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ANNEXE 4 : LA PRISE EN CHARGE DES DEPENSES LIEES A L’EMPLOI DES APPAREILS

4  L ES RAISONS DE L ’ ECHEC ET LES ENSEIGNEMENTS A EN TIRER

Le dispositif envisagé pour lier la prise en charge des appareils à PPC à l’observance incitait d’abord les prestataires à domicile à mieux accompagner les patients concernés. L’arrêt de la prise en charge n’intervenait qu’après l’échec de ces mesures d’accompagnement. Bien des précautions étaient donc prises pour éviter que cette mesure ne soit considérée comme étant une sanction du patient non-observant. Elle devait être le résultat d’un constat de mauvaise ou de non utilisation de l’appareil à PPC, après plusieurs tentatives pour tenter de convaincre le patient de son intérêt.

D’une certaine manière, le retrait de l’appareil n’était que la conséquence logique d’un divorce patent entre le projet médical de traitement et la volonté du patient de ne pas l’appliquer, après que les efforts de conciliation faits par le prestataire à domicile ont tous échoués.

Pourtant, au-delà des motifs retenus par le Conseil d’Etat pour annuler les arrêtés de 2013, la réforme a été contestée sur le plan de son bien-fondé. L’Etat et l’assurance maladie ont été accusés de vouloir faire des économies en sanctionnant les malades ne se pliant pas assez aux prescriptions médicales. Ce dispositif a été considéré comme étant un premier essai préfigurant d’autres mesures sur d’autres sujets, destinées au nom de la responsabilisation des patients à leur faire payer davantage leurs soins. Il lui a été reproché d’être une sanction du patient pour fait de non-observance. Pour ces critiques de la réforme de tarification des appareils à PPC, l’objectif poursuivi serait de rendre générale un jour la télésurveillance. Et le patient au centre d’un réseau de communication espionnant le moindre de ses comportements verrait sa liberté de plus en plus réduite. « L’arrêté de 2013 qui limite le remboursement du traitement de l’apnée du sommeil à des patients non-observants pose les premiers jalons de la fixation demain de critères de rationnement des soins en fonction du comportement des patients. L’assurance maladie doit-elle se voir attribuer la mission de police des mœurs ? »203 .

203 Anne Laude. Le comportement du patient : une condition du remboursement des soins ? Recueil Dalloz, 2014 p.936.

Il faut chercher à comprendre les raisons de ce décalage entre les intentions de la réforme et les critiques qui lui ont été adressées.

La question « politique » n’a pas été traitée

Des aménagements du dispositif prévu par les arrêtés de 2013 étaient possibles, sans le dénaturer en rien, et auraient pu sans doute conduire les deux associations ayant saisi le Conseil d’Etat à accepter le retrait de leurs recours. Pour ce faire, une négociation était à engager. Le CEPS n’a été que tardivement chargé de la conduire (fin juin 2014). Menée dans un temps court, elle n’a pas abouti. Il est inutile de le regretter. La contestation d’un mécanisme de prise en charge similaire, appliqué à un autre dispositif médical ou à un médicament, se serait exprimée avec sans doute une vivacité au moins tout aussi grande.

Il ne faut pas non plus regretter l’annulation prononcée par le Conseil d’Etat. Une décision différente n’aurait pas rendu plus aisées à faire accepter d’autres mesures obéissant à la même logique. Un changement de politique ne se fait pas en s’autorisant d’une interprétation d’un article de loi qui ne l’avait pas expressément déterminé .

Avec la réforme de la prise en charge envisagée pour les appareils à PPC, il s’agissait bien d’un changement de politique de santé qui était opéré, car l’arrêté de 1998, qui ouvrait déjà cette voie, n’était en fait pas appliqué. Un nouveau levier de régulation des dépenses était défini. Ses effets ne portaient pas sur l’offre de soins, mais sur les comportements des patients. La prise en charge, donc la dépense, devait dépendre désormais de la nature de ces comportements au regard de l’observance. Les opposants à cette réforme ne s’y sont pas trompés, en voyant dans les dispositions sur les appareils à PPC un dispositif de sanction des patients mal observants.

