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Des réactions diverses

Les aspects psychosociaux

L’IMPACT PSYCHOSOCIAL DU SINISTRE

3.3 Des réactions diverses

3.3.1 Les réactions des jeunes

Les jeunes enfants, de 6 ans ou moins, constituent un groupe particulièrement fragile lors de sinistres : habituellement, ils n’ont pas la capacité de bien comprendre les événements et les bouleversements engendrés. Ils manifestent à l’occasion des comportements de régression (énurésie, pleurs, cauchemars), des troubles du sommeil et des problèmes de comportement. Ils éprouvent des peurs reliées aux conditions météorologiques et deviennent colériques, confus ou agressifs. On observe également de l’irritabilité, de la désobéissance, de la dépression, des maux de tête et des problèmes auditifs et visuels.

Les enfants de 6 à 12 ans peuvent à leur tour éprouver des sentiments de crainte et d’angoisse, mais ils sont en mesure de mieux comprendre la situation. Quelques-uns vivent par ailleurs des craintes imaginaires, sans lien avec la situation traumatisante. La perte de biens que l’enfant affectionne particulièrement, un animal par exemple, se vit difficilement.

En entrevue, le fait que l’enfant exprime des angoisses pour son animal domestique a permis aux adultes de percevoir les modifications de l’état émotionnel. Sans ce facteur, les commentaires sur les sentiments des enfants sont moins précis. L’importance des animaux est ressortie surtout à propos des enfants qui avaient peur de voir mourir leur chat, qui s’en ennuyaient beaucoup ou qui trouvaient un grand réconfort à le revoir.

32. Ibid.

Les réactions des enfants ont influencé les décisions des parents quant à savoir s’il fallait aller dans une famille avec enfants ou laisser le leur chez ses amis. Il semble que les jeunes privés de relations avec des personnes de leur âge lors du sinistre se sont montrés plus maussades ou plus capricieux.

La plupart des adultes n’ont noté que peu d’effets chez les enfants, si ce n’est un besoin d’attention un peu plus important ou un ennui lié à la privation de télévision. Pour les enfants, le sinistre du verglas semble avoir été vécu comme des vacances ou une « aventure de cam-ping », un peu ennuyeuse parfois, mais pas suffisamment dramatique pour dépasser leurs capacités d’adaptation.

« Les enfants? Eux, ils ont pris le verglas comme une partie de plaisir33».

Cependant, il ne faut pas oublier qu’ils ont dû absorber, dans bien des cas, les contrecoups de l’irritabilité de leurs parents, fatigués ou dépressifs :

« Ce sont mes enfants qui m’ont fait remarquer à quel point j’étais agressive. C’est là que j’ai compris puis, je suis allée voir mon docteur qui m’a dit que j’étais au bord de la dépression34».

La présentation en audiences du Regroupement des Centres de la petite enfance de la Montérégie (RCPEM) a mis en évidence le fait que les enfants retournés en garderie après le sinistre ont montré d’importants signes de fatigue. L’enquête de la Commission révèle aussi qu’il a été difficile pour les jeunes enfants de retrouver la garderie ou la gardienne après avoir vécu continuellement avec leurs parents pendant les vacances de Noël, puis pendant le sinistre. La représentante du RCPEM rappelle le fait que lorsque qu’une rupture d’union a suivi le verglas, les enfants ont eu tendance à associer les deux événements. Par ailleurs, si les parents rencontrés en entrevue ne semblent pas avoir noté de réactions particulières chez leurs enfants, ils ont beaucoup anticipé l’inconfort qu’ils pouvaient ressentir car c’est surtout en fonction du bien-être de ceux-ci qu’ils ont réagi aux conséquences du verglas.

Chez les adolescents, la situation est différente. Ils peuvent ressentir des craintes si leur famille et leurs amis sont menacés. Leurs réactions ressemblent à celles des adultes, mais il risquent d’être plus susceptibles, de se replier sur eux-mêmes et de s’isoler, de souffrir de difficultés affectives et de problèmes de sommeil. Les difficultés les plus fréquemment observées chez les adolescents lors du sinistre ont été l’ennui et la solitude liés à l’isolement de leurs pairs et à la perturbation de leurs activités. On a constaté que les adolescents ont eu tendance, avec le temps, à sortir davantage que les adultes pour retrouver leurs pairs. Les pré-adolescents, dans les centres d’hébergement, étaient souvent mis en situation d’imiter des comportements nouveaux, comme fumer la cigarette, ce qui indisposait les parents. Ces derniers s’inquiétaient aussi pour les jeunes filles :

« Ma fille était une des plus vieilles du groupe de jeunes. Se faire regarder comme un morceau de viande. C’est vrai elle se faisait regarder. C’était bien contrôlé mais on ne peut pas tout voir. Ça pouvait devenir dangereux pour elle35».

Une fois le sinistre terminé, personne n’a cependant fait allusion à des réactions particulières des adolescents.

33. Ibid., (une résidente du « triangle de glace »), 1998.

34. Ibid.

35. Ibid., (un résident du « triangle de glace »), 1998.

3.3.2 Les réactions des adultes

Chez les adultes, les principales réactions à un sinistre correspondent généralement à l’anxiété, à la dénégation, au sentiment d’impuissance, à la culpabilité, au sentiment de vulnérabilité, au deuil, à des craintes ou des phobies et à la dépression.

Physiquement, on observe des pertes d’appétit, des troubles du sommeil, des maux d’estomac et des maux de tête, une diminution de la libido de même qu’un affaiblissement du système immunitaire. Certaines personnes ont de la difficulté à prendre des décisions, à se concentrer ou à s’organiser. Quelques-unes souffrent de solitude, se replient sur elles-mêmes, augmentent leur consommation de tabac, d’alcool ou de drogue, deviennent inaccessibles envers ceux qui les entourent, alors que d’autres parlent sans arrêt.

