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Mais que se passe-t-il lorsque les bruits n’ont pas une intensité élevée ? Par exemple, lorsque un marteau-piqueur, assourdi par une fenêtre avec double vitrage, joue pianissimo et commence à ressembler au début de la pièce électroacoustique Schall (1994) d’Horacio Vaggione ; ou encore, lorsque, dans la nuit profonde, émergent peu distinctement les sons d’une pluie douce ? La littérature abonde en descriptions de tels bruits non nuisibles. Proust, « grand écouteur de bruits nocturnes »185, en met en scène une grande quantité, qui peuvent être classés

en trois catégories : la fenêtre violemment ouverte et l’aéroplane constituent par exemple un « signe avant-coureur » de la fuite d’Albertine ; il y a ensuite des « bruits complètement dissonants comme révélation de l’art » ; viennent enfin les « illusions auditives »186. Une autre

étude littéraire, intitulé Le bruit du roman, compare les bruits décrits dans Le Père Goriot,

181 Cf. Jean-Pierre Servant (éd.), op. cit. Cet épais document technique explique la norme NF S 31-010, support du

décret gouvernemental n°95-408 du 18 avril 1995 sur le bruit du voisinage et sur son arrêté d’application. Le chapitre 3 de ce document explique les méthodes de mesure (de l’intensité) des bruits.

182 Lison Méric, op. cit., p. 27.

183 Pour quelques unes des études qui viennent d’être citées : 115 dB(A) (Alain Muzet, op. cit.) ; 120 (Nathalie

Sailleau, op. cit.) ; 130 (Lison Méric, op. cit.).

184 « Du fait de l’étroite interconnexion des différentes voies nerveuses, les messages nerveux d’origine acoustique

atteignent de façon secondaire d’autres centres nerveux et provoquent des réactions plus ou moins spécifiques et plus ou moins parquées au niveau d’autres fonctions physiologiques », écrit Alain Muzet (op. cit., p. 35), qui cite des effets sur le système endocrinien, sur le système immunitaire, etc. et, plus généralement, sur le psychisme. Une étude sur le caractère nuisible du bruit – des sons en général –, lié notamment à son intensité, devrait mentionner ses diverses utilisations comme arme. Cf. Juliette Volcler, Le son comme arme. Les usages policiers et militaires du son, Paris, La Découverte, 2011. Exemple parmi d’autres, de cette utilisation : le franchissement du mur du son à basse altitude par les jets de combat de l’aviation israélienne, à plusieurs reprises, en septembre 2005 : « Des milliers de vitres sont brisées et des fissures apparaissent sur certains murs. Les Palestiniens “comparent le son à un tremblement de terre ou à une énorme bombe”. Ils disent que cela fait l’effet d’être frappé par un mur d’air, que c’est douloureux pour les oreilles, que cela peut causer des saignements de nez et vous “laisse tout tremblant” » (ibid., p. 61).

185 Michel Chion, Le Son, Paris, Nathan/HER, 2000, p. 13.

Madame Bovary et Germinal pour en tirer des conclusions quant à l’esthétique de leurs auteurs respectifs187.

En réalité, peu de bruits sont nuisibles. Or, dans le sous-ensemble des bruits non nuisibles, certains éléments apportent du plaisir car ils éveillent notre curiosité : ils peuvent être interprétés comme des signes ou des indices, comme c’est le cas des bruits dont il vient d’être question. Au sein de ce nouveau sous-ensemble, on peut délimiter des bruits non nuisibles éveillant une curiosité désintéressée. Avec eux, si nous suivons la définition kantienne de l’art, nous pénétrons dans le domaine de l’esthétique. Enfin, si l’on poursuit jusqu’au bout notre délimitation de sous- ensembles, comme le propose l’exemple 1, nous aboutissons à un ultime sous-ensemble de bruits qui constitue la propriété exclusive de la musique, et qui va désormais nous occuper.

Exemple 1.

Délimitation des bruits musicaux.

D

E DEUX HISTOIRES DE LA MUSIQUE

Il est souvent dit que c’est la musique du XXe

siècle qui, la première, a accueilli l’univers des bruits en son sein. S’il est vrai que, dans la musique récente, ce dernier s’est aménagé un espace de plus en plus conséquent, il serait cependant faux d’affirmer que la musique du passé ne contient pas de bruits. À vrai dire, toute musique déborde de bruits, mais seule la musique d’aujourd’hui les revendique comme tels. Par le passé, les théoriciens cherchaient à les exclure du champ musical, se fondant sur l’opposition frontale entre bruit et musique. Il y a donc deux histoires de la musique : l’une, qui est celle de la pratique musicale, contient – naturellement, pourrions-nous dire – des bruits ; l’autre, portée par les théoriciens, s’efforce d’exclure ces derniers du domaine musical.

