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Les formes de péréquation et les formes de solidarité

POSITIF DE LA PEREQUATION

B. L A PEREQUATION ET LA NOTION DE SOLIDARITE

2. Les formes de péréquation et les formes de solidarité

La péréquation horizontale est l’œuvre d’une solidarité entre collectivités de rang identique, exprimée par les contributions de collectivités « riches » au profit de plus « dépourvues » (contribution financière, fiscale ou partage de charges). Cette péréquation n’est pas reliée à une solidarité verticale car aucune collectivité de rang supérieur, ni l’Etat, n’interviennent dans les relations financières et/ou fiscales visées.

Il en est autrement pour la péréquation verticale, expression d’une double solidarité : une solidarité verticale entre l’Etat (ou une collectivité de rang supérieur) et une collectivité donnée, à laquelle s’ajoute une solidarité horizontale entre collectivités de même rang. Les dotations de péréquation inclues dans les dotations globales de fonctionnement en sont l’illustration. La péréquation y est qualifiée de verticale car elle s’exprime au travers d’un mouvement financier entre l’Etat et les collectivités. Ce faisant, cette péréquation répond à une solidarité horizontale puisque les collectivités les plus aisées, par solidarité au profit de leurs homologues moins pourvues, renoncent à toute ou partie de la dotation à laquelle elles peuvent prétendre si celle-ci est accordée par l’Etat de manière à n’avoir aucun impact sur les disparités locales.

Il existe également de nombreux dispositifs de péréquation « mixtes » qui allient, eux aussi, les deux formes de solidarité. A titre d’illustration, les anciens fonds de péréquation de la taxe professionnelle205 s’assimilent d’abord à des péréquations horizontales.

205 Les loi de finances pour 2010 et 2011 suppriment la taxe professionnelle et prévoient la fin des fonds de péréquation de la taxe professionnelle.

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L’approvisionnement du fonds par les départements entraîne néanmoins une forme de solidarité verticale. La péréquation devient mixte, à la fois verticale et horizontale. Tous les dispositifs mixtes sont l’œuvre d’une solidarité verticale et horizontale mais comme pour les dotations de l’Etat, la réduction des inégalités provient de la seule introduction d’une solidarité horizontale dans une relation verticale.

A l’inverse, aucun des deux types de solidarité n’est synonyme de péréquation. Par exemple, la solidarité financière et verticale peut être neutre ou avantager les collectivités les mieux pourvues. De même, l’intercommunalité est l’illustration d’une solidarité horizontale qui se traduit parfois par un accroissement des inégalités entre les communes de l’établissement public de coopération intercommunale [ou un effet nul]. Le regroupement intercommunal (EPCI) présente des avantages pour l’ensemble des communes membres mais les plus riches peuvent davantage réduire leurs charges par l’intermédiaire d’une gestion commune et moins coûteuse en matière de transports ou d’assainissement, dès lors qu’elles trouvent des intérêts maximums aux regards des dépenses précédemment engagées dans les secteurs mis en commun.

Dans son article sur « la problématique générale de solidarité financière territoriale »206, Amavi Kouevi tisse un lien étroit entre les formes de solidarité et les formes de péréquation. Par extension aux formes de péréquation développées par d’autres auteurs comme Jacques Blanc, Vincent Hoffmann-Martinot, Alain Guengant207…, il distingue les solidarités selon qu’elles prennent une forme active ou passive ; financière, fiscale ou quasi-fiscale ; à effet « latent » ou à effet « apparent ». Il ne s’agit pas, pour nous, de revenir sur ces formes de péréquation mais d’observer, qu’à l’instar des formes horizontales et verticales de la péréquation, elles entretiennent une forte connexion avec les formes de solidarité.

A contrario, toutes les solidarités s’expriment par d’autres dispositifs que ceux péréquateurs. Les solidarités actives et financières se traduisent par une dotation de l’Etat, péréquatrice ou non (dotation globale de fonctionnement ou dotation générale de

206 KOUEVI Amavi, « La problématique générale de la solidarité financière territoriale », La solidarité en droit public, L’Harmattan, Paris, 2005, p. 97 à 135.

