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L’impulsion du Conseil de l’Europe

Un développement incertain

Section 1. Des politiques ambiguës

B. Les normes juridiques issues du droit international et communautaire

1. L’impulsion du Conseil de l’Europe

Au début des années 1980, le Conseil de l’Europe conçoit deux instruments juridiques multilatéraux dont les objets sont respectivement la promotion de la coopération transfrontalière et la défense du principe d’« autonomie locale » dans les régimes démocratiques ; le « Congrès des pouvoirs locaux et régionaux », assemblée comprenant six cent trente-six élus représentant plus de deux cent mille autorités locales de quarante- sept États européens, rédige la « Convention-cadre européenne sur la coopération transfrontalière des collectivités ou autorités territoriales » puis la « Charte européenne de l’autonomie locale » 638. Alors que cette dernière « affirme le rôle des collectivités comme premier niveau où s’exerce la démocratie »639, l’organisation intergouvernementale reconnaît dans les relations de voisinage qu’entretiennent les autorités locales de part et d’autre des frontières un facteur de stabilité démocratique et un vecteur d’intercompréhension entre les États et les populations. Adoptée le 21 mai 1980 à Madrid, la Convention a pour but de promouvoir la conclusion d’accords dans le domaine de la coopération transfrontalière entendue comme « toute concertation visant à renforcer et à développer les rapports de voisinage entre collectivités ou autorités territoriales ». Le principal objectif se dégageant du texte est celui de réduire les divisions créées par les frontières en multipliant les coopérations transfrontalières et interrégionales640.

Ouverte à la signature aux États membres du Conseil de l’Europe, la Convention a été ratifiée par la France le 4 février 1984 et est applicable depuis le 14 mai 1984641. Elle est le fruit d’une revendication des autorités locales qui s’estiment contraintes par les législations nationales : réunies dans le cadre d’une « Conférence permanente des pouvoirs

638 La « Charte européenne de l’autonomie locale » a été ouverte à la signature des États membres du Conseil

de l’Europe en tant que convention le 15 octobre 1985 et est entrée en vigueur le 1er septembre 1988.

Quarante quatre pays ont ratifié la Charte ; vingt et un ans après l’avoir signée, la France l’a pour sa part ratifiée le 17 janvier 2007.

639 « Charte européenne de l’autonomie locale », Introduction.

640 SCHUMANN, Klaus. « Le rôle du Conseil de l’Europe ». In MIALL, Hugh (dir). Les droits des minorités

en Europe : vers un régime transnational. Paris : L’Harmattan, 1997.

locaux et régionaux de l’Europe » (CPLRE)642, elles réclament le droit d’établir des relations de voisinage en s’affranchissant « des limitations découlant de l’existence d’une frontière internationale »643. La formule d’un traité international annexé « de modèles et schémas d’accords, de statuts et de contrats »644 à conclure entre États ou collectivités territoriales, a été retenue645. Même s’il peut être considéré « comme un texte fondateur de la coopération décentralisée en Europe »646, les avancées juridiques restent cependant mineures : la Convention ne reconnaît pas de « véritable droit à ce type de relations » et « ne propose pas de solutions juridiques opérationnelles pour satisfaire les besoins des collectivités territoriales »647. En outre, l’accord « n’engage l’État qu’au niveau d’une pétition de principe »648. Les États ont formulé des conditions à sa ratification : la France 649 , l’Italie et l’Espagne n’ont soumis leur adhésion qu’avec une réserve subordonnant l’applicabilité de conventions entre collectivités locales à la signature préalable d’accords inter-étatiques650. Ces restrictions laissent transparaître une certaine frilosité de l’État : en soumettant les relations entre autorités sub-nationales aux conditions définies par des conventions bilatérales, est perceptible la volonté de « garder la main » sur celles-ci en traçant le cadre précis dans lequel elles doivent s’inscrire. Pour ces raisons, la Convention, « tel un monument inutile »651, n’a eu qu’un champ d’application restreint et des effets limités : certains auteurs ont pu la qualifier de « simple déclaration d’intention »652 ; plus justement, elle constitue « un moyen d’inscrire collectivement la problématique transfrontalière dans les esprits des gouvernements des États»653.

642 La CPLRE deviendra en 1994 le « Congrès des pouvoirs locaux et régionaux ».

643 COMTE, Henri, LEVRAT, Nicolas. « Introduction ». In COMTE, Henri, LEVRAT, Nicolas (dir.). Op.

cit., p. 16.

