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INCURSIONS DES MARCHANDS DE ZANZIBAR OU ARABO-SWAHILI

LES PEUPLES

1. HISTOIRE ANCIENNE : LE NORD-UBANGI AVANT LES INVASIONS DES NGBANDI

2.2. IMMIGRATION NGBANDI

2.2.3. INCURSIONS DES MARCHANDS DE ZANZIBAR OU ARABO-SWAHILI

Ici, le terme «  arabo­swahili  » désigne, selon Kabemba Assan (1988 : 179), les métis de Noirs et d’Arabes, commerçants venus de Zanzibar. À partir de 1870, ils étendirent leur zone d’action jusque dans le bassin du fleuve Congo, pénétrant jusque dans le Nord­Ubangi et le Bas­Uele. Dans le Nord­Ubangi et l’Uele, les Arabo­Swahili furent désignés sous le nom des Batambatamba. Les Batambatamba opérèrent au total trois incursions dans le territoire des Ngbandi : la première fut celle des bandes à Panga­Panga ; la

deuxième fut attribuée à la bande de Lembe­Lembe ; et, enfin, la troisième fut celle de Nzengo. Des trois incursions, seule la première fut conduite par un chef arabo­swahili, les deux autres étant l’œuvre des auxi­

liaires recrutés dans la région de Likati.

a) Les bandes à Panga-Panga

Entre 1887 et 1888, les Arabo­Swahili par­

tis des Falls installèrent leur camp à Basoko sur la rive droite du fleuve, au confluent de l’Aruwimi. Ce camp constitua de 1887 à 1892 la base des opérations arabo­swahili vers les régions du nord, renseignées comme étant très riches en ivoire, et peu exploitées commercialement, comme l’explique Ceulemans  :

« la région située entre l’Aruwimi et l’Uele, très riche en ivoire et non exploitée par les trafiquants, fut, durant les années 1888­1892, l’endroit vers lequel les grands chefs arabes envoyaient de préférence leurs expéditions » (Ceulemans 1959 : 46).

Les Arabo­Swahili se constituèrent en plu­

sieurs bandes, à la tête desquelles on trouvait Ghalfan­Ben­Zohar (Mohammed), futur Rumaliza, Kipanga­Panga (Panga­Panga), Lembe­Lembe (Abianga) et Kilonga­Longa, tous vassaux du grand marchand Tippo Tipo. Chaque chef de bande avait sous ses ordres cent à deux cents hommes armés de

fusils et connus dans l’Uele­Ubangi sous le nom de Batambatamba.

Vers 1888, remontant l’Itimbiri, les bandes batambatamba de Panga­Panga et Lembe­Lembe arrivèrent dans la Likati et se mirent en rapport avec Gbatala, chef azande­bandia et descendant d’Ino.

Panga­Panga installa chez lui un camp ; Lembe­

Lembe remonta la Likati et installa un autre camp sur la Tangale, affluent gauche de la Likati. Djabir vint voir Panga­Panga pour obtenir des fusils et s’assurer de son appui contre son parent Rafai. En contrepartie, il accepta de guider la bande vers le Bas­Uele. Et ce fut en convoyant l’ivoire récolté dans le Bas­Uele que Djabir rencontra le capitaine Becker à Basoko en 1889.

Comme cela avait été le cas avec Ali Abu (Kabu), Panga­Panga, guidé par Djabir, arriva dans le Bas­

Uele, installa une zériba sur la rive gauche en face de la résidence du chef azande (Bondo) et se mit à raz­

zier la région. Ces raids éprouvèrent énormément les Ngbandi Kasi, Lite (est), Nzamba, Mbongo et Boya.

Le chef arabe voulut étendre ses opérations de pil­

lage plus loin vers l’intérieur. Il attaqua les Nzobo, sous­groupe gboze ; il échoua. Une coalition nzobo­

gbonze infligea aux Batambatamba une lourde défaite. L’affrontement décisif eut lieu dans la brousse

« Biti, notable de la chefferie Nzamba, village Vabesu, territoire de Banzyville. C’est le plus vieil homme de la région, il doit avoir 75 à 80 ans. Il est intelligent et très écouté des indigènes.

