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IDENTIFICATION DE LA RIVIÈRE UBANGI

UBANGI, UNE RIVIÈRE QUI DONNE SON NOM À DEUX PROVINCES

1. IDENTIFICATION DE LA RIVIÈRE UBANGI

Tel un épais tapis roulant, la rivière Ubangi coule, depuis sa « source », à partir de Yakoma dans la pro­

vince du Nord­Ubangi, jusqu’à Ngombe, en aval de Mbandaka, pour se jeter dans le fleuve Congo. Mais si l’exploration de ce dernier fut effectuée dès 1877 par Henry Morton Stanley, il fallut attendre quelques années de plus pour connaître le réseau hydrogra­

phique de l’Ubangi.

En 1877, H.  M.  Stanley, arrivé à l’Équateur au cours de sa descente du fleuve Congo, dessina sur le schéma de sa carte la rivière «  Oubangi  », sans avoir toutefois eu l’occasion de voir de ses yeux cet affluent. Il confiera au capitaine Hanssens, chef de station de Léopoldville, le soin de reconnaître cette rivière. Hanssens arriva à l’Équateur en 1884. Il y rencontra Alphonse Vangele, chef de poste et son adjoint Camille Coquilhat. Ceux­ci lui confirmèrent l’existence de la rivière Ubangi sur la base d’informa­

tions émanant des populations locales.

Vue sur la rivière Ubangi au niveau du village Ndayo dans le territoire de Yakoma.

(Photo équipe locale, 2015.)

Vue de l’Ubangi à la sortie du barrage de Mobayi-Mbongo. Sur la photo, Daniel Gonzato (à droite).

(Photo Daniel Gonzato, équipe locale, 2017.)

C’est en  avril 1884 que le capitaine Hanssens, un agent de l’Association internationale du Congo, attesta de l’existence de la rivière Ubangi. Durant sa demi­exploration, il en avait, en effet, reconnu le cours inférieur (Lotar 1937 : 15). La même année, le missionnaire protestant anglais George Grenfell, de la Baptist Missionary Society (MMS), remonta le cours de l’Ubangi jusqu’à 1° 25 de latitude N. L’année suivante, il arriva à 4° 45 de latitude N a l’approche des rapides Zinga (Batanga) (Harry 1908 : 117 ; 127).

La découverte de Grenfell attisa les polémiques qui existaient depuis que M.  Schweinfurt avait découvert l’Uele en venant d’Égypte.

En  avril 1885, le géographe belge M.  Wauters, directeur du Mouvement géographique, identifia l’Ubangi comme étant la continuation de l’Uele, découvert par Scheinfurt en 1870 (Wauters 1885 :41).

Dans ses notes, G. Fièvé écrit :

« Pour les motifs étrangers à la science géographique, ce fut en France que l’on combattit avec le plus d’acharnement l’idée Ubangi­Ouele ; on alla même jusqu’à nier la dernière découverte du missionnaire anglais » (Archives africaines du Ministère belge des Affaires étrangères D/12, papiers G. Fieve).

Vue des bords de la rivière Ubangi en face de la RCA (Bema) à partir du village Ndayo.

(Photo équipe locale, 2015.)

« Le Capitaine Edmond Hanssens (à gauche) et le Lieutenant Orban, photographiés au jardin de Vivi, station en haut, avant de partir en caravane. À droite, la négresse Cabunda, portant de l’eau. » (HP.1957.53.600, collection MRAC Tervuren ; photo J.-B. Allard, vers 1882.)

Par la convention du 5  février 1885, la France reconnaissait l’Association internationale africaine (AIA), moyennant des arrangements. L’article  3 de la convention signée à Paris établissait comme suit les limites entre l’Association et les possessions françaises :

« La ligne médiane du Stanley­Pool ; le fleuve Congo jusqu’à un point a déterminer en amont de la rivière Licouala [Licona]­N’koundja, une ligne à détermi­

ner depuis ce point jusqu’au 17e degré longitude E de Greenwich, en suivant autant que possible la ligne de partage des eaux du bassin de la Licouala­N’koundja, qui fait partie des possessions françaises, le 17e degré de longitude E de Greenwich » (Jentgen 1952 : 14­15).

