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L E GEL D ’ UNE SITUATION INEXACTE

b. Des inégalités encore fortement corrigées

B. L E GEL D ’ UNE SITUATION INEXACTE

Parfois nommée à tort371 « compensation à l’euro près », ce double mécanisme modifie les inégalités en ce qu’il n’assure pas cette rétribution à l’euro près et qu’il intègre dans ses calculs le mode de gestion des élus.

En premier lieu, la loi prévoit que la compensation de la réforme de la taxe professionnelle est répartie entre les communes et les EPCI à fiscalité propre, lorsque la perte est supérieure à 50 000 euros372.

En second lieu, les prélèvements ou les reversements aux fonds nationaux de garantie individuelle des ressources, ne sont pas opérés lorsqu’ils sont inférieurs à 100 euros pour le bloc communal ou à 10 000 euros pour les départements et régions.

En troisième lieu, l’application d’un coefficient d’équilibrage des fonds nationaux de garantie n’assure pas aux collectivités « bénéficiaires », un reversement équivalent à leurs pertes résiduelles de recettes373. Les fonds peuvent avoir des « effets péréquateurs latents » ou, au contraire, des « effets contre-péréquateurs latents » durables.

Quatre scénarios sont à distinguer. Ils conduisent soit à une réduction, soit à une aggravation des inégalités de ressources.

Pour exposer ces quatre hypothèses, nous regroupons les collectivités les plus riches et les plus pauvres (entendu au sens « pouvoir d’achat » et non potentiel de ressources) respectivement au sein de deux groupes égaux en termes de nombre de collectivités. Nous attribuons de manière théorique et pleinement fictive, à chaque groupe, des situations permettant de mettre en évidence les différences possibles.

Dans la première hypothèse, les collectivités les plus riches en 2010 ont des recettes supérieures grâce à la nouvelle fiscalité, tandis que les collectivités les moins riches connaissent une baisse de leurs recettes par rapport à 2010. Les gains pour les collectivités « riches » étant supérieurs aux pertes des collectivités « pauvres », le coefficient

371 Pour exemple, Commission des finances, de l’économie générale et du plan, La suppression de la taxe professionnelle : une réforme pour les entreprises et pour les collectivités territoriales, Note de synthèse, Paris, Sénat, 2009, p.3.

372 Article 78 de la loi de finances pour 2010 : « Le montant global de la dotation de compensation est réparti entre les communes, à l’exception de la ville de Paris, et les établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre pour lesquels la différence définie au 1 du II est positive et supérieure à 50 000 euros, au prorata de cette différence ».

373 Les termes « pertes résiduelles » sont utilisés car la DCRTP compense une partie des pertes de recettes de la réforme.

d’équilibrage est supérieur à 1 et permet aux collectivités les moins riches de bénéficier d’un reversement supérieur à leurs pertes, d’où une réduction des inégalités.

Fiscalité 2010 Fiscalité à compter de 2011 Pertes et gains primitifs Coefficient d’équilibrage Ecrêtement / Prélèvement Nouvelles recettes Collectivités « riches » 120 132 +12 - -12 120 Collectivités « pauvres » 80 70 -10 1,2 +12 82

Dans la seconde hypothèse, les collectivités les plus riches en 2010 ont, suite à la nouvelle fiscalité, des recettes inférieures, tandis que les collectivités les moins riches ont des recettes supérieures à 2010. Les gains pour les collectivités « pauvres » étant inférieurs aux pertes des collectivités « riches », le coefficient d’équilibrage est inférieur à 1 et ne permet pas aux collectivités « riches » de bénéficier d’un reversement à hauteur de leurs pertes, d’où une atténuation des inégalités.

Fiscalité 2010 Fiscalité à compter de 2011 Pertes et gains primitifs Coefficient d’équilibrage Ecrêtement / Prélèvement Nouvelles recettes Collectivités « riches » 120 110 -10 0,5 +5 115 Collectivités « pauvres » 80 85 +5 - -5 80

