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L’écoute appareillée

L A VIE « INTÉRIEURE » DU SON

« J’essayais de me rapprocher le plus possible d’une sorte de vie intérieure, microscopique, comme celle que l’on trouve dans certaines solutions chimiques, ou à travers une lumière filtrée. J’utilisais les cordes de manière athématique comme fond sonore derrière un grand déploiement de cuivres et de percussions »548 : c’est ainsi que s’exprime Varèse dans l’un de ses ultimes

entretiens, à propos d’une section de cordes en divisi de Bourgogne, une œuvre malheureusement disparue549. Vie intérieure : quiconque se centre sur le son lui-même, parfois au détriment des

relations entre les sons ou bien pour s’intéresser aux relations s’établissant « dans » le son, peut être tenté de l’appréhender comme un « sujet ». Il ne serait pas un ob-jet, une entité fermée qui se tiendrait face à nous, que l’on manipulerait de l’extérieur : nous serions travaillés par lui. Dans ce sens, la focalisation sur le son prolonge la métaphore organiciste – la musique comme plante qui croît –, qui domina une partie du XIXe

siècle, et lui donne une issue inattendue : le son posséderait une « intériorité ». Être dans le son, s’immerger dans le son, être enveloppé par le son, voyager au cœur du son, s’enfoncer dans l’abîme du son… deviennent alors les nouvelles métaphores pouvant inspirer tant les compositeurs que les auditeurs. Commençons par l’expression initiale : nombreuses sont les musiques qui évoquent, d’une manière ou d’une autre, la « vie intérieure » des sons. En voici une petite anthologie.

Si Bourgogne a disparu, peut-être pourrions-nous néanmoins y voir une préfiguration des masses de cordes en divisi du premier Xenakis. Dans Pithoprakta (1955-56), les cordes jouent jusqu’à 46 parties réelles, formant des sons globaux gigantesques dans lesquels l’auditeur est invité à s’immerger pour en observer la vie intérieure. Ainsi, aux mesures 122-171, les cordes se divisent en six groupes de timbre : arcos brefs, col legno frappés, col legno frottés en glissando, arcos en glissando, pizzicati, bruits résultant de la main frappant le corps de l’instrument. L’exemple 1 donne le début de cette section, où l’on peut entendre un foisonnement microscopique, un univers surprenant de détails en ébullition si l’on prend la métaphore varésienne de la « solution chimique ». Xenakis lui-même passe par une autre métaphore. À des endroits spécifiques de cette section, il demande au chef d’orchestre de mettre en avant l’un des six groupes : « Dans cette nébuleuse de sons faire ressortir les configurations galactiques » des

548 Edgar Varèse in Gunther Schuller, « Conversation with Varèse », Perspectives of New Music vol. III n°2, 1965,

repris in Edgar Varèse, Écrits, Paris, Christian Bourgois, 1983, p. 184.

549 Les œuvres que Varèse composa avant 1918 ont été perdues, à l’exception d’Un grand sommeil noir et de

Bourgogne. Cependant, le compositeur détruisit cette dernière vers 1962 (cf. Fernand Ouellette, Edgar Varèse, Paris,

Christian Bourgois, 1989, p. 54). Elle avait été exécutée à Berlin, en 1910, et avait donné lieu au premier des scandales varésiens : « Bruno Schrader, critique, décréta que c’était un bruit infernal, une musique de chats » (cité par Fernand Ouellette, op. cit., p. 55).

instruments jouant en arco normal, note-t-il pour les mesures 125-127550. On pourrait aussi

entendre ce passage tel un entomologiste : « On se croirait à la guerre au royaume des insectes. On entend un bourdonnement, un vrombissement, un murmure, transpercé de cris aigus [...dans] un intense mouvement à une échelle minuscule »551. Si l’on adopte cette métaphore, on

imaginera alors l’opération de mise en avant de tel ou tel groupe comme l’observation au microscope d’une région particulière de cette incroyable vie microscopique, « intérieure » au son global que compose ces masses sonores.