207 Vincent Hoffmann-Martinot distingue les formes de péréquation passive et active, Alain Guengant développe le concept de péréquation intensive, Jacques Blanc isole les péréquations à effets péréquateurs latents…

décentralisation) ; la solidarité fiscale se traduit par une rétribution, péréquatrice ou non, des ressources (fonds de la cotisation sur la valeur ajoutée ou partage d’impôts entre l’Etat et des collectivités) ; la solidarité passive s’exprime par une redistribution, péréquatrice ou non, des charges (fait intercommunal)…

§ 2. L’

EVOLUTION DU PRINCIPE D

EGALITE FAVORABLE A LA PEREQUATION

Les idées de Montesquieu et des autres philosophes des Lumières influencent outre-Atlantique, les députés des treize colonies américaines qui, dès 1776, actent dans le Préambule de la Déclaration d’Indépendance des Etats-Unis d’Amérique que « tous les hommes sont créés égaux »208.

La Révolution française consacre cette égalité formelle dans tous les domaines de la société, y compris celui de la fiscalité. Le célèbre article premier de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen (DDHC) du 26 août 1789 érige en dogme l’égalité formelle : « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune »209. Le principe d’égalité est ainsi placé au même rang que celui de la liberté alors perçu comme le principe « maître » du droit français.

Cette déclaration a une portée universelle. Elle vise les hommes en règle générale, et non les seuls citoyens français. Elle s’inscrit d’emblée dans le droit, où pour la première fois, l’égalité juridique et l’égalité politique se trouvent liées par un même texte. L’article 6 de la DDHC proclame à la fois l’égalité politique : « la loi est l’expression de la volonté générale […] tous les citoyens ont droit de concourir personnellement ou par leurs représentants à la formation de la loi » et l’égalité juridique : « elle [la loi] doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse. Tous les citoyens, étant égaux à ses yeux, sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents »210.

Le principe d’égalité se retrouve dans la conception du système fiscal prévu à l’article 13 : « pour l’entretien de la force publique, et pour les dépenses d’administration, une

208 Déclaration d’Indépendance des Etats-Unis d’Amérique, 1776 : « Nous tenons pour évidentes pour elles-mêmes les vérités suivantes : tous les hommes sont créés égaux ; ils sont doués par le Créateur de certains droits inaliénables ; parmi ces droits se trouvent la vie, la liberté et la recherche du bonheur ».

209 Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, article 1er, 26 août 1789.

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contribution commune est indispensable ; elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ». L’égalité devant l’impôt, qui en découle, est une formule postérieure à la Révolution, apparue pour conceptualiser l’existence juridique du principe, née aux premières heures de la Révolution211. Le principe d’égalité devant l’impôt se matérialise par deux techniques fiscales : l’universalité et la proportionnalité.

Les Déclarations des Droits de la Femme et de la Citoyenne de 1791, des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1793 et des Droits et des Devoirs de l’Homme et du Citoyen de 1795 s’inscrivent dans cette continuité.

La déclaration de 1791 rappelle en son article premier le caractère général de l’égalité proclamée deux ans auparavant : « La Femme naît libre et demeure égale à l’homme en droits »212.

Les deux premiers articles de la déclaration de 1793 énoncent que « le but de la société est le bonheur commun », que « le gouvernement est institué pour garantir à l’homme la jouissance de ses droits naturels et imprescriptibles » et que « ces droits sont l’égalité, la liberté, la sûreté, la propriété ». Symbole majeur de la force reconnue à l’égalité, celle-ci apparaît avant la liberté. Les articles 3 à 6 reprennent les concepts de l’égalité politique définis auparavant, en déclarant aussi une égalité des hommes « par nature »213.

La déclaration de 1795 contenue dans la Constitution du 22 août 1795, insiste sur l’illégalité des principes et pratiques prérévolutionnaires : « l’égalité consiste en ce que la loi est la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse. L’égalité n’admet aucune distinction de naissance, aucune hérédité de pouvoirs »214.

La rupture est grande par rapport aux sociétés aristocratiques. Le rôle d’un individu dans la société n’est plus défini en fonction de sa naissance, mais sur la base de considérations plus justes comme ses mérites, ses vertus ou ses talents.

211 CAPORAL Stéphane, L’affirmation du principe d’égalité dans le droit public de la révolution française (1789-1799), Economica, Paris, 1995, p. 107.

