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Les coopérations hors du champ culturel

La construction de liens transfrontaliers

Section 2. Les premiers développements des relations politiques

D. Les coopérations hors du champ culturel

Les premières velléités de coopération hors du champ culturel apparaissent à partir de 1985. Une charte de jumelage entre la Diputació de Girona et le Conseil départemental des Pyrénées-Orientales est signée en novembre 1988 : bien que mentionnant dans son préambule « mille ans d’histoire commune, une langue, une culture identiques », cet accord donne l’occasion aux entités locales de diversifier les domaines de la coopération transfrontalière : dans le but de forger une meilleure connaissance réciproque de l’architecture institutionnelle, un guide de présentation des institutions françaises et

369 NDIAYE, Patrice. Collectivités locales et frontière pyrénéenne : la coopération transfrontalière

décentralisée en Languedoc-Roussillon. Perpignan : Presses Universitaires de Perpignan, 1993, p. 30.

370 DOMINGUEZ CASTRO, Luis. Op. cit. 371 Ibidem.

372 Ibidem.

373 CHOMBARD-GAUDIN, Cécile. « Pour une histoire des villes et communes jumelées ». Vingtième siècle.

Revue d’histoire. N°35, juillet-septembre 1992, p. 61.

catalanes est produit ; plus tard, en 1991, les deux entités signeront une convention de coopération en matière sociale pour l’accueil du troisième âge. Ces accords formalisés par des chartes ou des conventions ont une forme souple et non-contraignante pour les collectivités ; l’application des mesures proposées renvoie la plupart du temps au volontarisme des services administratifs concernés et nécessite une volonté politique forte : certains auteurs ont pu souligner la faiblesse des réalisations ; la dimension symbolique de ces initiatives est en réalité prépondérante.

Les discussions autour du lancement du TGV Montpellier-Perpignan-Barcelone débutent en 1986 : le Président de la Generalitat Jordi Pujol, de la région Languedoc- Roussillon Jacques Blanc, du Conseil départemental des Pyrénées-Orientales Guy Malé puis René Marquès ainsi que le maire de Perpignan Paul Alduy entament les négociations. Le déficit en matière de circulation et de transport transpyrénéens est très tôt soulevé, notamment par les acteurs sud-catalans qui en font une priorité gouvernementale375. Alors que la liaison autoroutière entre la France et l’Espagne (1976) a modifié profondément la densité des flux, le transport ferroviaire des hommes et des marchandises souffre d’un handicap, la différence d’écartement des rails entre les réseaux français et espagnol : depuis 1878, date de l’extension du chemin de fer de Perpignan à Portbou en Espagne, les voyageurs doivent changer de train au niveau de la gare internationale de Cerbère ; les convois de marchandises procèdent à un remplacement d’essieux.

§2. La constitution d’une « Eurorégion »

Dans son acception la plus sommaire, une « eurorégion » est « une association régionale de coopération transfrontalière cherchant à promouvoir des relations plus étroites sur la base de caractères et intérêts communs »376. Toutefois, le terme est imprécis et générique : son périmètre, la nature des collectivités publiques associées, son statut juridique, ses fonctions varient considérablement d’un cas à l’autre ; de même, les dénominations sont diverses : « Eurorégion », « Euroregio », « Europaregion », « Grande Région », « Regio », etc. Le seul point commun de ces configurations multiples est qu’elles se structurent entre des espaces frontaliers et contigus. Si, à la fin des années 1980, on compte une trentaine de structures eurorégionales, le Conseil de l’Europe en recense aujourd’hui environ quatre-vingt-dix. Progressivement, les politiques de coopération se

375 CULTIAUX, Yolaine. Op. cit.

376 OLIVESI, Claude. « Du développement structurel à l’espace euro-méditerranéen : les îles et la

sont imposées comme des enjeux politiques importants pour les exécutifs régionaux – et en particulier pour les espaces périphériques : ces derniers ont ainsi élargi le champ de la coopération extérieure jusque-là limitée à l’action internationale377.

Trois phénomènes ont concouru à faire de ces formes d’associations de dimension transnationale les « nouveaux tropismes régionaux »378. D’abord, l’instauration en 1975 d’une politique régionale communautaire suite à la création du « Fonds européen de développement régional » (FEDER) et la montée en puissance du thème de « l’Europe des Régions »379 : s’esquisse dans le même temps l’idée d’« un changement de représentation des territoires pertinents pour la décision politique et économique »380. Markus Perkmann a montré dans ses travaux comment ces formes de coopération ont été promues par les instances communautaires comme des modèles de l’intégration européenne381 ; celle-ci devient aussi un enjeu pour les acteurs régionaux, attirés par les opportunités de financements offertes par la mise en œuvre des politiques publiques communautaires382. Ensuite, le développement de ces coopérations est indissociable de la reconfiguration des États-nations383 : le mouvement de décentralisation a entraîné l’autonomisation progressive des pouvoirs locaux et, de ce fait, la recherche de nouveaux partenaires384. Enfin, les espaces infra-étatiques sont confrontés à de nouveaux enjeux en termes de développement économique : la globalisation et les logiques propres au marché international transcendent les États 385 : dans un contexte de mise en concurrence des territoires, les régions sont à la recherche de nouvelles formes de régulation qui pourraient favoriser la territorialisation de la richesse386. Ces dynamiques exogènes modifient les positions et les stratégies des

377 PETITEVILLE, Franck. Op. cit. 378 BALME, Richard (dir.). Op cit., p. 12.

379 PALARD, Jacques. « Vers l’Europe des régions ? ». Problèmes politiques et sociaux, n°806, 1998. 380 BALME, Richard (dir.). Op. cit., p. 19.

