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L’influence de la querelle des universaux

Partie I. La problématique du changement et de la permanence : fondements biologiques

Chapitre 2. L’interactionnisme comme fondement biologique de la problématique du

2.2. Le dépassement des bornes du droit civil en matière d’aliments

2.2.1. Les fondements du dépassement des bornes du droit civil en matière

2.2.1.3. L’influence de la querelle des universaux

La querelle dite des universaux est née au Moyen Age après que, du IXe au XIe siècle, le

débat entre Platon et Aristote « sur la nature des genres et des espèces » se termina par le triomphe des adversaires du réalisme platonicien594. L’intérêt de la théorie des universaux

dans le domaine alimentaire réside dans la possibilité de concevoir les aliments en genre et en espèces, étant entendu que la nourriture est une espèce du genre aliments. La question de savoir si les genres et espèces existent réellement ou sont de pures abstractions verbales divise le réalisme et le nominalisme595. C’est pourquoi cette « querelle des universaux »

serait née au Moyen Age avec Aristote. Cette querelle est présente dans la pensée sous-

593 La « querelle des universaux » est distinguée dans la littérature du « problème des universaux » pour souligner une problématique antérieure au Moyen Age. En d’autres termes, la « querelle des universaux » est la reprise par la scolastique médiévale d’un débat antique. Le nominalisme, dont l’élaboration est située à partir du XIe siècle, fut opposé dans cette querelle au réalisme aristotélicien [Alain de Libera, La querelle des universaux : de Platon à la fin du Moyen Age, Paris, Seuil, 1996, p. 28]. Voir aussi Dunan, supra note 518 à la p. 719 : « Le point de départ du problème des universaux n’est pas dans le monde, il est dans les systèmes philosophiques. Il n’a pas d’existence propre, mais s’inscrit toujours dans des problématiques plus vastes »; Maurice de Wulf, « Le problème des universaux dans son évolution historique du IXe au XIIIe siècle », Archiv für Geschichte der Philosophie, n° 9, 1897, p. 429 : « Dans une philosophie rationnelle, le problème des universaux n’est autre que le problème de la vérité de nos connaissances intellectuelles. »

594 Charles Jourdain, La philosophie de Saint Thomas d’Aquin, tome 1, Paris, L. Hachette et Cie, 1858, p. 263; Alain de Libera, « Question de réalisme : sur deux arguments anti-ockhamistes de John Sharpe », Revue de Métaphysique et de Morale, vol. 97, n° 1, 1992, pp. 88-89.

595 La littérature est variée sur les principales positions philosophiques. Certains auteurs se limitent à opposer le nominalisme au réalisme, alors que le conceptualisme est mentionné par d’autres comme une troisième solution aux problèmes des universaux. Maurice de Wulf (1897) a souligné la racine commune des trois solutions qui est leur opposition au réalisme platonicien : « C’est le réalisme modéré, appelé réalisme aristotélicien pour l’antiquité, réalisme thomiste pour le moyen âge, qui a mis en relief la valeur réelle du concept général, son applicabilité à la nature. Toute substance existante ou possible est individuelle, disent à la fois nominalistes, conceptualistes, aristotéliciens et thomistes, à l’encontre de tous les tenants de la métaphysique platonicienne. » [Wulf, supra note 593 à la p. 431]. Partant de cette même position de base, l’auteur rapproche le conceptualisme et le « réalisme modéré » pour enfin dégager la spécificité de ce dernier en ces termes : « La relation qu’exprime l’universalité, continuent les conceptualistes et les réalistes modérés, est une création de notre entendement. Mais les réalistes modérés se séparent de tous en ajoutant : l’universalité du concept a son fondement dans les choses, car les individus contiennent en leur sein des réalités semblables, quoique multipliées numériquement en chacun d’eux. L’abstraction les isole (concept abstrait); la réflexion les rapporte à un nombre d’être indéfinis (concept universel). » [Ibid.]. Le nominalisme est la solution la plus radicale parce que, en niant l’existence, « voire même la possibilité des concepts universels », il prend le problème des universaux à rebours des « réalistes outrés » ou platoniciens [Ibid., p. 430]. Alain de Libera (1992) mentionne aussi que « le véritable opposé du réalisme platonicien est le nominalisme » [supra note 594 à la p. 88]. Pour Charles Dunan (1911), les trois solutions (réalisme, nominalisme et conceptualisme) sont vraies « mais il faut les concilier », et « [l]a solution est dans Aristote » [supra note 518 aux pp. 719-720]. Maurice de Wulf (1897) semble être du même avis puisqu’il a cherché à « montrer qu’il n’est pas possible de faire rentrer les représentants des trois premiers siècles de la scolastique dans des cadres aussi fixement délimités – bien plus, que divers systèmes, opposés entre eux suivant leur définition doctrinale, ne sont, si on les place dans leur milieu historique, que des formes diverses et rudimentaires d’une théorie uniforme, en voie de formation. » [Wulf, supra note 593 à la p. 429].