Dans la troisième hypothèse, les collectivités les plus riches en 2010 ont des recettes inférieures, tandis que les collectivités les moins riches ont des recettes supérieures. Les gains pour les collectivités « pauvres » étant supérieurs aux pertes des collectivités « riches », le coefficient d’équilibrage est supérieur à 1 et permet aux collectivités « riches » de bénéficier d’un reversement supérieur à leurs pertes, d’où une aggravation des inégalités. Fiscalité 2010 Fiscalité à compter de 2011 Pertes et gains primitifs Coefficient d’équilibrage Ecrêtement / Prélèvement Nouvelles recettes Collectivités « riches » 120 114 -6 1,5 +9 123 Collectivités « pauvres » 80 89 +9 - -9 80

Dans le dernier scénario, les collectivités les plus riches en 2010 ont des recettes supérieures grâce à la nouvelle fiscalité au contraire des collectivités les plus pauvres. Les gains pour les collectivités « riches » étant inférieurs aux pertes des collectivités

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« pauvres », le coefficient d’équilibrage est inférieur à 1 et ne permet pas aux collectivités « pauvres » de bénéficier d’un reversement à hauteur de leurs pertes, d’où une aggravation des inégalités. Fiscalité 2010 Fiscalité à compter de 2011 Pertes et gains primitifs Coefficient d’équilibrage Ecrêtement / Prélèvement Nouvelles recettes Collectivités « riches » 120 124 +4 - +4 120 Collectivités « pauvres » 80 74 -6 0,66… -4 78

Si les recettes issues de la réforme sont plus élevées que les recettes procurées par le système relais de 2010 pour une grande majorité de collectivités, et qu’il en résulte un déséquilibre conséquent du fonds avant application du coefficient multiplicateur, ce dernier compte tenu du fort écrêtement des collectivités « gagnantes » de la réforme, sera élevé. Les collectivités « bénéficiaires » du fonds auront ainsi des reversements largement supérieurs à leurs pertes. Dans le cas contraire, les collectivités « perdantes » seront affectées par un coefficient d’équilibrage très inférieur à 1 et leurs pertes issues de la réforme seront très faiblement « rétribuées ».

Ces scénarios renforcent les aggravations ou atténuations des inégalités constatées dans nos quatre hypothèses.

Les rapports parlementaires font la lumière sur ces modalités de « compensation » complexes, et sur les éventuels effets pervers d’un système figé. Les sénateurs374 relevent à juste titre que : « ces écrêtements et reversements seraient figés, en euros courant, indéfiniment et quelle que soit l’évolution des bases fiscales des collectivités. Cette situation n’est à l’évidence pas souhaitable. Elle risque d’aboutir, dans quelques années, à des prélèvements qui n’auraient plus aucun lien avec les bases fiscales réelles d’une collectivité.

374 Commission des finances, Rapport général n° 101 sur le projet de loi de finances pour 2010, Tome II, Fascicule 1, « Les conditions générales de l’équilibre financier », Volume 2, « Suppression de la taxe professionnelle et dispositions relatives aux collectivités territoriales, examen des articles 2 à 3 et 13 à 20 », Philippe Marini, Paris, Sénat, 2009-2010, p. 21-22.

Dans ces situations devenues inacceptables, des aménagements ponctuels devraient être trouvés et conduiraient, à n’en pas douter, à compliquer de plus en plus le dispositif de compensation »375.

La version de l’avant-projet de loi du gouvernement propose, pour éviter que cette situation ne perdure, une sortie « en sifflet »376 du dispositif de compensation : chaque écrêtement ou reversement aura progressivement disparu, la réduction s’opérant sur 20 ans par réductions annuelles de 5 %.

Pourtant, faute d’avoir réussi à fixer un terme aux dispositifs de compensation, l’absence de « fin » des dispositifs de compensation lors de la réforme de la loi de finances pour 2010, l’impact des choix de gestion des élus locaux arrêtés en 2009, sur les ressources de l’ensemble des collectivités locales est inscrit ad vitam aeternam. En effet, plus le montant des taux des « quatre vieilles » est élevé, plus la dotation de compensation « relais » est élevée, plus les montants des DCTRP et les reversements du FNGIR sont élevés car la compensation « relais » intègre le vote du taux de la taxe professionnelle et qu’elle est intégrée dans le calcul des DCTRP et des FNGIR.

Le constat est semblable pour les trois autres taxes constituant les « quatre vieilles ». Plus le produit des impositions 2010 de la taxe d’habitation et des taxes foncières est élevé, plus la DCTRP est élevée puisque cette dernière représente la différence entre ce produit augmenté de la compensation « relais » et les bases nettes de 2010 multiplié par les taux de référence. Le montant du prélèvement ou du reversement est également conditionné par le produit des « quatre vieilles ». Plus les taux votés par les élus locaux avant la réforme, sont élevés, plus le prélèvement est faible ou le reversement fort.