Exemple 1.

Iannis Xenakis, Pithoprakta : mesures 122-125552.

Dans notre petite anthologie, le premier Stockhausen occuperait également une place de choix. Dans Punkte (1952), toute la musique constitue un arrière-plan, mais « l’arrière-plan cesse d’en être un. Cela devient le corps de la musique, et vous écoutez l’intérieur du son. Il n’y a rien au-dessus pour la reléguer à l’arrière et n’en faire plus qu’une atmosphère »553. À l’époque, le

musicien allemand s’intéresse de près à l’intériorité du son car il y trouve un monde sonore déjà organisé. Il peut ainsi procéder à un transfert, où la macrostructure (la pièce entière) dérive de la microstructure (le son ausculté de l’intérieur) :

« Voici le principe qui sous-tend toute mon attitude de compositeur : considérer à une grande échelle ce qui se passe à une très petite échelle, à l’intérieur d’un son. Le Klavierstück XI [1956] n’est rien d’autre qu’un son, dont les partiels, les composants, sont organisés d’après des règles statistiques. […] Si je conçois une pièce construite exactement comme est organisé le son, il s’ensuivra naturellement que les éléments qui composent la pièce pourront être permutés, échangés, bousculés, sans que le caractère de base de la pièce s’en trouve modifié »554.

Dans Kontakte (1958-60) ou dans Carré (1959-60), nous dit-il encore, « je fais entendre un spectre sonore donné, pendant un temps assez long, si bien que l’on peut percevoir les modifications qui affectent directement telle ou telle couche. C’est de l’analyse au microscope. Je pense que chaque son a sa propre vie intérieure »555. Concentrons-nous sur la « structure » XIA à

XIF de la partie électronique de Kontakte. L’exemple 2 donne sa représentation schématique, que l’on trouve dans la partition. Cet extrait comprend six couches sonores, désignées par des chiffres arabes. Peu avant XIA, à 21’25,5’’, les six couches sont superposées sur une même hauteur, formant un son complexe, presque harmonique et statique quant à sa hauteur et son timbre : l’oreille le perçoit clairement comme un son. Puis, progressivement, chaque couche commence à diverger, d’abord par un glissando, puis en changeant de timbre. Peu après 21’57’’, la première effectue un glissando en courbe vers le grave, puis devient successivement 1b (22’17,7’’), 1c (22’46,1’’), 1d (22’53,2’’) et 1e (23’3,9’’). À 22’17,7’’, la seconde diverge vers l’aigu pour

550 Pithoprakta, partition, Boosey and Hawkes, p. 17.

551 Nouritza Matossian, Iannis Xenakis, Paris, Fayard, 1981, p. 118.

552 © Boosey and Hawkes. Reproduit avec l’aimable autorisation de l’éditeur.

553 Karlheinz Stockhausen in Jonathan Cott, Conversations avec Stockhausen, Paris, J.C. Lattès, 1979, p. 37. 554 Ibid., p. 76-77.

devenir ensuite 2b (22’25,6’’) et 2c (22,30,4’’). Et ainsi de suite. À 23’3,9’’, la dernière couche restante (6) commence elle aussi à glisser et aboutit à un timbre différent (6b). En somme, tout se passe comme si, en différenciant les couches sonores une par une, Stockhausen nous faisait entendre la vie intérieure du son unique de départ556.

Exemple 2.

Karlheinz Stockhausen, Kontakte : p. 24-26 de la partition (partie électronique) 557. Les couches sonores sont désignées par des chiffres arabes. Chiffres romains au-dessus de chaque système : minutage. Chiffres entre parenthèses : intensité en décibels – ∞ signifie inaudible. Chiffres romains à l’intérieur d’un système : haut-parleurs

(I à gauche, II devant, III à droite, IV derrière) – « rotation » désigne des sons tournant vers la droite (rechts) ou la gauche (links) à la vitesse indiquée (langsam : lentement ; schnell : rapide ; mäßig : mouvement modéré).

