• Aucun résultat trouvé

CHAPITRE QUATRIÈME CADRE MÉTHODOLOGIQUE

2. MÉTHODOLOGIE DE COLLECTE DES DONNÉES

2.2. Instruments de collecte de données

2.2.4. L’entrevue a posterior

Située après l’observation, l’entrevue a posteriori est plus délicate, car elle n’est pas préparée à l’avance. Elle dépend des comportements observés lors de la séance d’observation et des notes prises par l’observateur. Par conséquent, chaque entrevue a posteriori est distincte et unique; le meneur détient ainsi un plus grand degré de liberté, par opposition aux autres guides d’entrevues liées à ce dispositif de recherche particulier. Toutefois, les questions établies guident le sujet vers un objectif précis, soit la verbalisation de son action en situation du travail de

l’erreur. Celui-ci n’est donc pas libre de raconter tout ce qui lui vient à l’esprit ; le

meneur de l’entrevue doit respecter certaines contraintes qu’impose la technique de l’entretien d’explicitation de Vermersch.

16 Ces informations auront été recueillies lors de l’entrevue a priori (cf. supra, p. 154).

CHAPITRE QUATRIÈME

158

2.2.4.1. L’entretien d’explicitation de Vermersch

Vermersch a mis au point une technique d’aide à la verbalisation ou, plus précisément, une technique de « verbalisation consécutive assistée » (1990, p. 228). « On entend par « verbalisation » la production d’énoncé(s) en langue

naturelle. Ces énoncés ne sont pas spontanés : ils sont provoqués à des fins de recherche » (Caverni, 1988, p. 255). Le meneur de l’entrevue a la responsabilité

d’accompagner le sujet dans sa verbalisation précise du déroulement de sa conduite, c’est-à-dire la suite de ses actions matérielles ou mentales.

Ainsi, le questionnement détient un objectif de guidage, car il doit rester dans le domaine de l’observable, en même temps qu’un objectif de recueil de données. Pour réaliser un tel entretien, Vermersch précise que trois conditions doivent être respectées : l’entretien se déroule en référence à une tâche ou une situation effective, la tâche doit être spécifiée et l’interviewé doit être en évocation de son action18.

L’entretien d’explicitation cherche (…) à obtenir des verbalisations dont

il sera possible à des degrés divers d’établir la valeur de vérité. Cette validation sera possible parce qu’il existe une tâche de référence, une tâche que le sujet a effectivement réalisée, qui lui a pris un certain temps, qui l’a conduit à effectuer des actions mentales et/ou matérielles dans un certain ordre.

(1991, p. 65) Dans la présente étude, il s’agit d’amener le novice à être en évocation de son action, ou plutôt de son intervention, sur une erreur de division particulière. L’hypothèse à la base des travaux de Vermersch stipule que l’action est « l’expression la plus directive de la cognition réellement mise en œuvre par le

sujet »; elle offre un témoignage non conscient de l’activité intellectuelle (id.,

1990, p. 228). En s’appuyant sur les travaux de Piaget (1947), il mentionne que :

18 « Être en évocation c’est faire exister mentalement une situation qui n’est pas présente »

CHAPITRE QUATRIÈME 159

soit que ces connaissances sont devenues implicites (ou tacites) parce

qu’automatisées; soit qu’elles ne sont pas encore conscientisées parce que n’ayant pas encore fait l’objet d’une élaboration cognitive les organisant au niveau d’une conceptualisation.

(1990, p. 231) Soulignons que le cadre de ces entretiens n’est point évaluatif, mais un lieu d’explicitations. Vermersch considère les verbalisations consécutives comme « un

essai de conservation du lien privilégié existant entre l’action et la cognition »

(ibid., p. 229). En adoptant ce point de vue, nous pouvons affirmer que « l’exploitation de ces entretiens est pour nous le lieu de vérifier si,

immédiatement après sa réalisation de séquence didactique, [le sujet] a conscience « à chaud » des choix didactiques qu’il a effectués » (Portugais, 1995,

p. 120).

Nous recherchons plus particulièrement, dans ces entretiens, des traces pouvant confirmer l’existence de liens entre les intentions didactiques préalables (« j’ai prévu faire ceci aujourd’hui »), la réalisation effective (« il s’est passé ceci

à ce sujet ») et les anticipations pour la séance à venir (« la prochaine fois, je ferais plutôt… »). Le sujet est traité comme l’observateur de ses propres actions;

il verbalise des faits, il décrit. En restant dans le domaine de l’observable, l’intervieweur se voit obligé d’exclure les questions qui portent sur les processus intellectuels et les questions qui astreindraient l’interviewé à s’autojustifier (exemple : utilisation trop fréquente du terme « pourquoi »). Ceci est essentiel, car, selon Vermersch, « une part importante des mises en œuvre par le sujet dans

son action sont non conscientes » (1991, p. 66). Mentionnons toutefois que nous

n’avons pas ignoré les justifications verbales qui venaient « naturellement » chez le sujet interviewé (« j’ai fait ça, parce que… »). De telles justifications pourraient fournir des informations utiles permettant d’inférer, en partie, le schème spécifique au travail de l’erreur chez nos trois enseignants novices.

