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Les enjeux de la gouvernance saisis par les réseaux La gouvernance en réseau comme réponse à l’ingouvernabilité

REPROUVE L’ APPROCHE DES POLITIQUES PUBLIQUES

1. Les réseaux, instruments de reterritorialisation de la gouvernance ? Impasses conjointes de deux notions

1.1. Les enjeux de la gouvernance saisis par les réseaux La gouvernance en réseau comme réponse à l’ingouvernabilité

S’articulant autour de trois variables majeures – le degré de hiérarchisation du réseau autour de quelques pôles ou acteurs clé, leur plus ou moins grande stabilité dans le temps, et leur degré de rigidité marqué par leur capacité à s’ouvrir à des acteurs périphériques ou des normes nouvelles –, les réseaux de politiques ont fait l’objet d’une typologie axée sur la distinction entre les traditionnelles policy communities et des issue networks rendant davantage compte de l’évolution tendancielle de la conduite de l’action publique134. La diversité des formes possibles de réseaux d’action publique semble ainsi

134 Comme le résume très didactiquement J.-C. Gaudin, Les policy communities ou communautés de politiques

renvoient à des cas de figure où les relations entre les acteurs sont stables et durables dans le temps, reliant en général élus, fonctionnaires et intérêts privés bien structurés (le fameux « triangle de fer ») et à l’intérieur desquelles les décisions politiques sont prises par un nombre limité d’acteurs en interaction fréquente et partageant des valeurs communes. Si ces communautés de politiques sont loin d’avoir disparu, les politiques contractualisées et les procédures négociées tendent désormais à favoriser davantage les issues networks, constitués autour de projets spécifiques et temporaires ou de démarches qui sont souvent expérimentales. Elles sont dès lors moins stables, routinisées et institutionnalisées que les communautés politiques, et davantage centrées sur l’innovation et la coopération autour de projets spécifiques. Gaudin J.-C., L’action

publique. Sociologie et politique, Paris : Presses de sciences-po et Dalloz, 2004, p. 206-207. Forgé en 1981 pour

caractériser les relations gouvernement central/gouvernement local, le « modèle de Rhodes » s’est vu précisé en 1986 sous la forme d’un continuum (Communauté de politique publique/Communauté territoriale, Réseau professionnel, Réseau intergouvernemental, Réseau de producteurs, Réseau thématique). La rigidité du modèle de Rhodes a en outre rencontré une vive critique, notamment de Heclo et de Wilks et Wright (ces derniers affinant considérablement la typologie de Rhodes en analysant les relations gouvernement-industrie en ayant recours à trois concepts : celui d’Univers politique, de Communauté de politique publique et de Réseau d’action publique). Intégrant ces critiques, Rhodes et Marsh ont ainsi en 1992 et 1994 réintroduit davantage de souplesse dans leur typologie, conservant l’idée de continuum tout en pluralisant les différentes dimensions susceptibles de participer de la distinction entre Communauté et Réseau et admettant par ailleurs

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rendre de nouveau descriptibles des processus de mise en œuvre politique marqués du sceau de l’anomie, celle de la fragmentation et de la diversité tant au sein des groupes d’intérêts qu’au sein de l’Etat135 (ou de segments d’Etat). Ainsi, les travaux sur les réseaux

« ont en commun de mettre l’accent non pas sur la hiérarchie mais sur les dimensions horizontales de coordination de l’action publique, sur les arrangements informels, les problèmes de gouvernance136 » que pose et impose cette extrême fragmentation. Alors que

tend à s’imposer la conception dominante d’un « monde sans pilote », le réseau se dessine comme outillage conceptuel pour analyser les multiples conditions d’exercice d’un pouvoir dans ce monde multi-acteurs et multi niveaux, collectées sous le vocable de gouvernance.