381 PERKMANN, Markus. « Euregions : Institutional Entrepreneurship in the European Union ». In

PERKMANN, Markus, SUM, Ngai-Ling (dir.). Globalization, regionalization and cross-border regions. Basingstoke : Palgrave Macmillan, 2002. PERKMANN, Markus. « Construction of New Territorial Scales : a Framework and Case Study of the EUREGIO Cross-border Region ». Regional Studies, 2007, n°47(2), p.253-277.

382 ALLIÈS, Paul. « L’Eurorégionalisme ou « l’Europe d’en bas » ? ». Pouvoirs locaux. n°72, 2007.

383 DELCAMP, Alain, LOUGHLIN, John. La décentralisation dans les États de l’Union européenne. Paris :

La documentation française, 2003.

384 LOUGHLIN, John. « La vision du rôle des régions et de l’autonomie régionale ». Pouvoirs locaux, n°70,

sept. 2006, p. 103 et s.

385 KEATING, Michael, LOUGHLIN, John, DESCHOUWER, Kris. Culture, institutions and economic

development : a study of eight regions. Cheltenham : Edward Elgar, 2003. PERKMANN, Markus, SUM,

Ngai-Ling (dir.). Op. cit.

386 KEATING, Michael, LOUGHLIN, John (dir.). The Political Economy of Regionalism. London : Frank

acteurs régionaux : l’essor des « eurorégions » s’inscrit donc au confluent de la construction européenne, de la décentralisation et des mutations de l’économie mondiale.

L’association de régions s’inscrit plus globalement dans la perspective de recomposition des espaces d’action publique : l’idée de déclin des frontières en Europe et la question du développement territorial conduisent les acteurs à repenser les contours et les modes d’action collective, à inventer des formes d’associations territoriales inédites ; la compétition économique entre espaces infra-nationaux et les enjeux liés à la territorialisation du capitalisme entraînent la redéfinition des frontières et la mutation des formes de régulation de l’action publique 387 . Les regroupements interrégionaux s’apparenteraient à des structures d’opportunités capables, en fournissant des ressources politiques, économiques et symboliques aux acteurs régionaux, de renforcer leurs positions. S’inscrivant dans un mouvement de « différenciation territoriale » (R. Epstein), les « eurorégions » participent à « la révolution permanente »388 de l’action publique locale. Ces types de regroupements contribuent à la fragmentation et à la complexification du paysage infranational ainsi qu’à la remise en cause de la « prééminence du cadre national dans la définition et la mise en œuvre des politiques publiques »389.

À la fin des années 1980, une Eurorégion est créée dans l’espace est-pyrénéen. L’attelage se compose de la Catalogne, du Languedoc-Roussillon et de la Région Midi- Pyrénées. L’Eurorégion s’est construite par « tâtonnements successifs »390 : la modification du partenariat en raison des échéances électorales a provoqué de nombreux désaccords. Ce processus se caractérise par la coordination d’acteurs hétérogènes, aux ressources inégales, poursuivant des objectifs « non-dévoilés » différents ; faiblement institutionnalisées, les interactions sont limitées, variables, peu stabilisées et fortement personnalisées. Ce cas illustre, par ailleurs, la complexité des reconfigurations nouvelles de l’action publique territoriale où s’enchevêtrent « des niveaux, des formes de régulation et des réseaux d’acteurs » 391 . Comme le suggère l’approche dite du « néo-institutionnalisme rationnel »392, un acteur s’implique dans la création d’une institution dans la mesure où

387 PASQUIER, Romain. Le pouvoir régional : mobilisations, décentralisation et gouvernance en France.

Paris : Les Presses de Sciences po, 2012.

388 EPSTEIN, Renaud. « Après la territorialisation, la différenciation territoriale ? ». Pouvoirs locaux, n°63,

2004.

389 EPSTEIN, Renaud. « La différenciation territoriale à l’épreuve des réformes néo-managériales de l’État

français ». Congrès AFSP de Grenoble, 2009.

390 HASSENTEUFEL, Patrick. Sociologie politique : l’action publique. Paris : Armand Colin, 2008, p. 78. 391 LASCOUMES, Pierre, LE GALÈS, Patrick. Op. cit., p. 8.

392 HALL, Peter, TAYLOR, Rosemary. « La science politique et les trois néo-institutionnalismes ».

celle-ci répond à ses ambitions et lui procure des bénéfices : en d’autres termes, un partenariat se compose d’accords et de stratégies : c’est pourquoi il est intéressant d’évoquer les intérêts que chacun poursuit dans un tel projet (A). Une structure organisationnelle et un programme seront élaborés (B). Facteurs de légitimation, les éléments historiques et culturels vont appuyer le processus de construction de l’Eurorégion (C).