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Les intérêts des régions françaises

La construction de liens transfrontaliers

Section 2. Les premiers développements des relations politiques

A. Les enjeux du partenariat Catalogne – Midi-Pyrénées – Languedoc-Roussillon

2. Les intérêts des régions françaises

Du côté français, l’investissement dans ce type de regroupement procure différents gains, réels ou symboliques, aux acteurs régionaux. La transformation de la région en collectivité territoriale de plein exercice résulte de la loi du 2 mars 1982 ; les premières élections des assemblées délibérantes au suffrage universel direct ont lieu le 16 mars

416 LASCOUMES, Pierre, LE GALÈS, Patrick. Op. cit., p. 8.

417 La création de la Communauté de Travail des Pyrénées (CTP) relève d’une stratégie similaire. En 1983,

huit autorités subétatiques situées le long de la chaîne pyrénéenne (les Régions Aquitaine, Languedoc- Roussillon, Midi-Pyrénées en France ; les Communautés autonomes d’Aragon, de Catalogne d’Euskadi et de Navarre en Espagne et la Principauté d’Andorre) s’unissent afin de constituer un organisme interrégional de coopération transfrontalière : celui-ci a pour mission d’initier des actions de préservation du massif et de réfléchir à la construction de projets structurants. Dépourvu de personnalité juridique, les premières années se caractérisent par la faiblesse des ressources et des actions de la CTP. En 1989, la structure va notablement évoluer durant la présidence catalane : un règlement interne d’organisation est écrit, des commissions thématiques sont mises en place, une « charte d’action » est adoptée. Comme on l’a vu dans le cadre de l’Eurorégion, se sont les décideurs catalans qui donnent une impulsion au projet : ils apparaissent alors comme les principaux instigateurs. Cf. Entretien avec Corinne Lamarque, Chef de Service, Direction des Affaires Européennes et de la Coopération Décentralisé à la Région Midi-Pyrénées, Secrétaire Générale de la Communauté de Travail des Pyrénées, 23 avril 2010.

418 MORATA, Francesc, OLIVESI, Claude. « L’expérience espagnole ». La pensée de midi, 2007/2, n°21,

p. 57.

419 On peut noter, de manière incidente, qu’il est plus facile pour la Catalogne d’engager des coopérations

horizontales avec des autorités locales étrangères qu’avec les Communautés autonomes : les relations interterritoriales nécessitent en Espagne une autorisation préalable de l’État : celle-ci s’avère, la plupart du temps, difficile à obtenir. NÉGRIER, Emmanuel, TOMAS, Mariona. Op. cit., p. 69.

420 SMITH, Andy. « L’échelon infra-régional : lieu privilégié des fonds structurels ? ». In LE GALÈS,

Patrick, LEQUESNE, Christian. Le paradoxe des régions en Europe. Paris : La Découverte/Syros, 1997, p. 65.

1986421. Dans les années 1980, la région, n’ayant pas l’antériorité du département ou de la commune, cherche à asseoir sa légitimité dans le maillage politico-administratif du territoire422 : la coopération interrégionale sera alors utilisée comme un enjeu stratégique de « normalisation » et de « spécification » de l’échelon régional par rapport aux autres unités territoriales : il s’agit de légitimer la région comme espace d’action publique pertinent dans un contexte d’intégration européenne et de compétition territoriale423. L’Europe constitue un moyen de légitimation de l’échelon régional : non seulement les formes d’association projettent les régions dans un destin européen, mais encore les principes de partenariat et de subsidiarité dictés par la réforme des fonds structurels à la fin des années 1980 favorisent la reconnaissance de la région comme espace fonctionnel de programmation424.

L’un des principaux enjeux de la coopération consiste ainsi pour les acteurs à valoriser, dans une logique concurrentielle, leur propre espace d’action publique : en ce sens, le choix de s’allier à la Catalogne n’est pas neutre : « communauté historique » à forte « capacité politique territoriale »425 et acteur majeur de l’économie européenne, le Principat apparaît comme un partenaire idéal au regard des stratégies de valorisation, de rayonnement et d’attractivité territoriale. L’Eurorégion se présente aussi comme une opportunité de valoriser les statuts politiques des acteurs régionaux français : « Jacques Blanc et Marc Censi voyaient un intérêt politique à entretenir des relations avec Jordi Pujol : président de Région, à l’époque, ça ne représentait pas grand chose… et pour eux, rencontrer régulièrement le Président de la Generalitat, cela leur donnait une carrure d’hommes d’États »426. L’alliance revêt ainsi un intérêt symbolique : en instituant des échanges permanents avec les dirigeants catalans, elle permet aux agents politiques septentrionaux d’étendre leurs réseaux relationnels ; plus précisément, ils tirent profit des relations « d’interconnaissance » et « d’interreconnaissance »427 qu’ils nouent avec des élus aux capitaux économiques et symboliques plus importants : autrement dit, ils étoffent

421 VERPEAUX, Michel. Droit des collectivités territoriales. Paris : PUF, 2008.

422 NAY, Olivier. La région, une institution : la représentation, le pouvoir et la règle dans l’espace régional.

Paris : L’Harmattan, 1997.

