nation garde une place privilégiée dans le courant des transnational studies et particulièrement dans les études anglo-saxonnes. Dans celles-ci, le cadre territorial de la nation est utilisé comme support de la réflexion. Quant aux travaux français, ils n'ont pas récupéré ce penchant nationaliste dans l'étude des migrations internationales. Ils ont en revanche contribué à identifier, par l'étude des transferts matériels et immatériels des migrations internationales, des changement sociaux et territoriaux qui documentent de nouvelles pratiques spatiales et de nouveaux modes de vies multi-situés. Cette opposition mérite bien sûr que l'on s'attarde particulièrement sur l'importance du nationalisme dans le discours anglo-saxon et sur la manière dont, aujourd'hui, les chercheurs préviennent des dangers du « nationalisme méthodologique ».

Cette mise en garde, développée notamment par Ulrich Beck en 2000, résulte de l’importance donnée à la dichotomie entre l’État-nation et les niveaux internationaux, multinationaux, et surtout transnationaux. Dans le même temps, en anthropologie, Glick Schiller revenait elle-même sur cette réification des espaces nationaux, si courante dans les travaux des transnational studies [Glick Schiller, 2000]. Ces préoccupations récurrentes arrivent à un moment où l’on prend conscience que cette vision centrée, focalisant sur l’origine et sur la dichotomie dedans/dehors, a conduit à essentialiser l’appartenance à une société et à déduire que sur un espace géographique un seul espace social pouvait s’y trouver [Pries, 2002].

On retrouve alors, comme dans les travaux sur les diasporas, la préoccupation du lien centre/périphérie. En effet, l'idée de la déterritorialisation que l'on peut lire dans les travaux de Robin Cohen et qu'il justifie par le caractère post-moderne des diasporas (cross-polinating diasporas) revêt une double dimension. Ces deux dimensions, qui répondent du contexte de la mondialisation, sont verticales et horizontales : la dimension verticale est celle qui émane du pouvoir des États-nations. La deuxième, horizontale, est permise par les interactions sociales qui prennent place dans des communautés d’intérêt. En cela réside alors, peut-être, l’explication de l’enchâssement entre diaspora et transnational, les deux termes portant l’ambigüité même du rapport centre/périphérie.

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1.3.2. Gouverner au-delà des frontières

Parce que les migrants internationaux représentent plus d'habitants que n'en compte le Brésil, leurs pays d'origine ont tout intérêt à prendre en compte l'influence que peuvent avoir ces citoyens d'outre-mer. C’est pourquoi les politiques publiques s’orientent de plus en plus vers une redéfinition de la dynamique relationnelle qu’ils entretiennent avec leurs ressortissants à l’étranger [OIM, 2005 ; Gamlen, 2010]. Ayant pris leur essor à partir des années 1990, les politiques d’attention envers les expatriés se sont rapidement généralisées. Ce sont notamment des constructions symboliques qui ont pris place, laissant paraître un État « hors les murs » [Dufoix et al., 2010]. À l’image de la communauté imaginée, la nation tend à se construire sur une « communauté politique », celle qui s’exprime par la citoyenneté et donc l’appartenance [Brubaker, 2005] quel qu'en soit le cadre territorial. Cette communauté qui ne se matérialise pas à l’intérieur de frontières étatiques se caractérise donc par sa fluidité et son a-territorialité, prémisses d’un État-réseau [Halary 1994]. Cette dynamique relationnelle peut prendre plusieurs formes. S'il s'agit souvent d'une incorporation politique des migrants en leur octroyant le droit de vote, il peut s'agir également, comme nous l’avons vu pour Haïti, l’Uruguay, l’Argentine et le Chili, d'une extension territoriale symbolique. C'est en cela que l'on comprend les analyses de Glick Schiller et al. [Glick Schiller et al., 1994] qui évoquent l'hégémonie étatique qui transcende les frontières nationales-territoriales par le phénomène de déterritorialisation. Cette politique du lien passe alors par : l’extension de la citoyenneté, le vote à l’extérieur et/ou la mise en place d’organes de représentation à l’étranger, du moins uniquement à destination des expatriés. Outre l'extension hégémonique d'un État, l'incorporation politique des migrants dans le cas des exilés semble un exemple intéressant d'une transition démocratique amorcée [Baeza, 2010]. Dans les années 1990, les politiques publiques veilleront à faire fonctionner des institutions de représentation des expatriés et à mettre en place une série de dispositifs institutionnels (Dicoex, 14e département chilien) favorisant le retour des exilés politiques [Bolzman, in Fibbi et Meyer, 2002]. On estime aujourd’hui à 30% le total des exilés retournés après la dictature au Chili alors qu’ils étaient plus d’un million à être partis pendant la dictature [Chile-America, 1977 : 108]. Ces initiatives ne sont pas isolées, on retrouve également cette conception a-territoriale de la nation en Argentine, pays qui se distingue pour le programme « Provincia 25 » ou encore au Mexique. En 2000, lors de sa candidature à l'investiture présidentielle, Vicente Fox est amené