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jacente au langage des droits, à la notion de droit subjectif et à la transformation du rapport alimentaire entre les XIIe et XIVe siècles à travers aussi la pauvreté volontaire d’un ordre

religieux qui complète l’ensemble du mouvement en quelque sorte subversif à l’œuvre à l’époque.

2.2.1.4. Les fondements du dépassement des bornes du droit civil en matière d’aliments à travers la pauvreté volontaire d’un ordre religieux

Pour bien comprendre fondements du dépassement des bornes du droit civil en matière d’aliments à travers la pauvreté volontaire d’un ordre religieux, il convient d’abord d’indiquer le lien entre la nécessité, la propriété et le droit naturel, et le problème que cela pose. Selon Portalis :

L’homme en naissant, n’apporte que des besoins; il est chargé du soin de sa conservation; il ne saurait exister ni vivre sans consommer il a donc un droit naturel aux choses nécessaires à sa subsistance et à son entretien.

Il exerce ce droit par l’occupation, par le travail, par l’application raisonnable et juste de ses facultés et de ses forces.

Ainsi le besoin et l’industrie sont les deux principes créateurs de la propriété.596

La propriété prend ainsi appui sur la nécessité597 mais dans une perspective individualiste :

« la Providence offre ses dons à l’universalité, mais pour l’utilité et les besoins des individus car il n’y a que des individus dans la nature.598 » Dans son Essai théorique de droit naturel basé sur les faits599, Luigi Taparelli d’Azeglio (1793-1862) mentionne la propriété dans les droits et devoirs généraux de la société relatifs à la vie600. Pour lui, les

596 Pierre-Antoine Fenet, Recueil complet des travaux préparatoires du Code civil, tome XI, Paris, 1836, p. 112.

597 Ibid., pp. 112-113 : « La nécessité constitue un véritable droit : or, c’est la nécessité même, c’est-à-dire la plus impérieuse de toutes les lois, qui nous commande l’usage des choses sans lesquelles il nous serait impossible de subsister. Mais le droit d’acquérir ces choses et d’en user ne serait-il pas entièrement nul sans l’appropriation, qui seule peut le rendre utile en le liant à la certitude de conserver ce que l’on acquiert? » 598 Ibid., p. 112. Notre soulignement.

599 Trad. de l’italien [Ensayo teorico de derecho natural, apoyado en los bechos] d’après la dernière édition avec approbation de l’auteur, 2e éd., tome premier, Tournai, Casterman, 1875.

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deux causes de destruction de la vie humaine sont la « violence du dehors » et le « dépérissement naturel de ses propres forces ». Le devoir et le droit de veiller à la conservation de la vie renferment ainsi le « droit de la défense personnelle » et le « droit de propriété »601. La propriété est liée au devoir de la conservation parce que l’auteur

considère que la vie peut être « enlevée autrement que par le fer de l’assassinat […] si je n’avais constamment recours aux aliments qui la soutiennent, aux remèdes qui la réparent602 ». La définition exclusive de la propriété par ce raisonnement est liée au « droit

d’user de tous les moyens nécessaires à cette fin603 » (conservation de la vie). Il appelle

alors « propriété », le droit de se servir de certains objets à l’exclusion de tout autre604. « Le

droit de propriété est donc un droit naturel, quand il s’agit des moyens de se conserver la vie605 ».

