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LES PEUPLES

1. HISTOIRE ANCIENNE : LE NORD-UBANGI AVANT LES INVASIONS DES NGBANDI

2.2. IMMIGRATION NGBANDI

2.2.2. INCURSIONS DES MARCHANDS DU SOUDAN

Ce sont les « Soudanais » qui menèrent les pre­

mières incursions des trafiquants arabes sur le territoire des Ngbandi. Le trafic avec le Haut­Nil était entre les mains des Nubiens « Jellaba » (Djellaba ou Ghellaba), intermédiaires traditionnels, depuis l’Antiquité, entre le Nil et les régions nord du Congo, notamment le Mbomu, l’Uele et le Nord­Ubangi. Les trafiquants nubiens emmenaient ivoire et esclaves par le Darfour jusqu’au port égyptien de Souakin ; leur influence sur ce réseau était telle que la langue utilisée était le « jellaba ». Ils commerçaient le cuivre de Holfrat en Naha, près des sources de l’Adda, avec les Azande (Vansina 1976 : 1­31). C’était par ce cir­

cuit que venaient les anneaux de cheville en cuivre, nvale, considérés comme des objets de luxe et portés par les chefs Ngbandi et leurs épouses.

La conquête en 1850 de la Nubie par Mehmet Ali fit perdre aux Nubiens leur monopole d’inter­

médiaires dans le circuit de Darfour­Nil au profit des marchands de Khartoum, dont le plus célèbre était Ziber. L’afflux de nouveaux marchands eut comme conséquence l’extension des activités com­

merciales vers les confins de l’Ubangi, jusque­là dominées par les Nubiens. Cependant, les Soudanais se firent interdire l’accès au­delà du Darfour et du Dar Fertit où s’exerçait l’influence du réseau du nord, dominé par les Tripolitains, spécialistes dans l’organisation des caravanes. Les officiers de l’EIC, les lieutenants Stroobant et Hanolet rencontrèrent à Dabango au nord du Mbomu un groupe de cinq Tripolitains, dont leur chef, Ibrahim, écrit Hanolet, était l’un des principaux marchands tripolitains qui monopolisaient le commerce entre ces régions et les côtes de la Méditerranée (Stroobant 1896 : 316). Il y avait aussi des Tunisiens et des Maltais. Le docteur Schweinfurth rencontra en 1870, en pays azande, un marchand de Tunis qui se rendait au Darfour (Schweinfurth 1975 : 187) ; l’arabe était la langue du commerce sur ce circuit.

Sur place, de petits commerçants, les tujaars, installés le long des routes de caravanes du nord et de l’est facilitaient le travail des marchands arabes (Tripolitains et Tunisiens). Parmi eux se trouvaient des Haoussa, des Bornouans et des Fôriens, mais aussi des Faki, des lettrés arabisés détachés auprès des chefs locaux afin d’acheter et stocker les produits (ivoire), en prévision des tournées du marchand pour lequel ils travaillaient (Kalck  1959  : 70). Les Soudanais de leur côté établirent de nombreux zéri-bas (postes commerciaux) dans le Mbomu et l’Uele.

Un wakil ou vekil, seigneur de zériba, véritable potentat, représentait le marchand dans chaque zériba. Il avait sous ses ordres un grand nombre d’employés ; il commandait la force de la zériba, déterminait les impôts à fournir en nature par les populations soumises, contractait des alliances et envoyait tous les ans à Khartoum les marchandises : ivoire et esclaves, recueillis (Schweinfurth 1975 : 39).

Plusieurs zéribas formaient un dem, vaste comptoir dont le plus important était celui de Ziber : le Dem Ziber au nord du Mbomu.

Ziber était l’un de six marchands les plus riches de Khartoum. En 1873, sa puissance fit de lui le gouverneur égyptien de la province du Bahr el­Ghazal et Dem­Ziber en devint le chef­lieu (Thuriaux­Hennebert 1962  : 563). Ce fut d’abord

À Banzyville, les anneaux en cuivre portés par ces filles sango.