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à inclure les expatriés dans la population mexicaine à gouverner. Il se réclamait alors le futur président de 118 millions de Mexicains [Vertovec, 2004].

Les réalités postmodernes imposées par la globalisation mettent en péril la souveraineté des États, autant qu’elles la renforcent. En effet, jamais de si nombreux pays n’ont eu autant de citoyens résidant à l’étranger qu’aujourd'hui. Les discours prononcés en faveur des expatriés produisent alors une rhétorique nouvelle, celle d’un État-nation re- territorialisant ses ressortissants pourtant en dehors des frontières nationales territoriales dans un « espace national transétatique ». En revanche, les politiques d’appartenances, « du lien », sont à dissocier des politiques de « retour », l’une se caractérisant par une empreinte hégémonique au-delà des frontières, l’autre se caractérisant par une incitation au retour des expatriés, qu’il soit définitif ou envisagé de façon plus temporaire. Cette dissociation peut être également réalisée par l’étude des politiques de « séduction » des expatriés qualifiés dans les pays en développement. Aussi est-il nécessaire d’analyser diachroniquement l’évolution des stratégies de mise en culture des liens entre les États et leurs expatriés.

De plus en plus, les États souverains prennent conscience du potentiel économique que représentent les expatriés installés à l’étranger et qui travaillent dans des firmes multinationales, des laboratoires de recherche d’excellence et autres entreprises privées de renommée internationale. Car si les États s’engagent dans des politiques de re- territorialisation c’est que des intérêts économiques s’en dégagent. Alors, dans l’exercice du pouvoir hors de leurs frontières, la constitution d’un lien affectif fort entre l’État et les expatriés semble être un préalable aux « retours ». Elle est du moins un élément essentiel dans l'adoption de politiques qui font la part belle à l’affectif en espérant le conjuguer à l'effectivité du retour migratoire. Il s'agit par conséquent de rendre possible toutes les formes de retours en rendant le(s) migrant(s) sensibles à l'ambition de développement économique, politique et social de leur pays d'origine. La mobilisation se fait donc en inculquant des valeurs de solidarité auprès des migrants qui résident à l'extérieur. C'est l’axe central des « diasporas strategies » [Gamlen 2011, 201261F

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; Larner 2007 ; Vertovec 1997, 2005]. Désignées par Larner comme une institutionnalisation de la globalisation, les diasporas strategies sont la conséquence directe d’une tentative de récupération par les pays du Sud des ressources dont

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ils disposent par l’intermédiaire de leurs expatriés. Le transfert technologique et le développement peuvent prendre un autre chemin : celui d’une co-opération États-migrants- institutions qui était jusqu’alors inexistante. L’État-réseau dessine la configuration actuelle des liens tissés par les pouvoirs politiques. La surface n’est plus, elle est remplacée par des nœuds et des liens. On envisage donc une géographie des liens et des liants, de la connexion et des échanges.