Sur quelle base a été construite la coupure entre son musical et bruit ? « La définition du bruit est largement négative »188 : est pensé comme bruit ce qui n’est pas considéré comme

musique. Jusqu’à récemment encore, un auditeur appréhendait comme bruit la musique de cultures éloignées de sa propre culture. La tolérance culturelle qui s’est développée au XXe

siècle a atténué la coupure : un Européen ne renvoie plus la musique chinoise à l’enfer des bruits, comme il le faisait au XIXe

siècle. Cependant, le clivage subsiste quant à la musique récente la plus avancée, accusée d’être une musique de bruits, c’est-à-dire une non-musique.

Le fondement de ce jugement repose sur une base acoustique : il tient à la différence entre sons périodiques, appréhendés comme sons « musicaux », et sons non périodiques, considérés

187 Cf. Marie-Thérèse Jacquet, Le bruit du roman. Le Père Goriot, Madame Bovary, Germinal, Fasano di Brindisi,

Schema, 1995.

comme « bruits »189. Il est également musical : il tient à la faculté de l’auditeur, qu’ont cultivée

de nombreuses traditions musicales, à reconnaître, dans les sons périodiques – malgré la part de non-périodicité qu’ils contiennent –, un élément complexe : une hauteur de son, c’est-à-dire ce que l’on nomme une « note ». Pendant longtemps, on a donc appréhendé comme son musical tout son qu’on pouvait chanter en portant sa voix à une hauteur déterminée ; quant au reste, il était pensé comme bruiteux, même s’il n’était pas nécessairement bruyant, c’est-à-dire comme un son non musical, qu’on était obligé de tolérer – par exemple, en raison de l’imperfection de la facture des instruments –, mais sans s’y attarder.

Cette « métaphysique » du son – qui extrait du vaste univers du possible sonore un petit ensemble constitué de sons à hauteur déterminée, lesquels seront pensés comme le fondement de la musique – s’est construite, comme la métaphysique tout court, avec les Grecs. Les peuples primitifs, de même que de nombreuses cultures musicales qui subsistent en Afrique ou chez les aborigènes d’Australie, ignorent la coupure musique-bruit, c’est-à-dire qu’ils ne sont pas centrés sur la notion de hauteur. André Schaeffner notait : « À voir la façon dont ils [les primitifs] construisent certains instruments et dont ils en jouent, il apparaît nettement que l’émission d’un son de hauteur précise les intéresse moins que la production d’un timbre spécial »190. Il explique

cette réalité en établissant un parallèle entre la quête de sons « insolites » et l’usage, par les peuples primitifs, des masques, peintures, fibres ou plumes dont ils se couvrent : « les instruments [de musique] usent des mêmes travestissements que l’homme ; à leurs auditeurs, et pas seulement à une oreille européenne, leurs sonorités paraissent tout aussi singulières qu’un visage masqué ou peint. La communication avec le surnaturel, quelle qu’en soit la forme, n’exige pas un moindre artifice »191.

Les philosophes grecs auront comme souci de rationaliser le surnaturel, d’y mettre un ordre humain. Les théoriciens de la musique seront également guidés par ce projet. Apporter la raison, le logos en musique, c’est, précisément, délimiter, dans les sons, un aspect quantifiable, mesurable – la hauteur –, grâce auquel on peut comparer les sons et les mettre en relation les uns avec les autres. Se construit ainsi l’édifice nommé Harmonie, ce qui n’y entre pas étant renvoyé au Chaos. Archytas, l’un des disciples de Pythagore, illustre cette entreprise :

« Il y a son, tantôt quand des corps, animés de mouvements contraires, se freinent mutuellement en se heurtant, et tantôt quand des corps, emportés dans une même direction, mais à des vitesses inégales, sont heurtés par ceux qui les suivent en voulant les dépasser. Or beaucoup de ces bruits sont tels que notre nature ne nous permet pas de les percevoir, soit en raison de la faiblesse du choc, soit parce qu’une grande distance nous en sépare, soit encore en raison de l’excès d’amplitude de ces bruits (car les bruits de forte amplitude ne pénètrent pas notre ouïe, de la même façon que rien ne pénètre à l’intérieur d’un vase à l’embouchure étroite, quand on veut y verser une trop grande qualité de liquide). Maintenant, pour ce qui

189 Pour une définition acoustique et psychoacoustique du bruit, cf. Philippe Lalitte, « Aspects acoustique et

sensoriel du bruit », Filigrane. Musique, esthétique, sciences, société n°7, 2008, p. 13-32.