(AP.0.0.346, collection MRAC Tervuren ; photo F.L. Michel, 1894.)

pour le compte de ce marchand et puis celui de son fils Souleyman que travaillait Rabih (ou Rabah). Il avait dirigé en 1879 ou 1880 la première incursion soudanaise sur la rive droite du Bas­Mbomu, de l’Uele et dans le Nord­Ubangi, des régions peuplées de Gbodo, de Bila (a­Biras) et de Yakoma. Selon Éric de Dampierre, Rabih ne conduisit pas personnelle­

ment l’incursion, le chef soudanais se trouvait à ce moment au nord­ouest de la Koto. Cette opération serait l’œuvre de ses collaborateurs, les bans. Venant de Dar Kuti, les rabistes entrèrent en contact avec le roi Mbali (père de Bangaso), qui était à ce moment à la tête de royaume Bandia­Nzakara. Ce fut à partir de ce royaume que les rabistes lancèrent leurs attaques contre le territoire des Ngbandi  : ils pillèrent les stocks d’ivoire et firent des captifs parmi les groupes précités (les trois groupes sont des Ngbandi).

Des captifs yakoma, on en retrouva plus tard les traces dans le rang des expéditions françaises du Tchad : « Les quelque deux cents Yakoma, raflés en 1883, firent de bons guerriers (de Rabih). Et bien plus tard, lorsque les restes des bans rabistes furent, après la victoire française, installés dans cette ville nouvelle appelée Fort­Lamy [Ndjamena], les originaires du nord et les Banda donnèrent naissance à une cohorte de goumiers, sous le commandement de Faki Nâ îm ; les Yakoma, eux, furent reformés en une compagnie du capitaine Truffert, en 1901 » (de Dampierre 1983 : 29).

Les mêmes Yakoma s’illustrèrent par la suite entre 1901 et 1902 dans de nombreux combats pour la conquête du Tchad. On peut citer à titre d’exemple le combat du 23 août 1901, livré par le lieutenant­

colonel Destenave contre le Fadh Allâh, où les Yakoma servirent dans les rangs de l’officier fran­

çais ; ou encore le combat de Mondo au Kanem, le 1er décembre 1901, et enfin, le deuxième combat de Bir Alabi, le 20 janvier 1902 (de Dampierre 1983 : 29).

Vers 1881 ou 1882, les Ngbandi connurent une deuxième incursion des Soudanais, connus seule­

ment sous leurs surnoms Ngbandi de Gezere, Kabasi, Zombere (Ziber), Azerman (Souleymane ?) et Kabu (Ali Kabu). Les marchands arabes du Soudan, par­

tis du Bahr el­Ghazal et de Dar Fertit, débouchèrent aux sources de la Bili, puis descendirent cette rivière jusqu’à son cours inférieur avant de traverser l’Uele et atteindre le territoire des Ngbandi. Parmi eux, Ali Abu (Kabu) était très cruel : « C’est Kabu qui a laissé dans l’esprit des indigènes l’impression la plus vivace parce que son activité était grande et que ce qu’il voulait des chefs, il l’obtenait de bon ou de mauvais gré. Il se fit craindre par les nombreuses opérations de guerre qu’il conduisit » (Hutereau 1922 : 83).

Ali Abu (Kabu ou encore Alikobbo) était, avec Abdel Allah, un ancien wakil d’Abu Muri, le riche négociant de Khartoum et propriétaire, comme Ziber, de nombreuses zéribas dans le Bahr

Le sultan Zabele, alias « Djabir », et son « état-major » devant sa maison.

