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La conception de discorde en droit marocain

Paragraphe deuxième : La conception de la procédure de discorde par les législations

B. La conception de discorde en droit marocain

En éditant le nouveau code de la famille en 2004, le législateur marocain, prévoit une procédure nouvelle dite de discorde, ainsi il a consacré le premier chapitre du titre quatre du dit code au divorce judiciaire sur demande de l’un des époux pour raison de discorde.

La procédure de discorde est réglementée en quatre articles qui contiennent les procédés de réconciliation, judiciaire et extra judiciaire, et le pouvoir du tribunal de prononcer la dissolution du mariage et ses effets.

Il découle de la première lecture des dispositions du nouveau code de la famille, que le législateurs se rattache à la théorie de discorde par le biais de la désignation des arbitres, mais n’accordant à l’institution de l’arbitre aucune importance, puisque le tribunal peut toujours s’en passer, ainsi le nouveau code dispose qu’en cas de désaccord des arbitres ou s’ils ne présentent pas leurs rapports dans le délai imparti, le tribunal peut procéder à une enquête complémentaire par tous moyens qu’il juge adéquats. Ce qui montre que la volonté du législateur à l’égard des arbitres reste la même que celle déjà contenue dans le code de statut personnel63, qui fait que les arbitres ne sont qu’un simple procédé de

réconciliation, qui peut être remplacé par le tribunal par n’importe quel autre procédé qu’il juge efficace.

Néanmoins, la procédure instaurée par les dispositions susvisées, est une procédure de dissolution de l’acte de mariage, par décision de

62- Les articles 126 à 130 du code de statut personnel koweitien, qui énoncent presque les mêmes dispositions que son homologue jordanien.

justice, et non par décision des arbitres, ni par la seule volonté de l’un des époux64.

De par ces dispositions, la procédure dite de discorde « chikak » se fonde sur la prétention des époux ou de l’un d’eux, d’un différend les opposant et qui risquerait d’aboutir à la discorde.

En effet, le législateur n’a pas décrit les caractères du différend ou litige entre les époux qui pourrait justifier la discorde, mais le guide pratique qu’a promulgué le ministère de la justice au lendemain de la mise en vigueur du code de la famille, a défini la discorde « chikak » comme étant « Le différend profond et permanent entre les époux, rendant impossible la continuité de la relation conjugale65 », la doctrine quant à elle définit la discorde ou l’état de Chikak entre les époux dans presque les mêmes termes. Ainsi elle est appréhendée comme le défaut de respect et d’intimité débouchant sur une mésentente et une animosité entre les époux, au point de susciter le manquement des droits et devoirs réciproques entre conjoints, et rendant impossible la continuité de la vie commune66.

La jurisprudence suit le même parcours que la doctrine, et définit la discorde en « Le cas d’impossibilité de continuité de la vie conjugale en raison de l’état du litige entre les époux, rendant l’un loin de l’autre, à cause d’une animosité

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- Parce qu’en droit marocain l’époux peut dissoudre l’acte de mariage par sa seule volonté, et c’est ce qu’on appelle le répudiation devenue dans l’actuel code de la famille « Divorce sous contrôle judiciaire ».

65- Ministère de la Justice, ADDALIL AL AMALI LIMOUDAWANAT AL OUSRA, imprimerie fdala, Mohammadia, 2004.

66- Mohamed EL GACHBOUR, Commentaire du code de la famille, dissolution du pacte conjugal, éd annajah aljadida, Casablanca, 2006.

- Mohamed EL GACHBOUR, Younes ZEHRI et Hassan FATOUKH, le divorce pour cause de discorde dans le code de la famille, Edition Najah El Jadida 2006.

- Raja NAJI EL MEKKAOUI, La Moudawana, le référentiel et le conventionnel en harmonie, T2 la dissolution du mariage Edition Bourgreg, 2009, Rabat.