Un large pan de la littérature sur les réseaux d’action publique vise ainsi à fournir une réponse au constat de l’ingouvernabilité des sociétés contemporaines. Retraçant la généalogie du concept de governance, Renate Mayntz a ainsi montré comment l’émergence de ce terme serait étroitement liée aux échecs des gouvernements depuis les années 1970, à la prolifération de sous-systèmes sociaux et de réseaux capables de résister aux injonctions du gouvernement137 et de manière plus générique aux formes traditionnelles de

la domination rationnelle légale. Plus qu’à une véritable anomie ou à une « désintégration » des sociétés contemporaines, l’idée d’ingouvernabilité renverrait davantage aux nécessaires interactions entre l’Etat et la société et aux modes de coordination susceptibles de rendre possible l’action publique.

les cohabitations possibles entre différents types de réseaux. Leur modèle a en outre évolué vers une prise en compte accrue de l’environnement et de la question du changement au sein des réseaux, notamment sous l’influence du « facteur connaissance », ainsi que sur la question cruciale de l’effectivité de leur rôle dans la prise de décision politique. Cf. Marsh D., Rhodes R.A.W., « Les réseaux d’action publique en Grande- Bretagne », in Le Galès P., Thatcher M., Les réseaux d’action publique, op. cit., p. 31-68.

135 On se reportera par exemple à l’ouvrage de Thoenig J.-C., Dupuy F., L’administration en miettes, Paris :

Fayard, 1985, 316 p.

136 Le Galès P., « Les réseaux d’action publique entre outil passe-partout et théorie de moyenne portée », op.

cit., p. 18.

137 Comme le rappelle P. Le Galès, « L’emploi du terme de gouvernance n’est pas fortuit. Vouloir

conceptualiser la gouvernance indique, tout d’abord, que le concept de gouvernement n’est pas satisfaisant. La critique de ce terme est double. D’une part, le mot gouvernement est associé à une forme organisée, rationnelle, cohérente où l’autorité publique est le lieu naturel et légitime du pouvoir local et des politiques. D’autre part, le terme de gouvernement suggère une lecture institutionnelle ». Le Galès P., « Les réseaux d’action publique entre outil passe-partout et théorie de moyenne portée », op. cit., p.18.

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L’ingouvernabilité que convoque le recours à la notion de gouvernance ne correspond dès lors pas à la suspension de toute forme de gouvernement138, mais à une

volonté de rendre lisible le pluralisme. Cette « mise en lisibilité » concerne au premier chef le pluralisme démocratique139, ainsi que les conditions de félicité de l’action publique

dans un contexte à la fois multi-acteurs et multi-niveaux140. La problématique de

l’ingouvernabilité a ainsi largement contribué à l’imposition de la thématique de la gouvernance dans le champ des politiques publiques, afin de « se démarquer des raisonnements en terme de gouvernement, jugés formels, idéalistes et impropres à rendre compte d’un nombre croissant de situations contemporaines, où l’Etat national est relativisé à la fois par le haut (intégration dans des économies de grande taille) et par le bas (processus de décentralisation, régionalisation, fédéralisation)141 ». Dès lors, si l’analyse

des réseaux d’action publique apparaissait comme particulièrement heuristique, c’est en tant qu’elle opérait une reterritorialisation de phénomènes sociaux apparemment disséminés, se déployant à des échelles multiples.

Localiser les réseaux d’action publique

L’appréhension de la gouvernance – notamment par les réseaux d’action publique – a ainsi rencontré un large écho dans l’analyse des politiques urbaines, de l’action publique locale ou encore des mécanismes d’intégration européenne, dans la littérature anglo-saxonne142 mais aussi dans la littérature française. La gouvernance

138 Cette idée de suspension de toute forme de gouvernement au profit de la gouvernance se retrouve

essentiellement dans la littérature anglo-saxonne, et est davantage portée sur l’étude des relations internationales, à l’image de l’ouvrage de Rosenau J.N., Czempiel E.-O. (Ed.), Governance without government :

Order and Change in World Politics, New York : Cambridge University Press, 1992, 311 p.

139 Sur cette question plus spécifique, on se reportera à l’article de Leca J., « La démocratie à l’épreuve des

pluralismes », Revue française de science politique, n° 46 (2), 1996, p. 225-279.

140 Pour une perspective proche de l’analyse des réseaux, on se reportera à Kooiman J., Eliassen K (Ed.),

Managing Public Organizations, London : Sage Publications, 2nd Ed., 1993, 304 p. ; Kooiman J. (Ed.), Modern governance : new government-society interactions, London : Sage, 1993, 280 p. ; Kooiman J., Governing as governance,

London : Sage, 2003, 249 p. ; Leca J., Papini R. (Ed.), Les démocraties sont-elles gouvernables?, Paris : Economica,

1985, 194 p. ; Leca J., «†La “gouvernance” de la France sous la Vème République», in d’Arcy F., Rouban L.