D’autres mesures existent déjà pour responsabiliser les patients et éviter des dépenses inutiles supportées par la collectivité. C’est le cas des franchises médicales. Mais cette forme de responsabilisation est indistincte. Elle porte sur tous les patients, que leur demande de soins soit justifiée ou pas. Elle s’apparente davantage à une taxe jouant de façon uniforme. Avec le dispositif sur la PPC, la responsabilisation était individualisée. Là était le changement important de politique opéré. Il ouvrait une voie susceptible de conduire à faire obéir à cette même logique tous les comportements à risque. Or une telle orientation, sans préjuger de sa pertinence ou de son absence de pertinence, justifierait pour être prise de poser quelques principes de précaution, sans quoi bien des dérives deviendraient possibles.

La procédure suivie pour réformer la prise en charge des appareils à PPC n’a pas du tout pris la mesure de ces questions de politique de santé, n’a pas cherché a fortiori à les traiter, et a réduit le sujet à la résolution de problèmes techniques, avec l’intention louable bien sûr de mieux satisfaire les intérêts des malades, tout en évitant des gâchis de ressources. Ainsi, les associations représentant les usagers n’ont pas été consultées. Les questions éthiques posées par ce mécanisme de responsabilisation individualisée n’ont pas été explicitées et débattues. Les principes à respecter pour avancer dans cette direction n’ont pas été posés.

Cette expérience est utile. Elle apprend que si elle devait être renouvelée, il conviendrait de la conduire en accordant toute l’importance nécessaire à sa dimension politique.

Les objectifs étaient ambigus

L’objectif de la réforme visant à moduler les remboursements des prises en charge en fonction de l’observance, pour les appareils à PPC, était ambigu. Une bonne observance de l’emploi de ces appareils était attendue, en responsabilisant à la fois les prestataires à domicile (tarifs réduits de moitié au bout de 2 mois de non-observance) et les patients (retrait de l’appareil au bout de 4 mois de non-observance). D’un autre côté, des économies étaient attendues, rendues possibles à la condition que de nombreux patients fassent preuve d’une observance insatisfaisante.

En fait, les économies attendues – 30 M€ en 2013 – pouvaient être immédiates, simplement en jouant sur les tarifs. Les économies permises par le nouveau dispositif de prise en charge de la PPC voulaient, elles, obéir à un mécanisme plus vertueux. La modération des tarifs allait avec une meilleure qualité du service rendu, en incitant les prestataires à être plus efficaces dans l’accompagnement des patients. L’économie à court terme pouvait être modeste. Elle était espérée plus importante à moyen ou long terme, grâce aux effets d’une meilleure observance sur la santé des malades. L’ambiguïté des objectifs était ainsi atténuée, sans vraiment disparaître dans le temps court.

Pour dépasser cette ambiguïté, il faut pouvoir concilier plusieurs intérêts différents :

- celui du patient qui cherche le mode de prise en charge le mieux adapté à ses choix de vie ;

- celui de l’autorité publique régulatrice qui, tout en étant protectrice à l’égard des patients grâce à l’obtention de la meilleure observance possible, doit éviter le gâchis de ressources et contenir la dépense ;

- celui du prestataire à domicile qui veut maintenir son chiffre d’affaire, voire le développer, en faisant le pari qu’un financement à la performance empêchera des baisses de tarif aveugles.

L’équilibre entre ces intérêts tous légitimes, mais parfois contradictoires, n’est pas facile à trouver. L’établir exige une grande clarté des objectifs poursuivis et de modéliser le fonctionnement en système qu’il suppose, en conférant une place centrale à l’évaluation des effets sur la santé des personnes, des économies obtenues sur la dépense publique et des profits réalisés par les prestataires, selon des horizons temporels différents.

La surveillance fait du patient un fautif potentiel, et le retrait de l’appareil qui suit ne peut que prendre la valeur d’une sanction

Si le patient est surveillé, c’est qu’il est susceptible de ne pas observer le traitement prescrit.