Il est chrétien depuis plus de 10 ans et monogame. » (AP.0.2.1294, collection MRAC Tervuren ;

photo H. Rosy, 1938 © MRAC Tervuren.)

Sous-chef Kuya des Bahuma dans la chefferie Dundusana chez les Budja.

(EP.0.0.4878, collection MRAC Tervuren ; photo A. Bal, vers 1934 © MRAC Tervuren.)

Masele, près de la rivière Longe, affluent droit de la Legbala ; les Batambatamba furent battus et chassés.

b) Les bandes d’Abianga (Lembe-Lembe)

Vers la même époque, d’autres bandes de Batambatamba conduites par Abianga (Lembe­

Lembe), à la poursuite des Mabinza (Benze ou Benza), débouchèrent par le sud. En effet, le chef arabo­swahili s’était attaqué aux Mabinza des villages mbongo sur la haute Tshimbi. Les Mabinza ayant fui dans le bassin de la Mongala, le chef arabe se résolut à les poursuivre pour continuer les pillages dans la région et les châtier.

Les bandes d’Abianga arrivèrent sur la Dua (Eau noire) qu’ils traversèrent à Dundusana (actuel Yandongi), puis s’attaquèrent aux Ngbandi (groupe Mandosingi). Ces derniers se défendirent avec succès, les Pombi enlevèrent aux marchands arabo­swahili quatre fusils à piston. Les bandes revinrent sur la Dua qu’elles descendirent jusqu’à son cours moyen, avant de se livrer aux attaques et pillages des villages. Au début de 1890, vraisemblablement sous la poussée des agents de l’EIC qui remontaient la Mongala à ce moment, les Batambatamba se retirèrent, emportant un gros stock d’ivoire (Ngbakpwa 1992 : 211).

Le récit d’un voyage d’Arthur Hodister, agent principal de la Société commerciale belge du Haut­

Congo, sur cette rivière en octobre 1890 confirma la présence des Batambatamba sur la Dua. Arrivé au village Dumba, il constata que : « Les indigènes ont l’air assez amical, mais ils sont froids. J’apprends que le village est très grand et qu’il a été particulièrement éprouvé par la visite des Matambatamba ; l’endroit où mon embarcation est attachée serait précisément celui où aboutit le chemin par lequel ils sont venus » (Hodister 1890 : 10­36).

c) Les bandes à Nzengo

Peu de temps après le retrait d’Abianga vers le début de 1890 surgit Nzengo, un autre chef noir, à la tête d’une autre bande batambatamba. Il venait de la Likati et avait emprunté la même voie que celle suivie par les Batambatamba de Panga­Panga.

De toutes les incursions arabo­swahili ou de celles de leurs collaborateurs en territoire ngbandi, les attaques de Nzengo laissèrent les souvenirs les plus amers dans la région.

La tradition dit de Nzengo qu’il était un Ababoa, envoyé par les Blancs (agents de l’EIC) d’Ibembo

pour leur procurer de l’ivoire dans le bassin supé­

rieur de la Legbala. « C’était un Ababua, qui avait reçu des Blancs un gros armement en fusils perfectionnés et à piston ». Nzengo serait plutôt un Bati (Mobati) entré au service des Arabo­Swahili. Les Bati parlent le pagebete et sont linguistiquement et culturelle­

ment proches des Ababoa, quoiqu’ils n’arrivent pas à établir avec précision une origine commune avec ces derniers (Hutereau 1922 : 31). Les Bati habitaient la rive droite de l’Uele, qu’ils quittèrent à la suite de l’in­

vasion bandia. De nos jours, les Bati sont nombreux dans la grande boucle de la Likati. Un groupe s’est installé sur la moyenne Itimbiri, un autre à la source de la Moliba. Les Bati de l’Itimbiri se divisent en plu­

sieurs clans : les Jele (Bojele), Lende, Benge, Zengo (Bozengo), Zaki, Bwasa (Bobuasa) et Bia (Mombia) (Hutereau  1922  : 37). Tous ces clans se réclament de Dungura, fils du grand Bati. Un petit groupe de Zengo habite avec les Zaki à l’ouest de la Tshimbi, un affluent de l’Itimbiri. Le groupe le plus important s’installa près d’Ibembo. Le chef de la bande venue razzier les Ngbandi appartenait à ce dernier groupe ; les Ngbandi le désignèrent du nom de son clan.

