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OCCUPATION MISSIONNAIRE DU HAUT-UBANGI

2. L’ŒUVRE MISSIONNAIRE

2.1.2. LA COLONIE SCOLAIRE DE MOLEGBE

En décembre 1914, une deuxième colonie fut créée à Molegbe. Comme pour Abumombazi, une école de catéchistes fut fondée pour recevoir les « colonistes ».

L’établissement de Molegbe fonctionnait aussi grâce aux enfants fournis par l’État.

En effet, pour alimenter la colonie, les agents de l’administration sillonnaient les villages ngbandi et mbanza et capturaient des enfants : filles et garçons.

Ces enfants enlevés de force à leurs familles par les agents de l’administration venaient alimenter l’œuvre missionnaire pour asseoir la colonisation.

Mais seuls les garçons restaient à la colonie pour recevoir l’enseignement des catéchistes. Les filles, après leur baptême, étaient données en mariage aux colonistes. Voici le témoignage du préfet de l’Ubangi sur la manière dont les missionnaires recevaient les enfants : « Le 4 juin [1915], Monsieur l’Adjoint supérieur de district arrivait à Molegbe suivi d’une caravane de jeunes filles et de garçons arrachés à l’esclavage chez les Mbanza. Il les confiait à la Mission, sous réserve d’approbation ultérieure

du Gouvernement. Nous nous trouvons en face d’une situation très embarrassante et complexe  : où loger tous ces malheureux ? Comment dans les circonstances actuelles, pourvoir à leur entretien ? Mais ces pauvres esclaves, parmi lesquels se trouvaient quinze filles, semblaient faire appel à notre charité, à notre dévouement. Si nous les abandonnions ne retomberaient­ils pas sous un esclavage plus dur ? Ces filles ne deviendraient­elles pas la proie facile des polygames ? Nous ne pouvions pas hésiter. Confiant en la divine providence, on se mit à l’œuvre ».

L’administration de Yakoma organisait également la chasse aux enfants et aux jeunes femmes des polygames. Pour rendre nulle toute tentative de fuite, les femmes et les enfants étaient envoyés à la colonie de Molegbe, à plus de deux cents kilomètres de leurs villages. Les femmes étaient données en mariage aux ouvriers de la mission. Le préfet apostolique de l’Ubangi écrivait à ce propos : « Dans le courant de cette année [1918], l’Administration de Yakoma nous envoyait une caravane composée de quelques femmes adultes, de jeunes gens et d’enfants mâles, libérés de l’esclavage. Après un court séjour à la Mission, les femmes ont été données à nos ouvriers et catéchumènes célibataires, les jeunes gens envoyés à Banzyville­Saint­Michel où ils ont trouvé une occupation » (Rapport sur les sept  ans d’apostolat, p.  18). Les missionnaires capturaient aussi eux­

mêmes des enfants. Ainsi, du 15  juillet 1915 au 30  janvier 1918, ils avaient « racheté » 19 filles de

« l’esclavage » pour la colonie de Molegbe.

1920 à Abumombazi : un groupe d’élèves.

(Teuns 2010 : 68.)

Au 30  janvier 1918, la colonie d’Abumombazi comptait 123 enfants ; celle de Molegbe 106 enfants, dont 65 garçons et 41 filles. En dehors des deux colonies scolaires, les missionnaires multiplièrent des écoles dans des villages. En 1923, en plus des deux colonies et des écoles attachées à la mission, la préfecture comptait 59 écoles­chapelles avec 763 élèves.

L’école attachée à la mission était divisée en trois classes : la classe élémentaire, la classe inférieure et la classe supérieure. L’école de la mission fonctionnait sous la surveillance directe d’un missionnaire ; tandis que la responsabilité de l’école­chapelle, qui ne comptait que la classe élémentaire, incombait au catéchiste. L’enseignement dans ces écoles (y compris l’école de catéchistes­moniteurs) poursuivait un but utilitaire, celui de former des artisans ou des catéchistes­moniteurs. C’est pourquoi l’instruction des élèves consistait dans l’apprentissage de la lecture, l’écriture et des éléments d’arithmétique, en ngbandi.

Le programme de l’école de la mission prévoyait : a) pour la classe élémentaire : lecture et écriture (en ngbandi), comptage des chiffres 1 à 100 ;

b) pour la classe inférieure : lecture et écriture (en ngbandi), chiffres de 100 à 1000 ;

c) pour la classe supérieure  : lecture courante (en ngbandi), écriture et calligraphie, arithmétique (addition et division).

Le programme de l’école de catéchistes comportait les leçons de calligraphie, de rédaction (en ngbandi),

de diction, de système métrique, d’arithmétique, de géographie, d’histoire et de solfège.

En 1923, deux congrégations de religieuses arrivèrent dans la préfecture. La congrégation des sœurs augustines, dites sœurs noires de Mons et la congrégation des sœurs franciscaines d’Herentals.

