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L’ENTRAIDE ET LA SOLIDARITÉ

Les aspects psychosociaux

L’ENTRAIDE ET LA SOLIDARITÉ

SECTION 6

Les offres d’aide émergeant d’un mouvement de solidarité communautaire ou sociale peuvent pallier le manque de ressources des réseaux personnels.

Par exemple, à cause de l’étendue du territoire touché par la tempête de pluie verglaçante, on suppose que dans plusieurs cas, des réseaux sociaux complets étaient sinistrés. La solidarité s’exprime d’abord et avant tout au sein des réseaux interpersonnels mais, lors de crises d’envergure, il est fréquent que des initiatives de solidarité sociale et d’aide humanitaire naissent spontanément pour offrir aux victimes des secours diversifiés. Ces expériences ont toujours quelques caractères communs avec l’entraide des réseaux personnels, mais avec les traits spécifiques de la dynamique de secours qui met en contacts plus ou moins directs des inconnus.

« Une solidarité jamais connue auparavant s’installe dans le milieu. Des offres pour venir en aide à nos sinistrés nous parviennent de Béthanie, paroisse voisine, qui est épargnée de la tempête, pour de l’hébergement, pour la lessive ou pour que les gens puissent prendre une douche. Les mots manquent pour exprimer une telle communion entre les citoyens de notre population54».

Au moment du sinistre, on a été témoin d’initiatives proposées par les gens du Saguenay qui, victimes l’année précédente de graves inondations, ont voulu exprimer leur reconnaissance pour l’aide reçue de gens de l’extérieur. Il s’agissait, pour eux, d’une manière de renvoyer l’ascenseur, dans la mesure de leurs moyens. La générosité, même à l’échelle d’une société entière, se nourrit de ces expressions spontanées de reconnaissance pour ce qui a été donné antérieure-ment : on retrouve en ces gestes une des premières motivations des bénévoles.

En ce sens, la solidarité sociale offre l’occasion d’exprimer un certain sentiment d’appartenance à un ensemble plus vaste que celui des relations interpersonnelles. Ainsi, l’appartenance au groupe ne suppose pas nécessairement que les acteurs en présence se connaissent personnellement. C’est pourquoi, à la différence de l’entraide des proches, l’expression de la solidarité sociale exige l’intervention d’un intermédiaire entre l’offre et la demande. À cause du rôle de l’intermédiaire, la gestion de cette solidarité a tendance à se rapprocher du mode de distribution de services publics. Il s’agit cependant toujours d’un mouvement libre et spontané, qui ressemble beaucoup à l’aide en provenance des réseaux personnels.

L’utilisation de ces ressources par les sinistrés passait principalement par quatre voies ou quatre types de ressources :

• des organismes reconnus, préexistant au sinistre ;

• des bénévoles, dans le cadre des services à la population organisés par les autorités publiques ;

• des groupes spontanés de bénévoles ;

• de purs inconnus faisant des offres directes.

54. Municipalité du village de Roxton Falls, mémoire présenté à la Commission scientifique et technique [verglas de janvier 98], 1998, 27 p.

6.1 L’aide des organismes reconnus

Les ressources d’organismes préexistant au sinistre pouvaient s’intégrer à la distribution de services organisés par les autorités publiques. C’est le cas, par exemple, de la redistribution de l’argent recueilli lors de collectes. Certains organismes offraient en outre des services directs.

Hormis les cas déjà cités, comme celui du Saguenay, où d’anciens sinistrés ont trouvé ici une occasion de remettre en partie l’aide reçue des autres, on sait que l’offre d’aide à l’échelle sociale repose rarement sur des rapports de réciprocité. Mais elle peut s’appuyer sur une histoire antérieure de services rendus. C’est le cas, par exemple, pour les organismes qui desservent certaines populations vulnérables. Dans l’enquête, on a notamment observé que les personnes handicapées pouvaient s’attendre à une offre d’aide de la Croix-Rouge, comme de certains services publics d’ailleurs ; elles savaient déjà où s’adresser pour demander une aide adaptée à leurs besoins particuliers.

Par ailleurs, l’enquête téléphonique a révélé que peu de sinistrés ont profité directement du support de la Croix-Rouge ou d’autres organismes communautaires (4 % en moyenne, 15 % dans le « triangle de glace »). Le fait que l’aide ait transité par plusieurs instances, par exemple par le biais des autorités municipales, explique peut-être la visibilité relativement faible de l’apport de ces organismes.