190 André Schaeffner, « Le timbre », in Edith Weber (éd.), La résonance dans les échelles musicales, Paris, CNRS,

1963, p. 217.

est des sons que nous percevons, les uns paraissent aigus : ce sont ceux que produit le heurt rapide et violent ; les autres nous semblent graves : ce sont ceux que produit le choc lent et faible. […] »192.

Archytas traite d’abord de la cause des sons (de tous les sons possibles) ; puis, il délimite ceux audibles ; soudainement, sans phrase de transition, il se cantonne à leur hauteur, laissant désormais de côté leur nature ; le texte continue ensuite longuement sur la relation aigu-grave, sur ses causes, etc. : il effectue donc le choix – qu’il n’éprouve pas le besoin de justifier – de se centrer sur les sons dont la hauteur est quantifiable, laissant de côté les autres, c’est-à-dire l’univers des bruits. Il convient de préciser que ce qui intéresse les Grecs n’est pas la hauteur en soi, mais le concept d’intervalle et de ton, dans son sens originel, qui inclut l’idée de tension – tension d’une corde notamment : on sait que la théorie grecque est construite autour de l’instrument à corde. L’invention de l’intervalle et du ton pose la métaphysique du son musical, qui fera dire à certains spécialistes que les Grecs ont inventé la musique – de même que certains philosophes ont pu dire que les Grecs auraient inventé la philosophie : « L’élément radicalement nouveau, qui n’est advenu au monde que par la musique grecque – et grâce auquel, on n’y insistera jamais assez, a été fondé et rendu possible quelque chose de tel que de la “musique” au sens propre – est désigné au premier chef par le mot grec τονος [ton] »193.

Pour conclure sur l’Antiquité grecque, si ses théoriciens de la musique s’évertuent à évacuer l’univers des bruits, il est évident que, dans l’autre histoire de la musique – celle de la pratique musicale – le bruit conserve toute sa place : imagine-t-on le culte de Dionysos célébré sans crotales et autres instruments (à percussion) bruiteux ?

Le Moyen Âge poursuit la construction des concepts d’intervalle et de ton, en se polarisant sur les notions de note et de hauteur194. Les théoriciens poursuivent donc la construction de

l’édifice excluant les bruits. Comme ils ne peuvent pas les éliminer des pratiques musicales, ils les associent, théologie aidant, au Mal : « d’innombrables images dans les manuscrits nous démontrent [la] division entre musique céleste – en général de chant angélique accompagné à la harpe ou aux instruments à cordes – et la musique infernale – le plus souvent bruyante, au chalumeau, au tambour, à la trompette »195. C’est de cette époque que date le mot « charivari »,

dérivé du grec karêbária, « mal de tête »196. Dans le célèbre Roman de Fauvel (1310-14), le soir

des noces entre Fauvel et Vaine Gloire, un grand charivari se déclenche en ville, accompagné

192 Archytas, in Les écoles présocratiques, édition établie par Jean-Paul Dumont, Paris, Gallimard, 1991, p. 290. Le

mot grec pour bruit est psophos : cf. Solon Michailidis, Εγκυκλοπαιδια της αρχαιας ελληνικης µουσικης, Athènes, Μορϕωτικο Ιδρυµα Εθνικης Τραπεζας, 1982, p. 362 (« Psophos : bruit, son inarticulé, simple son. Se rencontre aussi parfois avec le sens du son musical instrumental ») et Théodora Psychoyou, « Du psophos au bruit : sur les origines et les transformations de l’objet au XVIIe siècle », Musurgia vol. XIII n°4, 2006.

193 Johannes Lohmann, Mousiké et Logos. Contributions à la philosophie et à la théorie musicale grecque,

traduction Pascal David, Paris, T.E.R., 1989, p. 44, je souligne. L’extrait cité, tiré de l’essai « L’origine de la musique », date, il faut le préciser, de 1959. Il serait difficile aujourd’hui de soutenir la même idée.