Les sœurs augustines s’installèrent à Libenge et à Molegbe tandis que les sœurs franciscaines s’établirent à Abumombazi. En 1926, les sœurs augustines se retirèrent de Molegbe et s’en allèrent à Libenge. Dans les stations de Molegbe et d’Abumombazi, les sœurs ouvrirent les premières écoles pour filles. Jusqu’en 1930, les deux écoles furent les seules à donner de

« l’instruction » aux filles.

Comme pour les garçons, l’enseignement pour filles avait également un but utilitaire  : il avait pour principal objectif de les préparer à leur futur rôle d’épouses. Dans chaque école, une sœur apprenait à lire et à écrire (en ngbandi) aux filles.

Le reste du programme consistait à effectuer des travaux ménagers  : lessive, repassage, tricotage, raccommodage et jardinage. Le programme suivi dans les écoles de filles comme dans les écoles de garçons était conçu par les missionnaires eux­mêmes.

En  juillet 1925, le Gouvernement signa avec les missions la convention sur la réorganisation de l’enseignement et les conditions générales de subsidiations des écoles. Les conditions portaient sur l’établissement (par les missions) d’écoles

Les élèves « normaliens ».

(Teuns 2010 : 39.)

répondant à certains critères de programme (établi par le Gouvernement), d’horaire et d’inspection.

L’appellation « école­chapelle » fut supprimée et remplacée par « école rurale ». D’après les indications du Gouvernement, il y avait trois espèces d’écoles : 1. Les écoles primaires de premier degré ou écoles

rurales (dans les villages) ;

2. Les écoles primaires urbaines, c’est­à­dire atta­

chées aux centres de mission ;

3. Les écoles de degré supérieur, c’est­à­dire des écoles secondaires de trois types :

a) les écoles normales pour catéchistes­instituteurs ;

b) les écoles pour commis de commerce ; c) les écoles professionnelles.

Aucune école du degré supérieur n’existait dans la préfecture de l’Ubangi au moment de la convention.

Cependant, pour bénéficier des subsides, les

Le frère Ascanus avec des élèves de l’enseignement primaire.

(Teuns 2010 : 93.)

Prise d’habit et profession des filles de Marie.

(Teuns 2010 : 124.)

Une vue rapprochée de trois filles de Marie lors de leur prise d’habit. (Teuns 2010 : 124.)

capucins transformèrent −  sur papier  − les écoles primaires de premier et de deuxième degré en des écoles « professionnelles » ; de même, les deux écoles de catéchistes­moniteurs d’Abumombazi et de Molegbe furent dénommées écoles « normales ». Les sœurs augustines et franciscaines transformèrent de leur côté les écoles primaires de premier degré pour filles d’Abumombazi et de Molegbe en écoles professionnelles comprenant trois sections  : section agricole, section ménagère et confection de vêtements.

Ces écoles n’étaient « professionnelles » ou

« normales » que de nom. En effet, il était dit que ne pouvaient être admis dans les écoles professionnelles ou normales que les élèves ayant suivi avec succès les cours de l’école primaire de deuxième degré.

Tel n’était pas le cas des écoles d’Abumombazi et de Molegbe.

En 1928, le Gouvernement entreprit l’inspection systématique des écoles missionnaires (appelées aussi écoles libres). Le rapport de l’inspecteur provincial de l’Équateur, le capitaine­commandant Jadon sur les écoles de l’Ubangi est édifiant.

Au sujet des écoles « normales » d’Abumombazi et de Molegbe, l’inspecteur constata que ces écoles n’étaient que de simples écoles primaires de deuxième degré. Il écrivait à ce sujet : « Les élèves de ces deux écoles normales n’ont comme études préliminaires, que les deux années de l’école primaire du premier degré. Beaucoup d’élèves sont incapables de suivre le nouveau programme. Il faut, avant de suivre les cours de l’école normale, que les élèves fassent de bonnes études primaires complètes ».

Au sujet des écoles professionnelles, l’inspecteur remarqua également qu’aucun élève n’avait suivi les cours de l’école primaire du deuxième degré  :

« Les sections professionnelles dont question dans le présent rapport, ne constituent pas une école professionnelle au sens des instructions du Gouvernement ».

Concernant les écoles ménagères pour filles (écoles professionnelles), l’inspecteur affirma que

« cette section ne se réalise pas selon les desideratas du programme du Gouvernement, puisque les élèves qui en suivent les cours n’ont pas fait les études complètes primaires » (AAAE Fonds M (647)  7 Rapport sur le fonctionnement des écoles normales par le commandant Jadon).

Critiquant le rapport de l’inspection provinciale, le préfet apostolique de l’Ubangi attribua la cause de l’organisation incomplète des écoles primaires pour filles au fait que le recrutement de jeunes filles était impossible. Les filles n’arrivaient à l’école qu’à l’âge de douze ou treize ans. Elles ne restaient pas après six années d’études complètes. Aussi le but princi­

pal des œuvres d’éducation pour filles était­il de les préparer à leur rôle de mères. « Ces filles souhaitent tout simplement recevoir l’instruction religieuse pour se préparer au baptême et se marier ; d’autres à Abumombazi demandent à passer leur vie auprès des religieuses pour pouvoir partager leur vie ».

