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REPROUVE L’ APPROCHE DES POLITIQUES PUBLIQUES

Encadré 4 : La version néo-libérale de la théorie de la modernisation écologique

1. Prémisses des normes ISO 14000 : L’ISO et le management de la qualité

1.1. L’ISO Instance de normalisation, entité obscure de coordination marchande

Une organisation pléthorique, un réseau aux mailles bien distinctes

L’ISO – International standardization organisation/Organisation internationale de normalisation – est une organisation non gouvernementale créée en 1947, qui se présente sous la forme d’un réseau d’Instituts de normalisation de 148 pays (en janvier 2004), et dont le Secrétariat central, situé à Genève, assure la coordination d’ensemble. D’après ses statuts, elle se compose, outre le secrétariat général :

dynamique d'apprentissage », Revue française de gestion, vol. 31, n° 158, sept/oct. 2005, p.187-205 ; Tamm Hallström K.. (1996), « The production of management standards », Revue d’économie industrielle, n° 75, 1er trim.

1996, p. 61-76 ; Boiral O. « Vers une gestion environnementale des entreprise ? », Revue française de gestion, janv- fév. 2000, p. 4-17 ; Boiral O., « ISO 14001 : Against the tide of Modern Management ? », Journal of General

Management, vol. 24, n° 1, aut. 1998, p. 35-52 ; Le Goff G., « Environnement : nouvelles pratiques », Cahiers Industries, déc.-janv. 1998, p. 14.

450 Clapp J., « The privatization of Global Environmental Governance : ISO 14000 and the Developing

World », Global Governance, vol. 4, n° 3, july-sept. 1998, p. 295-316.

451 Cf. Speer L., « From Command-and-Control to Self Regulation : The Role of Environmental Management

Systems”, International Environmen Reporter, vol. 20, n° 5, mars 1997, p. 227-228.

452Cf. Roht-Arriaza N., « Shifting the Point of Regulation : The International Organization for Standardization and

Global Law-Making on Trade and the Environment », Ecological Law Quarterly, vol. 22, n° 3, 1995, p. 479-539 ; Taylor D.A.J., « Is ISO 14001 Standardization in Tune with Sustainable Development ? Symphony or Cacophony ? »,

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- d’une Assemblée générale (constituée des dirigeants [5] et des délégués des comités membres [97], les membres correspondants [36] et les membres abonnés [15] ne pouvant y assister qu’en qualité d’observateurs), qui se réunit une fois par an ;

- d’un Conseil (constitué des personnalités dirigeantes et de 18 membres élus), qui nomme le trésorier, les 12 membres du Bureau de gestion technique et les présidents des Comités « chargés de l’élaboration d’orientations politique » ;

- d’un Bureau de gestion technique (constitué de 12 membres), qui est « chargé de la coordination et de la programmation des travaux techniques de l’ISO » ;

- d’un Comité pour les matériaux de référence (REMCO), qui « définit, classifie et catégorise les matériaux de référence à l’usage de l’ISO » ;

- de Groupes techniques consultatifs (TAG), qui sont créés, si nécessaire, par le Bureau de gestion technique afin de présenter des avis sur les questions de coordination fondamentale et de planification ;

- de Comités techniques (au nombre de 226 depuis la création de l’ISO, mais dont 38 ont été dissous à ce jour), qui sont « chargés de l’élaboration des normes » ;

- des Comités chargés de l’élaboration des orientations politiques (CASCO – Comité pour l’évaluation de la conformité ; COPOLCO – Comité pour la politique en matière de consommation ; DEVCO – Comité pour les questions relatives aux pays en voie de développement), qui sont des « organes consultatifs créés par l’Assemblée générale » ;

- des Comités permanents du Conseil sur les finances et la stratégie ; - et enfin, de Groupes consultatifs ad hoc.453