(AP.0.0.197, collection MRAC Tervuren ; photo F.L. Michel, 1894.)

el­Ghazal et le Dar­Fertit. En 1881, après la défaite de Souleymane, le fils de Ziber, le commandant Lupton, alors gouverneur du Bahr el­Ghazal, char­

gea Ali Abu et Abd Allah, tous les deux d’anciens traitants, d’étendre l’autorité du Khédive vers le sud sur les Bandia et Azande restés jusque­là à l’écart de la sphère d’influence de l’Égypte. Profitant des que­

relles entre les chefs des clans bandia (descendants de Hilu), les deux employés de l’Égypte se partagèrent le territoire compris entre la rive gauche du Mbomu et la rive droite de l’Uele. Ils y fondèrent des zéribas, dont les plus importantes étaient la zériba d’Abd Allah, aux sources de la Gangu (affluent gauche de la Bili), et celle d’Ali Abu (Alikobbo) au sud de la résidence de Djabir (Bondo). Ce fut à partir de ces zéribas que l’Arabe Ali Abu lança son incursion sur la rive gauche de l’Uele, habitée par les Ngbandi. Le chef azande Bokoyo le guida dans cette région. Entré au service des Arabes, celui­ci accompagna en 1875 le chef arabe Gezere à Khartoum et prit au retour le nom arabe de Djabir. C’est le capitaine Vangele qui rapporta pour la première fois l’incursion de Kabu.

En juillet 1890, remontant l’Uele, Vangele arriva chez le notable Bangonzo soumis au chef Pikisa. Là, il apprit le motif de sa lutte du 5 janvier 1888 contre les Yakoma (Bila et Gbodo). Voici un extrait de son récit : « Il y a 8 ou 9 ans, les Abiras reçurent la visite des Soudanais venant du nord. Après quelques jours de relations cordiales, ces étrangers se mirent à piller et à voler, mais les Abiras se défendirent avec succès, enlevant même à leurs ennemis huit fusils qu’ils conservèrent et qu’ils me montrèrent. Les pillards se retirèrent alors vers l’amont, le long de la rive droite de la rivière, jusqu’à la résidence de Bagozo où ils traversèrent le Makoua (Uele), grâce à une ligne rocheuse qu’avait laissée à découvert la baisse des eaux. Sur la rive méridionale, ils ravagèrent le district de Kambongos (Mbongo), auxquels ils tuèrent beaucoup du monde, après quoi ils partirent et plus jamais on en entendit parler. Voilà ce que j’ai appris chez Prikissa [Pikisa]. Une chose est certaine, c’est que l’influence des Soudanais est nulle ici » (Arch.

MRAC, fonds Vangele). Les renseignements que j’ai recueillis en 1979 par Léopold Ngbakpwa chez les Kasi, les Bila et les Law, corroborent le récit de Vangele.

Quittant sa résidence près de Djabir (Bondo), Ali Abu Kabu arriva à Monga, qu’il traversa pour atteindre le village du chef Pikisa (Bila), père de Ngalakpa, sur la rive droite du Bas­Uele. Il simula

« Le chef Kobo, chefferie Law-est, territoire de Banzyville ; poste de Yakoma.

(AP.0.2.1291, collection MRAC Tervuren ; photo H. Rosy, 1937 © MRAC Tervuren.)

Zabele, alias « Djabir », en costume soudanais.

(HP.1961.1.1736, collection MRAC Tervuren ; photo F.L. Michel, 1894.)

un marché et massacra tout qui s’y présenta. Ali Abu passa ensuite sur la rive gauche. Selon Hutereau, le chef arabe était à la poursuite de Bangbi, le chef de la chefferie Kasa de la Basse­Bili, qui s’était réfugié chez les Law, sur la rive gauche de l’Uele. Ali Abu vou­

lut continuer son pillage vers l’intérieur, mais Law et Fananze, unis, l’arrêtèrent sur le ruisseau Banze près de l’actuel village Kole ; il se retira et, longeant la rive gauche de l’Uele, installa une zériba chez les Nzamba. Kpata, le chef des Gembele (sous­groupe bila en amont de Pikisa) vint solliciter auprès de lui son aide contre Kata, un chef bila, qui, disait­il, avait tué son frère ; il y fut arrêté comme Zagi, le frère de Pikisa, envoyé par ce dernier pour négocier la libéra­

tion de Kpata et de Kata.

