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L’histoire et la culture dans le processus de légitimation

La construction de liens transfrontaliers

Section 2. Les premiers développements des relations politiques

C. L’histoire et la culture dans le processus de légitimation

La légitimation du partenariat se fonde sur l’existence de proximités historique, culturelle et linguistique : tout se passe comme si l’attelage de régions séparées par une frontière était justifié par un passé commun : en invoquant la mémoire commune des Pays catalan et occitan, l’espace eurorégional se décline comme une « réminiscence du passé »454 : l’usage politique de l’histoire vise à « naturaliser » la construction d’un tel dispositif.

Le discours de Jordi Pujol est, à ce sujet, éloquent : les références historiques reliant les trois espaces régionaux sont nombreuses, notamment la période du Moyen âge : « Pensez que le Roi le plus légendaire que nous ayons jamais eu, Jaume Ier le Conquérant, est né à Montpellier » 455 déclare-t-il. L’atlas de l’Eurorégion consacre aussi des développements aux racines séculaires de l’ensemble est-pyrénéen : « Les échanges qui se

451 MAURY, Caroline. Op. cit., p. 178.

452 DUPEYRON, Bruno. Acteurs et politiques de la coopération transfrontalière en Europe. Les expériences

du Rhin Supérieur et de l’Eurorégion Méditerranéenne. Thèse de doctorat en science politique, Université

Strasbourg III – Institut d’études politiques, juin 2005.

453 PICQUET, Patrick, HURET, Daniel. RENARD, Jean-Pierre. Op. cit. 454 CULTIAUX, Yolaine. Op. cit., p. 605.

sont produits en méditerranée ont, depuis l’Antiquité, construit une communauté culturelle et historique à travers la culture grecque, puis la colonisation romaine, dont le territoire de l’Eurorégion est partie intégrante. La chute de l’Empire romain, puis la conquête musulmane, ont permis, au Moyen âge, de nouvelles relations entre les contés sur l’ensemble de l’espace eurorégional, telles que la Marche d’Espagne de l’Empire carolingien, l’alliance entre la Couronne d’Aragó et le comté de Toulouse dans la guerre contre les Albigeois ou encore la période du royaume de Majorque (1276-1343). Ces relations durèrent jusqu’à ce que le traité des Pyrénées en 1659 fixe la frontière entre les deux États modernes. Ces liens historiques se reflètent également au travers des langues héritées du latin : le catalan s’étend au-delà du nord de la Catalogne jusqu’à la limite du domaine occitan »456. Est ainsi convoqué un ensemble de faits historiques justifiant les rapprochements contemporains : ils se présentent comme autant d’éléments transcendant une structure récente aux caractéristiques précitées457. Plus précisément, ces discours s’apparentent à des « cadres de signification »458 : alors que la genèse de l’organisation se fonde en partie sur une connaissance historique nourrissant la croyance en sa légitimité, l’énonciation d’un passé et des éléments culturels communs à l’ensemble des partenaires renforce leur cohésion : l’histoire et la culture s’apparentent ainsi à un « stock de connaissances » disponibles et immédiatement mobilisables, un ensemble de représentations partagées susceptibles de « faire sens » pour les acteurs.

L’évocation de l’histoire et de la culture participe donc de la « recherche de convergence et d’intérêts communs entre les unités régionales concernées ». Ce socle de représentations se référant à une communauté transnationale relie symboliquement des espaces territorialement distincts ; une coalition interrégionale se construit à partir de ces narrations, fondations d’une vision partagée du territoire ; de ces logiques d’identification, les acteurs régionaux tirent un sentiment d’appartenance, d’ancrage territorial commun : les régions s’agrègent autour d’une configuration identitaire. Les pratiques du passé semblent nourrir la croyance en un avenir commun et légitimer l’association des espaces régionaux. Ainsi mise en récit, est proposée une définition de l’espace régional « appréhendée non pas à partir des territoires qui le composent, ni du territoire national, mais par son inscription dans un ensemble d’espaces recomposés, largement

456 Atlas de l’Eurorégion : Catalogne, Languedoc-Roussillon, Midi-Pyrénées. Montpellier : Gip-reclus, 1995,

p. 88.

457 Cf. Partie 1, Chapitre 1, Section 2, §2, A et B.

458 BOUSSAGUET, Laurie, JACQUOT, Sophie, RAVINET, Pauline (dir.). Dictionnaire des politiques

imaginaires »459. Ces pratiques discursives sont aussi utilisées afin « d’imposer des classifications et des catégories mentales nouvelles contribuant à la reconnaissance sociale d’un espace d’action collective distinct des échelons traditionnels de l’action publique »460 ; en effet, en proposant une congruence entre territoires culturel, politique et action publique, émerge un dispositif d’action publique « territorialisé » et « différencié », alternatif à l’organisation étatique. Pour Thomas Perrin, l’articulation entre culture, identité et territoire a pour but de réifier une « aire culturelle occitano-catalane »461 à la fois comme objet de cohésion interne et comme moyen d’identification et de visibilité externe.

La mobilisation des racines culturelles et historiques communes est un procédé récurrent : alors que les statuts de l’Eurorégion Aquitaine-Euskadi soulignent la « proximité culturelle et linguistique462 des espaces frontaliers, la Grande Région, regroupement hétérogène composé du Luxembourg, de la Lorraine, la Sarre, Rhénanie Palatinat et la Wallonie, est présentée comme « une réalité historique qui remonte à l’époque gauloise et romaine »463 ; l’émergence d’une identité régionale s’appuyant sur un héritage historique et civilisationnel celtique et alémanique motivera la création de la Regio Basiliensis sur l’espace franco-germano-suisse464. Il semble que la coopération transrégionale « ne peut faire l’économie d’une mobilisation territorialisée de type identitaire »465 : celle-ci s’apparente à un élément central dans la structuration du partenariat.

459 NAY, Olivier. Op. cit., p. 304. 460 Ibidem, p. 303.

461 PERRIN, Thomas. « Culture, identité et interterritorialité dans l’Eurorégion Pyrénées-Méditerranée ».

Sud-Ouest Européen. 2008/27, p. 12.

462 Convention du GECT « Euro-région Aquitaine-Euskadi ». 463 Brochure institutionnelle « GROB/Grande Région ».

464 WASSENBERG, Birte. « Qu’est-ce qui motive la coopération transfrontalière dans l’espace franco-

germano-suisse ? ». In WASSENBERG, Birte (dir.). Vivre et penser la coopération transfrontalière

(Volume I) : les régions frontalières françaises : contributions du cycle de recherche sur la coopération transfrontalière de l’Université de Strasbourg et de l’Euro-Institut de Khel. Stuttgart : Franz Steiner Verlag,

2010.