644 Convention-cadre européenne sur la coopération transfrontalière des collectivités ou autorités territoriales. 645 DECAUX, Emmanuel. « La convention-cadre européenne sur la coopération transfrontalière des

collectivités ou autorités territoriales ». RGDIP, 1984, t.88/3, pp. 557-620.

646 TULARD, Marie-José. Op. cit., p. 27.

647 COMTE, Henri, LEVRAT, Nicolas. « Introduction ». Op. cit., p. 17. 648 PETITEVILLE, Franck. Op. cit., p. 26.

649 Cette réserve a été retirée le 26 janvier 1994.

650 PETITEVILLE, Franck. Op. cit., p. 26. COMTE, Henri, LEVRAT, Nicolas. « Introduction ». In COMTE,

Henri, LEVRAT, Nicolas (dir.). Op. cit., p. 18. BATAILLOU, François. L’émergence du fait régional au

sein de l’Union Européenne : la coopération trans-frontalière comme stratégie de développement.

Perpignan : PUP, 2002, p. 153-154.

651 COMTE, Henri, LEVRAT, Nicolas. « Introduction ». In COMTE, Henri, LEVRAT, Nicolas (dir.). Op.

cit., p. 17.

652 DECAUX, Emmanuel. « La convention-cadre européenne sur la coopération transfrontalière des

collectivités ou autorités territoriales ». RGDIP, t. 88/3, 1984, p. 597.

653 DUPEYRON, Bruno. Acteurs et politiques de la coopération transfrontalière en Europe. Les expériences

du Rhin Supérieur et de l’Eurorégion Méditerranéenne. Thèse de doctorat en Science politique. Université

L’adoption, le 9 octobre 1995 à Strasbourg, d’un protocole additionnel654 a pour objectif de pallier les insuffisances de la Convention-cadre655. Le texte reconnaît le droit aux collectivités territoriales de conclure directement des accords et de créer des structures propres de coopération : les États signataires reconnaissent d’abord « le droit des collectivités ou autorités territoriales soumises à sa juridiction et visées aux articles 1er et 2 de la Convention-cadre de conclure dans les domaines communs de compétence, des accords de coopération transfrontalière avec les collectivités ou autorités territoriales d’autres États, selon les procédures prévues par leurs statuts, conformément à la législation nationale et dans le respect des engagements internationaux pris par la Partie en question » (art. 1 § 1) ; ensuite, le Protocole prévoit que « les accords de coopération transfrontalière conclus par les collectivités ou autorités territoriales peuvent créer un organisme de coopération transfrontalière, ayant ou non la personnalité juridique » (art. 3). Ratifié par la France le 19 mai 1999, ce premier protocole est, dans la pratique, peu utilisé par les collectivités656.

Ce constat a conduit le Conseil de l’Europe a rédiger deux nouveaux protocoles. Signé à Strasbourg le 5 mai 1998, le deuxième protocole étend les dispositions de la Convention-cadre et de son premier protocole à la « coopération inter-territoriale », c’est- à-dire aux rapports entre collectivités locales non contigües657. Élaboré au sein du Conseil de l’Europe par le Comité européen sur la démocratie locale et régionale (CDLR), le troisième protocole a été ouvert à la signature le 16 novembre 2009. Ce dernier a pour principal objet d’instituer un nouvel organisme de coopération transfrontalière et interterritoriale : les « Groupements eurorégionaux de coopération » (GEC). Partant de la variété des statuts juridiques des Eurorégions, les rédacteurs ont souhaité créer un organisme commun doté d’une reconnaissance au niveau européen ; si une série de règles communes est énoncée (concernant l’établissement, les membres, les opérations et les

654 Protocole additionnel à la Convention-cadre européenne sur la coopération transfrontalière des

collectivités ou autorités territoriales (STE n°159), ouvert à la signature le 9 novembre 1995 à Strasbourg et entrée en vigueur le 1er décembre 1998.

655 LEVRAT, Nicolas. Le droit applicable aux accords de coopération transfrontière entre collectivités

publiques infra-étatiques. Paris : PUF. 1994.

656 COMTE, Henri, LEVRAT, Nicolas. « Introduction ». In COMTE, Henri, LEVRAT, Nicolas (dir.). Op.

cit., p. 19.

657 Le deuxième protocole a été ratifié par la France après le vote de la « loi n°2007-298 du 5 mars 2007

autorisant l’approbation du protocole n°2 à la Convention-cadre européenne sur la coopération transfrontalière des collectivités ou autorités relatif à la coopération interterritoriale ».

responsabilités des groupements, etc.), la forme juridique du GEC reste, selon le principe du renvoi au droit national, définie par la loi de l’État dans lequel est implanté son siège658.