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Histoire politique de Perpignan

Le Roussillon : espace périphérique et frontalier

Section 2. Les Pyrénées-Orientales aujourd’hui : portrait géopolitique

B. Histoire politique de Perpignan

La vie politique perpignanaise est, depuis l’après-guerre, structurée autour de la famille Alduy : Paul Alduy272 a dirigé la capitale nord-catalane durant trente-quatre ans

271 FERRAS, Robert. « Languedoc-Roussillon ». In LACOSTE, Yves. Op. cit., p. 699 et sq.

272 Paul Alduy est né le 4 octobre 1914 à Lima au Pérou. Après des études de droit et d’économie, il entre à

l’École libre des sciences politiques à Paris ; s’en suit une carrière dans la haute fonction publique : « attaché d’ambassade » de 1942 à 1944, il fut directeur de cabinet du gouverneur d’Algérie de 1944 à 1946 ; nommé préfet en 1946, il intègre pour quelques semaines le cabinet du ministre d’État Guy Mollet puis celui d’Édouard Depreux, ministre de l’Intérieur et de l’Algérie. Il réalise ensuite, dans le département des

(1959-1993) ; son fils, Jean-Paul Alduy lui succède : il sera Premier magistrat jusqu’en 2009. Le père et le fils ont été à la tête du chef-lieu du département pendant cinquante ans : l’expression de « dynastie Alduy »273 a été utilisée pour qualifier cette continuité familiale ; une « hérédité élective »274 fondée sur une forme de « transmission parentale des mandats électifs »275.

En mars 1993, Paul Alduy est confronté à de fortes tensions au sein du Conseil municipal : une partie de sa majorité et lui-même rejettent le budget. En conséquence, le Conseil d’État prononce la dissolution du Conseil en mai 1993 : des élections sont organisées pour le mois de juin. Claude Barate, à la fois ancien premier adjoint et leader de la fronde, apparaît comme un probable successeur de Paul Alduy : il sera candidat soutenu par le RPR et l’UDF. Jean-Paul Alduy, élu depuis un an conseiller général du canton de Perpignan I Haut-Vernet, s’engage, avec le soutien de son père, dans la bataille municipale. L’héritage paternel, et, en premier lieu, le patronyme, sera à la fois une ressource et un handicap. C’est un avantage à double titre : d’abord, cette « généalogie devenue territoriale » (A. Laurent) rend « naturelle » et légitime sa candidature : jouissant « d’une Pyrénées-Orientales, un début de carrière politique couronné de succès électoraux : le 14 février 1952 il est élu maire d’Amélie-les-Bains, ville dont est originaire sa famille ; en avril 1955, il devient conseiller général du canton de Prats-de-Mollo ; un an plus tard, il conquiert un siège de député lors des élections législatives anticipées. 1959 fut une année décisive : élu concomitamment à Amélie-les-Bains et à Perpignan, il fait le choix du Chef-lieu des Pyrénées-Orientales tandis qu’il laisse la mairie d’Amélie-les-Bains à son épouse. Alors qu’il remporte ces premières élections sous les couleurs de la SFIO, il est exclu du parti à la suite de son alliance avec les gaullistes lors des élections municipales de Perpignan ; après les élections présidentielles de 1965, il se rapproche de la gauche mitterrandienne en adhérant à la « Convention des institutions républicaines » (CIR) ; afin d’affermir « ses réseaux d’influence sur la ville » et « de regrouper

ses partisans et sa clientèle municipale » (BALENT, André. « Paul Alduy ». In BONET, Gérard. Nouveau dictionnaire de biographies roussillonnaises 1789-2011. Tome 1. Perpignan : Les Éditions de l’Olivier, 2011,

