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Du besoin alimentaire au droit naturel aux aliments

Partie I. La problématique du changement et de la permanence : fondements biologiques

Chapitre 2. L’interactionnisme comme fondement biologique de la problématique du

2.2. Le dépassement des bornes du droit civil en matière d’aliments

2.2.1. Les fondements du dépassement des bornes du droit civil en matière

2.2.1.1. Du besoin alimentaire au droit naturel aux aliments

Le besoin est une notion étudiée par plusieurs disciplines (physiologie, psychologie, économie, sociologie, etc.)540. L’hypothèse du « besoin créateur de droit541 » pose le

problème du passage du fait alimentaire au droit542. Dans une relation de droit, le besoin

537 Ibid., p. 6.

538 Ibid., p. 7. 539 Ibid.

540 Alain Sayag, Essai sur le besoin créateur de droit, Paris, L.G.D.J., 1969, pp. 15-45. 541 Le titre est clair sur ce que Alain Sayag cherchait à démontrer.

542 Patrice Meyer-Bisch, Le corps des droits de l’homme : l’indivisibilité comme principe d’interprétation et de mise en œuvre des droits de l’homme, Fribourg, Éd. Universitaires, 1992, pp. 56-57: « s’il est possible d’avoir une approche du droit par le besoin, et des droits de l’homme par les besoins essentiels, il y a un saut qualitatif qu’on ne peut franchir : les besoins sont de l’ordre relatif et variable, alors que les droits impliquent

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seul « ne signifie qu’un manque, sans indiquer qui devrait le satisfaire543 ». La relation de

droit en matière d’aliments est plus précisément « déterminée par des besoins et moyens » lesquels forment, selon Christophe Meyer, un « seul ensemble conceptuel » au vu de « la polysémie traditionnelle du terme “aliments” » (obligation alimentaire et modalités de la prestation qui l’exécute)544.

Les sujets du lien alimentaire ont été bornés par la doctrine civiliste. La famille est un indicateur essentiel de ce bornage qui permet de retrouver historiquement les fondements du dépassement des bornes du droit civil en matière d’aliments qui maintiennent une interrelation entre la famille, la société et l’État malgré les controverses théoriques545. La

recherche de l’époque de la naissance du droit alimentaire par « récapitulation historique du droit de la famille »546 permet en effet de découvrir que l’encadrement des devoirs

alimentaires par le modèle du droit familial aurait été privilégié par la doctrine civiliste pour forcer une cohérence impossible dans le cadre d’une familia fondée sur la puissance du chef qui s’exerce aussi bien sur les individus (femme, enfants, agnats, gentils, esclaves) que sur les biens547. Dans l’ancien droit, « le statut de sujet autonome de droit est refusé,

un jugement universel […] Il n’est donc pas possible de passer du besoin au droit sans opérer un jugement qui fait intervenir une norme d’une autre nature : éthique et constitutionnelle (au sens juridique et politique). Si on néglige ce seuil qualitatif, on aboutit, soit à une revendication désordonnée et outrancière de droits, qui nuit finalement à ceux qui sont véritablement nécessaires au respect de l’individu et de l’ordre juridique, soit à une définition totalitaire du bien-être conçu comme devant être égal pour tous. »

543 Ibid., p. 57 : « […] le besoin n’a pas de débiteur désigné, il n’a pas besoin de débiteur pour exister comme un manque constaté. Il n’y a pas de droit sans la désignation du débiteur, le droit n’est pas seulement constaté, il est l’objet d’un jugement qui détermine le débiteur. »

544 Meyer, supra note 4 à la p. 355.

545 Voir Adolphe Posada, Théories modernes sur les origines de la famille de la société et de l’État, Paris, V. Giard & E. Brière, 1896, pp. 39 et s.; Pietro Bonfante, Histoire du droit romain, tome 1, Paris, Sirey, 1928, pp. 76 et s.

546 Etienne Gony, De l’obligation alimentaire ex lege, de ses caractères et principalement de son incessibilité et de son insaisissabilité, thèse pour le doctorat, Toulouse, 1889, p. 2.