(Ed.), De la Vème République à l’Europe. Hommage à Jean-Louis Quermonne, Paris : Presses de Sciences-Po, 1996, 388 p. ; Leca J. , «†Gouvernance et institutions publiques. L’État entre sociétés nationales et globalisation†», dans Fraisse R., de Foucault J.-B., (Ed.), La France en prospectives. Paris : Odile Jacob, 402 p.

141 Gaudin J.-P., L’action publique, op. cit., p. 208-209.

142 Cette mise en perspective tend en outre à être propre aux analyses européennes. Les études sur la

gouvernance s’y sont en effet particulièrement focalisées sur les différentes échelles territoriales et leur imbrication dans le développement de nouvelles formes de gouvernementalité. Voir par exemple : Amin A,

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territoriale a fait l’objet d’une attention particulière d’auteurs comme R. Balme, O. Borraz, D. Lorrain, P. Le Galès ou encore J.-P. Gaudin, à l’origine du développement d’approches de la gouvernance qui prennent appui à des degrés plus ou moins marqués sur la notion de réseaux143. Cette double entrée par les « territoires » et par les réseaux a

globalement largement essaimé dans la conception française de la gouvernance. L’imprégnation et la diffusion dans la littérature des politiques publiques de la définition donnée P. Le Galès témoigne bien du caractère central de la question territoriale – et tout spécifiquement locale144 – dans le sens dévolu à la notion de gouvernance, entendue

comme :

Thrift N. (Ed.), Globalization, Institutions and Regional Development in Europe, Oxford : Oxford University Press, 1994 ; Crosta P., Politiche†: quale conoscenza per l’azione territoriale. Milan, Franco Angeli, 1998 ; Dunford M.,

Kafkalas G., (Ed.), Cities and Regions in the NewEurope, Londres : Belhaven Press, 1992 ; Harding A., «†Regime formation in Edinburgh and Manchester†», in Stoker G. (Ed.). The New Politics of British Local Governance, Basingstoke : Macmillan, 2000 ; Keating M., The New Regionalism in Western Europe, Cheltenham : Elgar, 1998 ; Stone C, Regime Politics. Governing Atlanta 1946-1988, Lawrence : University Press of Kansas, 1989 ; Andrew C., Goldsmith M., « From Local Government to local Governance - and Beyond ? » in New trend in municipal government,, International Political Science Review, vol 19, n°4, 1998, p. 101-117 ; Glodsmith M, Page E. (Eds.), Central and local government relations, London : Sage, 1987 ; Goldsmith M., « Local government »,

Urban Studies, vol. 29, n°3-4, 1993 ; Goldsmith M., « The europeanisation of ;local government », Urban Sutdies, vol. 30, n°4-5,1993 ; Gurr T., King D., the State and the City, London : Macmillan, 1987 ; Hamel P.,

« Urban Politics in the 1990s : The difficult Renewal of Local Democracy », International Political Science Review, vol.19, n°2, 1998, p. 173-186 ; Stoker G., « Urban governance in Britain », Sociologie du travail, n°2, 1995, p. 301-315 ; Stoker G., « Theory and Urban Politics », International Political Science Review, vol.19, n°2, 1998, p. 119-129 ; Barnekov T, Boyle R, Rich D., Privatism and urban policy in Britain and the United States, Oxford : Oxford University Press, 1989 ; Bennett R.J. (Ed.), Local government in the new Europe, London : Belhaven Press, 1993 ; Bianchini F., Parkinson M (Eds), Cultural policy and urban regeneration. The West european experience, Manchester : Manchester University Press, 1993 ; Cooke P. (Ed.), Localitie, London : Unwin Hyman, 1988 ; DeLeon R., « The urban antiregime : progressive politics in San Francisco, Urban Affairs Quarterly, vol. 27, n° 4, 1992 ; Dente B., « Metropolitan governance reconsidered or how to avoid errors of the third type »,

Governance, vol. 3 , n° 1, 1990 ; Elkin S.E., Twentieth century urban regimes », Journal of Urban Affairs, 7, 1985 ;

Fainstein S. Gordon I., Harloe M. (Eds), Divided cities, Oxford : blackwell, 1992, 293 p.