Savorgnan de Brazza avait tenté sans succès d’obtenir des traités avec les autochtones de la rive gauche du Congo, pour contrecarrer l’action de l’AIA, et cela avait retardé l’occupation de la rive droite vers l’amont (Lotar 1937 : 14). Le lieutenant de vaisseau Rouvier et le Dr  Ballay, commissaires français, ainsi que le lieutenant Massari, agent de l’EIC, avaient signé une convention attribuant le bassin de l’Ubangi à la France. Ils avaient cru que cette rivière s’identifiait avec la Licona, découverte en 1881 par Brazza. À la suite de cette méprise, les Français avaient créé un poste à Kundja, en aval du territoire des Bobangi avec lesquels Hanssens avait déjà traité. Léopold  II refusa de ratifier le pacte (Lotar 1937 : 52­53). Fieve écrit :

« L’État indépendant du Congo fit en vain remarquer au Gouvernement français que le cours supérieur de la Licona était la seule donnée géographique certaine à l’époque de la conclusion de ce traité, tandis que l’on connaissait à peine l’embouchure de l’Oubangi ; que celui­ci n’était du reste connu que sous le nom d’Oubangi » (Jentgen 1952 : 14­15).

Il s’avéra que la Licona débouchait en aval de l’Ubangi et celle­ci fut prise comme frontière. Les Français durent évacuer Kundja, qui revenait dès lors à l’EIC.

Vangele, lors d’un séjour en Europe, reçut de Léopold  II l’ordre d’éclaircir le problème des sources de l’Ubangi. Le roi demanda au gouverneur général Janssen de prendre, en secret, les mesures permettant de s’établir en force dans l’Ubangi, ce qui s’avérait plus important que toutes les négociations (Lotar 1937 : 56).

En  janvier 1886, une commission fut mise sur pied en vue d’étudier le problème des frontières dans le bassin conventionnel du Congo. Celle­ci n’apporta aucune clarification. Au contraire, l’Ubangi fut à nouveau confondue avec la Likouala­N’koundja.

L’Ubangi était, en fait, l’objet de deux types de préoccupations  : d’une part, les préoccupations politiques du roi Léopold II, qui voulait à tout prix éviter que la France ne devance les agents de l’EIC dans leur course pour l’occupation des territoires vers le nord ; d’autre part, une préoccupation d’ordre scientifique  : le monde géographique cherchait à lever l’équivoque concernant le cours de l’Ubangi, face à la confusion engendrée par les données fournies par les explorateurs de l’Uele, de la Mbomu et de l’Ubangi.

C’est dans ce contexte qu’eut lieu l’expédition de Vangele. Celui­ci écrit dans ses notes :

« Ce fut dans ces circonstances que le roi Léopold II me chargea de reprendre définitivement cette exploration [de l’Ubangi] et de résoudre l’énigme de l’Ubangi, en remontant cette rivière jusqu’à sa source » (Archives du Musée royal de l’Afrique centrale, Tervuren, coll. n° 54.39).

Le capitaine Vangele effectua trois expéditions dans l’Ubangi. La première se heurta aux rapides de Zongo, atteints en  novembre 1886. Comme le missionnaire protestant George Grenfell, le capi­

taine redescendit la rivière jusqu’à Léopoldville, afin de rendre compte des difficultés encourues lors de l’expédition et de solliciter des moyens plus impor­

tants. Le Gouvernement mit à sa disposition L’En Avant, l’un des meilleurs steamers de l’EIC. Entré en Ubangi au cours du dernier trimestre de 1887, Vangele parvint à franchir les rapides de Zongo jusqu’a Mokwangay.

Devant les obstacles, le steamer était démonté puis remis à l’eau après les avoir franchis. C’est de cette façon que l’expédition réussit à remonter l’Ubangi jusqu’au confluent de la Mbomu et de l’Uele, en janvier 1888. Il fut ainsi établi définitivement que l’Ubangi était formée par les eaux de la Mbomu et de l’Uele, et que l’Ubangi et l’Uele étaient une même rivière.

Ce fut la satisfaction du côté belge. L’EIC en pro­

fita pour signer des accords avec les chefs locaux et pour user du « droit du premier occupant » dans les négociations à venir concernant les frontières avec

le Gouvernement français (Archives africaines du ministère des Affaires étrangères belges, fonds, AE [352] 543, Question de droit international).

Léopold  II chargea A.  Vangele d’occuper et d’organiser toute la région qu’il venait de parcourir.