212 OLYMPE DE GOUGE, Déclaration des Droits de la Femme et de la Citoyenne, article 1er, septembre 1791.

213 Article 3 : « Tous les hommes sont égaux par nature et devant la loi » ; Article 4 : « La loi est l’expression libre et solennelle de la volonté générale ; elle est la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse ; elle ne peut ordonner que ce qui est juste et utile à la société ; elle ne peut défendre que ce qui lui est nuisible » ; Article 5 : « Tous les citoyens sont également admissibles aux emplois publics. Les peuples libres ne connaissent d’autres motifs de préférences dans leurs élections que les vertus et les talents. ».

214 Constitution du 5 fructidor an III, Déclaration des Droits et des Devoirs de l’Homme et du Citoyen, article 3, 22 août 1795.

L’égalité est érigée dans tous les grands textes nationaux ou internationaux215 après la Révolution. Les Préambules des Constitutions françaises ne font pas exception à la règle216. Parmi tous les principes constitutionnels, le principe d’égalité devant la loi est, de loin, le plus invoqué devant le Conseil constitutionnel217. Comme le souligne un groupe d‘universitaires britanniques lors de sa visite au Conseil constitutionnel, « il faut y voir à la fois la conséquence de cette passion pour l’égalité qui caractérise la représentation française de la vie en société et le fait que ce principe trouve un multiple "ancrage" explicite dans le corpus constitutionnel »218.

Si le juge constitutionnel, de manière générale, assoupli le principe de l’égalité devant la loi (A), il existe des domaines dans lesquels le juge constitutionnel s’écarte de sa position habituelle (B).

A. L’

ASSOUPLISSEMENT CLASSIQUE DU PRINCIPE DE L

EGALITE FORMELLE

Le Conseil constitutionnel accepte des modulations au principe de l’égalité devant la loi, aux conditions qu’elles soient prises « pour des raisons d’intérêt général » et qu’elles soient « en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit ». Il n’hésite pas à rappeler, au législateur, ces obligations, dans un considérant célèbre : « Considérant que le principe d’égalité ainsi invoqué ne s’oppose pas à ce que le législateur déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général dès lors que les différences de traitement qui en résultent sont en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit »219.

Ce standard jurisprudentiel n’est pas sans rappeler ceux utilisés par les autres cours constitutionnelles européennes, nord-américaines ou par les cours supranationales, telles

215 Au niveau international, une large part est consacrée à l’égalité dans la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme du 10 décembre 1948, dans la Convention européenne des Droits de l’homme (Convention de sauvegarde des Droits de l’homme et des libertés fondamentales) du 4 novembre 1950 et dans la Charte européenne des Droits fondamentaux du 7 décembre 2000.

216 V. les Préambules des Constitutions de 1848, 1946 et 1958.

217 V. MELIN-SOUCRAMANIEN Ferdinand, Le principe d’égalité dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel, Thèse de doct. : droit public, Université Aix-Marseille III, 1996, 478 p. ; ROBERT Jacques, « Coopération francophone : Le principe d’égalité dans le droit constitutionnel francophone », Cahiers du Conseil constitutionnel, n°3, premier semestre 1997, p. 42 à 58.

218 Groupe d’universitaires britanniques, Le principe d’égalité, Exposé présenté lors de la visite au Conseil constitutionnel, Conseil constitutionnel, 18 septembre 2001.

219 En illustrations de nos écrits, v. les décisions suivantes : Conseil constitutionnel, décision n° 96-380 DC, 23 juillet 1996 ; décision n° 2007-550 DC, 27 février 2007, cons. 3, décision n° 2007-557 DC, 15 novembre 2007, cons. 8.

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que la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) et la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH).

Toutes insistent sur la mise en œuvre de la différenciation de traitement par des critères objectifs, raisonnables et pertinents au regard du but poursuivi. Le Conseil constitutionnel français hésite toujours à s’engager dans cette voie pour ne pas verser dans un « contrôle de proportionnalité » le conduisant à faire œuvre de législateur, mais à notre sens, son contrôle reste ainsi incomplet. A contrario, d’autres cours constitutionnelles européennes vérifient explicitement que le but poursuivi est légitime et recherchent si les conséquences attendues de la différenciation sont assez positives au regard du but poursuivi pour justifier une différenciation de traitement. Cette différenciation est d’autant mieux admise et la tentation du contrôle de proportionnalité d’autant mieux écartée si le but poursuivi est d’intérêt général et susceptible de se rattacher à une exigence constitutionnelle220.