423 BALME, Richard (dir.). Op. cit. 424 PASQUIER, Romain. Op. cit. 425 Ibidem, p. 41.

426 Entretien avec Pierre Becque, avocat au barreau de Perpignan, ancien maire de Banyuls, ancien conseiller

municipal de Perpignan, ancien conseiller régional, 22 avril 2010.

427 BOURDIEU, Pierre. « Le capital social ». Actes de la recherche en sciences sociales. Vol. 31, janvier

leur « capital social»428 ; comme l’a écrit Pierre Bourdieu : « le volume du capital social que possède un agent particulier dépend donc de l’étendue du réseau des liaisons qu’il peut effectivement mobiliser et du volume du capital (économique, culturel ou symbolique) possédé en propre par chacun de ceux auxquels il est lié »429.

Le partenariat est ainsi profitable pour chacun des acteurs en présence. L’exécutif sud-catalan n’est pas seul à inclure le projet eurorégional dans une stratégie qui lui est propre ; chaque partenaire tire de cette association des intérêts et des gains particuliers : les pratiques de coopération s’apparentent ainsi à des processus de « légitimation croisée » visant « à se renforcer mutuellement dans le but de consolider des croyances et des représentations favorables »430 à chaque espace régional. Le gain attendu par les acteurs sud-catalans est cependant plus important ; comme on l’a déjà souligné, le projet ayant été initié par Jordi Pujol, certains auteurs considèrent l’Eurorégion comme une structure « au service » de la Catalogne431.

Les alliances interrégionales rassemblent ainsi des acteurs collectifs aux poids politiques et financiers inégaux, poursuivant des intérêts dissemblables, sans que cela n’entraîne ni réelles polarités ni oppositions frontales dans la définition de projets et d’activités. Des « intérêts communs » n’en existent pas moins, au nombre desquels figurent des stratégies de « visibilisation »432 : la coopération interrégionale relève d’une stratégie pro-active des régions visant à être identifiées par les autorités européennes : le but est d’obtenir des financements ou bien faire valoir leur éligibilité aux programmes communautaires433. L’union d’entités subétatiques représente également un enjeu pour accéder à la scène internationale434 : l’entrée dans le jeu transfrontalier permet aux régions d’acquérir une taille suffisamment critique en termes de population et de superficie435 pour

428 Ibidem. 429 Ibidem.

430 NAY, Olivier. Op. cit., p. 303.

431 CULTIAUX, Yolaine. Op. cit.. GIBAND, David. « Dépasser la frontière ou quand l’espace transfrontalier

se rêve territoire ». Ruixat, octobre 2012, n°1.

432 GUALINI, Enrico. « Cros-border governance : inventing regions in a trans-national multi-level polity ».

Disp – The planning review, vol. 39, Issue 152, 2003.

433 ALLIÈS, Paul. « L’Eurorégionalisme ou « l’Europe d’en bas » ? ». Pouvoirs locaux. n°72, 2007.

BOLGHERINI, Silvia, ROUX, Christophe. « Les régions d’Europe et l’enjeu des coopérations ». Pôle Sud, 2008/2, n°29, p. 111-130.

434 Dans son étude sur les eurorégions, Thomas Perrin relève que ce type de projet représente pour les

collectivités un moyen de se positionner dans l’arène politique européenne et internationale. PERRIN, Thomas. Culture et Eurorégions. Enjeux institutionnels de l’action culturelle régionale. Thèse de doctorat en Science politique, Institut politique de Grenoble, décembre 2010.

435 Comme par « addition magique de territoires », la documentation officielle indique un espace de

intégrer les circuits paradiplomatiques436. Ces objectifs sont au demeurant explicités dans la charte et les documents institutionnels. Du côté français comme du côté espagnol, les coopérations entre régions en situation de contiguïté territoriale visent en somme à renforcer leur capacité de régulation et à accéder à une forme d’autonomie politique : parce qu’elles se développent au sein d’espaces transnationaux et instaurent une forme de renversement du rapport au monde de la fermeture à l’ouverture, on les qualifiera à la suite de Richard Balme de politiques du néo-régionalisme437.