547 Meyer, supra note 4 à la p. 189 : « […] les exemples d’aliments dus en dehors du noyau familial restant suffisamment nombreux pour que la question de la définition conceptuelle du droit aux aliments pose problème […] Le Jeu des devoirs alimentaires dans la famille semblait trop peu cohérent avec les principes et la définition même de l’institution familiale romaine, caractérisée par le monopole juridique du pater familias. » Sur les diverses acceptions du mot familia, voir Ortolan Joseph-Louis-Elzéar (1802-1873), Explication historique des Instituts de l’empereur Justinien, 8e éd., tome 1 (Histoire et généralisation), Paris, Henri Plon, 1870, p. 577; Roger Henrion, « Des origines du mot familia », L’antiquité romaine, vol. 10, n° 1, 1941, p. 37; Yan Thomas, « La valeur des choses : le droit romain hors la religion », Annales. Histoires, Sciences Sociales, n° 6, 2002, p. 1454 : « Lorsque res, dans le langage classique, s’applique au patrimoine, c’est très souvent dans le composé res familiaris, utilisé aussi bien par les juristes que par les agronomes. Or

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dans les familles, à toute autre que le pater548 ». Le problème originel de la « réciprocité du rapport alimentaire » serait donc lié à ce statut qui exclut l’analogie avec un contrat549. Sur

ce problème historique, Etienne Gony fut d’avis, en se posant plusieurs questions550, que

« [r]ien n’a pu faire faire découvrir la solution […]; tout même semblerait confirmer l’absence d’obligation, l’absolutisme de la patria potesta, et la sévérité du système de procédure des actions de la loi font naître, à ce sujet, dans l’esprit, une quasi-certitude de l’inexistence du droit alimentaire.551 »

Mais pour d’autres la solution est à la fois inhérente et extérieure à ce pouvoir. Le devoir alimentaire serait en effet une conséquence du pouvoir de vie et de mort (jus vitae et necis) du pater parce que l’un des privilèges ou attributs de ce pouvoir est le « droit d’exposition » (jus exponendi) qui s’exerce « [a]u moment où l’enfant vient de naître552 ». Le pouvoir

entre les mains du pater est celui de consentir à le laisser vivre ou de l’exposer, auquel cas « l’enfant est porté dans un lieu public pour devenir ce qu’il plaira à la Providence553 ». Le

fondement du devoir alimentaire est donc tiré de « l’esprit même de ce pouvoir » : « lorsque le père acceptait de prendre dans la famille l’enfant qui lui était présenté, il

qu’est-ce, originellement, qu’une res familiaris? Très probablement un procès (res) ayant pour objet les biens (familia) d’un paterfamilias. » Paterfamilias, manus dominus, potestas, etc. forment le vocabulaire relatif à cette puissance paternelle dans le détail duquel on n’entrera pas ici.

548 Michel Villey, Le droit romain, Paris, PUF, 2012, p. 61.

549 Meyer, supra note 4 à la p. 495 : « Dans ce cadre, l’énoncé d’un devoir alimentaire civil du père envers ceux qu’il détenait sous sa puissance, et plus encore la réciproque d’un devoir alimentaire civil envers le père de la part de ceux qui ne détenaient aucun patrimoine, paraissait incongrue. Du moins, aussi longtemps que la potestas et le mancipium exclusifs du pater étaient considérés comme des droits exercés sur les individus et les biens qui composaient la famille. » Voir aussi aux pp. 465-466 et pp. 493 et s.

550 Gony, supra note 546 aux pp. 3-4 : « Comprend-on, dès lors, que dans une législation si rigoureuse, donnant un rôle prépondérant et absorbant au paterfamilias, ait pu exister le droit aux aliments supposant des rapports réciproques tout d’affection, impliquant l’égalité au profit de tous les membres de la famille? Peut-on concevoir que l’enfant dépourvu de toute capacité juridique, ne pouvant tenir lieu que d’instrument d’acquisition au profit du paterfamilias, puisse faire valoir contre lui un droit quelconque? Est-il admissible que le père, qui peut disposer de son enfant comme d’une chose, puisse être contraint vis-à-vis de lui à certaine prestation? Que celui là même qu’il eût pu impunément détruire puisse le forcer à lui fournir une certaine redevance? Que cette vie qu’il a le droit de supprimer, il soit tenu de la conserver et de la maintenir? Ce serait, il nous semble, saper la puissance paternelle dans sa plus profonde et sa plus vitale racine que d’admettre un droit alimentaire au profit des enfants. Dans cet assemblage de personnes et de choses soumis au pouvoir souverain du chef, qui oserait prétendre limiter, restreindre par d’autres droits son droit suprême! L’absolu n’admet point de bornes. »

551 Ibid., p. 7.

552 P. Le Verdier, Étude sur la condition civile de l’enfant légitime en droit romain et en droit français, Caen, E. Valin, 1880, p. 29.