La doctrine du XIXe siècle a donc accentué les caractères individualiste, exclusif, absolu et

inviolable de la propriété alors que dans le rapport de pouvoir alimentaire romain, il y a une « idée de puissance606 » que le pater exerce dans sa familia incluant les choses. On revient

donc au problème de l’origine de l’obligation alimentaire en faveur des individus dépourvus du statut de sujet de droit (enfants, femmes, esclaves). Ce problème se présenta sous deux autres formes différentes au Moyen Age, d’abord avec le cas du vol d’aliments par l’affamé où l’état de nécessité s’est affirmé par sa subversion. Cette subversion est celle d’un fait alimentaire, la famine, traduisant l’appropriation par le nécessiteux de ce dont il

601 Ibid., p. 156.

602 Ibid., p. 161. 603 Ibid., pp. 161-162.

604 « […] du droit à la conservation et du droit à l’indépendance résulte nécessairement le droit d’exclusion; ayant droit à ma conservation j’ai droit aux moyens, et, les ayant en ma possession, mon indépendance individuelle rend cette possession exclusive. » [Ibid., p. 162].

605 Ibid., p. 164.

606 Sur cette « idée de puissance » : Marie-France Renoux-Zagamé, « Retour sur les origines théologiques de la propriété » (2013) 58 (2) Droits 51, 57 et s.; A. –M. Pathault, « Réflexions sur les limitations au droit de propriété à Rome jusqu’à la fin de la République » (1977) (4) Revue historique de droit français et étranger 239, 240; Edith Deleury, Michèle Rivet et Jean-Marc Neault, « De la puissance paternelle à l’autorité parentale : une institution en voie de trouver sa vraie finalité » (1974) 15 (4) Les Cahiers de droit 779, 786. R. Besnier, « De la loi des douze tables à la législation de l’après-guerre : quelques observations sur les vicissitudes de la notion romaine de propriété », Annales d’histoire économique et sociale, vol. 46, n° 4, 1937, pp. 323 et s. Selon Besnier, il a été « montré qu’à l’époque la plus reculée la propriété proprement dite n’existait pas. Pendant plusieurs générations, les Romains ont seulement la notion de la puissance générale du chef de la famille, puissance qui s’exerce, sous le nom de mancipium, aussi bien sur les personnes que sur les choses. » [Ibid., p. 323].

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n’était pas propriétaire. L’action entreprise par un indigent dans une situation de nécessité (la famine) afin de sauvegarder sa vie « est désignée par l’expression moyens (ou mesures)

de nécessité, ces moyens étant liés à la situation de départ607 » (la faim comme état de

besoin). Le vol est un acte qui bien entendu tombe sous le coup de la loi pénale. Mais le vol d’aliments fut reconnu comme un cas de nécessité. La nécessité aurait d’abord été conceptualisée à partir de la réalité sociale de l’époque marquée par la misère pour d’abord servir à excuser puis à justifier le vol d’aliments par l’affamé608. La subversion de l’état de

nécessité alimentaire s’est également traduite par la reconnaissance du « droit de s’emparer d’aliments dont la privation causerait609 » la mort de l’indigent. Le droit de l’Église avait

franchi ce pas au Moyen Age. Toutefois, la vie sauvegardée à travers la relation besoin- moyens-fin ne semble pas avoir été conçu à l’origine comme un droit mais comme un « bien610 ». La propriété dans ce cadre n’était donc qu’une espèce de solution au problème

de la subsistance de l’homme d’un genre plus étendu. En effet, Thomas d’Aquin « fond[ait] le droit de propriété socialement et non individuellement. C’est un droit collectif qui prend sa source dans le bien commun611 et dont la société constitue le sujet, un droit qui est

intrinsèquement limité et sur lequel pèse une dette.612 »

607 Cassella, supra note 108 à la p. 11.

608 Moriaud, supra note 572 à la p. 16 : « Un affamé vole des aliments; nous supposons une faim telle que tout retard mis à l’apaiser doive compromettre la santé et la vie […] Le vol nécessaire était très fréquent au moyen âge; nous verrons que c’est le cas de nécessité dont s’occupent alors les criminalistes. »

609 Ibid., p. 2.

610 Moriaud, supra note 572 à la p. 13 : « Tout le monde s’accorde à faire de l’absolue nécessité de l’acte au salut de la personne la condition première de l’impunité complète de l’agent; de là le nom d’état de nécessité […] par lequel nous désignons la situation critique dans laquelle il s’est trouvé, et la qualification de “nécessaire” que nous donnons à l’acte.