- Houssine ALALAMI, Procédure de discorde dans le code de la famille, revue Al Miyar, n°32. - Abdessalam ZOUIR, Interprétation du code de la famille, mariage, répudiation et divorce, éd de l’association de diffusion de l’information juridique et judiciaire, série études et recherches, n°7, Novembre 2008.

discordant tout rapport entre eux et rompant l’exercice des droits et devoirs réciproques entre conjoints67

Ainsi conçue par la doctrine et la jurisprudence, la discorde ne peut alors être qu’un litige sérieux entre les époux et à cause du quel la vie conjugale ne pourra plus continuer.

A la lumière de la généralité des dispositions de l’article 97 du code de la famille68, se pose la question de la conception juridique du

divorce pour discorde adoptée par le nouveau texte.

En d’autres termes, la voie de dissolution de mariage pour discorde, est une procédure exigeant l’établissement des faits constituant le chikak entre les époux, au même titre que les voies de divorces traditionnelles, ou encore un simple procédé de divorce qui n’est soumis à aucune condition de preuve, à l’image de la répudiation exercée par le mari69.

Les premières années qui ont suivi la mise en vigueur du code de la famille, ont marqué une division de la jurisprudence et de la doctrine sur la réponse à cette question de la conception juridique du divorce pour raison de discorde, elle est commentée par un auteur comme étant une institution a part entière prévue dans le but de dissiper le différend qui oppose les époux, et dans ce cadre, elle est conçue par le code de la famille comme une alternative aux autres modes de dissolution du mariage, notamment quand la partie qui détient le droit de répudier en

67- T P I de Marrakech, dos numéro 3269/8/2004 en date du 13 Janvier 2005, inédit. - C A de Laayoune du 21 mars 2006, dos numéro 02/2006

- T P I de Targuiste du 11 octobre 2006, dos numéro 49/2006 - T P I de Semara du 23 janvier 2007, dos numéro 129/2006 - T P I d’Agadir du 18 mai 2005, dos numéro 19/2005

Jurisprudence publiée par : Almontaqa min amal alqadae fi tatbiq moudawanat al ousra, numéro 10, association de diffusion de l’information juridique et judiciaire, 10 février 2009.

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- Ainsi l’article 97 du code de la famille dispose que « En cas d’impossibilité de réconciliation et lorsque la discorde persiste, le tribunal en dresse procès verbal, prononce le divorce et statue …. ».

69- Puisque la répudiation exercée par le mari, n’est conditionnée par aucun motif, seul le

abuse ou lorsque la partie désirant se soustraire à l’union conjugale ne possède aucun motif justifiant le divorce70.

Ainsi cet auteur considère l’institution de chikak comme un moyen de pallier et de contrecarrer l’abus d’usage de la répudiation par le mari, et de se libérer du lien conjugal librement par l’épouse, quand elle ne pourra pas justifier d’un motif de divorce, la même attitude réactionniste a été adoptée par une partie importante de la doctrine marocaine, en ce sens qu’il en est dit « Un litige profond et permanent, rendant impossible le rapport conjugal, mais n’étant soumis à aucune exigence de preuve, et la seule prétention du demandeur de divorce suffit71 » et se justifie par la volonté du législateur de rendre justice à la femme et lui permettant par le biais de cette procédure de se libérer du lien de mariage à l’image du mari.

