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La gouvernance démocratique et les limites de l’ « enchantement délibératif » Valeurs et idéologie d’une gouvernance incertaine

REPROUVE L’ APPROCHE DES POLITIQUES PUBLIQUES

2. La gouvernance, enjeu idéologique

2.1. La gouvernance démocratique et les limites de l’ « enchantement délibératif » Valeurs et idéologie d’une gouvernance incertaine

Ces différents aspects apparaissent indissociables au regard de la littérature sur la notion de gouvernance, et tout spécifiquement s’agissant de l’interrogation sur la possibilité d’une « gouvernance démocratique »185. Faisant écho à la thématique récurrente

d’une « crise de la démocratie186 », l’idée de gouvernance démocratique a été élaborée

initialement sous l’angle du rôle des valeurs et des règles partagées dans l’élaboration des actions collectives par March et Olsen. Sa réappropriation dans le champ des politiques publiques a ainsi participé d’un large processus de mise en question du volontarisme étatique et du rôle effectif des gouvernants dans la prise de décision politique. La gouvernance démocratique correspond ainsi à l’introduction d’un certain « optimisme »

184 Lafaye C., « Gouvernance et démocratie : quelles reconfigurations ? », op. cit., p. 5.

185 Voir March J.G., Olsen J.P., Democratic governance, New York : Free Press, 1995, 293 p. ; Leca J., « Sur la

gouvernance démocratique : entre théorie et méthode de recherché empirique », Politique européenne, n° 1, avril 2000 ; Leca J., « La démocratie à l’épreuve des pluralismes », Revue française de science politique, vol 46, n° 2, 1996, p. 225-279. R. A. Dahl peut être considéré comme l’un des précurseurs, notamment dans ses deux ouvrages consacrés à la polyarchie et à la démocratie pluraliste : Dahl R.A., Polyarchy. Participation and Opposition, New Haven : Yale University Press, 1970, 257 p. ; Dahl R.A., Dilemnas of pluralist democracy : autonomy versus control, New Haven : Yale University Press, 1982.

186 Bernard Lacroix a particulièrement bien montré comment le thème de la crise de la démocratie s’avère être

un élément constitutif de la démocratie, à la fois banalisé et réactivé périodiquement, avec plus ou moins d’acuité en fonction des conjonctures historiques. Lacroix B., « La crise de la démocratie représentative en France : éléments pour une discussion sociologique du problème », Scalpel, 1994, p. 6 et suiv.

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de la délibération, passant par des dispositifs visant à l’interaction des publics et aux négociations multiformes de l’action publique. A rebours de l’approche dite « top down » des politiques publiques se sont ainsi multipliées des analyses centrées sur les forums, les modalités d’ouverture de débat public et plus globalement sur la construction collective des problèmes publics, leur mise sur agenda et leur prise en charge en tant que politiques publiques187.

La gouvernance démocratique et la question des valeurs

Aux formes traditionnelles d’exercice de la démocratie que sont la représentation et la délégation, la littérature sur la gouvernance démocratique substitue une approche centrée sur la construction collective de valeurs, les mécanismes d’adhésion et d’identité, les différentes formes de concertation et de débat public s’apparentant à des « processus participatifs et citoyens »188. Cette dynamique de la concertation et de la délibération

transcende en outre plus aisément les échelles territoriales : le débat public peut se situer aussi bien au niveau local que dans des contextes globaux – à l’image des mouvements anti-mondialisation néo-libérale par exemple189. Dans sa version la plus enthousiaste, ou

empathique, la gouvernance peut ainsi être érigée en concept clé des nouvelles formes d’exercice de la démocratie. Délibération et évaluation des politiques publiques y sont conçues comme les fondements d’une « bonne gouvernance » devenue quasi-synonyme de démocratie – ou tout au moins perçue comme sa mise en œuvre la plus aboutie. Ainsi

187 Sur cette question, voir notamment Callon M., Lascoumes P., Barthes Y., Agir dans un monde incertain, op.

cit. ; Blondiaux L., Sintomer Y. (dir.), « Démocratie et délibération », Politix (n° spécial), n° 57, 2002, p. 15-

180 ; Blatrix C., « L'enquête publique, victime du débat public ? », Pouvoirs locaux, n° 62, sept. 2004, p. 85-95 ; Blatrix C., « La loi Barnier et le débat public : quelle place pour les associations ? », Ecologie politique, n° 21, automne/hiver 1997, p. 77-92.