Avant la réforme, les inégalités reposent sur des potentiels fiscaux des collectivités. Après la réforme, elles reposent sur des produits d’impôts et par conséquent sur des modes de gestion des élus. Chaque année, à partir de 2010, le choix des élus arrêtés à l’année 2009, contribue à déterminer les ressources de leurs collectivités. Certes, celles-ci n’ont pas l’inconvénient d’être diminuées suite à la réforme (ce qui permet d’assurer une continuité indispensable au financement local), mais ce fait ne saurait durer tant l’implication

375 En outre, le dispositif de l’enveloppe fermée des concours financiers de l’Etat aux collectivités territoriales conduit progressivement à faire de l’ensemble des compensations d’exonérations fiscales des variables d’ajustement qui diminuent pour garantir la stabilité de l’augmentation globale des concours. Il est donc à craindre que les compensations de la réforme de la fiscalité locale ne subissent, in fine, une réduction du fait de cet impératif.

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d’anciens choix politiques sur les futures recettes n’est pas acceptable à long terme. Le législateur a tout intérêt à concevoir au plus vite les mesures de remplacement à ce mécanisme dont nous ne saurions nous satisfaire.

De nouvelles disparités se créent également au gré du dynamisme de la fiscalité locale sur les bases introduites par la réforme ; le lien entre l’entreprise et la collectivité étant maintenu via la contribution territoriale économique. Ainsi, le rapporteur spécial du Sénat estime « qu’il faudra donc faire face, dans les années à venir, à de nouvelles inégalités dues à la réforme : des inégalités structurelles de croissance, de dynamisme, conséquences directes de la concentration démographique ou de la production de valeur sur le territoire national ».

C’est pourquoi, à compter de 2011 et 2012, il est instauré des nouveaux dispositifs de péréquation fiscale horizontale.

C

ONCLUSION DU CHAPITRE PREMIER

La péréquation doit son existence aux conséquences des inégalités territoriales. En cela, elle est conçue comme un instrument de la politique de développement homogène du territoire avec des objectifs axés sur les niveaux d’imposition et les accès aux services publics locaux. Sur ce point, nous prônons l’objectif unique de « proportionner l’offre des services publics à l’effort fiscal » et non de deux objectifs séparés et régulièrement affichés par les institutions nationales et européennes. Les libertés revenant aux élus locaux en seront préservées au mieux. Quoi qu’il en soit, ces objectifs ne sont pas atteints au niveau communal car, à notre sens, les inégalités communales « brutes » (c’est-à-dire avant péréquation) s’avèrent trop prononcées. Seule une réforme de la fiscalité locale est en mesure de corriger les écueils de ces inégalités sans aliéner l’autonomie financière et fiscale locale. Force est de constater que la réforme des lois de finances pour 2010 et 2011 est sur ce point, un échec. En revanche, la péréquation apparaît comme le moyen de régulation adapté pour les inégalités départementales et régionales actuelles. Cette régulation passe par une péréquation nationale performante. Pour ce faire, le législateur bénéficie d’un large éventail de formes péréquatrices, que nous analysons au prochain chapitre, et qui peuvent se combiner les unes aux autres.

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Longtemps privilégiée par le législateur, la péréquation financière verticale est désormais relayée par une péréquation fiscale horizontale de niveau national pour toutes les collectivités. Le revirement stratégique du législateur opéré par les lois de finances pour 2010 et 2011 démontre à la fois sa volonté de construire des péréquations en mesure de satisfaire ses grandes ambitions dans la réduction des disparités et sa volonté d’adjoindre à la fiscalité locale, un rôle péréquateur moteur (SECTION II), jusqu’alors confiné au sein de la dotation globale de fonctionnement attribuée par l’Etat (SECTION I). Les titres utilisés dans le récent rapport du Sénat sont, en ce sens, démonstratifs : « La péréquation verticale est-elle génératrice d’inégalités ? » et « Une péréquation horizontale encore trop peu développée ? ».

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SECTION I.

LA DOTATION GLOBALE DE FONCTIONNEMENT : UN INSTRUMENT