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I. Dynamique des relations fraternelles

I.1. La dimension verticale

Les relations fraternelles ont dans un premier temps été étudiées dans une approche psychanalytique. Dans cette approche, elles sont analysées dans leur dimension verticale c’est-à-dire comme dépendante des relations parents-enfants et décrites sous les termes de complexes et de conflits.

I.1.1. Le complexe fraternel

Le complexe fraternel constitue l’un des fondements des relations fraternelles dans leur dimension verticale puisqu’il est rattaché au complexe d’œdipe et à la relation parents- enfants. Il trouve ses origines dans le fait que l’aîné considère son cadet comme un rival dans le désir de s’accaparer l’amour et l’attention des parents (Freud, 1916 ; Zaouche Gaudron, 2010). Le complexe fraternel se rapproche du complexe d’œdipe par l’ambivalence des désirs qui l’alimente. Selon Gayet (1993), il conjugue un désir de séduction et un désir de destruction. Le désir de séduction renvoie à un inceste fraternel dans lequel le couple infantile prend le couple parental pour modèle. Le parent dominant devient le modèle de l'aîné et le parent dominé celui du cadet. Le désir de destruction se traduit par une agressivité de l'aîné envers le cadet. Mais à la différence du complexe d'œdipe, le complexe fraternel porte

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souvent sur la même personne. Il est dyadique et non triadique. Chaque frère et chaque sœur est pris individuellement comme objet du complexe (Gayet, 1993).

Le complexe fraternel est avec le complexe de sevrage et le complexe d’intrusion les trois complexes familiaux définis par Lacan (1938). Ces trois complexes sont imbriqués dans les relations fraternelles en ce sens que le complexe de sevrage et le complexe d’intrusion sont importants dans le développement du complexe fraternel. Le complexe fraternel repose sur l'intrusion du cadet dans la relation entre l'aîné et les parents, décrite par Lacan (1938) dans le complexe d'intrusion. Il « représente l'expérience que réalise le sujet primitif, le plus souvent quand il voit un ou plusieurs de ses semblables participer avec lui à la relation domestique, autrement dit, lorsqu'il se connaît des frères » (op.cit., 35). Il est donc vécu par l'aîné traumatisé par l'arrivée de son frère. En effet, le narcissisme infantile conduit l'aîné à exiger l'exclusivité de l'amour parental; il ne peut accepter qu'un autre devienne, à sa place, l'objet de cet amour (Gayet, 1993).

En outre le complexe fraternel est influencé par l'âge, le niveau de maturité affective de l'aîné et la phase à laquelle il se situe dans ses relations avec les parents. En effet, Le moment de l'intrusion du cadet détermine sa signification pour l'aîné et les manifestations du complexe fraternel. Si le sujet est « surpris par l'intrus dans le désarroi du sevrage, il le réactive sans cesse à son spectacle; il fait alors une régression » (Lacan, 1938, p 47). L'aîné revit la situation de sevrage et devient jaloux et agressif. Pour Lacan (1938), ce processus passe par une identification au nouveau né. Si au contraire, l'intrus ne survient qu'après le complexe d'œdipe, « il est adopté le plus souvent sur le plan des identifications parentales, plus denses affectivement et plus riches de structure » (op.cit., 47). L'effet est alors différent : le frère n'est plus pour l'aîné un obstacle ou un reflet, mais « une personne digne d'amour ou de haine. Les pulsions agressives se subliment en tendresse ou en sévérité » (op.cit., 47).

Ces complexes au-delà de leurs aspects conflictuels sont structurants pour le sujet. L’agressivité de l'aîné envers le cadet, lié au désir de destruction, va être réprimée par les parents. La répression parentale accentuera la peur des représailles puis le sentiment de culpabilité, lorsqu'un niveau suffisant de maturation affective sera atteint. La culpabilité se développe progressivement avec le développement de la morale et du surmoi et efface le complexe fraternel en même tant qu'elle le relègue définitivement dans l’inconscient. La culpabilité est une sorte de résidu du complexe fraternel. Elle se manifeste par un besoin de protéger le cadet contre toute agression possible ou réelle du monde extérieur, agression que

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l'aîné sent confusément à la mesure de la haine qu'il éprouvait dans le passé (Gayet, 1993). La jalousie envers l’intrus participe à la différenciation moi-autrui (Wallon, 1946; Lacan, 1938).

I.1.2. Le lien fraternel

Le lien fraternel est définit par un même lien de filiation. Mais le lien fraternel ne garantit pas la qualité de la relation fraternelle. Les relations fraternelles se construisent d’individu à individu entre les membres d’une même fratrie (Benghosi, 2000).

Caillé (2004) fait la distinction entre fratrie et fraternité. Il y’a une certaine contradiction logique entre les deux concepts. Le lien de fratrie est déterminé par le fait d’avoir des parents communs, il est biologique alors que la fraternité relève du choix. La fratrie ne repose pas sur la fraternité mais plutôt sur la « fratitude ». Selon lui, être frères et sœurs c’est vivre en état de fratitude c’est-à-dire faire l’expérience d’une condition existentielle qui vous est imposée. Il présente la fratitude comme un état délicat et potentiellement dangereux pour l’individu. Elle est porteuse de « rivalité complexe » et de « concurrence sauvage », notamment pour être le préféré des parents, et peut conduire à des drames. Une fratrie ne peut être un atout pour ses membres que si elle sort de la fratitude par le haut c’est-à-dire par un « jeu infini », jeu relationnel qui favorisera la découverte et le respect de l’identité particulière de chacun d’entre eux. Les frères et sœurs ne pourront faire l’expérience de la fraternité qu’une fois sortis de la fratitude.