188 Voir par exemple le cas des OGM : Joly P.-B., « Les OGM entre la science et le public ? Quatre modèles

pour la gouvernance de l'innovation et des risques », et Marris C., « La perception des OGM par le public : remise en cause de quelques idées reçues », in Economie rurale, n° spécial : « Les citoyens, les consommateurs et les OGM », n° 266, nov/déc 2001, p. 7-79. Voir également d’un point de vue plus général Zémor P., Pour un

meilleur débat public, Paris : Presses de Sciences-Po, 2003, 139 p. ; Vallemont S., Le débat public : une réforme dans l'État, Paris : LGDJ, 2001, 198 p. ; Jobert B., « Europe and the recomposition of national forums », Journal of European Public Policy, vol. 10, n° 3, 2003, p. 463-477.

189 Comme le résume Gaudin : « De manière plus récente, le thème de la gouvernance démocratique est repris

différemment par les acteurs sociaux des grands mouvements de contestation de la mondialisation. Leur idée est de faire pièce au néolibéralisme, en contestant le pouvoir des grandes entreprises ainsi que celui des organisations internationales qui mettent en œuvre les règles des échanges, du système financier international et des conditions de prêt aux pays pauvres. Les différents forums sociaux, mondiaux, nationaux ou locaux en sont l’élément porteur. » Gaudin J.-P., L’action publique, op. cit., p. 211.

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pour G. Peters, la gouvernance, « c’est le travail pratique de la démocratie » et « la démocratie exige de plus en plus que les décisions soient prises ouvertement et au grand jour, de manière telle que le public et les groupes intéressés soient témoins des gestes des acteurs administratifs ou politiques190 ». Dans cette perspective, la logique de l’action

collective doit être expliquée, décortiquée, débattue sur la place publique car les ressources communes et les politiques publiques sont des questions d’intérêt commun, à mettre littéralement en « pool »191. La gouvernance, et plus encore la « bonne

gouvernance » va ainsi jusqu’à faire figure de point d’aboutissement de la démocratie, en tant qu’elle devient une forme de gouvernement réflexif, fondé sur une éthique de l’agir communicationnel appliquée au champ politique. Pour M. Baslé, la gouvernance rend ainsi compte des mutations des formes de gouvernement et de l’évaluation comme condition d’une bonne gouvernance, celle d’une réflexivité des régimes démocratiques :

« La gouvernance c'est donc un gouvernement semi-décideur semi-décidé d'aujourd'hui qui peut faire appel à l’évaluation comme moyen parmi d’autres. C’est une situation où le gouvernement ou la collectivité s’intéresse à l’interprétation que l’opinion donne à la politique. L’action collective publique s’exerçant dans un univers systémique, l’explication de son action est toujours difficile : la communication sur la gouvernance d'aujourd'hui en société dite de l’information, qu'on le veuille ou non, reste quelque chose d'assez opaque qui appelle donc, dans certains contextes (mais pas toujours) un travail de mise à jour, de pédagogie et de remise en chantier permanente. Bonne gouvernance pourra donc être associée à évaluation, à connaissance, à pédagogie universelle, à égalité d’information entre les élus et les électeurs et adaptation et réforme : on souhaitera toujours une meilleure constitution, des lois et réglementations plus adaptées, des régulations et mises en applications plus sérieuses, une plus grande professionnalité dans la gestion, on demandera toujours une meilleure connaissance sur ce qui est fait. En conséquence, gouverner, ce sera mieux connaître les effets de l'action, les résultats, l’efficacité de l'action dans les différentes dimensions qui ont un intérêt pour les populations. Ce n’est donc pas folie de croire que gouverner, dans certains contextes institutionnels, ce pourra être évaluer et mieux évaluer (on dit souvent que gouverner c’est prévoir mais la prévision restera toujours soumise aux surprises). »192

L’enchantement délibératif et participatif de la gouvernance démocratique n’est cependant pas exempt de critiques, et bon nombre d’études viennent la nuancer193. La

190 Peters G., Savoie D.J., Les nouveaux défis de la gouvernance, Presses de l’Université de Laval, 1995, p. 3.

191 Voir Baslé M., « Evaluation des politiques publiques et gouvernance à différents niveaux de

gouvernement », Cahiers économiques de Bretagne, n° 2, 2000, p. 17-24.