La durée et l’ampleur du sinistre semblent être parmi les facteurs les plus déterminants dans le recours à différentes formes d’assistance communautaire ou publique. L’analyse des données de l’enquête téléphonique révèle en effet que les demandes pour obtenir du bois de chauffage, des dons de la Croix-Rouge ou d’autres organismes communautaires, des compen-sations financières ou des visites à domicile sont beaucoup plus fréquemment mentionnés chez les sinistrés à long terme. Ainsi, 21 % des gens privés de courant pendant quatre semaines ou plus ont déclaré avoir profité de dons de la Croix-Rouge ou d’autres organismes alors que ceux pour qui la panne a duré moins longtemps, de 7 à 13 jours, ne sont que 7 % à le mentionner.

6.2 Le bénévolat dans le cadre des services organisés

Dans le premier cas, il s’agit essentiellement du travail des bénévoles mis à contribution dans des services organisés par les municipalités: centres de services aux sinistrés, transport, distribution de denrées ou compensations financières, etc. Ici, les bénévoles se mêlaient aux professionnels et les sinistrés n’ont pas eu à demander cette aide ; elle leur a été offerte dans le cadre des services.

Les bénévoles, bien qu’ils aient eu des contacts directs avec les sinistrés, n’ont pas nécessairement établi des liens privilégiés avec eux. Les autorités jouaient ici le rôle d’intermédiaire et étaient responsables de leur apport. Bien que ce soit le type de solidarité qui se rapproche le plus de la distribution de services et que les bénévoles y soient mêlés aux professionnels, les sinistrés ont reconnu très clairement leur travail spécifique.

Tableau 7

Les aspects positifs dominants du sinistre du verglas

Aspects mentionnés %

Solidarité avec la communauté 25,0

Rapprochement avec la communauté 10,0

Rapprochement avec la famille/amis 8,0

Nécessité d’être mieux préparé 7,0

Expérience nouvelle/personnelle 5,0

Prise de conscience du confort 4,0

Solidarité entre proches 2,0

Débrouillardise 2,0

Bonne organisation du gouvernement 2,0

Bonne organisation personnelle 1,0

Positif - Hydro-Québec 1,0

Information 1,0

Expérience nouvelle/collectivité 1,0

Me reposer 1,0

Disponibilité du chauffage d’appoint 1,0

Pas de problème majeur 1,0

Beauté du paysage 0,5

Travailler davantage 0,4

Autre aspect positif 3,0

Aucun 3,0

Ne sait pas/ne répond pas 23,0

Nombre de répondants 2 112

Dans l’enquête téléphonique, la solidarité sociale est ce qui ressort comme le côté positif le plus important du sinistre, bien que les bénévoles soient souvent oubliés dans la gestion des sinistres. Parmi les personnes interviewées dans ce sondage, 13 % ont mentionné avoir fait du bénévolat durant le sinistre. Dans les entrevues, comme dans les mémoires présentés aux audiences, le travail des bénévoles est presque toujours souligné comme l’un des aspects les plus marquants du sinistre et pour lequel on tient à exprimer de la reconnaissance. Autant l’aide des proches est perçue comme quelque chose de normal, autant celle offerte par des inconnus étonne et ravit.

Par ailleurs, l’exemple d’une collecte de denrées organisée par un citoyen de la petite municipalité de Palmarolle, en Abitibi, illustre la situation incertaine de l’individu initiateur d’entraide et la nécessité d’obtenir la reconnaissance d’un organisme chapeautant les élans personnels.

Le statut d’initiateur d’entraide...

À la suite d’un reportage télévisé, où un résident sinistré parlait des besoins en bois et en denrées non périssables, un citoyen de Palmarolle, jeune entrepreneur en aménagement paysager, décidait de faire sa part. Aidé de sa famille, de ses amis et d’un de ses employés, il utilise les camions de son entreprise pour organiser une collecte de denrées à travers les rues de la municipalité. À l’un de ses amis, propriétaire d’une station-service, il demande une commandite sous forme de plein d’essence. À sa mère, une représentante Avon, en relations avec les gens du coin, il demande de contacter un client ou une connaissance par rue, pour que cette personne avertisse les voisins de la collecte de denrées.

