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L’ OBSERVANCE : UNE NOTION OBJET DE CONTROVERSES , AU PERIMETRE IMPRECIS

I. L’OBSERVANCE DES TRAITEMENTS, UN ENJEU POUR LA SANTE

1  L’ OBSERVANCE : UNE NOTION OBJET DE CONTROVERSES , AU PERIMETRE IMPRECIS

L’observance est une problématique aussi ancienne que la médecine elle-même. Déjà, Hippocrate notait que « le médecin doit savoir que les patients mentent souvent lorsqu’ils disent suivre leurs traitements »9. Ce terme, issu du latin observantia, fait référence à « l'exécution des règles de la pratique religieuse, l'obéissance à ces règles, ou la règle elle-même ». Associée initialement à l’obéissance dans la sphère religieuse, son sens s’est déplacé pour qualifier le comportement du patient dans la sphère médicale.

1.1 Définition de l’observance

La notion d'observance, tout comme sa traduction anglaise "compliance", est rarement définie clairement par les auteurs des sciences de la santé ou des sciences sociales. C’est en 1979 que ce concept est précisé comme l’adéquation entre les comportements des patients et les prescriptions médicales ; il entre dans la littérature médicale sous le nom de « compliance10 ».

Un rapport publié en 2003 par l’OMS11 définit l’observance (adherence en anglais) comme

« le degré jusqu’où le comportement du patient (en termes de prise de médicaments, de suivi des régimes alimentaires, de modification de style de vie) coïncide avec un avis médical ou une recommandation qui lui a été prescrite ». Pour les anglo-saxons, elle se définit comme la capacité à prendre correctement le traitement prescrit par le médecin. Haynes12 la précise ainsi : « le degré de respect ou d'écart entre les prescriptions et les pratiques du patient en terme de santé ».

Bien qu’ancienne, la notion d’observance a pris une place importante de façon récente La notion d’observance apparaît vers les années 1950 dans la littérature médicale anglo-saxonne à propos du traitement des maladies cardio-vasculaires. Elle devient alors un objet de recherche sous le terme de "compliance" ou "adherence".

C’est à la fin des années 1970 que l’on voit émerger dans la littérature médicale française13 le terme « observance » dans diverses spécialités médicales14.

9 Hippocrate. Bienséances. Chapitre 14.

10 Sackett DL. Compliance with therapeutic regimens. Baltimore, the John Hopkins University Press, 1979.

11 Adherence to long-term therapies. Evidence for action”, OMS, juill. 2003.

12 Haynes RB: Determinants of compliance: the disease and the mechanisms of treatment. In Haynes RB, Taylor DW, Sackett DL: Compliance in Health Care. John Hopkins University Press, Baltimore, 1979.

13 Deux articles qui traiteront de l’hypertension artérielle (HTA) successivement en août dans la revue Archives et Maladies du Cœur et des Vaisseaux (Froment, Milon, Gallavardin, Gosset, & Gravier, 1979) et en décembre 1979 dans la Revue du praticien (Plouin, Degoulet, Bautier, & Menard).

En France, le terme d'observance ou de compliance est employé indifféremment. Sur le plan scientifique international, il n'existe pas de différence entre ces deux notions. L'observance est la traduction du mot anglais compliance. En revanche, en français, le terme de compliance insiste davantage sur l’idée de soumission et de conformité à la thérapeutique prescrite par le médecin :

« to comply with » veut dire se soumettre, suivre conformément15.

Pour certains historiens de la santé16, l’émergence de ce concept dans l’histoire de la médecine, coïncide avec la volonté des jeunes cliniciens de reprendre un rôle de leaders dans les sciences de la santé. Il leur faut un terrain sur lequel le discours clinique fasse autorité. Ils vont le trouver dans l’étude de l’observance et de ses déterminants17.