192 Ibid., p. 20.

193 Voir par exemple Blatrix C., « Vers une « démocratie participative » ? Le cas de l’enquête publique », in

CURAPP, La gouvernabilité, op. cit., p. 399-313 ; également dans le même ouvrage Mercuzot B., « Référendum : les faux semblants d’une réforme », op. cit., p. 274-298. Voir également Dion S., « La gouvernance démocratique et le principe d’intégrité territoriale », in Favre P., Hayward J., Schemeil Y., Être gouverné, op. cit., p. 91-108 ; Revesz B., « Gouverner démocratiquement : une question d’Etat ? Perceptions latino-

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complexification des problèmes conjuguée à l’accessibilité accrue de l’information ouvre certes la possibilité de la coexistence d’un « modèle décisionniste » et d’un « modèle pragmatique de la communication » habermassien, fondé sur la construction d’un « langage commun »194. Dès lors, qu’il soit saisi à l’échelle des relations internationales195,

ou dans des cadres plus circonscrits (par exemple l’Europe, les régions, ou à l’échelle locale), le monde de la gouvernance démocratique suppose la constitution d’espaces publics de la prise de décision politique, fondée sur un mouvement continu de traductions-appropriations des enjeux – ce que P. Lascoumes a qualifié de transcodage des politiques publiques :

« Par transcodage, nous entendons alors l’ensemble de ces activités de regroupement et de transfert d’information dans un code différent. Transcoder, c’est d’une part agréger des informations et des pratiques éparses, c’est aussi les construire et les présenter comme une totalité ; c’est enfin les transférer dans d’autres registres relevant de logiques différentes afin d’en assurer la diffusion à l’intérieur d’un champ social et à l’extérieur de celui-ci. Tous les discours portant sur la « nouveauté » des problèmes et des politiques sont d’abord là pour occulter l’essentiel, à savoir qu’il s’agit en grande partie d’entreprises de recyclage. »196

Outre cette critique implicite liée à la reformulation de solutions préexistantes qui tend à euphémiser l’engouement pour la délibération-participation, il convient également de nuancer les transformations structurelles des démocraties et l’évolution des modes de gouvernement vers une gouvernance démocratique. Comme le rappelle D. Gaxie, « si l’émergence d’une nouvelle forme de démocratie considérée comme plus « participative » semble s’accréditer, c’est parce que diverses transformations tendent à amplifier les interventions des citoyens dans les processus politiques constitutifs de la démocratie représentative197 ». L’action publique apparaît davantage placée sous le verdict

de publics externes – dont la mesure de l’opinion devient l’enjeu de controverses ; et toujours dans le cadre d’espaces publics inégalement publics et disposant d’un public

américaines », ibid., p. 287-300 ; et Hermet G., « Démocratisation, droits de l’homme et gouvernance », ibid., p. 301-314.

194 Loiseau F., « Apports et limites de l’évaluation démocratique des politiques publiques comme outil de

gouvernabilité », in CURAPP, La gouvernabilité, op. cit., p. 318.

195 Traitant du bon usage de la gouvernance dans les relations internationales, M.-C. Smouts précise ainsi que

le concept de gouvernance attire l'attention sur la nécessité d'un espace public international, sur la construction de mécanisme de dialogue et de participation. Voir Smouts M.-C., « Du bon usage de la gouvernance en relations internationales », Revue Internationale des Sciences Sociales, n° 155, 1998, p. 85-94.

196 Lascoumes P., « Rendre gouvernable : de la « traduction » au « transcodage ». L’analyse des processus de

changement dans les réseaux d’action publique », ibid., p. 335.

197 Gaxie D., « Gouvernabilité et transformations structurelles des démocraties », in CURAPP, La

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variable, plus ou moins équipés en ressources d’action et de mobilisation (et notamment de titres à parler). Les débats qui se déroulent dans ces espaces publics demeurent en outre « inégalement publicisés et produisent des effets sociaux inégaux sous divers rapports198 ». Si les grands traits caractéristiques de la démocratie représentative

subsistent199, les modes de gouvernement connaissent aussi des transformations notables

mais nécessairement ambivalentes quant à l’effectivité d’une gouvernance démocratique :

« L’engagement des réformes importantes s’accompagne souvent d’un effort de « communication » et d’un processus d’ « information », d’ « enquête », de « consultation », de « concertation » ou de « négociation » dans le cadre de commissions, colloques ou forums divers. Ces préalables vont désormais tellement de soi que leur absence devient un motif légitime de protestation et que beaucoup d’acteurs et de commentateurs sont persuadés qu’ils correspondent à une « évolution des mentalités » et à un niveau d’exigence accru des citoyens. (…) Dans tous les cas, ces efforts pour adoucir et renforcer les relations de commandement et d’obéissance politique en associant de manière originale les gouvernés à leur propre gouvernement, contribuent à la réduction des possibles. (…) La gouvernabilité des démocraties se trouve donc à la fois affaiblie et renforcée. Ce qui est parfois unilatéralement interprété comme des symptômes de la crise de l’Etat est aussi un facteur de légitimation de cet Etat. (…) Il n’y a plus guère de groupes organisés qui se proposent de renverser l’ordre politique établi. (…) Les compétitions, oppositions, luttes, débats, mesures, élections, sondages, manifestations, négociations, compromis, concessions et décisions qui sont constitutives des relations de pouvoir politique contribuent aussi à leur justification. »200