D’ailleurs, mentionnons que les affirmations et interprétations des sujets peuvent être prises en compte lorsqu’elles viennent compléter ou enrichir les

CHAPITRE QUATRIÈME

160

données obtenues par l’observation. Vermersch précise que même si ces déclarations s’associent plutôt au domaine de la représentation, elles peuvent « être prises pour les inférences qu’elles sont, et l’appréciation de leur validité

reposera – pour le chercheur – sur une confrontation avec les faits » (id., 1990, p.

232). Ainsi, nous pouvons tenir compte de ces énoncés, malgré le fait que leur présence ne détient qu’une valeur de validité limitée.

Au terme de ce bref survol des travaux de Vermersch, nous tenons à préciser que cette technique d’aide à la verbalisation est essentielle dans le cadre du présent projet. Elle nous aide à rendre compte du travail de conceptualisation réalisé par les nouveaux maîtres placés en situation d’intervention sur l’erreur.

Aucun observateur, qu’il soit psychologue ou non, ne peut observer des

processus cognitifs, tout simplement parce qu’il ne s’agit pas d’une réalité observable, mais d’un concept abstrait. Ce qu’il observe ce sont des actions, des traces, des verbalisations à partir desquelles il peut – en fonction d’une théorie – formuler des inférences sur l’existence, la nature, les propriétés du processus cognitif. Il ne s’agit pas d’une perception, mais d’une conceptualisation.

(id., 1991, p. 67) En nous appuyant sur la théorie des champs conceptuels et sur un dispositif de recherche combinant des séances d’observation et des entretiens d’explicitation, il nous est possible de décrire comment l’enseignant débutant organise son travail de l’erreur et, du fait même, mobilise des connaissances spécifiques à cette activité enseignante19. L’entrevue a posteriori est donc conçue et mise en place dans ce but précis.

19 Grâce à ce travail analytique, il nous sera possible, par la suite, de témoigner des mécanismes

conceptuels qui sous-tendent l’activité du maître novice (assimilation / accommodation) et ainsi d’inférer le schème-travail de l’erreur.

CHAPITRE QUATRIÈME 161

2.2.4.2. L’entrevue a posteriori : un instrument construit en fonction de la séance d’observation

L’instrument utilisé pour l’entrevue a posteriori constitue une grille vide, construite à l’avance, sur laquelle l’observateur / intervieweur inscrit les questions qu’il compte poser à l’enseignant. Ces dernières sont composées, dans un court laps de temps, entre la séance d’observation et l’entrevue a posteriori. L’entrevue

a posteriori a toujours lieu la même journée que la séance d’observation, car il

s’agit d’une entrevue d’explicitation consécutive à l’action. Elle est effectuée dans un délai, le plus rapide possible, soit habituellement 15 à 30 minutes après la séance d’observation. Rappelons au lecteur que le dispositif de recherche est ancré dans le milieu pratique de l’enseignement primaire et doit conséquemment s’adapter aux contraintes de cet environnement. Par conséquent, ce délai peut varier de 15 à 75 minutes.

Afin de l’aider à structurer correctement ses questions, l’intervieweur détient une brève liste de demandes, telles que construites par Vermersch (1991). Voici quelques exemples de ces questions20 :

Par quoi avez-vous commencé?

Comment saviez-vous par quoi commencer? Et ensuite qu’avez-vous fait?

À quoi avez-vous reconnu que c’était terminé?

Comment saviez-vous qu’il n’y avait plus rien à faire?

De quoi est-ce que vous vous rappelez quand vous ne vous rappelez pas?

De toute évidence, aucune validation de l’instrument ne peut être effectuée et sa durée est variable.

L’entrevue a posteriori revêt une importance majeure dans le cadre de ce projet portant sur le travail de l’erreur chez les nouveaux maîtres; elle permet au sujet d’évoquer « à chaud » les actions posées lors de la séance d’enseignement

20 Le lecteur trouvera, à l’annexe VII, une liste de toutes les questions posées à nos sujets lors de

CHAPITRE QUATRIÈME

162

observée. En effectuant un retour sur l’action, cet entretien permet au chercheur de valider ses interprétations des choix, décisions et actions observées précédemment. Cet outil est nécessaire afin de retrouver, dans le discours d’explicitation de l’enseignant débutant, des traces ou repères qui, lorsque combinés aux données obtenues par les séances d’observation, indiquent la présence d’un schème, construit ou en évolution, concernant le travail de l’erreur.

Il est également possible que le chercheur remarque des discordances entre ses observations et les déclarations du nouveau maître concernant son travail de l’erreur. Pour cette raison, nous tenons compte de l’ensemble des informations recueillies par le biais de ce va-et-vient entre les séances d’observation et les entretiens, afin d’obtenir des résultats qui offrent des informations sur le travail de conceptualisation effectué par le nouvel enseignant. Ce procédé d’analyse, présenté plus loin dans le présent chapitre (cf. infra, p. 178), s’effectue par croisement et rapprochement entre les données recueillies aux différentes étapes.