Cet acte sauve une vie. Qu’est-ce que la vie? On dit communément que c’est un droit; on parle du “droit de vivre”. D’où la conséquence naturelle d’un droit aux actes sans lesquels on ne peut vivre, à l’acte nécessaire en première ligne! Mais la vie n’est pas un droit […] Il n’est donc point de son essence d’être un droit; mais, toujours et partout, elle reste un bien, bien de même valeur pour l’individu, que la loi le protège ou qu’elle en exige le sacrifice, plus précieux peut-être même dans ce dernier cas, car on ne sent tout le prix de ce qu’on va perdre. L’acte nécessaire a donc pour essence de sauvegarder un bien. »

611 Kolb, supra note 437 à la p. 489 : « L’idée d’un bien commun a depuis toujours été lié à l’ordonnancement, tant réel qu’idéal, d’une communauté comme corps politique. »

612 Isabelle Astier et Annette Disselkamp, « Pauvreté et propriété privée dans l’Encyclique Rerum novarum », Cahiers d’économie politique, n° 59, 2010/2, p. 212. Selon les auteurs, « la dette qui pèse sur la propriété est définie par les besoins des pauvres ou, pour être plus exact, par les besoins de touts les êtres humains puisqu’à ce titre, il n’y pas de différence entre les personnes. En sachant que les besoins ne se réduisent nullement, chez saint Thomas, aux nécessités primaires, mais qu’ils intègrent la vie culturelle. » [p. 216]. Voir aussi Anto

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La pauvreté volontaire fut l’expression la plus radicale de cette subversion de l’état de nécessité au fondement du droit naturel aux nécessités vitales de l’existence. L’un des effets du principe de la pauvreté volontaire fut l’invention d’une notion étrangère aux diverses notions qui se rattachent à l’« idée de puissance », y compris la propriété. La notion de « simple usage de fait », officialisée dans la bulle Exiit qui seminat de 1279 par Nicholas III, indiquait le type inédit de relation aux choses matérielles reconnu par ce pape613 qui

posait juridiquement problème.

L’origine de la doctrine de la pauvreté volontaire remonte en effet au choix personnel du fondateur de l’Ordre franciscain, François d’Assise (1182-1226), qui aurait, vers 1206, publiquement renoncé à l’héritage de sa famille suite à un différend avec son père sur une donation qui se régla en présence d’une autorité religieuse de sa ville de naissance (Assisi, Italie)614. La première moitié du XIIIe siècle correspond notamment à la fondation de

l’Ordre jusqu’à son organisation définitive (1209-1219), et l’arrivée de l’œuvre de Saint- François à sa plénitude (1219-1223)615 avec la consécration en 1923 de la Règle bullata par

le Pape Honorius III qui réglemente la fraternité616, et la publication en 1230 de la bulle Quo elongati du Pape Grégoire IX. Cette dernière « introduit pour la première fois dans le

champ canonique la distinction entre l’usus et la proprietas afin de défendre la position

Gavrić et Grzegorz W. Sienkiewicz (dir.), État et bien commun : perspectives historiques et enjeux éthico- politiques, Bern, Peter Lang, 2007.

613 Janet Coleman, « Dominium in thirteenth and Fourteenth Century Political Thought and its Seventeenth- Heirs: John of Paris and Locke », Political Studies, n° 33, 1985, p. 95: « When Pope Nicholas enumerated the five kinds of relationships between man and material objects: proprietas, possessio, ususfructus, ius utendi and simplex usus facti, he was not merely developing a theoretical vocabulary in 1279 to describe a systematic doctrine or theory for the Franciscans’ relation to material good. He was responding to an attitude to property, its varieties of ownerships and uses, that had grown up in a profit economy. Franciscans only wanted to claim simplex usus facti, the power to consume a commodity but not to trade it, alienate it, involve it in the monetary world; they where thereby able to preserve themselves from the non feudal, profit economy and were, in effect, doing what radical but earlier monastic groups had done: run from the current economy rather than cope with it. They were content to be seen in the urban environment rejecting dominium and living like Christ. » Voir aussi Lester Little, Religious Poverty and the Profit Economy in Medieval Europe, Ithaca, Cornell University Press, 1983.

614 Thomas Frank, « Exploring the Boundaries of Law in the Middle Ages: Franciscan Débates on Poverty, Property, and Inheritance » (2008) 20 (2) Law & Literature 243, 245-247.

615 Le R.P. Hilarin de Lucerne, Histoire des études dans l’Ordre de Saint François depuis sa fondation jusque vers la moitié du XIIIe siècle, traduit de l’allemand par le T.R.P. Eusèbe de Bar-Le-Duc, Paris, Alphonse Picard & Fils, 1908, p. 38.