La gouvernance démocratique, plutôt qu’un concept à part entière, apparaît donc elle aussi comme une qualification de la gouvernance ; plutôt que de fournir de véritables

198 Ibid., p. 268.

199 Voir Gaxie D., Le cens caché : inégalités culturelles et ségrégation politique, Paris : Seuil, 1978, 268 p. ; Gaxie D., La

démocratie représentative, Paris : Montchrétien, 2003, 160 p.

200 Ibid., p. 270-273. On peut ajouter que pour D. Gaxie, la complexité croissante des sociétés démocratiques

ne fait guère de doute, de même que celle des procédures de décision publique. Mais si elle transforme l’Etat, elle ne le dissout pas ; de même elle tend à renforcer la division du travail politique et institutionnalise de nouvelles formes de pluralisme qui contribuent à la légitimité des sociétés démocratiques occidentales : « Les décisions publiques deviennent elles aussi plus complexes. Elles s’accompagnent d’innombrables études, expertises, consultations et enquêtes plus ou moins préalables. Elles suscitent quantité de réactions, commentaires, débats, protestations, négociations, corrections, adaptations, retraits et évaluations. Des groupes plus nombreux se sont organisés ou interviennent de manière réputée plus « spontanée » dans les multiples processus politiques sectorisés. L’Etat fonctionne ainsi de plus en plus en pratique comme un espace d’espaces relativement autonomes. La division du travail politique s’est accrue. De nombreuses catégories de spécialistes – hommes politiques, fonctionnaires, journalistes, sondeurs, communicateurs, experts, intellectuels, scientifiques, représentants des groupes diversement organisés – suivent, commentent, évaluent et interprètent les décisions publiques et les réactions qu’elles suscitent. Les membres de chaque catégorie interviennent dans ces débats plus ou moins publics en fonction de leurs préoccupations, compétences, intérêts et stratégies spécifiques. Les relations en tous sens entre de nombreux univers sociaux à la fois imbriqués et séparés contribuent à l’amplification des réactions et des sanctions externes. Cette complexité renforcée est le fondement social du pluralisme sociopolitique, des mécanismes de séparation et de neutralisation des pouvoirs, des libertés publiques et des droits politiques qui se trouvent par ailleurs érigés et justifiés en principe sous l’effet du travail propre de diverses catégories d’intervenants. La légitimité des démocraties occidentales est ainsi clairement inscrite dans leur complexité structurelle. »

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grilles d’analyse, elle tendrait davantage à se pencher sur les transformations de l’action publique, dans une optique de démocratisation – engageant la délibération et la participation accrue des citoyens.

Les politiques publiques et les approches cognitives de la gouvernance

Un large pan de l’analyse des politiques publiques peut ainsi être inscrit dans le giron de la thématique d’une « gouvernance démocratique » appréhendée par les dispositifs d’action publique, les procédures de mise en discussion publique, d’élaboration de projets, d’évaluation, de construction des arguments dans le cadre des forums, et les références mobilisées. D’inspiration néo-institutionnaliste (à la suite de March et Olsen notamment), ou axés sur les procédures de négociations dans et entre les organisations, ou encore sur les modes de circulation des idées, les coalitions de causes, les « systèmes de croyance » ou les controverses publiques201, ces travaux insistent sur les règles et valeurs

qui mettent en forme et légitiment la conduite de l’action publique. Mais si elle induit des transformations d’importance, dans les dispositifs et les structures démocratiques, ses fondements demeurent – et tout spécifiquement la loi et les principes universalistes de l’intérêt général. Plus qu’un nouveau concept se substituant à l’interrogation fondamentale pour la science politique qui est celle du gouvernement – « gouverner et être gouverné » –, la gouvernance démocratique s’apparente davantage à une formule visant à rendre compte de certaines spécificités et évolutions tendancielles des démocraties occidentales.