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commençait par l’élever – dans ses bras – puis ordonnait de le nourrir; le contraire signifiait l’exposition du nouveau-né, ce qui plus encore qu’un abandon correspondait à une privation de nourriture, cause de la mort lorsque personne ne le recueillait.554 »

Quant à l’intervention extérieure, ce pouvoir aurait été tempéré par un contrôle social qui fait penser à la réputation de l’entreprise en matière de responsabilité sociale. La « réprobation publique » jouait en effet le rôle de sanction morale vis-à-vis d’un devoir tiré de la nature. Le censeur romain surveillait les mœurs dans lesquelles se trouvait le devoir alimentaire555. Selon Édouard Cuq, c’est en sa qualité de protecteur de la famille que le

père a plusieurs devoirs à remplir, dont celui de « [p]ourvoir à la nourriture et à l’entretien des membres de la famille suivant sa fortune et le rang qu’il occupe dans la société556 ».

Mais l’intervention du censeur n’est pas liée au droit mais à la morale réputée néanmoins efficace557. La puissance domestique serait ensuite progressivement passée sous le contrôle

554 Meyer, supra note 4 à la p. 500.

555 Ibid., p. 501; Gony, supra note 546 à la p. 7; G. Bourcart, De l’autorité paternelle sur la personne et les biens des enfants légitimes ou naturels, Paris, Ernest Leroux, 1891, p. 4. Selon Édouard Cuq, « [v]is-à-vis des membres de la famille, le père a les pouvoirs d’un magistrat; mais il a surtout des devoirs » qu’« il remplit sous le contrôle du Censeur » [Édouard Cuq, Les institutions juridiques des Romains : envisagées dans leurs rapports avec l’état social et avec les progrès de la jurisprudence, vol. 1, Paris, E. Plon, Nourrit et Cie, 1891, p. 153]. Ce tempérament de la puissance du pater est aussi mentionné dans un dialogue :

« D. Cette puissance absolue du père de famille a-t-elle été modifiée?

R. Elle se conservera dans presque toute sa rigueur pendant la République. Cependant les mœurs l’avaient déjà adoucie; le père avait fini par être considéré plutôt comme le chef souverain que comme le propriétaire des membres de sa famille. » [Eugène Lagrange, Manuel de droit romain ou explication des institutes de Justinien par demandes et réponses, 12e éd., Paris, J.-B. Mulot, 1869, p. 126.] Notre soulignement.

556 Cuq, supra note 555 aux pp. 153-154.

557 Meyer, supra note 4 à la p. 501 : « Ce contrôle, pour n’être que social, n’en était pas moins efficace. » L’État reconnaissait l’autorité du père et faisait confiance en sa justice. « L’opinion publique, à défaut de la loi, se chargeait de le contenir dans de justes limites. » [Cuq, supra note 555 à la p. 155]. Autrement dit, malgré le vaste champ d’action assigné à la « liberté juridique » par l’État, « [l]’époque possédait une force morale assez puissante pour user de cette liberté avec mesure, et le censeur était en état de réprimer tout abus quelconque. Plus tard ce furent des restrictions légales qui obtinrent ce résultat. Les moyens différents dont se servirent, pour atteindre ce but, l’époque ancienne et l’époque postérieure, les caractérisent l’une et l’autre. » [Rudolf von Jhering, L’esprit du droit romain dans les diverses phases de son développement, tome 2, Paris, A. Marescq, 1877, p. 52]. L’expérience juridique des aliments serait donc à cette époque celle du « double degré normatif partagé entre les normativités politique et domestique rend[ant] compte de l’esprit original du droit romain, pour lequel la famille était gouvernée par le fas [droit divin] et le mos [domaine moral] autant, sinon plus, que par le jus. Une structure qui permettait d’assurer la cohésion de la communauté civile plus subtilement que par le seul recours à la contrainte étatique. » [Meyer, supra note 4 aux pp. 501-502. Les ajouts entre crochets sont de nous]. L’auteur reprend avec des ajouts James Muirhead : « La Famille romaine dans l’histoire primitive du droit, était gouvernée autant par fas que par jus. C’était une association sanctionnée par la religion, cimentée non pas simplement par la force, mais par l’affection conjugale, la tendresse paternelle, le respect filial. » [James Muirhead, Introduction historique au droit privé de Rome,

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de la loi avec l’intervention des consuls romains en matière alimentaire, sous la forme d’une procédure administrative extraordinaire558. Le droit prétorien serait également un

facteur d’adaptation du droit aux besoins de la société qui contribua à la disparition de la puissance paternelle sous l’empire du droit des XII tables559. L’institution alimentaire

comme assistance publique est l’une des traces laissées par la dynastie des Antonins (de Nerva à Marc-Aurèle). Sous les empereurs chrétiens, à partir de Constantin, la protection de l’enfance s’est renforcée notamment par la reconnaissance de certains droits560. Finalement,

Paris, A. Durand et Pedone-Lauriel, 1889, p. 39. L’ouvrage a été traduit par G. Bourcart qui le cite aussi dans son ouvrage précité].