Les débats sur la notion d’observance

L’émergence de cette notion d’observance s’est accompagnée d’un débat théorique et terminologique autour des notions en langue anglaise d’« adherence » et de « compliance ». Le principal reproche énoncé18 au terme de « compliance » était qu’il impliquait un rôle passif du patient dans la relation de soins. L’OMS dans son rapport de 2003, soulignait également que l’utilisation du mot « observance » était controversée du fait de l’attitude d’obéissance qu’il suppose du patient.

Des définitions plus récentes de l’observance vont s’éloigner de cette conception normative pour y voir un espace de collaboration possible entre le médecin et le patient. Elle est alors définie comme « un espace de confrontation entre les exigences médicales (définition du bien-être et de la santé, attentes de conduites permettant d’atteindre de tels idéaux) et les ressources que le sujet pourra développer et mobiliser pour s’adapter à sa situation de malade.19». On s’écarte ainsi du seul respect à l’injonction ou à la norme médicale, pour y intégrer également l’idée d’échanges, de discussions entre le praticien et le malade où ce dernier est partie prenante du processus de soins.

1.2 De l’observance à l’adhésion puis à l’alliance

Etudier le phénomène d’observance nécessite de partir non seulement du point de vue du prescripteur mais aussi de prendre en compte celui des patients. Or la majorité des recherches aborde cette question à partir des questions soulevées par les professionnels. Ce « médico centrisme » est aujourd’hui remis en question, ce qui va conduire à la notion d’adhésion au traitement, définie comme « une appropriation réfléchie de la part du patient de la prise en charge de sa maladie dans la mise en pratique d’un comportement prescrit20».

14 Notamment en cardiologie, maladies infectieuses, maladies endocriniennes, psychiatrie, etc.

15 Tarquinio C, Fisher GN, Barrache C : Compliance et relation médecin-patient. In Fischer GN. Traité de psychologie de la santé. Dunod, Paris, 2002.

16 Greene, J. A. (2004). Therapeutic Infidelities: Non compliance Enters the Medical Literature, 1955-1975. Social History of Medicine.

17 Lerner, B. H. (1997). From careless consumptives to recalcitrant patients: the historical construction of non compliance. Social Science and Medicine, 45(9), 1423-1431.

18 Desclaux, A. (2001). L’observance en Afrique : question de culture ou « vieux problème » de santé publique ? In ANRS (Ed.), L'observance aux traitements contre le VIH/sida. Mesure, déterminants, évolution, Paris, Editions EDK.

Elle effectue une distinction entre observance et adhésion où le premier décrit « l’adéquation des pratiques de prise des traitements aux indications médicales ; le terme « adhésion » sera utilisé pour qualifier l’adéquation des pratiques de prise des traitements aux indications médicales ; le terme « adhésion » sera utilisé pour qualifier l’adéquation des perceptions du patient aux perceptions du médecin, concernant l’intérêt du traitement, de manière générale et pour le patient lui-même, ce qui renvoie aux représentations individuelles et collectives du traitement. Ces deux notions renvoient à deux champs distincts (pratiques et perceptions), articulés de diverses manières. ».

19 Tarquinio, L'observance thérapeutique : Déterminants et modèles théoriques. Pratiques Psychologiques, 2007.

20 Adherence to long-term therapies: evidence for action, Geneva: World Health Organization, 2003.

La notion d’adhésion permet de sortir d’une classification des patients en « bons » et

« mauvais », et d’une conception de la relation patient-médecin qui cantonne le patient dans un rôle inactif, d’obéissance stricte à la norme, sans prendre en compte le processus dynamique d’une relation de soins installée dans la durée. La personne malade doit être partie prenante de son traitement, elle doit « adhérer » à sa thérapeutique et non pas « s’y soumettre 21». Aujourd’hui, ce concept d’adhésion est le plus utilisé et coexiste avec celui d’observance.

La notion d’alliance thérapeutique a tendance à être préférée à celle d’observance ou d’adhésion.