La métaphore de la vie intérieure a pu fleurir grâce au souci du détail et à son observation microscopique qui caractérisent la modernité en général : comme l’écrit Pierre Francastel, dans l’art moderne survient « l’agrandissement presque hallucinatoire des détails »558. Depuis

Debussy, chez qui « le mode d’organisation des séquences importe beaucoup moins que leur facture interne », comme l’affirme Célestin Deliège559, l’instant musical a cessé d’être

simplement un moment précis, une transition, le prétexte à une dynamique globale : il s’ouvre à l’infini et, animé d’une fluidité extrême, dévoile ses moindres détails. Dans la musique instrumentale, l’intérêt pour le timbre est synonyme d’observation « microscopique » du son, puisque l’on travaille sur des phénomènes qui tendent à franchir le macrotemps pour aller vers le microtemps. C’est pourquoi les métaphores évoquant « l’intérieur » du son sont fréquentes. Dans son Traité d’orchestration, pourtant rédigé avant l’explosion des nouvelles techniques de jeu, Charles Koechlin, commentant l’utilisation du col legno dans la Suite lyrique (1925-26) de Berg, écrit que, « avec sa musique atonale, indécise, d’un mouvement hallucinant, et la nuance pianissimo, c’est comme un tourbillon d’atomes »560. Dans l’après 1945, notre anthologie

pourrait être composée presque au hasard des propos. Ainsi, Ligeti, évoquant la vision d’une musique « statique » qu’il eut dès le début des années 1950 (et qui se matérialisa finalement dans

556 Selon les explications du compositeur, élaborées à l’époque où il conçoit la notion de Momentform, cette section

de Kontakte constitue un « moment » perçu comme tel « dans la mesure où, pendant toute sa durée, une sonorité dont la hauteur ne varie pas le traverse. Au fur et à mesure que sa durée s’écoule, cette sonorité est identifiée comme étant un mélange de six Sons différents, du fait que chaque son, l’un après l’autre, se détache […] L’ensemble constitue un modèle de transformation d’une forme en structure, de l’individuel en collectif, et simultanément de transformation d’un état en processus » (Karlheinz Stockhausen, « Momentform. Nouvelles corrélations entre durée d’exécution, durée de l’œuvre et moment » (1960), traduction Christian Meyer, Contrechamps n°9, 1988, p. 114).

557 © Archive of the Stockhausen Foundation for Music, Kürten, Germany (www.stockhausen.org). Reproduit avec

l’aimable autorisation de la fondation.

558 Pierre Francastel, Art et technique, Paris, Denoël, 1956, p. 178.

559 Célestin Deliège, « De la forme comme expérience vécue », in Stephen McAdams, Irène Deliège (éd.), La

musique et les sciences cognitives, Liège, Pierre Mardaga, 1989, p. 36. Bien entendu, cette affirmation doit être

relativisée.

Apparitions, 1958-59 et Atmosphères, 1961), parle d’une « musique qui changerait à travers une transformation graduelle presque comme si elle changeait de couleur à partir de l’intérieur »561.

Pour le Nono du Prometeo (1981-85), le son contient en lui une ouverture : « Chaque son montre la merveille d’être – sans avoir pris connaissance de son commencement, de son origine. Et dans chaque son défini se révèle l’ouverture du purement possible à quoi il doit sa destinée »562.

Grisey, quant à lui, évoque un « effet de zoom qui nous rapproche de la structure interne des sons » et le met en relation inverse avec le temps : « Plus nous dilatons notre acuité auditive pour percevoir le monde microphonique, plus nous rétrécissons notre acuité temporelle, au point d’avoir besoin de durées assez longues »563. Les compositeurs qui, comme Grisey, se sont

intéressés au transfert du microtemps (le son en tant que phénomène physique) vers le macrotemps (forme de l’œuvre) sont nombreux à parler de « structure interne » du son – ainsi, Alberto Posadas, à propos de son œuvre Oscuro de llanto y de ternura (2005), une pièce qui procède à ce transfert grâce aux fractales et donc au principe de l’autosimilarité, écrit qu’il s’est efforcé de « créer une forme qui soit le reflet de la structure interne du son »564. À propos de