Ainsi, beaucoup de monde avait été avisé de préparer leurs dons dans des boîtes qu’on viendrait chercher directement chez eux.

Or, certains citoyens ont manifesté des réticences à donner des biens à un individu non parrainé par un organisme officiel, même si ce dernier, bien connu dans son milieu, participait déjà aux activités municipales. Jean – nom fictif – a donc fait une demande de parrainage, auprès de son Club Optimiste ainsi que de la Croix-Rouge, pour collecter des dons en argent. À la suite de cette

« régularisation » de son statut d’initiateur d’entraide, en une journée, il parvint à organiser une cueillette de denrées et d’argent à laquelle, finalement, les résidents de Palmarolle ont participé en très grand nombre. Tous les dons amassés ont été acheminés à un centre de la Croix-Rouge, situé à La Sarre.

Cette initiative individuelle a fait boule de neige dans la région. Le Club Optimiste a poursuivi la collecte dans les rangs de la municipalité.

6.3 L’aide des groupes spontanés de bénévoles

Chaque type de sinistre crée des besoins d’aide différents. Des groupes de citoyens peuvent spontanément se former pour y répondre. Comme l’a déjà souligné la documentation et selon les entrevues, des individus commencent généralement par se regrouper pour se rendre mutuellement service – c’est le propre de la corvée –, puis offrent les services du groupe à leur communauté.

On a vu ainsi s’organiser des visites à domiciles, des corvées de ramassage de branches cassées, de déglaçage des toits, de pompage de l’eau des sous-sols inondés.

Nombreux ont été les citoyens à réagir activement aux événements qui venaient perturber leur quotidien et plusieurs ont offert leur temps, leur argent, leur savoir-faire pour améliorer la réponse aux besoins des sinistrés. Par exemple, environ 200 bénévoles de l’Éco-quartier Étienne Desmarteaux ont travaillé avec le Club optimiste Mont-Rose pour dégager les rues et les trottoirs jonchés de branches55. Plusieurs mémoires et présentations à la Commission ont souligné les multiples rôles joués par les bénévoles, ainsi que la diversité de l’aide offerte par les résidents de l’extérieur.

55. Martine FREGEAU, « L’héritage de la tempête de verglas. Un mouvement d’entraide anime tout le quartier » dans Journal Rosemont(mardi 20 janvier 1998), p. 3.

« Les bénévoles étaient intégrés aux équipes, selon leurs forces et selon les besoins. Ainsi, une équipe a été constituée pour livrer le bois, une pour déglacer les toits, une pour vidanger les sous-sols, une pour trouver des génératrices pour les exploitations agricoles, etc.56».

« La solidarité s’est aussi exprimée à travers les nombreuses offres de service, de bénévolat et d’hébergement provenant des régions épargnées à l’endroit des populations sinistrées. Pour nos établissements, la solidarité s’est traduite par l’envoi de personnel d’autres régions afin d’éviter l’épuisement et d’assurer une relève compétente57».

Offrir ses services à la communauté peut, en soi, être considéré comme une façon de canaliser les énergies de personnes condamnées à l’inactivité à cause du sinistre. Cela répond à un souci altruiste de s’impliquer dans sa communauté et, au besoin, de se trouver des repères, de faire échec à la désorientation.

« Le fait de fournir un refuge et des repas pour autant de personnes et dans un si bref délai fut un grand accomplissement que l’on doit attribuer dans une large mesure aux efforts de milliers de bénévoles dévoués qui ont travaillé sans relâche à répondre aux besoins de leurs concitoyens58».

Envisagée sous l’angle d’une stratégie d’adaptation à la crise, après celles de la normalité quotidienne, de l’autonomie et de la fête, l’action bénévole improvisée ou organisée semble avoir fourni un cadre qui se prêtait aux débordements individuels. Les bénévoles savaient que leur emploi du temps avait un sens, mais ils abandonnaient souvent tout effort de le maîtriser, ne serait-ce que leur temps de sommeil. On rencontrait trois catégories de bénévoles : des non-sinistrés, des adultes sans responsabilités familiales et ceux pouvant déléguer les leurs à quelqu’un d’autre. En fait, plusieurs femmes ont assumé seules, à la maison, les conséquences du sinistre, pendant que leur conjoint passait son temps à dépanner des voisins, à « rebrancher » des génératrices, à faire des rondes de sécurité dans un centre d’hébergement, à véhiculer des personnes âgées, à organiser la distribution de nourriture, etc.

