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Les bases juridiques de l’interdépendance et les réflexions éthico-

Partie I. La problématique du changement et de la permanence : fondements biologiques

1.2. Application des propriétés de l’émergence à l’adaptation du droit international

1.2.2. La fonction d’ordre du droit dans un système social fragmenté

1.2.2.1. Le nouvel « ordre social »

1.2.2.1.1. Les bases juridiques de l’interdépendance et les réflexions éthico-

La Charte des Nations Unies peut être considérée comme une anticipation juridique sur le monde de l’après-guerre en posant les conditions de possibilité d’une future paix mondiale durable. Dans ce contexte, l’art. 2 parag. 1 du PIDESC énonce l’engagement suivant :

Chacun des États parties au présent Pacte s’engage à agir, tant par son effort propre que par l’assistance et la coopération internationales, notamment sur les plans économique et technique, au maximum de ses ressources disponibles, en vue d’assurer progressivement le plein exercice des droits reconnus dans le présent Pacte par tous les moyens appropriés, y compris en particulier l’adoption de mesures législatives.

Il y a un lien significatif entre cet engagement des États à agir tant par l’effort individuel que par l’assistance et la coopération internationales, notamment sur les plans économique et technique, et l’engagement des États à agir, en vertu de l’art. 56 de la Charte des Nations

Unies, tant conjointement que séparément, en coopération avec l’ONU et ses institutions

spécialisées dans l’un des domaines économique, social, culturel, sanitaire, etc. Il y a également une relation significative entre l’engagement « à agir … en vue de », de l’art. 2 parag. 1 du PIDESC, et celui d’agir « en vue d’atteindre les buts énoncés à l’Article 55 » de la Charte des Nations Unies326 en ces termes :

En vue de créer les conditions de stabilité et de bien-être nécessaires pour assurer entre les nations des relations pacifiques et amicales fondées sur le respect du principe de l’égalité des droits des peuples et de leur droit à disposer d’eux-mêmes, les Nations Unies favoriseront :

a. le relèvement des niveaux de vie, le plein emploi et des conditions de progrès et de développement dans l’ordre économique et social;

325 Carmen Lavallée, « A la frontière de l’éthique et du droit » (1993) 24 R.D.U.S. 1, 52-56.

326 Art. 56 : « Les Membres s’engagent, en vue d’atteindre les buts énoncés à l’Article 55, à agir, tant conjointement que séparément, en coopération avec l’Organisation. »

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b. la solution des problèmes internationaux dans les domaines économique, social, de la santé publique et autres problèmes connexes, et la coopération internationale dans les domaines de la culture intellectuelle et de l’éducation;

c. le respect universel et effectif des droits de l’homme et des libertés fondamentales pour tous, sans distinction de race, de sexe, de langue ou de religion.

Deux développements importants caractériseront l’évolution du droit international depuis plusieurs décennies. Il y a d’un côté l’extension considérable de son domaine qui nourrit le débat actuel sur la fragmentation du droit international, et, de l’autre, un développement conceptuel important grâce aux différentes institutions et organes des Nations Unies contrebalançant ou atténuant en quelque sorte les effets de la fragmentation sur l’unité de l’ordre juridique international en liant (linkage) ces domaines327. Les concepts de personne

humaine, de sécurité humaine et de développement humain ne sont plus en effet propres à un domaine particulier ou portés par une discipline scientifique spécifique mais s’inscrivent dans l’interdépendance des problèmes internationaux qu’aucun État ne peut prétendre résoudre seul.

Entre la fragmentation et les concepts globaux qui tendent à lier les différents domaines du droit international, s’insère un questionnement éthico-social sur l’« agir » qui problématise en termes nouveaux les rapports conflictuels entre États. En effet, l’engagement « à agir » des États en vertu des articles 2 parag. 1 du PIDESC et 56 de la Charte des Nations Unies est inséparable des considérations relatives aux moyens d’agir dans lesquelles la situation particulière des pays en voie de développement est prise en compte328. Les considérations

de finalité rapporte l’idéal de l’être humain libre, libéré de la misère que poursuit le

327 Hélène Ruiz Fabri et Lorenzo Gradoni, « Ouverture », dans Hélène Riuz Fabri et Lorenzo Gradoni (dir.), (dir.), La circulation des concepts juridiques : le droit international de l’environnement entre mondialisation et fragmentation, Paris, Société de législation comparée, 2009, p. 13 : « La mondialisation est parfois analysée comme un processus de circulation de concepts juridiques uniformes dans les divers espaces normatifs. En effet, bien que les rapports hiérarchiques entre les différents espaces relevant de l’ordre juridique international soient faibles voire inexistants, ces espaces s’influencent mutuellement dans leur fonctionnement. Sont alors observables des emprunts croisés de valeurs normatives, de techniques de mise en œuvre, de modèles interprétatifs, de concepts juridiques. Il est dès lors possible d’associer l’idée de mondialisation des concepts juridiques non seulement au phénomène de leur transfert du droit international vers des systèmes juridiques nationaux (dimension verticale), mais aussi à celui de leur circulation entre les différents espaces normatifs qui coexistent au niveau international (dimension horizontale). »