En 1887, le chef Bandia Mozua établi dans la Lulu, affluent de l’Aruwimi, entra en contact avec les Arabo­Swahili panga­panga et lembe­lembe venus de Basoko et les guida vers l’Itimbiri et la Rubi.

Ils gagnèrent ensuite Ibembo, sur l’Itimbiri, qu’ils remontèrent vers la Likati, la Rubi et l’Uele. Panga­

Panga et Lembe­Lembe restèrent deux  ans dans la région avant de regagner Basoko, avec un stock important d’ivoire. Dans la Lulu, les marchands venus de Zanzibar recrutèrent de nombreux porteurs et auxiliaires mabinza (Benze) ; à Ibembo, plusieurs Bati (clan zengo) armés de fusils renforcèrent le nombre de leurs fusiliers qui les précédaient dans leur marche vers l’Uele. C’était dans ces circonstances que Nzengo, l’un des chefs de groupes (bande) de fusiliers arriva chez les Ngbandi.

Nzengo vainquit, successivement, les Lite (est), les Nzamba, les Mbongo, les Boya et même les Gboze et les Nzobo, qui avaient défait les Batambatamba de Panga­Panga. Il installa un poste chez les Mbongo, puis chez les Gboze, sur la Kpoma (affluent droit de la Legbala) et en confia le commandement à son frère Kpanda (Tanghe 1939 : 62). Il s’attaqua ensuite aux Gini, qui avaient repoussé quelques années auparavant l’incursion d’Ali Abu (Kabu) ; mais devant une bande plus nombreuse et bien équipée, ils furent vaincus. L’auxiliaire des marchands arabo­swahili en

profita pour établir un poste sur le bassin supérieur de la Kengo (petit affluent gauche de l’Ubangi) entre les Gini et les Ngbongbo. Il razzia ensuite les régions au sud de la Legbala, qu’il remonta ; il pilla les Ngbua et les Mandosingi, puis installa un poste (qui devint sa résidence) sur un plateau de la rive gauche, sur les terres des Kongo. Cette résidence initialement appelée « Abomambaso » devint par la suite « Abumombazi ». Nous en parlerons plus loin.

Les populations avoisinantes furent forcées de venir s’installer autour du camp de Nzengo, qui les frappa de lourds impôts en ivoire, en vivres (pour l’entretien du camp), en porteurs et en soldats.

En 1890, l’EIC qui tenait à occuper toute la région de la Haute­Mongala, mais qui ne pouvait pas mili­

tairement affronter l’auxiliaire des marchands de Zanzibar lui tendit un piège. Les agents de l’EIC créèrent un poste en face de la résidence de Nzengo.

M.  Meuleman, chef de poste, proposa à Nzengo d’échanger son ivoire contre des fusils ; il lui proposa de le conduire à Nouvelle­Anvers (Makanza) pour le présenter au commissaire de district et pour prendre livraison de l’armement. Nzengo accepta la proposi­

tion et accompagna Meuleman ; ils descendirent le fleuve Congo. Nzengo fut arrêté à Nouvelle­Anvers et envoyé en déportation à Boma ; son frère Kpanda qui le remplaça fut également arrêté.

L’arrivée de la bande de Nzengo dans le Nord­

Ubangi coïncida avec l’installation à la même époque

d’un poste de l’EIC (le 2 février 1890) à Ibembo. Ce concours de circonstances fit croire que Nzengo était un envoyé des Blancs. La pénétration des agents de l’EIC dans l’Itimbiri fit déguerpir le dernier chef arabe (Yambumba), remplaçant de Panga­Panga et de Lembe­Lembe. Cette situation fit perdre à Nzengo tout contact avec les marchands, pour le compte desquels il était venu piller, et en même temps la source d’approvisionnement en armes et munitions. Cela l’obligea d’accepter la proposition de Meuleman d’échanger son ivoire contre les fusils.

L’arrestation de Nzengo et de son frère Kpanda mit définitivement fin aux incursions des marchands du Soudan, de Zanzibar et de leurs auxiliaires dans le Nord­Ubangi.

2.2.4. CONSÉQUENCES DES INCURSIONS DES MARCHANDS