La même justification est véhiculée par d’autres auteurs, en effet il est dit de cette procédure « Un grand pas vers l’émancipation des femmes marocaines dans la mesure où celles-ci ne sont plus, comme par le passé, otage d’un mariage qu’elles désirent rompre72 cette motivation de restaurer à la femme ses droits est soutenue par d’autres auteurs en commentant la procédure de discorde ainsi « voulant préserver les droits de la femme et des enfants, le législateur a institué le régime de divorce pour discorde, en lui donnant un sens étendu qui a permis à la femme de demander le divorce si elle déclare éprouver une vie conjugale intolérable et affiche sa conviction de l’impossibilité de sa continuité73», le même raisonnement se fondant sur l’égalité des sexes a été soutenu par un autre auteur en commentant une décision de justice, ainsi il y est dit « Le divorce judiciaire pour cause de discorde nouvellement introduit par le code

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-Rajaa NAJI ELMEKKAOUI, La Moudawanah, le référentiel et le conventionnel en harmonie, Tome 2 : la dissolution du mariage, op.cit

71- Mohamed EL GACHBOUR, Younes ZEHRI et Hassan FATOUKH, Le divorce pour cause de discorde dans le code de la famille, op.cit

- Mohamed EL GACHBOUR, Commentaire du code de la famille, dissolution du pacte conjugal, op.cit

72- Nadia OUELHRI, Chikak ou égalité devant le divorce, Maroc Hebdo International, numéro 734 du 2 au 8 mars 2007.

marocain de la famille, permet à l’épouse d’accéder au divorce judiciaire à égalité avec le mari74. »

La façon d’analyse de cette partie de la doctrine, a influencé la jurisprudence dans son ensemble, sauf quelques exceptions. En effet il a été dit dans un jugement de tribunal de première instance de Marrakech75« En dépit du droit des époux prévu par l’article 94 du code de la

famille, de recourir à la justice pour prévenir les différends les opposant et qui risqueraient d’aboutir à la discorde, le tribunal et dans le cadre de ce texte, a exercé deux tentatives de réconciliation, restées infructueuses, et il a envoyé deux arbitres parmi les proches des époux et ne sont pas parvenus à les réconcilier, et que tout au long de cette procédure, la demanderesse tienne à sa requête tendant à mettre fin au lien conjugal par divorce, ce qui justifie l’état de discorde entre les époux … »

Cette motivation des décisions de justice, se répète par attendus types76 reproduisant des termes généraux de l’article 97 du code de la

famille, et faisant du divorce pour raison de discorde un droit des épouses de se libérer du lien de mariage, qui n’exige aucune preuve du litige, et n’étant conditionné que par une prétention de l’un des époux du litige l’opposant à l’autre conjoint et la non réconciliation durant la procédure77.

Cette quasi unanimité sur le contenu de la procédure de discorde, n’a pas empêché certaines résistantes, ainsi Abdessalam ZOUIR78

74-Mohamed BOUFOUS, Commentaire de l’arrêt de la cour suprême numéro 427 du 10/09/2008, www.lagovox.fr

75- T P I de Marrakech, n° 418 en date du 03/03/2005 dos n°2005/8/2004, inédit.

76- « Attendu que le nouveau code de la famille prévoit la procédure de discorde pour permettre à l’épouse de se libérer du lien conjugal, loin des lenteurs et complications des voies traditionnelles de divorce. »

T P I de Fés du 23 mai 2005, dos n 4693 T P I de Fés du 23 mai 2005, dos n 4480 Revue Almiayar, n 34

T P I de Marrakech du 04 août 2005, Mohamed EL GACHBOUR, op.cit

77- C A de Laâyoune, n° 35/06 en date du 21 mars 2006, dossier 02/2006,revue Mouhakama,n°1.

- T P I de Remani, n°40, en date du 29/01/2004, rapporté par ZOUIR Abdessalam, op.cit 78- Abdessalam ZOUIR, Interprétation du code de la famille, numéro 07, association de diffusion de l’information juridique et judiciaire, op.cit

soutient qu’en dépit de l’explicité du texte législatif, le tribunal doit s’assurer de l’état de discorde entre les époux, qui peut être établi par tout moyen de preuve, a défaut rejette la demande, cet opinion a influencé certaines décisions de justice79, qui sont motivées par la

sacralité du rapport conjugal et la protection de la stabilité familiale. Cependant ces décisions rares, sont généralement infirmées par la cour d’appel80.