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7. Eléments de réflexion

7.4 L’identité et la Discipline Positive

7.4.1 L’influence de l’identité

Si nous nous référons au tableau récapitulatif des résultats36, six participants ainsi que Gabriel, le maître formateur, ont répondu que la DP ne peut pas convenir à tout le monde. Cela signifie que plus des trois quarts des participants pensent que la DP ne peut pas convenir à tout le monde, il s’agit d’une large majorité. Aussi, tous les participants ont répondu que l’identité

36 Cf. Annexe 16, tableau n°19 : Tableau récapitulatif.

de l’enseignant est liée à l’autorité ou à la discipline prônée par celui-ci. Ainsi, il semble que l’identité personnelle de l’enseignant ait une quelconque influence sur la discipline pratiquée.

Il nous importe alors, de voir quels éléments liés à l’identité d’une personne pourraient influencer les enseignants à se diriger vers une posture de DP plutôt qu’une posture de discipline plus traditionnelle. Si nous prenons les dires de Gabriel, nous pouvons observer que ce dernier n’est pas en accord avec le type de discipline, qu’il nomme « traditionnel », qu’il s’est « forcé » à mettre en place puisque tout le monde fonctionnait comme cela, à ce moment-là et parce que c’est tout ce qu’il connaissait. En effet, à travers ses paroles, on ressent un mal-être vis-à-vis de cette posture de « supériorité » ou cette posture allant à l’encontre élèves :

Avant ce que on vivait nous ce que j’ai vécu en tant qu’enfant ce qui était plus courant dans la on va dire dans la société c’est une hiérarchie verticale l’enseignant c’est le patron l’adulte est le patron et puis les enfants obéissent en simple et c’est bien ce qui m’a posé problème quand j’ai repris la classe c’est que je pouvais plus fonctionner comme ça parce que je bien sûr que y’avait un respect bien sûr que y’avait une autorité mais pas de la même manière. (Gabriel)

On retrouve également le même point de vue chez l’enseignante 5 :

On a l’impression d’être investi d’une mission quand on est enseignant que on doit faire régner une forme de discipline qu’on doit montrer qu’on maîtrise qu’on contrôle qu’on surveille et souvent c’est ça c’est ce qu’on a tellement l’habitude de voir ça à droite à gauche et on se sent tellement investi de cette mission-là que on va là-dedans parce que tout le monde va là-dedans pis qu’on pense que c’est ça qu’on doit faire […] mais c’est vrai que moi je me rends compte que j’en ai absolument rien à faire de mon autorité en fait c’est pas ça qui. (Transcription 5, lignes 578-590)

Un second élément qui ressort chez les trois enseignantes pratiquant une DP de manière globale ainsi que chez Gabriel correspond au fait qu’ils ne se sentaient pas eux-mêmes lorsqu’ils ont tenté de suivre le curriculum prescrit à la lettre. Il y avait un décalage entre leur identité professionnelle et leur identité personnelle. Ils se sont fortement questionnés sur ce curriculum prescrit et ils se sont rendus compte qu’ils ne devaient pas forcément le suivre à la lettre afin de trouver une manière d’enseigner qui leur correspond, qui correspond à leur identité personnelle :

On se rend compte que on veut vraiment tout suivre à la lettre la planification pis qu’on ose pas prendre du temps pour régler des conflits ou discuter alors que c’est super important parce que c’est pour que ça aille mieux après on peut pas tout faire et pis ils

arriveront quand même au bout voilà donc ça aussi j’ai un peu réalisé ça grâce à l’expérience. (Transcription 3, lignes 518-522) ;

En début de carrière […] j’ai voulu faire très très bien je me rappelle je lisais toutes les recommandations toutes les directives je voulais vraiment faire bien sur tout et pis au fur et à mesure bah je me suis rendue compte aussi que bah y’a des choses que tu pouvais pas les faire et pis ça allait très bien et pis je me rendue compte que ce à quoi je croyais le plus c’est ce qui marchait le mieux aussi. (Transcription 5, lignes 695-700) ; « Quand j’étais jeune j’enseignais comme je pensais qu’on devait enseigner pis en essayant de respecter un maximum les demandes institutionnelles maintenant j’ai une grande liberté par rapport aux demandes institutionnelles. » (Transcription 5, lignes 709-712) ; C’est quelque chose qui demande du temps parce que on va beaucoup parler avec les élèves donc voilà les gens qui vont être paniqués pour leur programme va falloir qu’ils s’organisent autrement quoi pour trouver le temps donc moi ça m’effraie pas parce que je pense que c’est un gain de temps. (Transcription1, lignes 212-215) ;

La difficulté de rester dans le cadre qui est le dip qui nous dit bah vous avez un programme à faire et puis avec des lignes directrices […] et moi là-dedans les dernières années c’était l’enfer tout ce qui touchait à l’évaluation parce que je trouvais pas ça cohérent non c’était impossible à expliquer aux parents je trouvais personne malgré les formations qu’on a reçues qui était à même de donc je faisais mais j’ai toujours eu plein de convictions sans pouvoir les étayer. (Gabriel)

Par conséquent, ces quatre enseignants qui se sont retrouvés à faire de la DP se sont sentis en quelques sortes mal à l’aise avec le programme prescrit, avec certains choix de l’institution et ont eu besoin d’autre chose ; de la DP ?