328 Art. 2 parag. 3 du PIDESC : « Les pays en voie de développement, compte dûment tenu des droits de l’homme et de leur économie nationale, peuvent déterminer dans quelle mesure ils garantiront les droits économiques reconnus dans le présent Pacte à des non-ressortissants. »

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PIDESC à une réflexion d’inspiration aristotélicienne qui garde toute son actualité : « [l]a richesse n’est évidemment pas le bien que nous cherchons : elle n’est qu’un moyen utile en vue d’autre chose.329 » Le commerce dans cette perspective n’est pas une fin en soi mais un

moyen de favoriser le relèvement des niveaux de vie ou la circulation marchande des produits agricoles pour assurer leur disponibilité sur les marchés dans la perspective de la sécurité alimentaire durable330.

La notion d’« État social » porte également un tel questionnement. Elle est utilisée par Daniel Damasio Borges « pour synthétiser les normes sociales internationales à vocation universelle qui obligent les États à intervenir dans l’économie dans le but de mettre en œuvre les droits économiques, sociaux et culturels.331 » La notion inclut la question

écologique qui remet en cause le « type de société » qui a émergé en occident à partir du XIXe siècle332 et qui « s’impose partout comme “le” modèle, au Nord comme le modèle à

conserver et au Sud comme la perspective à atteindre333 ». Une « analyse éthique » de plus

en plus présente dans ce contexte est liée au rôle important qu’elle joue dans l’identification des « intérêts humains fondamentaux », des « principes fondamentaux de la bioéthique », « et autres et de la valeur de l’écosystème dans son ensemble » et, conséquemment, dans l’évolution des normes internationales et la responsabilisation sociale des acteurs334.

329 Aristote, Éthique à Nicomaque, traduit par Jean Defradas, Livre I, Paris, Presses Pocket, 1992, p. 37. 330 Voir Geneviève Parent, La contribution des accords de l’OMC à la sécurité alimentaire : l’exemple des produits agricoles issus des biotechnologies modernes, thèse de doctorat en droit, Université Laval, 2005. 331 Daniel Damasio Borges, L’État social face au commerce international, Paris, L’Harmattan, 2013, p. 33. 332 Voir Christophe Ramaux, « Quelle théorie pour l’État social? Apports et limites de la référence assurantielle : relire François Ewald 20 ans après L’État providence », Revue française des affaires sociales, n° 1, 2007/1, p. 13.

333 Bernard Billaudot, « Une théorie de l’État social », Revue de la régulation, n° 2, 2008, [en ligne] :

http://regulation.revues.org/2523 (consulté le 09 mai 2016), parag. 35.

334 Questions d’éthique en matière de pêcherie, FAO, 2005, [en ligne] :

ftp://ftp.fao.org/docrep/fao/008/y6634f/y6634f00.pdf (consulté le 10 mai 2016), p. 3 : « L’éthique est une analyse systématique et critique de la morale et des facteurs moraux qui orientent la conduite humaine dans une société ou une activité donnée. La pêche représentant une interaction entre l’être humain et l’écosystème aquatique, l’éthique de la pêche porte sur les valeurs, règles, devoirs et vertus pertinents à la fois pour le bien- être de l’être humain et le bon état de l’écosystème, et elle fournit une analyse normative critique des questions d’éthique qui sont en jeu dans ce secteur d’activités humaines. » Les « intérêts humains fondamentaux » visés par l’« analyse éthique de la pêche » sont : « i) Bien-être: chacun a besoin d’articles de première nécessité pour survivre et élever ses enfants; ii) Liberté : chacun s’efforce de régler ses affaires et de réaliser ses projets de vie conformément à ses propres valeurs ou à celles qui sont définies par sa culture; iii)

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Le respect des engagements internationaux s’inscrit donc dans un « ordre social » qui « impose à l’État des contraintes de fait » qui affectent sa « liberté d’agir »335. Étant donné

ce qui échappe aux théories du droit qui sont indifférentes aux relations entre le droit et les sciences336, il devenait alors intéressant de réfléchir sur les fondements de l’ordre juridique

international sur des bases qui ne sont pas nouvelles à proprement parler, mais qui présente l’intérêt de rendre compte des interdépendances complexes qui caractérisent le monde actuel.

1.2.2.1.2. La contribution de la notion de nécessité à la compréhension de l’ordre