p. 34), il crée un « micro-parti » : l’ « Association démocratique et sociale » (ADS) ; en juin 1971, il rejoint le PS au Congrès d’Épinay. Exclu à nouveau du parti en mars 1976 à l’issue des élections cantonales « pour comportement opportuniste et anti-unitaire », il adhère au PSD, petite formation née d’une scission d’adhérents hostiles au programme commun ; le PSD devient, après sa fusion avec le CDS au sein de « Force démocrate », une composante de l’UDF, formation à laquelle l’édile restera fidèle jusqu’au terme de sa carrière politique. Conseiller général de « Perpignan-Est » de 1959 à 1973 puis de « Perpignan III » de 1973 à 1976, il représente jusqu’en 1989 le canton « Perpignan IV ». En juin 1981, il perd son siège de député qu’il occupait sans interruption depuis 1956. Son ultime mandat parlementaire sera celui de sénateur des Pyrénées-Orientales entre 1983 et 1992. Entre 1986 et 1988, il est également conseiller régional du Languedoc-Roussillon. Enfin, après avoir exercé durant trente-quatre années les fonctions de Premier magistrat de la ville de Perpignan, Paul Alduy quitte le pouvoir en 1993 : ce départ, provoqué par des relations détériorées avec son premier adjoint, marque la fin de sa carrière politique.

273 Il faut souligner que l’expression fait aussi référence à la mère de Jean-Paul Alduy, Jacqueline Alduy, qui

fut, à la suite de son mari, maire d’Amélie-les-Bains de 1959 à 2001 et conseillère générale de 1967 à 2001. GIBAND, David, LACQUEMENT, Guillaume, LEFEVRE, Marie-Anne. « Languedoc-Roussillon ». GIBLIN, Béatrice (dir.), Nouvelle géopolitique des régions françaises. Paris : Fayard, 2005, p. 737.

274 OFFERLÉ, Michel. « Usages et usure de l’hérédité en politique ». Revue française de science politique,

n°5, 1993 ; p. 851.

forte assise lignagère »276, il apparaît tel « l’enfant du pays », celui dont l’accession à la tête de la ville est « dans l’ordre des choses »277 . Ensuite, Jean-Paul Alduy va s’approprier les réseaux de clientèle et de patronage de son père afin d’être élu ; s’applique ainsi à la vie politique perpignanaise, l’analyse proposée par Marc Abélès dans son étude sur l’Yonne : la « permanence des formes d’hégémonie locale » est rendue possible par la transmission « d’un patrimoine politique, à charge pour chaque génération de le faire ensuite fructifier»278. Néanmoins, la filiation s’apparente aussi à une contrainte : l’usure du pouvoir après trente-quatre ans d’une gestion municipale souvent contestée, les conditions politiques de la fin du mandat et l’émergence d’« affaires politiques » 279, sont autant de stigmates associés au patronyme. De plus, une partie des réseaux paternels se sont présentés comme des soutiens à Claude Barate : de nombreuses personnalités de l’ancienne équipe de Paul Alduy sont présents sur la liste RPR-UDF « Perpignan Réveille- toi ».

Jean-Paul Alduy s’emploiera, en conséquence, à jouer sur deux registres : la rupture politique dans la continuité familiale ; « faisant table rase du passé sans le renier »280. Il constitue une liste hétéroclite composée majoritairement de personnalités locales « sans étiquette » : des « socioprofessionnels », des membres de la « société civile » ; y seront

276 ABÉLÈS, Marc. Jours tranquilles en 89 : ethnologie politique d’un département français. Paris : Odile

Jacob, 1989, p. 105.

277 Pourtant Jean-Paul Alduy a vécu et travaillé à Paris jusqu’en 1993. Né le 7 mai 1942 à Lyon, il intègre

l’École Polytechnique puis l’École des Ponts et Chaussées après des études secondaires au Lycée Arago de Perpignan. Son parcours professionnel débute en Côte d’Ivoire où il occupe, de 1978 à 1980, le poste de directeur du bureau central d’études techniques. Après son passage à Abidjan, il intègre différents ministères : d’abord secrétaire permanent du « Plan Construction » puis chef du service de la politique technique au Ministère de l’Urbanisme et du Logement de 1981 à 1986, il devient ensuite conseiller technique de Pierre Méhaignerie au Ministère de l’Équipement, du Logement et des Transports jusqu’en 1988. Entre 1988 et 1993, il dirige l’établissement public d’aménagement de Saint-Quentin-en-Yvelines. Proche de l’« Organisation communiste internationale » (OCI) dans sa jeunesse puis de la mitterrandienne « Convention des institutions républicaines » (CIR), il s’engage dans la compétition politique au début des années 1990 sous les couleurs du « Centre des démocrates sociaux » (CDS) : il est élu en 1992 conseiller général des Pyrénées-Orientales du canton de « Perpignan-1 ». Un an plus tard, il conquiert la mairie de Perpignan ; élu quatre fois consécutivement, il démissionne de son mandat le 15 octobre 2009. Après deux échecs aux élections législatives de 1993 et 1997, il est élu président de la Communauté d’agglomération Perpignan-Méditerranée depuis sa création le 7 novembre 2000. Il est élu l’année suivante sénateur des Pyrénées-Orientales, siège qu’il perdra aux élections sénatoriales de septembre 2011. Centriste au début de son engagement politique, il adhère à l’UDF en 1995 puis à l’UMP en 2002 tout en se déclarant « l’homme le