De 1888 à 1890, Vangele signa une série de traités avec les chefs importants de la région, ce qui lui donna le droit de fonder des postes dans des endroits stratégiques. Ces traités furent rapidement transmis en Europe où ils reçurent une grande publicité.

L’EIC voulait ainsi montrer à la France qu’il occupait effectivement l’Ubangi et ses deux principaux affluents, la Mbomu et l’Uele.

Le poste de Zongo, le premier sur l’Ubangi, fut créé en 1889. Le commandement en fut confié à Hanolet et Busine devint son adjoint. La même année, on construisit la station­relais de Mokwangay, dans une région très accidentée, notamment à cause de nombreuses chutes. Un Zanzibarite, M. Osmari,

fut nommé chef de cette station. Celle­ci servit de relais entre Zongo et le poste de Banzyville, fondé quelques semaines plus tard (Archives du Musée royal de l’Afrique centrale, Tervuren, coll. n° 54.39 ; annexe à la lettre du gouverneur général n° 930 du 25 octobre 1889).

D’où vient le nom Banzyville que porte la station établie sur l’Ubangi en septembre 1889 ? Un retour au troisième voyage du capitaine Alphonse Vangele (1848­1939) sur cette rivière en  novembre 1887 s’impose pour comprendre la raison de ce choix.

À cette occasion, l’agent belge reçut la visite d’un indigène qui se présentait comme Gbeme. Vangele lui demanda son nom et crut entendre « Banzy » et le marqua dans son calepin. Puis, il s’informa sur les noms des villages au bord du rapide de l’Ubangi.

Son interlocuteur lui répondit par le nom du rapide Bay, à prononcer [bayi]. Vangele conclut erronément que les habitants de cette région s’appelaient les

Panorama de l’Ubangi vu vers l’aval à Mobayi-Mbongo (Banzyville).

À gauche, le premier emplacement du poste choisi par Vangele, changé ultérieurement à cause des inondations.

À droite, le rapide Bay, qui causa beaucoup d’ennuis à Vangele et où il perdit un bateau.

(HP.1956.15.410, collection MRAC Tervuren ; photo Ch. Dandoy (Inforcongo) © MRAC Tervuren.)

«  Banzy  ». Le peuple en question était des Sango.

Après son exploration arrêtée par les Yakoma, nom d’un peuple qui n’existe pourtant pas, il retourna en 1889 dans l’Ubangi­Uele­Bomu avec la mission d’y créer des établissements permanents. À son retour chez les Sango, il ne put franchir le rapide du Bay, les eaux ayant déjà un cours trop fort ; il dut stopper et établir des relations amicales avec les Sango. Au bout de deux semaines, il leur annonça son départ pour le Bas­Congo. Les Sango insistèrent pour le garder auprès d’eux afin de continuer les échanges qui leur plaisaient beaucoup. Alors Vangele leur fit remarquer qu’eux vivaient dans leurs maisons, tandis que lui et les siens logeaient dans deux petits bateaux. Les Sango lui offrirent un terrain près de leur village Ziamba pour y construire une maison.

C’est le sous­lieutenant Édouard De Rechter (1859­

1891), son compagnon de route, qui y commença la construction d’une grande maison le 3  septembre 1889. Mais l’inondation du terrain par la crue des eaux l’amena à déménager vers une pointe rocheuse au sud, une position admirable qui commandait toutes les pêcheries dont vivaient ces populations. La construction du poste fut achevée le 23 décembre.

Déjà au terme du mois de  septembre 1889, en présence du capitaine Vangele, le mât du pavillon se dressait à cet endroit. Ensuite, le drapeau étoilé fut hissé au sommet, pendant que la troupe présentait

les armes et que les clairons sonnaient. Le poste reçut le nom de Banzyville ! Rappelons que c’est également De Rechter qui procéda à l’érection du poste de Yakoma (cf. Coosemans1948 ; Engels 1951 ; Vandevelde 1923).

D’autres voyages de Vangele l’amenèrent à explorer la Mbomu et à conclure le « traité d’amitié » avec le roi Bangaso des Nzakara. Il remonta ensuite l’Uele jusqu’au territoire des Azande. Ainsi fut définitivement résolu le problème du cours de l’Ubangi, de la Mbomu et de l’Uele.

La ligne frontière Congo­Ubangi­Mbomu a ainsi exigé quatre conventions et traités de délimitation conclus entre l’EIC et la France, entre 1885 et 1908 (Luciani 2000 : 347).