6.4 L’aide des inconnus

Le sinistre du verglas a donné lieu à une manifestation d’aide directe entre inconnus : celle de l’offre d’hébergement à domicile, disponible par un numéro de téléphone spécial diffusé par les autorités publiques.

L’enquête téléphonique ainsi que le mémoire présenté à la Commission par la Ville de Montréal ont montré la faible popularité de ces offres anonymes. Comme d’autres manifestations de solidarité, elles sont nées d’initiatives spontanées, ont été reprises par des autorités publiques pour être encadrées. L’offre de cohabitation émanant d’inconnus respecte difficilement certaines

56. Commission scientifique et technique [verglas de janvier 98], compte rendu des audiences publiques du 4 juin 1998 (intervention du maire de la paroisse de Saint-Urbain-Premier).

57. Association des CLSC et des CHSLD du Québec, mémoire présenté à la Commission scientifique et technique [verglas de janvier 98], 1998, p. 19.

58. Députés de l’Ouest-de-l’Île de Montréal, mémoire présenté à la Commission scientifique et technique [verglas de janvier 98], 1998, p. 19.

des règles habituelles du don entre inconnus : distance respectueuse avec possibilité de retrait, tant du côté du « donneur » que du « receveur », préférence pour une aide de courte durée, ou du moins d’une durée bien définie, présence d’un intermédiaire qui ne fait pas seulement coïncider l’offre et la demande, mais qui assure que le receveur ne sera pas trop directement dépendant du donneur.

Étant presque assurés que l’aide reçue ne trouvera pas l’occasion d’être rendue, ceux qui se voient offrir de l’aide de la part d’inconnus émettent des réticences à l’accepter ; on ne veut pas se sentir directement redevable envers des gens qu’on ne connaît pas. Le peu d’empressement à aller s’installer chez des étrangers, parfois loin de chez soi, illustre bien cette crainte de dépendance à l’autre, renforcée ici par la peur de vivre des différends à propos des banalités de la vie quotidienne59.

Accepter l’offre d’hébergement d’inconnus ne signifie pas non plus qu’on va apprécier son geste et en bénéficier le temps voulu. Il faudra peut-être se chercher à nouveau un autre hébergement. Même dans les conditions précitées, certains ont refusé une offre directe, comme il a été mentionné en entrevue, parce qu’ils craignaient de ne pas pouvoir revenir en centre de services aux sinistrés – de perdre leur place – si les choses tournaient mal.

Les gens ont donc évalué les avantages et les inconvénients des différents modes d’hébergement ; parmi les options possibles, l’hébergement chez des inconnus a constamment été placé en fin de liste.

« Ma fille m’avait dit de venir à Trois-Rivières. Ils offrent l’hébergement, il y a des motels. Ils offrent le gîte gratuitement... Mais, on ne se voyait pas partir.

Je voulais rester pour mes chats, puis la maison. Si on avait vraiment été en difficulté, on serait partis60».

Opter pour l’installation chez des inconnus par le biais d’un simple appel téléphonique doit présenter beaucoup d’avantages pour compenser la crainte de la cohabitation, le déplaisir de la dépendance et l’éloignement du domicile. Pour les jeunes adultes en congé, sans responsabilités domestiques ou familiales, l’expérience était perçue comme une aventure, une occasion de voyage même. Dans les cas relatés, ces expériences ont été vécues en groupe.

Mais, pour la plupart, peu de sinistrés ont accepté d’être hébergés chez des inconnus, d’où la faible utilisation de la ligne 1 800 636-AIDE.

59. Commission scientifique et technique [verglas de janvier 98], compte rendu des audiences publiques du 13 août 1998 (intervention de la directrice par intérim du CLSC du Richelieu). La présentation réfère au fait que la cohabitation et la promiscuité avec des inconnus ont contribué à l’éclatement de nombreuses crises familiales.

60. Commission scientifique et technique [verglas de janvier 98], Enquête par entrevues semi-dirigées avec des personnes ayant été sinistrées (une résidente en milieu rural), 1998.