Ali Abu razzia toute la région pendant son séjour qui dura près de quatre mois (nze sio). Il arrêta également Sambia, chef des Boya et grand­père de Wangbonga. Le chef arabe se retira à Bondo (Djabir) avec ses prisonniers, qui ne furent relâchés qu’au bout d’un an, à l’exception de Sambia décédé lors de sa captivité, après qu’une forte rançon en ivoire, esclaves et sel eut été envoyée.

Juste après le départ du chef arabe, les Ngbandi connurent une nouvelle incursion, une troisième, menée cette fois par le chef azande Djabir, que les Ngbandi appelaient Zabere (Zabele). En 1883, Lupton rappela Ali Abu au nord pour défendre le Dem Ziber menacé par les mahdistes. Djabir accom­

pagna le chef arabe, mais déserta la colonne avec armes et munitions. Revenu dans son pays, il entre­

prit de soumettre la région du Bas­Uele pour son propre compte. Il connaissait bien cette région ; il y était venu pour la première fois à la solde du chef arabe Ali Abu pendant l’incursion citée plus haut.

Djabir s’attaqua aux Kasa (Basse­Bili) pour la première fois, mais n’eut qu’un demi­succès, ces derniers lui enlevant six fusils. Il revint une année plus tard avec des forces plus importantes. Le chef Kasa se réfugia pour la deuxième fois chez Gugia, chef des Law. Poursuivant son adversaire, Djabir déboucha sur l’Uele un peu en aval du village Kpani actuel ; il remonta la rivière et se fit traverser par les Kasi. Il razzia les Lite (est), Nzamba, Mbongo et les Boya, et installa un poste au ruisseau Dangu, village Hopele (Law).

Comme avec Ali Abu, les Law voulurent se défaire de Djabir ; ils attaquèrent le poste par surprise, mais

le chef azande, militairement bien équipé, repoussa l’attaque. Il en profita pour s’avancer plus au sud et installa un poste au ruisseau Dumba, près du village Bemo­Gulumbo (Law­ouest). Ngalakpa, qui avait succédé à son père (Pikisa), vint le voir avec tous ses fusils ; Djabir le captura et massacra sa suite.

Fort de son succès, Djabir voulut piller les Gini situés plus à l’intérieur, mais ces derniers, aidés par les Vamboro (Law), lui infligèrent une grande défaite ; la poursuite dura jusqu’à la nuit et ne s’arrêta qu’à la rivière Kpotokpo. L’ancien auxiliaire arabe revint chez les Mbongo et installa un poste chez les Gboma (qui parlent pagebete) en amont de Lite (est).

Il y resta plusieurs lunes (nze) avant de se retirer vers Bondo. Kpata paya la rançon en ivoire de Ngalakpa qui ne recouvra la liberté qu’au bout d’un an. Djabir étendit sa souveraineté sur Kasa (Basse­Bili) et sur les populations des rives du Bas­Uele (une partie des Ngbandi : Kasi), et les soumit à des impôts.

En  février 1892, le lieutenant de la Kethulle en route pour Rafai rencontra Dokpa, chef des Kasi, à la résidence de Djabir où il était allé payer son tribut en ivoire. Les deux hommes firent route ensemble jusque chez le chef Kasi, à deux jours de pirogue en aval de Djabir. Le chef Dokpa accompagna ensuite l’officier belge jusqu’à Yakoma.

Les fonctionnaires de l’EIC tolérèrent longtemps la perception d’impôt en ivoire par le sultan azande parce que ce dernier cédait l’ivoire à l’État contre des armes. Cette perception ne prit fin qu’en 1905, avec la défaite de Djabir, entré en révolte contre l’État indépendant du Congo.

Pendant que les Ngbandi mettaient définitivement fin aux incursions des Arabes du Soudan et de leur ancien auxiliaire Djabir, d’autres Arabes venus cette fois de Zanzibar pénétrèrent de nouveau dans le Nord­Ubangi.

2.2.3. INCURSIONS DES MARCHANDS DE ZANZIBAR OU