201 On peut rassembler sous cette catégorie des façons cependant très différentes de traiter des règles de la

négociation, relevant d’angles divers, voire reposant sur des fondements épistémologiques très différents, telles que : pour la sociologie des organisations et de la production-négociation des règles Friedberg E., Le

pouvoir et la règle : dynamiques de l'action organisée, Paris : Seuil, 2ème Ed., 1993, 422 p. ; ou encore Reynaud J.-D., Les règles du jeu. L’action collective et la régulation sociale, Paris : Armand Colin, 1989, 306 p. S’agissant des

« systèmes de croyance », on renverra notamment à Majone G., Evidence, argument and persuasion in the policy

process, New Haven : Yale University Press, 1989 190 p. ; ou Sabatier P.A., Jenkins Smith H.C. (Ed.), Policy change and learning, an advocacy coalition approach, Boulder : Westview Press, 1993, 290 p. Pour une approche par

les controverses voir Jobert B., « Représentations sociales, controverses et débats dans la conduite des politiques publiques », Revue française de science politique, n° 2, 1992, p. 219-234 ; et enfin pour des développements plus proches de ceux de la nouvelle anthropologie des sciences, voir Lascoumes P., Callon M., Barthe Y., Agir dans un monde incertain, op. cit.

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Cette remarque vaut également pour les approches « cognitivistes » des politiques publiques. Si l’idée de gouvernance démocratique n’apparaît pas de manière aussi directe et récurrente dans cette littérature, cette interrogation y est cependant bien présente, tout en se focalisant davantage sur les effets de la « mondialisation » et de la « globalisation ». En ce sens, la version cognitiviste présente quelques traits communs avec ce que J.P. Gaudin dénomme la « perspective de nouvelles régulations », celles des relations entre les pouvoirs institués et la « société civile » dans laquelle « la gouvernance a pu être assimilée à la régulation mondiale de sphères d’activités collectives où les objectifs partagés ne sont pas définis par des instances étatiques et ne reposent pas sur la force publique pour être appliqués »202. Pensée à l’échelle nationale203, cette version de la gouvernance régulatrice

est essentiellement celle du champ de l’étude des relations internationales et a pour point d’orgue l’hypothèse d’une possible « gouvernance mondiale »204.

Si l’analyse des politiques publiques n’adopte pas la perspective radicale de la substitution de la gouvernance au gouvernement, elle tend néanmoins à accréditer l’idée selon laquelle la construction du sens relèverait de valeurs et d’idéologies localisables à une échelle mondialisée, ce dont témoigne l’usage de termes aussi généraux qu’épistémè205,

paradigme206 ou système de croyance207 – termes le plus souvent employés dans le cadre

des Etats nations, mais susceptibles d’une portée plus large.

L’interrogation portée par l’approche cognitive des politiques publique, et tout spécifiquement celle – dominante ?208 – des « référentiels »209, tend ainsi à osciller entre

202 Gaudin J.-P., L’action publique, op. cit., p. 211. 203 Kooiman J., Modern governance, op. cit.

204 Gouvernance mondiale dont la définition serait celle d’un « ensemble de règles, de principes et de

procédures qui s’applique à des activités traversant les frontières et qui procède de négociations entre organisations internationales, organisations non gouvernementales et réseaux divers (droits de l’homme, droits sociaux) ». Gaudin souligne en outre avec justesse : « Mais ne retrouve-t-on pas là certains accents des utopies d’un « gouvernement mondial », fondé plutôt sur l’harmonie que sur les rapports de force entre les nations ». Gaudin J.-P., L’action publique, op. cit.

205 Haas P. « Introduction: Epistemic Communities and International Policy Coordination », International

Organization, vol. 46, nº 1, 1992, p. 1-37.

206 Hall P.A., « Policy paradigms, social learnings, and the state. The case of economic policy making in

Britain », Comparative politics, vol. 25, n° 3, avril 1993, p. 275-296.

207 Sabatier P. (Ed.), Theories of the policy process, Boulder : Westview Press, 1999, 289 p. ; Sabatier P.,

McLaughlin S.M., « Belief congruence between interest-group leaders and members : an empirical analysis of three theories and a suggested synthesis », Journal of Politics, vol. 52, n° 3, août 1990, p. 914-935 ; Sabatier P., « The advocacy coalition framework : revisions and relevance for Europe », Journal of European Public Policy, vol. 5, n° 1, mars 1998, p.98-130.

208 La notion de référentiel apparaît comme dominante dans les usages de l’analyse des politiques publiques

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d’une part l’explicitation de l’autoréférentialité des sociétés modernes, dans le cadre de laquelle « le développement des politiques publiques est le signe de la nécessité qui leur est propre, de prendre en charge leur historicité » et où le politique devient « de plus en

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