Mais si ces réalités sont d'apparence « post-modernes » il n’en reste pas moins que les États ont mis ou mettent en place des organes bien concrets de représentation des migrants.

Au cours des dix dernières années, nombreux sont les pays qui ont engagé des stratégies de mise en culture du lien ou de retour des migrants, toutes caractérisées par une extension hégémonique de l’État hors du territoire national : au Chili, avec la Dicoex (Direction pour les communautés chiliennes de l’extérieur) instituée en 2001 ; le Mexique, dispose du Conseil National des Communautés Mexicaines à l’Étranger (CNCME) et de l’Institut des Mexicains de l’Étranger (IME) depuis le gouvernement Fox ; tandis que l’Uruguay a mis en place des Conseils consultatifs. En Équateur, le SENAMI (Secrétariat national des migrants) tient un rôle complémentaire aux consulats et ambassades. Enfin, au Pérou, les Conseils de consultation ont été instaurés pour répondre aux besoins des PEX (Péruviens à l’extérieur)62F

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. Tous concourent ainsi à l’extension du pouvoir des États en dehors de leurs frontières et au renforcement des liens à distance. Le migrant se trouve ainsi dans une position de « semi-extériorité » [Meyer, 2003 : 15]. Cette institutionnalisation du lien est concomitante à l’intérêt grandissant des pays d’origine envers les communautés constituées à l’étranger. Le cas mexicain en témoigne, puisque c’est le désir de renforcer les institutions non gouvernementales localisées aux États-Unis qui a motivé la création du CNCME (Conseil National des Communautés Mexicaines à l'Étranger) [Moctezuma, 2004]. Car le migrant est un nouvel ambassadeur pour le pays d’origine. Apte à mobiliser les ressources dans son espace de vie et apte à les mettre en circulation, il peut fonctionner comme un « marginal sécant ». Ce terme commun aux sociologues et recontextualisé par Jean-Baptiste Meyer dans le cas des diasporas strategies [Fibbi et Meyer, 2002 : 14] s’adapte

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parfaitement à la situation dans laquelle se trouvent les expatriés. Par leur expérience de plusieurs espaces, les migrants sont à même d’identifier les opportunités et les manques sur un ou plusieurs territoires. Ils développent ainsi une forte propension à être entrepreneurs [Granovetter, 1973].

Depuis les années 1990, ces deux formes d’implication des expatriés se sont démocratisées et de plus en plus d’États permettent la participation aux élections depuis l’étranger et reconnaissent alors leurs migrants qui redeviennent avant tout des citoyens.

1.3.3. La diaspora au service des États

Panser la fuite des cerveaux

Il est certain que les diasporas strategies ne sont pas uniquement un fait caractéristique des pays du Sud. L’Écosse, l’Irlande, la Nouvelle Zélande sont parmi les pays industrialisés qui tendent à conforter leur présence à l’étranger afin d’obtenir une implication plus forte des expatriés : GlobalScot, Agency for the Irish Abroad, et la campagne « Every one counts » en 2006 en Nouvelle Zélande [Larner, 2007] sont des marqueurs de ces ambitions territoriales venues du Nord. Toutefois, l’intérêt d’étudier ces stratégies dans les pays du Sud réside dans le lien de corrélation direct qui est établi avec le développement. Liées à un nouveau modèle économique appelé « économie de la connaissance », les stratégies de diasporas revêtent alors une importance toute nouvelle : renverser la tendance du Brain drain en Brain Gain.