L’ISO comporte ainsi actuellement 188 comités techniques, 546 sous-comités, 2 224 groupes de travail et 23 groupes d’études ad hoc. En décembre 2003, elle avait produit 14 251 standards internationaux et documents de type standard, dont 995 pour l’année 2003, ce qui témoigne de l’ampleur du travail de normalisation effectué par cet organisme peu connu du grand public. Les activités de l’ISO sont en effet disséminées de manière peu ou pas visible dans maints gestes et objets du quotidien. La normalisation est ainsi omniprésente à l’échelle mondiale, fournissant un langage technologique qui s’exprime dans des matières aussi diverses que l’harmonisation de la taille des conteneurs pour le transport des marchandises, les dimensions des cartes téléphoniques et bancaires, les symboles normalisés indiquant un danger, la normalisation des formats du papier ou des pellicules photographiques, celle des connexions et interfaces de tous types garantissant la compatibilité des matériels de diverses origines et l'interopérabilité de

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différentes technologies, etc. Elle apparaît ainsi comme une instance fondamentale de standardisation des objets et des pratiques, dont la performativité est d’autant plus grande que l’organisation disparaît derrière les standards et normes qu’elle produit – la norme se transformant in fine elle-même en évidence pratique.

L’appréhension des normes – et tout spécifiquement les normes ISO 14000 qui nous occupent ici – suppose néanmoins d’opérer un détour par son organe de production et quelques-uns de ses traits caractéristiques. La principale spécificité affichée de l’ISO est notamment d’occuper une position privilégiée entre les secteurs publics et privés, au motif qu’elle compte parmi ses membres à la fois de nombreux instituts faisant partie de la structure gouvernementale de leurs pays ou mandatés par leur gouvernement et d’autres organismes issus exclusivement du secteur privé, établis par des partenariats d’associations industrielles au niveau international. Or, si l’ISO s’affiche comme structure hybride, lieu d’expérimentation potentielle d’une gouvernance public-privé, ses objectifs demeurent résolument centrés sur le marché. L’affirmation de la recherche d’« un consensus sur des solutions répondant aux « exigences du monde économique » et aux besoins de la société, notamment ceux de « parties prenantes » comme les consommateurs et les utilisateurs » opère d’emblée une gradation des objets de valeur : au monde économique la nécessité non négociable (les « exigences ») ; à la société les « besoins » implicitement ajustables, transformables – pourvu qu’elle demeure constituée de consommateurs et d’utilisateurs, mise en forme qui opère une indéniable réduction des « parties prenantes » susceptibles d’être élevées à la dignité de normalisateurs, d’acteurs du « consensus » normatif. D’emblée domestiquées, les « parties prenantes » ainsi décrites n’ont guère l’allure d’un collectif de porte parole mandatés pour élaborer des compromis entre les « écopos » ; elles semblent au contraire devoir être dociles dans leur rôle de faire-valoir, acquiescer sans broncher à l’énoncé des « exigences du monde économique » Bien loin de dessiner les contours d’une démocratie dialogique des normes, la logique partenariale tel que le conçoit l’ISO s’apparente principalement à une extension de l’entreprise454, à la

454 La logique partenariale a initialement été conçue pour rendre compte de la relation client/fournisseur, c’est

à dire de construction de relations plus denses et durables, comme mode de coordination faiblement hiérarchisé et dépourvu de support contractuel – théorisé par l’intermédiaire de notions telles que l’entreprise transactionnelle, virtuelle ou étendue. Voir par exemple Naulleau G., Guth J.-P., « Du partenariat à l’entreprise étendue. Vers une reconfiguration de la relation client/fournisseur dans le secteur automobile »,

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multiplication des liens qui densifient le marché, renforcent sa légitimité normative – celle de la fabrique d’un consensus qui fait surtout figure de « dictature du partenariat »455.

L’ISO, invisible et omniprésent soutien technique du libéralisme ?