Tout patient est donc alors un fautif potentiel. En rendant obligatoire de fait le télé-suivi, l’expérience d’une nouvelle tarification de la PPC ne pouvait que susciter ce type de représentation.

Les dispositions permettant au patient de modifier son comportement prennent alors forcément le sens d’autant de chances de rachat offertes au fautif, avant qu’une sanction définitive soit décidée.

Enfin, le retrait de l’appareil, au 8ème mois, même après des interventions destinées à inciter le patient à adopter des comportements plus observants, a un effet de dramatisation qui s’est retourné contre le dispositif mis en place. Le patient semble livré alors à lui-même. Et la décision prend la forme d’un abandon de la personne souffrante, donnant de l’autorité administrative responsable une image d’insensibilité, si ce n’est de cruauté.

Les bonnes intentions des auteurs de la réforme, ayant conçu un mécanisme capable d’améliorer la santé des personnes atteintes du SAHOS en incitant les prestataires à mieux les accompagner pour obtenir une meilleure observance du traitement, ont donc été comprises tout à l’envers.

Pourtant, la surveillance peut aussi apparaître comme protectrice. Une bonne part des données recueillies par les appareils à PPC sont utiles au médecin et à l’ajustement du traitement, en livrant des informations sur l’évolution de l’état de santé du patient. Par ailleurs, le télé-suivi permet au prestataire de repérer rapidement certains dysfonctionnements de l’appareil (fuite au masque par exemple…). Enfin, la surveillance peut servir à un autocontrôle du patient lui-même.

Ces avantages de la surveillance sont passés au second plan, voire ont été masqués par l’objectif premier de suivi de l’observance.

La recherche d’une meilleure observance ne saurait être un objectif en soi

Le nouveau mode de tarification pour les appareils à PPC était une mesure isolée, centrée sur les questions d’observance et d’économies à réaliser. Mais obtenir une meilleure observance n’est qu’un moyen au service d’un objectif de santé : la santé des personnes atteintes d’un SAHOS et pour lesquelles un appareil à PPC a été prescrit. D’autres moyens, relevant de la prévention et de la qualité des soins, sont tout aussi importants : la pertinence des prescriptions ; les explications suffisantes apportées par le médecin à son patient… Quant aux économies nécessaires, elles définissent le cadre de contraintes à prendre en compte pour déterminer les actions cherchant à améliorer la santé des personnes. Elles ne sont pas un objectif en soi d’une politique de santé.

Cette réforme du mode de tarification n’a pas été liée à une mise en question par ailleurs des prescriptions médicales. Celles-ci sont réputées valables par principe. Seuls les comportements des patients sont observés, pour identifier les causes d’un gâchis de ressources publiques résultant d’une non-observance des traitements. Pourtant, une dépense excessive peut aussi s’expliquer par des prescriptions mal venues. Le risque n’est pas improbable, d’autant plus que les prescripteurs d’appareils à PPC ne se limitent plus aux seuls pneumologues, mais sont aussi de plus en plus des cardiologues, des ORL, des médecins généralistes.

Plus de prescripteurs, plus d’indications à venir selon l’avis certes tardif de la HAS, des dépenses en forte augmentation annuelle, auraient pu inciter à se pencher à la fois sur l’observance des traitements et sur la pertinence de leur prescription, en s’appuyant sur les recommandations de la HAS sur les indications des différents traitements du SAHOS. Il n’en a rien été. Aussi, la conviction de ceux qui prétendent que les recherches d’économie se font de plus en plus au détriment des malades, s’en est trouvée renforcée.

Cette réforme du mode de tarification des appareils à PPC aurait dû s’inscrire au sein d’une stratégie de santé. Celle-ci a fait défaut. Or la recherche d’une meilleure observance devrait être un moyen au service d’un objectif de santé, choisi en en explicitant les raisons, et prendre ainsi sa place à côté d’autres orientations complémentaires. Les dispositions tarifaires auraient alors eu un tout autre sens, en étant situées par rapport à un ensemble cohérent d’initiatives toutes voulues pour améliorer la santé des personnes dans un cadre de contraintes économiques donné.