558 Jean-Philippe Lévy et André Castaldo, Histoire du droit civil, 1re éd., Paris, Dalloz, 2002, p. 176 : « […] il faut signaler l’obligation alimentaire réciproque, création officieuse des consuls avant d’être réglementée par les empereurs de la dynastie des Antonins. » Selon Paul-Frédéric Girard, la compétence des consuls en matière d’aliments est certaine [Manuel élémentaire de droit romain, Paris, A. Rousseau, 1906, p. 1063 et pp. 634-635]. L’Empereur, les consuls, les préfets impériaux, les préteurs judiciaires et le tribunal sont les autorités administratives qui intervenaient dans la solution des contestations privées à partir du début de l’Empire [pp. 1062-1064]. La législation impériale avait transformé les devoirs moraux « en véritables obligations invocables devant l’autorité publique, non pas à la vérité suivant la procédure ordinaire des formules, mais suivant la procédure administrative extraordinaire » [Ibid., 634]. Selon Christophe Meyer, de la procédure administrative extraordinaire est restée « l’officium judicis en droit médiéval » [Meyer, supra note 4 à la p. 505].

559 Louis Firmin Julien Laferrière, Histoire du droit civil de Rome et du droit français, tome 1, Paris, Joubert, 1846, p. 62 : « La Cité […] domine la puissance paternelle […] Ainsi, le mariage n’est pas, dans le droit des XII tables, le fondement; c’est la PUISSANCE PETERNELLE; - mais la puissance paternelle ne devient la base de la famille romaine que parce qu’elle se lie au droit spécial et à la puissance de la Cité. » Selon Etienne Gony (1889), la réglementation des aliments par la loi positive est située « après la naissance du Droit prétorien comme source du Droit écrit, c’est-à-dire quelque temps après Cicéron; celui-ci, en effet (In Verrem, I, § 42 et 46), compte les dispositions contenues dans l’édit du préteur comme une partie du Droit coutumier. Au moment où le Droit honoraire a force de loi et substitue l’équité à l’égoïsme injuste du Droit ancien, la puissance paternelle change peu à peu de caractère et devient une institution favorable aux enfants, perdant chaque jour un de ses attributs qui l’ont fait réputer établie dans l’intérêt du père; elle n’est plus qu’un pouvoir de protection et d’affection. » [Gony, supra note 546 à la p. 7] Cicéron a aussi été mentionné par L.F.J. Laferrière (1846) pour situer l’époque où le droit prétorien s’est constitué presque comme « le rival du droit des XII Tables » [Laferrière, supra note 559 aux pp. 178 et 184]. C’est en lui (droit prétorien) que « se réalisait l’union des deux principes qui font la vie des sociétés, à savoir, la CONSERVATION et le PROGRES » [Ibid., p. 179]. Selon Laferrière, sur la double base de la Loi des XII Tables et de l’Édit du Préteur « s’est élevé l’édifice de la Jurisprudence romaine. Les plus grands jurisconsultes de l’Empire ont produit leurs œuvres capitales, en les rattachant, sous la forme de commentaires, au Droit des XII Tables, au Droit prétorien » [Ibid., p. 186].

560 Gony, supra note 546 aux pp. 4-5. Achille (1889) cite les jurisconsultes très critiques à l’égard du droit d’exposition. Il s’agit notamment de Paul, l’un des plus célèbres d’entre eux dès le IIe siècle : « “J’appelle meurtrier, non seulement celui qui étouffe l’enfant dans le sein qui l’a conçu, mais encore celui qui l’abandonne, celui qui lui refuse des aliments, celui qui l’expose dans un lieu public, comme pour appeler sur sa tête la pitié qu’il lui refuse lui-même”. » [supra note 13 à la p. 61]. Il est mentionné dans le rescrit de Constantin, apparu en 315 et adressé à tous les gouvernements de l’empire, que : « Si un père ou une mère vous apporte un enfant qu’une extrême indigence l’empêche d’élever, les devoirs de votre place sont de lui procurer la nourriture et les vêtements sans aucun retard, attendu que les besoins d’un enfant qui vient de naître ne peuvent être ajournés. Le trésor de l’empire et le mien, indistinctement, fourniront à ces dépenses : Ad quam rem et fiscum nostrum et rem privatam indiscreta jussimus prœbere obsequia. Les principaux motifs

