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Les contacts économiques au XIXe siècle

La construction de liens transfrontaliers

Section 1. Des liens économiques anciens

C. Les contacts économiques au XIXe siècle

L’Europe du XIXe siècle est celle de l’essor des nationalités, de la construction des États-nations et des révolutions industrielles ; les marchés nationaux se consolident avec l’amélioration des voies de communication, la constitution d’un système scolaire, le développement d’une administration ; et le capitalisme étend progressivement son emprise sur l’économie mondiale.

Le Roussillon est un espace éloigné des centres de décision politique et des grands ensembles industriels de l’époque : certaines régions comme l’Alsace, la Normandie, le Lyonnais, se spécialisent dans le secteur du textile ; les activités motrices de la croissance étant l’extraction et la transformation des matières premières, d’autres pôles industriels se concentrent autour de la Loire, de la Lorraine, du Nord, aux sous-sols riches en minerai de fer et en charbon. Si les Pyrénées-Orientales ne sont pas avares en ressources minérales, les modes d’extraction et de transformation resteront artisanales et ne dépasseront pas le cadre du marché local ; de plus, tardivement relié au réseau ferroviaire national (1858) construit en « étoile » autour de Paris, le département reste isolé de la dynamique industrielle et des transformations consécutives à l’essor de l’économie capitaliste – concentration du capital, exploitation d’une main d’œuvre. Lors de la première industrialisation, s’y développent des formes traditionnelles de production (forges, textiles, papeterie, cuir, chaussures, etc.), plus proches des systèmes d’ateliers que des systèmes usiniers320 ; avec l’amélioration du réseau routier, l’économie agricole se spécialise dans la production et l’exportation du vin.

Dans la seconde moitié du XIXe siècle, la densification des réseaux ferrés qui irriguent les espaces continentaux, les progrès des transports maritimes et l’adoption du libre-échange multiplient les flux et contribuent à accroître l’essor du commerce mondial. Ces réseaux d’échanges et de circulation des hommes et des marchandises offrent de nouvelles opportunités aux espaces restés jusque-là en marge de la révolution industrielle : elles vont permettre un certain décloisonnement des économies nationales au profit de

320 MARTY, Nicolas. « L’histoire économique contemporaine des départements méridionaux (Aude et

Pyrénées-Orientales) du Languedoc-Roussillon ; acquis historiographiques et nouvelles approches ».

DOMITIA, Revue du CRHISM. Acteurs, tendances et contestations de l’économie contemporaine en

zones d’échanges plus vastes, des marchés géographiquement élargis321. Dans ce contexte, l’économie nord-catalane va bénéficier de sa proximité avec la Catalogne et notamment du port de Barcelone, « réceptacle » des trafics maritimes méditerranéens et mondiaux : les principales réussites industrielles sont alors le fruit de l’influence du Principat ; et la position géographique du Roussillon, d’inconvénient devient un avantage.

La chocolaterie du Vallespir. Au début du XIXe siècle, le Vallespir a accueilli la première fabrique de chocolat en France : sa construction et son développement industriel ont été possibles grâce à l’importation des fèves de cacao en provenance des Amériques via le port de Barcelone. La proximité avec le transit portuaire barcelonais a ainsi assuré à l’entreprise « Cantaloup-Catala » une prospérité durant plusieurs décennies322.

Le vin d’apéritif « Byrrh ». En 1870, les frères Violet ont construit leur fortune avec l’invention du premier apéritif français : le « BYRRH ». Le quinquina, arbuste équatorien indispensable à sa confection, provient de Catalogne : les sacs de bois de quinquina transitaient par le port catalan avant d’être redistribués sur le continent européen. En 1935, apogée économique de la société, le « BYRHH » détient plus de 50 % des marchés des apéritifs.