Toutes ces affirmations du préfet apostolique étaient fausses  : les missionnaires capucins avaient choisi volontairement de ne pas organiser les études pri­

maires complètes, de peur que les diplômés n’aillent trouver du travail en ville.

Au sujet des écoles professionnelles et des deux écoles normales, le préfet apostolique affirmait que ces écoles n’étaient pas organisées selon les exigences du Gouvernement à cause des difficultés dues à l’instabilité de la mentalité des Noirs, mentalité qui se traduisait chez les élèves de classes supérieures par l’attirance de grands centres et la tentation de gros salaires qui allaient emporter les élites. « Il faut avoir vécu des années au milieu de cette population ngbandi, faisant fi de l’autorité et qui, pour une observation méritée, une punition infligée, s’insurge contre l’autorité qui n’a d’autre prise sur elle que la persuasion pour savoir et expérimenter ce qu’il faut de patience, d’endurance et de persévérance afin d’obtenir quelque garantie de stabilité dans les œuvres établies et pour élaborer un instrument de progrès ».

Concernant la mentalité des Mbanza habitant dans les environs de Molegbe, le préfet notait : « Il faut avoir vu et vécu, comme à Molegbe­Saint­

Antoine, les débuts de notre action chez les Banza, tribu fruste, sans curiosité, vagabonde, réfractaire à toute discipline, à toute contrainte, pour savoir que le redressement d’une population qui est encore au début de la civilisation, n’est pas un travail facile » (AAAE Fonds M (649) 7 Rapport annuel de la pré­

fecture de l’Ubangi 1928).

La réalité était que les missionnaires capucins n’avaient reçu aucune formation pédagogique en Belgique sauf l’un ou l’autre qui avait été placé dans l’enseignement de collège des capucins à Courtrai.

Par leur vocation, les capucins étaient plus portés vers l’apostolat. La plupart des missionnaires s’étaient instruits sur le tas aux méthodes d’enseignement. Ils n’avaient pas la formation requise pour ouvrir des écoles normales et professionnelles dans le sens des instructions gouvernementales.

Mais le refus d’organiser des écoles primaires complètes et des écoles de degré supérieur relevait d’une décision longuement réfléchie et délibérée des missionnaires pour maintenir les populations dans un état de demi­lettrées, afin d’éviter toute contesta­

tion de l’autorité et l’exode vers les centres urbains, à la recherche d’un emploi autre que celui de moniteur ou de catéchiste. Aussi dans les écoles de la préfec­

ture, les élèves étaient­ils, comme nous l’avons dit, uniquement instruits en ngbandi. L’enseignement du français n’était pas toléré. Faut­il voir aussi dans le refus des missionnaires d’enseigner le français la question linguistique en Belgique ? En effet, les missionnaires capucins, presque tous flamands, n’ac­

ceptaient pas de franciser les élèves.

À la fin de l’année  1930, le père Ghislain, directeur du petit séminaire de Molegbe, renvoyait vingt séminaristes sur vingt­cinq inscrits. Selon le directeur, en son absence, les élèves étaient partis par

« ruse » demander des cahiers chez le père Victor.

Ils voulaient en réalité copier le livre de lecture et apprendre le français. « Cette furie d’apprendre le français en se cachant était évidemment de très mauvais augure, je n’ai pas voulu être leur dupe et me dépenser avec mes deux confrères pour le plaisir de faire d’eux des clercs, des employés de magasins. J’ai donc renvoyé séance tenante ceux que j’avais pris en flagrant délit de vol de cahier et d’étude clandestine du français » (ACB/Anvers, Dos. n°  222 (263­415) père Ghislain au père provincial, 30.06.1931).

Le petit séminaire fut fermé  ; les cinq sémina­

ristes restants furent dirigés sur Lemfu, où il existait au Bas­Congo un petit séminaire florissant.

Ainsi donc, jusqu’en 1930, aucune école primaire complète ni aucune école de degré supérieur (secondaire) ne fut organisée dans la préfecture de l’Ubangi. Le rapport sur l’enseignement présenté annuellement par le préfet apostolique de l’Ubangi ne correspondait pas à la réalité, ce qui n’empêchait pas la préfecture de bénéficier, avec la complaisance des autorités provinciales de l’Équateur, d’importants subsides alloués par le Gouvernement aux écoles de degré supérieur (Ngbakpwa 1992 : 415).

1928 à Abumombazi : le petit séminaire.

(Teuns 2010 : 113.)

2.2. LA SANTÉ

C’est principalement l’œuvre médicale qui attira aux missionnaires un grand nombre d’adeptes.

Plusieurs maladies qui rongeaient la population avaient préparé le terrain pour l’acceptation des missionnaires.

2.2.1. L’ÉTAT SANITAIRE DU HAUT-UBANGI AU DÉBUT DE