L’annonce d’une maladie chronique et de sa stratégie thérapeutique est souvent vécue par le patient comme une effraction dans sa vie, entraînant un sentiment de perte de contrôle sur son destin personnel et de nombreux sujets d’incompréhension avec les professionnels de santé, le plus souvent liés à une difficulté pour celui-ci d’exprimer ses souhaits et ses attentes. La notion d’observance, employée par le corps médical et pharmaceutique, les acteurs économiques, est souvent jugée réductrice par les patients et les associations représentants les usagers quand il s’agit de rendre compte du comportement adopté pour se soigner. L’idée qu’il n’existerait qu’une seule façon d’être un « bon patient » conduit à nier un quelconque savoir du patient sur sa maladie22. La vie avec une maladie chronique est complexe et la diversité des cheminements thérapeutiques est d’abord une affaire personnelle.

Le concept “d'expérience patient” exprime un nouveau rapport du patient à sa maladie et à son traitement. En effet, il ne s'agit plus ici de considérer que la simple administration d'un produit et sa métabolisation par l'organisme suffisent à rendre un traitement efficace mais de proposer une solution thérapeutique qui procède aussi de l'adhésion et de la participation du patient.

Cette conception de la relation médecin-malade est de plus en plus partagée par les professionnels de santé qui récusent ces conceptions trop médico-centrées et préfèrent la notion de concordance ou d’alliance thérapeutique, qui veut établir un accord entre le patient et le professionnel de santé sur les décisions thérapeutiques à prendre (le choix de la stratégie et la façon de la mettre en place avec le plan d’action), en prenant en compte pour déterminer le traitement adéquat, les croyances, les peurs, les contraintes et les souhaits du patient, en l’impliquant activement dans la décision et en construisant avec lui la solution à ses difficultés.

Cette alliance devient un projet dans lequel s’engagent ensemble le patient et le soignant, afin d’atteindre un but fixé d’un commun accord. Elle implique un climat de confiance permettant un échange entre deux expertises de nature différente : celle du patient qui exprime son vécu de la maladie et ses attentes et celle du soignant qui, en s’appuyant sur les connaissances scientifiques actuelles, informe au mieux sur les avantages et les risques des choix thérapeutiques possibles.

Lorsqu’elle est évoquée, cette notion d’alliance est mise en relation avec l’observance, pas tant comme un synonyme, mais comme une condition préliminaire à une bonne observance23.

Cette compréhension réciproque repose sur l’engagement d’un processus à la fois interactif et personnel de « patient empowerment24», obéissant à une dynamique de concordance et d’adhérence plus que d’observance. Le terme de « concordance » est une alternative conceptuelle aux autres termes, puisqu’il implique un niveau élevé de coopération et d’entente mutuelle entre le médecin et son patient.

21 Morin M : Croyances, attitudes et représentations sociales dans la prévention et la prise en charge de l'infection par le VIH In : Bruchon-Schweitzer M, Quintard B éd. Personnalité et maladies. Dunod, Paris.

22 Journée sur Observance, autonomie et responsabilité, CISS, Coopération Patients, Collectif Im (patients) chroniques et associés, 1 juin 2015, Paris.

23 Professeur Grimaldi, en 2003, parle de l’alliance thérapeutique en écho avec l’observance : « Si l’observance est en quelque sorte la face cachée de la relation médecin–malade, l’analyse des difficultés à suivre le traitement doit au contraire être au cœur de cette relation. C’est autour de la discussion de ces difficultés que se noue en effet l’alliance thérapeutique ».

24 C’est dans cette perspective de « prise de décisions » du patient, qu’apparait le terme d’empowerment. Cette notion anglo-saxonne qui ne connait pas de traduction précise en français se définit comme « le processus par lequel un patient

Tableau 1 : Concepts de « compliance » (et liberté respective du prescripteur et du patient)25

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ES FACTEURS EXPLICATIFS DE LA NON

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OBSERVANCE SONT NOMBREUX