194 Les travaux de Marie-Élisabeth Duchez ont mis en évidence cette construction ; cf. notamment « Des neumes à

la portée », Revue de musique des universités canadiennes n°4, 1983, p. 22-65.

195 Nigel Wilkins, La musique du diable, Liège, Mardaga, 1999, p. 28.

196 On pourrait croire que c’est également de cette époque que datent des expressions comme « chahut de diable »

ou « raffut d’enfer », mais ce n’est pas le cas : selon le Petit Robert (édition de 1996), les mots « chahut » et « raffut » datent respectivement de 1821 et de 1867.

d’un bruit assourdissant symbolisant la folie des unions invraisemblables (cf. exemple 2). Par ailleurs, au Moyen Âge, le « haut » sonore (volume élevé) – opposé au « bas » (volume faible) –, synonyme de bruit, est associé à l’impiété, au diable, aux sorcières, à la mort, à l’érotisme, à l’enfer…, comme l’a montré Luc Charles-Dominique197 :

« Si l’enfer est le siège du tumulte, par nature antireligieux, il est aussi celui des odeurs fétides et des puanteurs abominables – en cela il prolonge une mythologie d’une grande diffusion qui associe la puanteur au vacarme […] ; par ailleurs, il est glacial ou brûlant, totalement obscur, rendant aveugle à la longue. En enfer, les cinq sens sont totalement contrariés. Cette terrible punition est communément appelée “la peine des sens”. Elle mérite qu’on s’y arrête, car il s’agit de l’une des explications théologiques les plus crédibles du vacarme infernal »198.

Exemple 2.

Le Roman de Fauvel : détail de Charivari199.

Pour avancer au pas de course dans cette double histoire musicale, la prochaine étape est le baroque. C’est durant cette époque que la facture des instruments « progresse », c’est-à-dire élimine de plus en plus les sons bruiteux pour permettre aux musiciens de se concentrer sur les hauteurs. Cependant, des instruments tels que la contrebasse ou le clavecin, qui servent pour la basse continue et le rythme, continuent à produire des attaques très bruiteuses. Charles de Brosses, dans son journal relatant le voyage en Italie, se plaint des contrebasses italiennes

« parce qu’il disait qu’elles ne faisaient que du bruit. Il faut imaginer la contrebasse d’opéra, où il y avait besoin d’une forte composante rythmique. Il y avait ces clavecins. Le clavecin italien a beaucoup d’attaque par rapport au clavecin français. Il n’est presque que du bruit. Et les contrebasses elles-mêmes, avec leur archet extrêmement court tenaient le rythme, en produisant du bruit. Alors, de Brosses, Français peut-être esthétisant – d’une esthétique différente – voyait cela comme un défaut. En réalité, c’était probablement ce qui correspond à la batterie d’aujourd’hui »200.

On connaît aussi les critiques de Rousseau et des contemporains accusant les opéras de Rameau d’être bruyants, cette fois non en raison de l’imperfection tonale des instruments, mais de la grande densité de leur écriture201. Par ailleurs, Rousseau sera l’un des premiers à théoriser la

distinction entre son (musical) et bruit sur un critère physique (acoustique) :

197 Cf. Luc Charles-Dominique, Musiques savantes, musiques populaires. Les symboliques du sonore en France

(1200-1750), Paris, CNRS, 2006, chapitres 7 et 8 ; « Anthropologie historique de la notion de bruit », Filigrane n°7,

2008, p. 33-54.

198 Luc Charles-Dominique, Musiques savantes…, op. cit., p. 128.

199 Source : BN, ms. fr. 146, fol. 34, reproduit in Claude Riot, Chants et instruments. Trouveurs et jongleurs au

Moyen Age, Paris, Desclée de Brouwer, 1995, p. 44.

200 Giovanni Antonini in Le son des musiques. Entre technologie et esthétique, enquête conduite par François

Delalande, Paris, INA-Buchet/Chastel, 2001, p. 121. Giovanni Antonini est fondateur de l’ensemble Il Giardino Armonico, ensemble qui s’est fait connaître par une interprétation des Quatre Saisons de Vivaldi (CD de 1993) remettant à l’honneur l’univers des bruits.