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[…] le droit aux aliments tel qu’il fut cristallisé par les compilateurs byzantins, serait passé successivement par quatre ordres normatifs différents dont son régime aurait gardé les traces : celui, domestique, de la patria potestas; celui, moral, de l’office du censeur; celui, administratif, des consuls; et celui, judiciaire, du judex. Les traces profondes qu’il en a gardées de chacun ont subsisté jusqu’à nos jours.561

La parenté entre la famille, la société et l’État est donc claire en matière alimentaire562.

Elle « […] permettrait en outre d’expliquer pourquoi le mouvement de civilisation du devoir alimentaire ne s’est pas poursuivi jusqu’à l’octroi d’une action formulaire de droit privé, mais s’est arrêté à une procédure extraordinaire administrative : elle reflèterait, à la fois la trace du rôle prépondérant joué par les consuls dans la réglementation des aliments et l’intérêt qu’y prenait l’État romain563. » Selon Christophe Meyer :

[l]es auteurs médiévaux ne considéraient pas l’obligation alimentaire légale comme une obligation civile au sens strict, mais comme une obligation naturelle disposant d’une protection positive exceptionnelle, en vertu des dispositions de la loi romaine. L’artifice leur permit d’échapper aux pièges du régime général des obligations, mais il les précipita dans celui du droit naturel aux aliments : faisant échapper l’obligatoire aux griffes de l’obligataire pour le précipiter dans la gueule du naturel.564

Cette généalogie de l’obligation alimentaire est essentielle pour comprendre l’investissement contemporain de la famille et de la société par le droit international des droits de l’homme qui pénètre les autres branches du droit, y compris le droit international privé565. L’internationalisation des droits de l’homme est en effet « subversive parce qu’elle

exprimés dans le préambule sont d’empêcher les pères de devenir parricides. » [Cité par Laurent, supra note 13 à la p. 61].

561 Meyer, supra note 4 à la p. 504.

562 Ibid., p. 528 : « Les aliments, institution dont l’origine et la nature familiales restent encore prégnantes dans notre droit contemporain, ne peuvent pas être tout à fait compris si l’on ne tient pas compte de l’intérêt qu’y prend aussi l’État. L’opposition traditionnelle entre espaces économique et politique, entre réglementations domestique et juridique, ne pose pas une alternative d’exclusion, mais elle met, au contraire, en exergue un lien de complémentarité qui est expressément rappelé dans le célèbre extrait du discours préliminaire du Code civil où Portalis compare la petite famille à la grande qu’est l’État et qui était déjà familier aux Romains du temps de Cicéron. »

563 Ibid., pp. 503-505. A la note 2201 (p. 503), la « “civilisation” de l’obligation alimentaire » souligne « le passage à la compétence civile d’une matière qui relevait auparavant d’un système normatif différent – une “juridicisation” ».

564 Ibid., p. 389.

565 Roberto Baratta, « La reconnaissance internationale des situations juridiques personnelles et familiales », Académie de droit international de La Haye, Recueil des cours, t. 348 (2010), pp. 253-500.

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se met en contraste avec le principe de souveraineté566 », une subversion qui autorise un

parallèle avec la diminution ou l’infléchissement progressif de l’absolutisme du pater dans son rapport de pouvoir alimentaire à mesure que la subjectivisation du droit gagnait du terrain avec l’« humanisation » de ce rapport au Moyen Age, précisément entre les XIIe et

XIVe siècles567. Relativement à ce que la doctrine médiévale à transmis à l’époque

moderne, la période médiévale se situe entre le droit romain, « droit d’ordre social568 » en

matière alimentaire569, et l’esprit nouveau des droits individuels570. On ne peut comprendre

l’esprit nouveau dans lequel la réception du droit romain au Moyen Age s’inscrit sans considérer à la fois la subversion de l’état de nécessité et l’influence de la querelle des universaux.

2.2.1.2. La subversion de l’état de nécessité dans le passage du besoin alimentaire au