143 S’agissant de la littérature française on se réfèrera plus particulièrement à : Le Galès P., « Du

gouvernement des villes à la gouvernance urbaine », Revue française de science politique, vol 41, n° 1, 1995 ; Balme R., « La participation aux associations et le pouvoir local », Revue française de sociologie, n° 28, 1987 ; Borraz O., « Intégration et régulation : la crise politique à Lausanne, Sociologie du travail, n° 1, 1992 ; Gaudin J.-P.,Les

nouvelles politiques urbaines, Paris : PUF, 1993 ; Lorrain D., « De l’administration républicaine au gouvernement

urbain », Sociologie du travail, n° 4, 1991 ; Muller P., « Les politiques publiques entre secteurs et territoires »,

Politiques et management public, vol. 8, n° 3, 1990 ; Gaudin J.-P., « Politiques urbaines et négociations territoriales

- Quelle légitimité pour les réseaux de politiques publiques ? », Revue française de science politique, vol. 45, n° 1, 1995, p. 31-55 ; Marcou G., Rangeon F., Thiebault J.-L., « Le gouvernement des villes et les relations contractuelles entre collectivités publiques », in Godard F. (dir.), Le gouvernement des villes – Territoire et pouvoir ?, Paris, Descartes & Cie, 1997.

144 Les perspectives adoptées n’en demeurent pas moins empreintes d’une réelle diversité. Comme le rappelle

Claudette Lafaye, « certains auteurs définissent la gouvernance comme étant précisément la recherche d’une articulation entre différentes échelles territoriales (Calame, Talmant, 1998) cependant que d’autres mettent l’accent sur l’irréductibilité des « scènes locales » non ordonnables autour d’une « scène centrale » où se hiérarchiseraient les conflits et les intérêts (Leca 1996) ». Lafaye C., « Gouvernance et démocratie : quelles reconfigurations ?, in Cardinal L, Andrew C. (dir.), La démocratie à l'épreuve de la gouvernance. Ottawa : Les Presses de l'Université d'Ottawa, 2001.

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« La capacité à intégrer, à donner forme aux intérêts locaux, aux organisations, groupes sociaux et d’autre part […] la capacité à représenter à l’extérieur, à développer des stratégies plus ou moins unifiées en relation avec le marché, l’Etat, les autres villes et autres niveaux de gouvernement. »145

L’attention portée aux réseaux et à leur inscription dans des territoires situés à des échelles multiples a ainsi couvert un large pan des études sur la gouvernance et l’articulation des différents niveaux de gouvernement, du local à l’Europe. Si les réseaux n’épuisent bien évidemment pas le champ de l’analyse de la gouvernance des territoires, les critiques qui leur sont portées présentent en revanche d’étroites proximités, offrant la possibilité de mieux saisir certaines caractéristiques de cette notion souvent difficilement préhensible qu’est la gouvernance.

En outre, l’entrée par le concept de réseaux ouvre très rapidement la porte à une critique de sa réappropriation par les acteurs politico-administratifs et de son usage à des fins d’expertise de la gouvernance des villes, des régions, ou encore de l’Union européenne. Comme le souligne là encore P. Le Galès, les réseaux tendent en effet à être perçus, par la littérature grise comme par les acteurs de l’action publique, comme des outils susceptibles d’améliorer l’efficacité de la gouvernance. Une frange toujours plus large de la littérature s’apparente désormais à une perspective d’expertise, celle de la résolution des problèmes d’efficacité. Particulièrement courante aux Etats-Unis146, cette

vision des choses se déploie également de plus en plus largement dans les études sur la gouvernance européenne. Alors que l’approche de la gouvernance urbaine, locale ou régionale par les réseaux de politique publique tend à emporter l’adhésion, elle s’avère ainsi – paradoxalement ? – plus problématique dès lors qu’elle se déploie à l’échelle européenne.

145 Tirée de l’article de P. Le Galès intitulé « Du gouvernement des villes à la gouvernance urbaine », RFSP,

op. cit, cette citation est utilisée comme définition de la gouvernance dans l’introduction de l’ouvrage dirigé par

Commaille et Jobert sur la régulation politique. Commaille J., Jobert B., « La régulation politique : l’émergence d’un nouveau régime de connaissance », in Commaille J., Jobert B., Les métamorphoses de la régulation politique –

Droit et société, vol. 24, 1998, p. 28.

146 P. Le Galès considère ainsi comme exemplaire l’ouvrage de Osborne D., Gaebler T., Reinventing government :

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1.2. Limites de l’instrument, impensés de la gouvernance. Extension

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