Puis, ces enseignants avouent également n’avoir jamais été des fervents de la punition.

En effet, ils n’en ont que très peu utilisé car ils n’en sont pas convaincus : « j’étais pas tout à fait pour les punitions à l’époque » (Transcription 3, ligne 269) ; « j’ai pas le souvenir d’avoir été une maîtresse qui criait beaucoup ou qui punissait je crois pas » (Transcription 5, lignes 666-667) ; « par contre ça n’allait pas dans l’autre sens c’était pas des punitions c’était vraiment l’idée de monter » (Transcription 1, lignes 343-344) ; « avant c’était avec des punitions quand bien même j’avais compris intellectuellement dans mes études que ça servait à rien mais j’avais pas d’autres ressources » (Gabriel).

Nous pouvons également relever la présence d’un esprit d’ouverture chez ces trois enseignantes ainsi que chez Gabriel. En effet, ils affirment être toujours prêts à tester de nouvelles choses ou à améliorer leur pratique : « moi j’ai l’impression que je suis toujours en mouvement je suis pas fermée à des choses pour moi ça dépend d’autres choses » (Transcription 5, lignes 522-523) ; « je pense qu’on a toujours à apprendre en fait on peut toujours faire mieux que voilà » (Transcription 1, lignes 228-229) ; « y’a toujours des pistes on n’a pas tout fait je vais retenter d’autres choses ça c’est sûr mais je pense que ça dépend vraiment du caractère de la personne » (Transcription 3, lignes 530-531) ; « d’une certaine manière oui l’esprit d’ouverture c’est quelque chose qu’on m’a inculqué je sais pas comment s’est venu mais aussi loin que je me rappelle mes parents étaient ouverts à l’autre » (Gabriel).

Enfin, l’enseignante 1 et l’enseignante 5 mentionnent que le style de la DP a toujours été leur manière de faire et qu’avec le temps et les outils elles se sont bonifiées dans ce sens-là : « en fait c’était déjà un peu ma façon de faire » (Transcription 1, ligne 49) ; « je pense qu’en tout cas j’ai toujours été plutôt dans ce style-là » (Transcription 5, ligne 664).

Ainsi, on peut relever quelques éléments faisant partie de l’identité d’une personne qui pourraient influencer les enseignants à se diriger vers une DP. Il s’agit d’un malaise ou d’un conflit vis-vis d’une discipline allant à l’encontre des élèves, un malaise ou un conflit vis-à-vis des prescriptions, la volonté de vouloir trouver une méthode non punitive lorsqu’on n’est pas un fervent des punitions, le fait d’avoir un caractère d’ouverture vis-à-vis de nouvelles choses, d’être prêt à tester autre chose ou à améliorer sa pratique : de penser que sa pratique n’est jamais parfaite et finalement, lorsque l’on se trouve déjà dans des pratiques de valorisation plutôt que de sanction. En effet, il semble plus facile d’adopter une posture de DP pour les enseignants qui valorisent déjà beaucoup les élèves, pour les enseignants qui se situent déjà dans ce style de discipline. Toutefois, ce style de discipline peut aussi être adopté par des enseignants qui ne pratiquent pas forcément cela, mais qui sont ouverts et prêts à essayer d’autres choses. Le changement sera alors plus long et probablement plus difficile à faire car il y aura plus de choses à changer. En effet, on peut relever que l’enseignante 3 ne mentionne pas s’être toujours trouvée dans ce style de discipline bien qu’elle présente d’autres facteurs liés à cette pratique. On relève aussi qu’elle mentionne régulièrement qu’elle a dû faire un long travail sur elle-même et qu’elle a dû modifier sa manière de parler aux élèves ; ce dernier élément n’étant pas mentionné par les enseignantes 1 et 5.

Quant aux enseignantes 4, 6, 7 et 8, elles présentent également certaines de ces similitudes dans leur identité. En effet, on peut relever qu’elles présentent, de manière générale, une certaine ouverture d’esprit vis-à-vis de nouvelles pratiques : « c’est usant fatiguant pis d’un autre côté c’est moteur parce que voilà c’est aussi une nouveauté pis ça fait avancer on va pas rester que sur nos anciennes choses hein […] » (Transcription 4, lignes 399-401) ; « je suis assez ouverte quand quelqu’un va me dire c’était bien ou quand quelqu’un me raconte j’aime bien aller essayer » (Transcription 7, lignes 620-621) ; « j’ai suivi aussi avec Ferrera des formations sur XXX j’ai suivi même d’autres formations sur les autistes ou d’autres formations pas forcément liées à la discipline » (Transcription 8, lignes 810-812). Elles sont également deux à mentionner qu’elles s’y sont intéressées parce que certaines choses leur parlaient et que ça faisait en quelques sortes écho à leur manière de faire : « j’ai quand même des tendances une fois que j’ai lu ça y’a beaucoup de choses que je faisais déjà » (Transcription 7, lignes 217-218) ; « peut-être que j’aurais fait de la Discipline Positive sans le savoir avant peut-être que j’en faisais déjà en partie avant maintenant je mets un nom dessus parce que j’ai lu ça et peut-être que j’ai approfondi […] » (Transcription 8, lignes 891-893).