plus à gauche du département » ; quelques années plus tard, il rompt avec le parti de droite et rejoint le Parti

radical (PR).

278 ABÉLÈS, Marc. Op. cit., p. 105.

279 Le financement supposé d’un livre de Paul Alduy par le comité des œuvres sociales du personnel de la

mairie, une opération immobilière dont la gestion s’est révélée problématique, ou encore l’emploi fictif de sa seconde épouse au CCAS de la Ville. Concernant ce dernier fait, Paul Alduy sera condamné le 24 mars 1997 par le tribunal correctionnel de Perpignan à une peine de dix mois de prison avec sursis, 80 000 euros d’amende et cinq ans de privation des droits civiques pour « abus de confiance ».

280 MAURY, Caroline. « Des chaussettes et des urnes : chroniques des élections municipales à Perpignan ».

agrégés une formation « catalaniste » (Unitat Catalana) et un groupe écologiste (Génération écologie). Jean-Paul Alduy ne va pas, à la tête de la liste « Perpignan Oxygène », revendiquer d’appartenance politique. Avec 40,01 % des voix, le fils succède au père. C’est Claude Barate qui a été perçu comme le continuateur du système précédent. Jean-Paul Alduy remporte les élections de 1995 et celles de 2001. Au fil des mandats et des scrutins, il adopte la même souplesse que son père dans ses trajectoires politiques : débutant sa carrière politique au sein du CDS (Centre démocratique et social), il adhère ensuite à l’UDF avant de rejoindre l’UMP en 2002 et prendre la direction départementale de la formation jusqu’en 2007 ; il est à présent vice-président du Parti Radical tout en déclarant être « l’homme le plus à gauche du département »281.

Les émeutes urbaines de 2005 et l’« affaire de la chaussette » du scrutin municipal de 2008 vont porter atteinte au leadership du maire de Perpignan. Au soir du second tour des élections municipales de 2008, le président d’un bureau de vote est surpris avec des bulletins de vote dissimulés dans ses chaussettes et ses poches. Georges Garcia, frère d’un colistier de Jean-Paul Alduy, est placé en garde à vue puis mis en examen pour fraude électorale. Le candidat sortant remporte le scrutin face à l’union de la gauche alliée au Modem avec 574 voix d’écarts. L’opposition, menée par Jacqueline Amiel-Donat, proteste, relève de nombreuses irrégularités sur les listes d’émargements et les procurations : un recours devant le tribunal administratif de Montpellier est déposé. S’en suivent des manifestations quotidiennes regroupant plusieurs centaines de personnes devant la mairie. En octobre 2008, le tribunal invalide l’élection : le maire fait appel de cette décision ; le Conseil d’État l’a confirmé dans son arrêt 23 avril 2009. De nouvelles élections sont organisées : en juin 2009, la liste « Perpignan au cœur » menée par Jean-Paul Alduy l’emporte avec 53,41 % des voix.

Le 15 octobre 2009, au début de son cinquième mandat municipal, Jean-Paul Alduy démissionne, cédant sa place à son premier adjoint, Jean-Marc Pujol. La décision est soudaine et inédite. Se justifiant, il déclare vouloir se consacrer à la présidence de l’agglomération Perpignan-Méditerranée282 ; il occupera toutefois les fonctions de premier adjoint. La perte de son siège de sénateur en 2011 marque une nouvelle étape de son affaiblissement politique. En avril 2014, il se retire de la vie politique au terme de son mandat de président de la Communauté d’agglomération.

281 « L’Indépendant », 19 janvier 2008.

282 « Perpignan : Jean-Paul Alduy laisse sa place de maire à son premier adjoint ». Le Monde, 15 décembre