201 « Je dis que M. Rameau a abusé de cet orchestre tel quel. Il a rendu ses accompagnements si confus, si chargés,

si fréquents, que la tête a peine à tenir au tintamarre continuel des divers instruments, pendant l’exécution de ses opéras qu’on aurait tant de plaisir à entendre, s’ils étourdissaient un peu moins les oreilles » (Jean-Jacques Rousseau,

Lettre à M. Grimm, in Jean-Jacques Rousseau, Œuvres complètes, volume V, Paris, Gallimard (Pléiade), 1995, p.

272-273). Olivier Pot, qui commente l’édition citée de ce texte de Rousseau note : « Reproche habituel fait à Rameau : “C’est un vacarme affreux, ce n’est que du bruit, on en est étourdi”, Mably, Lettre (…), p. 30 ; “Beaucoup

« En musique le mot bruit est opposé au mot son, et s’entend de toute sensation de l’ouïe qui n’est pas sonore et appréciable. […] Ne pourrait-on pas conjecturer que le bruit n’est point d’une autre nature que le son ; qu’il n’est lui-même que la somme d’une multitude confuse de sons divers, qui se font entendre à la fois et contrarient, en quelque sorte, mutuellement leurs ondulations ? »202.

Mais la musique baroque tolère de nombreux bruits : c’est le cas notamment des sons descriptifs – de tempêtes, de guerres… – qui sont délicieusement mis en scène. Dans l’acte IV d’Hippolyte et Aricie (1733) de Rameau, s’élève, comme l’indique la partition, un « bruit de mer et vents » (cf. exemple 3), qu’accompagneront des cris du chœur : « Quel bruit ! Quels vents ! », avant que ne surgisse « un monstre horrible » qu’Hippolyte affrontera. Par ailleurs, il semblerait que, pendant les représentations, le bruit du public devait être également stimulant : « La symphonie descriptive qui signale et accompagne cette apparition [le monstre] ne pouvait évidemment espérer être écoutée avec attention par un public fasciné par la mousseline et l’épouvantail en carton ; elle supporte pourtant l’examen »203… On pensera également aux

représentations sonores du chaos originel : la dernière œuvre de Jean-Féry Rebel, les Éléments (1738), constituée d’une suite de danses, est précédée du célèbre Chaos, lequel débute par un accord contenant toutes les notes du ton de ré mineur (cf. exemple 4)204. D’autres bruits, moins

stylisés, font appel à une écoute plus secrète :

« La part de bruit, que nous avons repérée dans la musique de guitare, ne date pas, comme on le croit souvent, de la musique contemporaine : elle est déjà importante au XVIIe siècle et ne concerne pas la seule musique imitative. […] Les notes répétées ou les trilles dans les sonates pour clavecin de Scarlatti sont bien écrits pour faire entendre des stridulations et des crépitements. […] Ce qui masque à l’oreille – et à l’œil et à l’esprit – des musicologues classiques cette part de bruit, c’est le fait que sur la partition, les effets destinés à la produire sont notés avec les mêmes symboles que les “notes” »,

écrit Michel Chion205.

Exemple 3.

Jean-Philippe Rameau, Hippolyte et Aricie, acte IV, scène III : « Bruit de mer et vents »206.

Exemple 4.

Jean-Féry Rebel, Le Chaos : premier accord.

Les époques classique et romantique poursuivent, dans le domaine théorique, l’exclusion des bruits. La théorie musicale s’autonomise en s’affranchissant de l’acoustique. Du fait qu’il se basait encore sur la tradition pythagoricienne, Rameau continuait à la fonder sur cette dernière.

de bruit, force fredons, du tintamarre”, mais pas de chant “agréable”, “Lettre de M. X*** à Mlle X*** (…)” ; “Un bruit qui étonne l’oreille”, Joseph de la Porte, Observations sur la littérature moderne, Londres, Paris » (Oliver Pot, in ibid., p. 1435).

202 Jean-Jacques Rousseau, Dictionnaire de musique (1767), in ibid., p. 671.

203 Cuthbert Girdlestone, Jean-Philippe Rameau (1683-1764). Sa Vie, Son Œuvre, Paris, Desclée de Brouwer, 1983,

p. 184).

204 Pour une analyse du Chaos, cf. Catherine Cessac, Jean-Féry Rebel (1666-1747). Musicien des Éléments, Paris,

CNRS, 2007, p. 114-118.

205 Michel Chion, op. cit., p. 179. 206 Manuscrit, 1757.

Après lui, elle repose directement sur l’élément considéré comme le plus musical : la hauteur. Au même moment, la tonalité atteint son niveau d’équilibre, la hauteur – et tout ce qui lui est lié :