Ces différentes enseignantes mentionnent presque toutes avoir pris les éléments de la Discipline Positive qui leur convenait. Cela peut ainsi sous-entendre qu’il existe des aspects qui ne leur conviennent pas, qui ne conviennent pas à leur identité personnelle. Aussi, j’ai l’impression qu’il faut s’être retrouvé en conflit avec son identité vis-à-vis d’un mode d’enseignement, d’une pratique de la discipline, vis-à-vis de certaines prescriptions ou face à une situation dans laquelle on ne sait plus quoi faire, une impasse, afin de pouvoir être prêt à revêtir une autre posture, pourquoi pas une posture de DP. Cela rejoint alors également l’idée qu’il faut réellement avoir la volonté de vouloir changer sa pratique pour adopter une posture différente et l’élément qui peut alors déclencher cette volonté pourrait peut-être correspondre à un conflit identitaire vis-à-vis du système d’enseignement traditionnel, des prescriptions ou encore du système de discipline traditionnel. D’ailleurs, on peut relever dans les propos des enseignantes 7, 8 et 2, qui partagent le plus de principes en lien avec la DP, la présence d’un conflit identitaire ou d’une remise en question. En effet, on a l’impression que l’enseignante 7 ne se sentait pas à l’aise lorsqu’elle revêtait une posture autoritaire dans sa classe, lorsqu’elle prenait une place « supérieure » face aux élèves : « j’ai plus commencé plutôt en étant autoritaire j’ai plus utilisé mon autorité plus utilisé j’étais peut-être plus frontale ouais et ça me plaisait pas beaucoup j’ai l’impression je me souviens j’avais l’impression d’être un peu le colonel de

l’armée » (Transcription 7, lignes 587-589). Quant à l’enseignante 8, elle exprime qu’elle n’a jamais été une fervente de la manière traditionnelle et frontale d’enseigner :

Je détestais leur manière d’apprendre à l’école primaire euh les cartes de géo moi j’ai jamais trouvé une montagne j’aime expérimenter […] et ça me correspondait pas du tout parce qu’on était vraiment à l’époque dans quelque chose de très frontal de très recrachage […] (Transcription 8, lignes 777-781)

Puis, l’enseignante 2 mentionne qu’elle s’est retrouvée dans une situation d’impasse qui l’a poussée à se remettre totalement en question, qui a créée en quelques sortes un conflit identitaire puisqu’elle ne savait plus si elle voulait continuer d’enseigner :

Beaucoup de réflexions, beaucoup de remises en question, beaucoup de ras-le-bol, beaucoup de moments où j’ai carrément voulu arrêter ce métier parce que je me disais ça va pas pis à force j’ai trouvé des petits trucs qui me plaisaient, des trucs qui m’interpellaient la Discipline Positive ça en fait partie et pis on se construit en fait.

(Transcription 2, lignes 332-335)

Enfin, on peut relever qu’il existe peut-être différents niveaux de pratiques de la DP.

Effectivement, les huit enseignantes interrogées présentes des similitudes dans leur pratique avec les principes de la DP. Nous avons également pu relever que certaines enseignantes pratiquaient la DP d’une manière plus globale alors que d’autres n’ont pris que les aspects qui leur correspond. Il est alors possible qu’il existe certains traits de caractère conduisant la personne à être plus enclin à développer une posture de DP. Sur les huit enseignantes interrogées, quatre enseignantes mentionnent qu’elles ont pris les éléments qui leur correspond le mieux, sous-entendant peut-être que certaines choses ne leur correspondent pas :

« évidemment que ça va jouer un rôle dans le sens que je vais prendre ce qui m’intéresse et pis je vais pas faire à la lettre et je vais la modeler à ma façon » (Transcription 7, lignes 613-614) ;

« j’ai piqué ce qui semblait me correspondre donc du coup c’est beaucoup plus facile de faire en sorte que ça colle » (Transcription 8, lignes 505-506) ; « je pense que si vraiment on le fait vraiment bien en faisant vraiment tout le protocole vraiment très très bien peut-être ça devient plus difficile moi j’ai plus pioché j’ai plus fait un peu » (Transcription 6, lignes 198-200) ;

Pour l’instant j’ai fait que des petites activités que j’ai pas eu le temps de me pencher plus à fond dans des activités plus ciblées ou différentes que je tourne un petit peu en rond dans mes trois quatre petites activités de départ. (Transcription 4, lignes 374-376)