Désintégrations (1983), Murail évoque l’exploration spectrale comme « mouvement à l’intérieur du son »565. Citons enfin Pascale Criton, qui développe l’idée de « pénétrer » le matériau ;

décrivant la « molécularisation » de ce dernier – expression empruntée à Deleuze –, elle écrit : « Il s’agit aujourd’hui d’atteindre les relations mobiles que la molécularisation du matériau peut engendrer, les réenchaînements de point à point qui permettent de nouvelles articulations et de nouvelles surfaces. […] Il s’agit de pénétrer cette infime microvariabilité qui se déroule simultanément en tout point pour sortir des objets identifiés et réunir des champs de perception habituellement dissociés »566.

Avec la musique électroacoustique, l’impression de plonger dans le son pour en ausculter la vie intérieure est peut-être encore plus intense. Elle naît de l’écoute amplifiée, dont on a déjà parlé, qu’a rendue possible le microphone. Schaeffer, commentant l’art de l’enregistrement, note : « Si plus d’un débutant, tout imprégné encore de l’esprit traditionnel de fidélité au son acoustique, enregistre de préférence à la distance normale, il s’habituera rapidement […] à rapprocher les micros des corps sonores […] pour saisir des veloutés, des granulations, de fines résonances aiguës, des scintillements »567. Il ajoute qu’on développe ainsi un domaine nouveau

défini par une « intimité avec la matière »568. Pierre Henry, lui, insiste toujours sur la possibilité

561 György Ligeti, Ligeti in Conversation, Londres, Eulenburg Books, 1983, p. 33 (entretien avec Péter Várnai). 562 Luigi Nono, « L’itinéraire de Prometeo » (1985), in Luigi Nono, Écrits, réunis par Laurent Feneyrou, Paris,

Christian Bourgois, 1993, p. 331.

563 Gérard Grisey, « Tempus ex machina », Entretemps n°8, 1989, p. 101 (repris in Gérard Grisey, Écrits ou

l’invention de la musique spectrale, édition établie par Guy Lelong avec la collaboration d’Anne-Marie Réby, Paris,

Musica falsa, 2008).

564 Alberto Posadas, notice de concert, Cité de la musique, Paris, 15 octobre 2005, p. 43. 565 Tristan Murail, notice de concert, IRCAM, Paris, 11-13 septembre 1992, p. 26.

566 Pascale Criton, « Subjectivités et formes », Filigrane. Musique, esthétique, sciences, société n°2, 2005, p. 133. 567 Pierre Schaeffer, La musique concrète, Paris, P.U.F.-Que-Sais-Je ?, 1967, p. 44.

de « faire grandir les sons »569 : avec l’amplification, les « corps sonores », pour reprendre la

terminologie traditionnelle, prennent véritablement chair, et l’art musical consiste en quelque sorte à plonger l’auditeur dans leur « intériorité » afin d’écouter tous ces détails auparavant inaudibles du fait qu’on en restait à la « surface ». Ses Tam Tam I à IV (repris dans le Microphone bien tempéré, 1950-52) mettent en scène un tam tam « agrandi et multiplié par la manipulation, et se transformant en usine à sons géante »570. Un tam tam encore plus célèbre est utilisé dans

Mikrophonie I (1964-65) de Stockhausen, l’une des premières pièces de live electronic music : pendant que deux musiciens l’auscultent de plusieurs manières (en frottant, en grattant, etc.), deux autres jouent du microphone (la partition indique l’endroit du tam tam où le micro doit être placé, la vitesse de son déplacement, etc.) et deux derniers transforment le résultat sonore avec des filtres et des potentiomètres. Le tam tam n’est pas choisi au hasard : par sa taille (les expérimentations de Stockhausen lui-même ont été effectuées sur un instrument de 1,55 mètres de diamètre : cf. exemple 3), par ses connotations (Extrême-Orient, méditation), il ouvre cette fameuse intériorité du son : lors de l’audition de la pièce – surtout sur disque, à condition de savoir que tout provient du tam tam –, l’auditeur a la sensation d’une « plongée au cœur du son [de tam tam]. Celui-ci est grossi, comme agrandi au microscope »571.