Ainsi, si sa vocation première est la libéralisation des échanges, la réponse aux impératifs du marché, l’organisation n’hésite pas à mettre en avant un (voire « son ») intérêt public :

« Les normes ISO contribuent à un développement, à une production et à une livraison des produits et des services plus efficaces, sûrs et respectueux de l’environnement, ainsi qu’à des échanges facilités et plus équitables entre les pays. Elles fournissent aux gouvernements une base technique pour la législation en matière de santé, de sûreté et d’environnement. Elles facilitent le transfert de technologie aux pays en voie de développement. Les normes ISO servent également à protéger les consommateurs et les utilisateurs en général, de produits et services – ainsi qu’à leur simplifier la vie. »456

Entreprises, clients, gouvernements, dirigeants économiques, pays en voie de développement et consommateurs sont ainsi listés comme destinataires/bénéficiaires des normes ISO. A une finalité économique, elle tente ainsi d’adjoindre des objectifs d’ordre sociaux, ceux de la communicabilité, du développement par transfert de savoir-faire technologique, voire du « bien-être » global :

« Pour tous, les Normes internationales peuvent contribuer à la qualité de vie en général, en assurant la sécurité des transports, des machines et des outils que nous utilisons. Pour la planète que nous habitons, les Normes internationales sur la qualité de l’air, de l’eau et du sol, et sur des émissions de gaz et le rayonnement, font partie des efforts visant la protection de l’environnement. »457

Ces considérations, issues du site de présentation publique de l’ISO, traduisent en outre l’évolution qu’elle a connue depuis sa création. Partant de considérations essentiellement technico-économiques, l’ISO a évolué vers l’intégration de problématiques plus globales, notamment par la production de dispositifs de type managériaux, ancrés certes essentiellement dans la sphère économique, mais débordant de

455 « Par l'expression ironique « dictature du partenariat » (qui commence à se répandre), nous souhaitons

montrer que le recours à ces pratiques de coopération, dans le domaine des affaires sociales, est aujourd'hui une nécessité contrainte, avec ses impacts positifs mais aussi ses obscurités politiques. Dans la dictature du partenariat, comme dans celle du prolétariat, il y a de la force, du conflit et de l'idéologie. » Damon J., « La dictature du partenariat. Vers de nouveaux modes de management public ? », Futuribles, n° 273, mars 2002, p. 1-13.

456 Description générale du système de l’ISO. http://www.iso.org. 457 Ibid.

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ce cadre strict pour s’étendre à tous les types d’organisation et affirmant une utilité sociale.

Historiquement, les normes édictées par l’ISO concernent en effet des activités traditionnelles, comme l’agriculture et la construction, la mécanique, ou encore les développements des technologies de l’information458. Conformément à son statut d’ONG,

ces normes sont conçues comme étant d’application volontaire, l’ISO n’ayant pas l’autorité pour en imposer la mise en œuvre. Leur inplantation a cependant été largement assurée, que ce soit par leur incorporation dans des règlements ou des lois auxquelles elles servent de base technique, ou par les seuls mécanismes du marché. Les normes ISO se sont progressivement durcies, ont acquis un pouvoir de contrainte croissant, par la médiation du droit – la référence à des normes ISO dans des textes juridiques la transformant en « quasi-droit » – ; ou parce que les mécanismes du marché en ont fait un point de passage obligé des transactions et coordinations économiques (par exemple dans la relation client fournisseur). L’apparition de nouvelles préoccupations telles que la qualité, la santé, la sécurité ou l’environnement, s’est soldée par des phénomènes d’intégration similaire des normes : si l’ISO se cantonnait jusqu’alors dans le domaine des normes techniques, à vocation essentiellement métrologique, elle va progressivement étendre sa sphère de normativité à des questions à la fois managériales et sociale. Cette fabrication d’un nouveau corpus de normes de « systèmes » (notamment de management de la qualité et de l’environnement), élargissant l’emprise de l’ISO sur le formatage des pratiques dans la Sphère du produire.

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1.2. L’environnement pris dans les logiques de transformation de l’ISO

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