L’incidence de la Catalogne sur l’économie locale ne se limite pas à la captation des flux de matières premières générés par le port de Barcelone : l’émergence d’activités industrielles procède aussi – comme l’illustre le secteur de la papeterie – de la circulation des techniques de fabrication et de commercialisation entre espaces frontaliers :

La fabrique du papier à tabac « JOB ». La consommation de tabac roulé dans un papier fin et la fabrication de celui-ci sont, au XIXe siècle, des pratiques répandues en Catalogne. En quelques années, celles-ci s’implantent dans les Pyrénées- Orientales : les fabriques de papier à cigarette fleurissent : l’activité de façonnage devient un secteur important de l’économie départementale. La famille Bardou, une des plus grandes réussites industrielles du XIXe siècle, a importé de la Cerdagne espagnole, les modes de fabrication de livrets de papiers à cigarettes ; la marque familiale « JOB » fut elle aussi empruntée à des fabricants espagnols : dès lors, le succès commercial tient en une transposition des procédés et logos sud-catalans en France323.

Si ces entreprises permettant au Roussillon de s’inscrire davantage dans la seconde révolution industrielle, la chute des activités artisanales traditionnelles fragilise le tissu économique ; le contraste est fort avec le développement économique que connaît le

321 BARJOT, Dominique, BESNARD, Marie-Pierre. Histoire économique de la France au XIXe siècle.

Paris : Nathan Université, 1995.

322 Aujourd’hui, le groupe CÉMOI, dont le siège est à Perpignan, est le premier chocolatier français.

323 PRACA, Edwige. « Perpignan l’industrielle ». In SALA, Raymond, ROS, Michelle. Perpignan une et

plurielle. Perpignan : Trabucaire, 2004. En 2000, la société est rachetée par Republic Technology : le groupe

américain est à présent le « leader » mondial du secteur et l’un des principaux employeurs privés des Pyrénées-Orientales.

Principat324. Se dessinent alors dès le XIXe siècle les oppositions actuelles : pour paraphraser Gramsci325 comparant l’Italie du Nord à l’Italie du Sud, on peut dire qu’il y a une zone du Sud de la France fonctionnant comme une « immense campagne » face à une zone du Nord de l’Espagne qui fonctionne comme « une immense ville » : alors que le Roussillon accuse un relatif retard économique par rapport au reste de la France, la prospérité du Principat est en contraste avec les autres régions de la Péninsule : surnommée « la Hollande du Sud », la Catalogne est considérée « comme une région à part dans l’État espagnol, comme une communauté humaine développée dans un ensemble globalement sous-développé »326 : tandis que les régions castillanes se cantonnent à une « agriculture primitive et des structures sociales archaïques»327, l’industrialisation se polarise sur la Catalogne – dans le secteur du textile et de la métallurgie pour ne citer que les activités les plus importantes – puis plus tard au Pays Basque. Tout se passe comme si les disparités territoriales entre les espaces catalans étaient en gestation : si dès le traité des Pyrénées les voies économiques s’étaient progressivement différenciées, le fossé semble définitivement se creuser au cours du XIXe siècle.

§ 2. Les relations sous la dictature franquiste

Les relations transfrontalières sont dépendantes des contextes politiques nationaux : le type de régime au pouvoir et son rapport aux frontières, le degré d’autonomie des pouvoirs locaux et les compétences qui leur sont attribuées, les déterminent en partie. À ce titre, le franquisme a marqué une rupture dans la construction de liens par-delà la frontière est-pyrénéenne.

Les conséquences du régime franquiste sur les relations entre entités locales nord et sud-catalanes seront importantes : entre 1939 et 1975, elles sont gelées (A). Dans les années 1960, les connexions interfrontalières sont parcimonieuses ; néanmoins, la croissance de l’économie catalane et l’intégration progressive de l’Espagne à l’Europe favoriseront les premiers échanges (B). À la différence d’autres périphéries françaises et européennes, les premières décennies de l’après-guerre se caractérisent par un déficit de relations transfrontalières catalanes (C).

324 MALUQUER DE MOTES i BERNET, Jordi. Història econòmica de Catalunya, segles XIX i XX.

Barcelona : Edictions Universitat Oberta, 1998. VILAR, Pierre. Op. cit.

325 Cité par Christine BUCI-GLUCKSMANN, « Objet local et théorie de l’État ». In SFEZ, Lucien. L’objet

local. Paris : 10/18, 1977, p. 38.

326 ROSSINYOL, Jaume. Le problème national catalan. Paris : Mouton, 1974, p. 267. 327 Ibidem, p. 280.