Exemple 3.

Le tam tam utilisé par Stockhausen pour Mikrophonie I572.

Un autre instrument « énorme », la grande cloche ténor de la cathédrale de Winchester, est ausculté de l’intérieur dans Mortuos Plango, Vivos Voco (1980, pour sons concrets traités par ordinateur) de Jonathan Harvey. Outre la cloche, Harvey a enregistré la voix d’un jeune choriste, son fils. Dans la composition, ces deux sources sont associées à des sons synthétiques produits selon des modèles acoustiques « déduits de leur propre nature »573, c’est-à-dire à partir de leur

analyse spectrale (on trouvera dans l’exemple 4a l’analyse du son de cloche). Mortuos Plango, Vivos Voco possède une forme très claire, en huit sections, chacune étant fondée sur la domination d’un partiel de la cloche ; le passage d’une section à l’autre s’opère par des glissements (cf. exemple 4b). Les sons les plus fascinants de la pièce nous plongent dans l’esthétique de l’hybridation qui, durant le début des années 1980, semblait une voie prometteuse. En de multiples occasions, le son de la cloche et celui du jeune garçon sont « croisés ». Par exemple, on peut avoir un agrégat (accord) dont les notes correspondent aux fréquences des partiels de la cloche – on entend donc globalement un son de cloche – mais sont chantés par le

569 Cf. Pierre Henry, Journal de mes sons, d’après des entretiens avec Anne Rey, Paris, Séguier, 1996 (texte

original : 1979), passim.

570 Michel Chion, Pierre Henry, Paris, Fayard, 2003, p. 31.

571 Michel Rigoni, Stockhausen… un vaisseau lancé vers le ciel, Lillebonne, Millénaire III, 1998, p. 225.

572 © Archive of the Stockhausen Foundation for Music, Kürten, Germany (www.stockhausen.org). Reproduit avec

l’aimable autorisation de la fondation.

573 Jonathan Harvey, Denis Lorrain, Jean-Baptiste Barrière, Stanley Haynes, « Notes sur la réalisation de Bhakti »,

choriste. Dans le début de la section 4 (3’30’’-3’46’’) dont l’exemple 4c donne le sonagramme, il est difficile de dire ce qui appartient à la cloche et ce qui appartient au garçon. D’une manière générale, dans cette œuvre, tout se passe comme si, en décomposant la cloche, Harvey nous faisait découvrir sa vie intérieure, hybridée ou non. Quant au concert : « Il faut imaginer que les murs de la salle de concert enserrent le public comme la paroi de la cloche autour de laquelle vole librement l’âme du jeune garçon (cet effet est surtout perceptible dans la version originale huit pistes) »574575.

Exemple 4a.

Jonathan Harvey, Mortuos Plango, Vivos Voco : analyse du son de cloche (les vingt quatre premiers partiels)576. Les fractions au-dessus de la portée indiquent une approximation en quarts ou huitième de tons qu’il faut ajouter ou

retirer de la hauteur indiquée sur la portée pour obtenir la fréquence. En-dessous de la portée sont indiqués : le numéro du partiel ; la fréquence en Hz ; l’amplitude.

Exemple 4b.

Jonathan Harvey, Mortuos Plango, Vivos Voco :transition entre les sections 2 et 3577. A. Sonagramme. B. Structure de hauteurs : a) partiels des voix ; b) cloche sur do (260Hz) : partiels 2, 5, 8, 10, 17, 19, 21, 23 ; c) cloche sur do

(260Hz) : partiels 5-10 ; d) cloche sur fa (347Hz) : partiels 3-8 ; e) coup de cloche sur fa (347Hz) : début de la section 3.

Exemple 4c.