616 Luca Parisoli, « La Règle, la Pauvreté, le Destin industriel : aux sources théologiques du capitalisme », dans Luca Parisoli (dir.), Pauvreté et capitalisme : comment les pauvres franciscaines ont justifié le capitalisme et le capitalisme a préféré la modernité, Palermo, Officina di Studi Medievali, 2008, p. 69.

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franciscaine d’une absence de propriété sur leurs biens de consommation, aussi bien individuelle que collective617 ».

La première controverse sur la pauvreté franciscaine a son origine à l’Université de Paris à partir des années 1250618, jusque dans les années 1270, où plusieurs maîtres séculiers

« questionned the theological, moral, and legal foundations of the franciscan ideal of poverty619 ». La controverse qui opposait les défenseurs de l’ordre mendiant aux « tenants

de l’orthodoxie romaine » est liée à l’espace ouvert « beyond the horizon of the law620 » par

le « démembrement » de l’un des concepts de base de cette orthodoxie sur fond d’articulation entre le droit positif et le droit naturel621. La bulle Exiit qui seminat (1279) de

Nicolas III :

[…] approuve tout ce que saint Bonaventure avait dit pour la défense de la pauvreté et donne une solution aux difficultés que faisait naitre l’abdication de la propriété même commune. Le pape déclare que la règle de saint François n’est que l’observation de l’Évangile; le renoncement à toute propriété est saint et méritoire […] Ce renoncement n’empêche pas que les frères n’aient l’usage des biens nécessaires à la vie. Autre chose est le droit de propriété, la possession, l’usufruit, le droit d’user; autre chose est l’usage de fait. Les frères ont renoncé à tout droit; mais ils n’ont pu renoncer au fait, puisque

ce serait renoncer à la vie.622

L’espace ouvert était important puisque « [l]a plus haute pauvreté impliquait de rester dans les limites d’un pur droit naturel qui empêchait de laisser mourir de faim son prochain623 ».

Il s’inscrirait ainsi dans le contexte de l’invention, au début du XIIe siècle, « de l’opposition

617 Meyer, supra note 4 à la p. 264.

618 François Laurent, Le communisme catholique, Bruxelles, E. Guyot, 1839, p. 19 : « Les frères mineurs s’établirent à Paris, en 1250, dans une mission dépendante de l’abbaye de Saint-Germain des Prés. »

619 Virpin Mäkinen, « The Franciscan Background of Early Modern Rights Discussion: Rights of property and Subsistence », dans Jill Kraye et Risto Saarinen (dir.), Moral Philosophy on the Threshold of Modernity, Netherlands, Springer, 2005, pp. 167-168. Il s’agit en particulier de Guillaume de Saint-Amour et Gérard d’Abbeville. « Guillaume de Saint-Amour, célèbre docteur de l’université de Paris, attaqua la Règle de saint François, comme contraire à la nature de l’homme. » [Laurent, supra note 618 aux pp. 19-20]. Ses arguments ont été repris par Gérard d’Abbeville.

620 Frank, supra note 614 à la p. 252; Meyer, supra note 4 à la p. 267. 621 Meyer, supra note 4 aux pp. 262 et s.

622 Laurent, supra note 618 à la p. 21. Notre soulignement.

623 Alain Boureau, « Droit naturel et abstraction judiciaire : hypothèses sur la nature du droit médiéval », Annales. Histoire, Sciences Sociales, vol. 57, n° 6, 2002, p. 1487.

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entre droit naturel et droit positif, qui constitue l’une des occurrences possibles de la distinction du fait et du droit »624. Le recours au droit naturel faisait théoriquement resurgir

un « ordre » distinct du droit positif, antérieur et supérieur à lui, qui dévoile le but de l’Ordre depuis son origine qui était « bien de renoncer au droit lui-même625 ». Il créait à

nouveau par fiction l’« état de besoin » inhérent au statut des individus sous la puissance paternelle :

[la conception franciscaine] du droit naturel ne fut jamais qu’un essai de transposition, sur un plan normatif et général, de la situation protectrice propre à la petite enfance […] Ainsi, dans le droit naturel aux aliments comme dans la toute petite enfance, l’individualité compte peu, a fortiori la personnalité. Alors, la relation de l’être aux aliments n’est pas celui d’un sujet envers un objet, mais un rapport entre objets, à peine