« Diaspora strategies do not mobilize self-evident groups of people who have already organized themselves according to their countries of origin. Rather, they are a new way of thinking about populations made manifest in the relatively recent ‘discovery’ of expatriate populations by a range of governments, the development of diaspora strategies as a means of accessing new economic opportunities and skills sets in the context of a knowledge-based economy, the efforts of demographers and other social scientists to identify and count

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offshore citizens, and the proliferating techniques such as web-pages, databases, networking and events through which high-skill expatriates are being mobilized. » 63F

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[Larner, 2007: 334]

Larner, qui évoque un changement conjoncturel, celui d’un nouveau modèle économique, en déduit une nouvelle rhétorique issue de la « découverte » récente des expatriés par les gouvernements des pays d’origine. On entend ici, « exploiter » la présence du migrant en ponctionnant dans le « vivier » de qualifiés vivant à l'étranger64F

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. Cette pratique rappelle ce que Biao Xang qualifie de Body Shopping65F

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[Biao Xiang, 2007]. La mobilisation de la force de travail, capital immatériel indissociable de l’innovation, s’inscrit dans le tournant néolibéral des politiques économiques. Aussi, la mobilisation de la force de travail à l’échelle de la diaspora répond du besoin de renforcer la compétitivité nationale et/ou locale. C’est pourquoi, la gouvernance de l’innovation se double aujourd’hui de politiques diasporiques [Larner 2007, Gamlen 2011]. Cette quête aux qualifiés expatriés, qui révèle les stratégies d’innovation des États au moyen d’un consensus qui s’établit avec les Universités et les entreprises [Douglas, 2007], est aujourd’hui rendue possible par l’entrée du monde dans l’ère des nouvelles technologies de l’information et des communications, condition essentielle du maintien des liens affectifs et effectifs à travers les frontières nationales [Barré et al., 2003].

L’intérêt se porte donc « naturellement » vers les expatriés qualifiés, les mieux placés pour être érigés au rang d’ambassadeurs et les mieux placés pour intervenir technologiquement dans le pays d’origine. Les pays en développement souhaitent mettre un point final à l’évasion des plus qualifiés, et donc, mettre fin à la déconcentration du capital humain, au moment où la concentration de celui-ci n’a jamais été si importante [DATAR,

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2010 ; Papademetriou et Sumption 2013]66F

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. Concernés alors par la fuite des cerveaux, ou Brain Drain, de nombreux pays sont déterminés à inverser la tendance.

En Chine, après avoir mis en place dans les années 1960 des « scientists pool » (viviers de scientifiques), la question des expatriés qualifiés, qui ne reviennent pas au pays après s’être formés à l’étranger s'est installée de nouveau dans la politique extérieure du pays. Cette économie du talent est parfois remise en question67F

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[Xiang Biao, 2007], d'autant plus que l’emploi privilégié d’expatriés peut se faire au détriment de scientifiques formés sur place. Mais l’intérêt pour les expatriés ne se construit pas nécessairement autour du retour physique. Les OCP, ou Overseas Chinese Professionals, estimés à près d'un million, sont des partenaires économiques privilégiés pour l’internationalisation de l’économie chinoise et la récupération des savoirs étrangers (knowledge transfer). Cette population est donc envisagée comme le premier partenaire à l’international au risque de l’instrumentaliser. Pourtant, il peut s'agir d'une demande des migrants eux-mêmes. Le cas uruguayen illustre cette demande par le bas : à la demande des migrants qualifiés en France, l'Uruguay a mis en place une politique diasporique à la fin des années 1980 [Lema, 2003 ; Lozano G. 1995 ; Lozano G. 1998]. Ainsi PEDECIBA (programme de développement des sciences) s’appuie sur les réseaux d’Uruguayens à l’extérieur [Meyer et al., 2008 ; Barreiro Diaz et Velho, 1998 ; Pellegrino et Cabella, 1995].

D'autres cas sont bien connus en Amérique Latine. On compte le cas de l’Argentine qui a mis en place, au travers du CONICET68F

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, une stratégie de récupération du talent expatrié dès les années 1970 et qui se complète en 1990 par la mise en place du Programme de mise en lien des scientifiques et techniciens résidents à l’extérieur (PROCITEX). La Colombie également, dans les années 1990, a mis en place le réseau Caldas en s’appuyant sur des