Jonathan Harvey, Mortuos Plango, Vivos Voco, 3'30’’-3’46’’ : sonagramme578.

Il est important de constater que, dans la musique électroacoustique, le modèle acoustique choisi est déterminant pour la métaphore qui nous intéresse ici : en l’occurrence, le modèle spectral sur lequel travaille Harvey, parce qu’il postule qu’un son se « décompose » en partiels, autorise, en quelque sorte, à appréhender ces derniers comme les témoins de la vie « intérieure » du son – c’est bien sûr le même modèle qui conduit Grisey ou Murail à parler de « structure interne » du son. Par contre, si l’on travaille directement sur la forme d’onde, on peut difficilement filer la métaphore, puisque le son est alors envisagé comme une variation de la pression d’air, une courbe mathématiquement sans « épaisseur » – sans « intérieur » ni

574 Jonathan Harvey, notice du CD Hugues Dufourt, Antiphysis, Brian Ferneyhough, Funérailles-versions I et II,

Jonathan Harvey, Mortuos Plagno, Vivos Voco, Erato, 1984-85, WE 810 ZK.

575 Pour des analyses détaillées de la pièce, cf. : Anastasia Georgaki, Problèmes techniques et enjeux esthétiques de

la voix de synthèse dans la recherche et création musicale, thèse de doctorat, EHESS-IRCAM-CNRS, 1998 ; Bruno

Bossis, « Mortuos Plango, Vivos Voco de Jonathan Harvey ou le miroir de la spiritualité », Musurgia vol. XI n°1-2, 2004, p. 119-144 ; Michael Clarke, « Jonathan’s Harvey Mortuos Plango, Vivos Voco », in Mary Simoni (éd.),

Analytical Methods of Electroacoustic Music, Routledge, Taylor and Francis, 2006, p. 111-144.

576 D’après Bruno Bossis, op. cit, p. 123. et Michael Clarke, op. cit., p. 116. 577 Michael Clarke, op. cit., p. 125.

« extérieur ». Par ailleurs, depuis que nous avons la possibilité de « zoomer » grâce aux logiciels d’édition (cf. exemples 5a et 5b), la métaphore de l’observation au microscope semble être devenue réalité : il existe une vie intérieure au son, nous dira celui qui pense « descendre », se plonger, s’immerger, etc. dans le millième de seconde. (Celui qui doute pourra rétorquer : oui, mais où commence, où s’arrête le son ?).

Exemple 5a.

Sonagramme des deux premiers accords du premier mouvement de la 3ème Symphonie de Beethoven dans un enregistrement de Karajan579.

Exemple 5b.

Zooms successifs du premier accord (en haut, le temps en secondes)580.

Pour continuer notre anthologie avec les « grands » corps sonores, on pourrait citer Grand bruit (1991, pour bande) de Christian Zanési, qui utilise un seul enregistrement de 21 minutes d’un son de RER avec lequel le compositeur se rendait du studio à son domicile : « Les grands corps sonores mobiles ont la propriété banale et pourtant étonnante de placer l’auditeur-voyageur à l’intérieur, comme s’il se trouvait dans une gigantesque contrebasse qui, dans le cas du train, est frottée par un archet double : les rails et l’air »581. Travelling Still (1997, pour bande), de Paul

Fretwell est, quant à elle, une pièce basée sur des sons du métro londonien. L’auteur note à propos du titre : « Travelling Still joue sur [l’idée] de conduire l’auditeur du monde réel des sons de voyage à un monde sonore intérieur de symboles et de références »582. Car de l’« intérieur »

des sons à l’intériorité tout court, la distance est relativement vite franchie : « Ces paysages, bien sûr, sont des voyages intérieurs, ce à quoi l’art acousmatique fait essentiellement référence », note Jean-François Minjard à propos de sa pièce Paysages (1998, pour bande)583. La métaphore

peut également conduire du côté de la matière, comme on l’a déjà vu. À propos de son œuvre Animus (1995, pour trombone et dispositif électronique), dont le titre décrit « l’histoire qui se