En général, la propension à connaître une détresse émotive a été plus forte chez les femmes que chez les hommes, comme l’a montré l’enquête réalisée par la RRSSS de la Montérégie à la suite du verglas. Selon cette enquête, les femmes, les personnes d’âge moyen (25-64 ans), les personnes mariées ou vivant en union de fait et les personnes ayant des enfants sont celles qui présentent l’indice le plus élevé de détresse émotive.

Dans les entrevues, les symptômes de détresse psychologique ont le plus souvent été mentionnés par ceux qui avaient à vivre leur état de sinistré tout en ayant à assumer des responsabilités liées à la présence d’enfants à charge ou à celle d’autres sinistrés, à se préoccuper de dommages subis par leur résidence ou de l’augmentation de leur charge de travail. Les jeunes adultes se sont parfois trouvés pour la première fois en situation de responsabilité à l’égard de leurs parents âgés, comme cette jeune femme qui a accompagné sa mère en centre de services aux sinistrés et l’a aidée lorsqu’elles ont appris que la panne durerait encore deux semaines :

« Puis ma mère, en tout cas, qui a tellement de sang-froid, elle a perdu son sang-froid. Puis là, ça a été un autre moment dur. Mais, je me suis dit que ça ne m’ébranlerait pas, moi, mais... bien, pas pour me faire pleurer mais ça m’a secouée. Pour la première fois de ma vie, j’ai vu ma mère pleurer. Elle a paniqué.

C’est la première fois de ma vie que je la vois sans ressource.... Je ne savais plus comment réagir36».

Selon les résultats de l’enquête téléphonique, plus les familles avaient d’enfants, plus elles étaient susceptibles de vivre des tensions et des conflits durant cette période. Les sinistrés avec enfants hébergés hors de chez eux ont vécu plus de problèmes d’intimité et ont parfois senti qu’ils dérangeaient leurs hôtes. L’enquête téléphonique confirme par ailleurs le fait que les familles monoparentales viennent en tête de liste par rapport au problème de stress (48 %, par rapport à 33 % pour les autres types de ménages). À la condition de sinistré et aux responsabilités familiales, se sont souvent ajoutés un sentiment d’isolement et une impression de solitude difficile à supporter.

Par ailleurs, les ménages monoparentaux ont éprouvé plus de problèmes relatifs à l’argent, à la garde d’enfants, aux cauchemars et au stress que le reste de la population.

36. Ibid., (une résidente du « triangle de glace »), 1998.

3.3.3 Les réactions des personnes âgées

On observe chez les personnes âgées à peu près les mêmes réactions que celles décrites chez les adultes en général. Lorsqu’elles doivent quitter leur maison ou qu’elles risquent de ne plus retrouver leurs biens, elles ressentent un fort sentiment de perte, puisque, pour plusieurs, ils s’agit du fruit du travail de toute une vie.

Cependant, les diverses sources d’information sur la situation vécue par ce groupe durant la période du verglas présentent des résultats parfois contradictoires. L’enquête téléphonique, par exemple, suggère que les personnes âgées de 65 ans et plus ont été moins touchées que le reste de la population face à l’inconfort lié à la cohabitation mais qu’elles ont rencontré divers problèmes pratiques ou psychologiques.

Certains mémoires présentés à la Commission ont fait état de la situation de plusieurs répondants de cette catégorie qui ont subi une perte marquée d’autonomie durant cette période.

Quelques personnes âgées hébergées en institution durant le sinistre ne voulaient plus rentrer chez elles par la suite.

« ...des personnes âgées disaient que [dans les centres d’hébergement]

finalement, on mange mieux que chez nous37».

Ces dernières ont dû recevoir une aide particulière pour faciliter leur retour à domicile.

Les entrevues ont souvent permis de recueillir les commentaires de personnes d’âge moyen, en relation avec leurs parents ou d’autres personnes âgées durant le verglas. On a constaté que ces

« aidants » ont vécu de façon aiguë la fatigue engendrée par la surveillance accrue et la prise en char-ge de l’approvisionnement en produits de première nécessité et en bois de chauffachar-ge, notamment.

En effet, parce que ces corvées obligeaient à monter et descendre les escaliers, porter des charges, les personnes âgées ont parfois réagi de façon passive et démontré de la dépendance :

« Ma mère est assez autonome, mais pas débrouillarde. Là, c’était pire qu’une enfant. Elle ne bougeait pas. Elle voulait rester chez elle, à geler. Elle était vraiment déboussolée et dépendante38».

Malgré l’impact négatif sur leur santé physique, des gens du troisième âge ont accueilli leurs proches ; ils y ont trouvé la double satisfaction d’être autonomes et utiles pour les plus jeunes :

« Le grand-père s’est équipé d’une grosse génératrice. La maison va marcher au complet, les téléviseurs, les vidéos. Ça veut dire qu’il a aimé l’expérience, puisqu’en posant ce geste-là il nous a dit que, si jamais il manquait quoi que ce soit, il allait être là et qu’on pouvait venir à la maison39».

Les couples retraités autonomes et de milieu aisé ont généralement été hébergés quelques jours chez leurs enfants, une petite période à l’hôtel ou chez des amis. Ceux-là ont pu prendre les choses avec plus de philosophie : ils ne dérangeaient pas longtemps, ils avaient le plaisir de voir leurs enfants et vivaient à un rythme de vacances.

37. Ibid.

38. Ibid.

39. Ibid., (un résident du « triangle de glace »), 1998.

3.3.4 Des vulnérabilités particulières

L’âge n’est pas le seul facteur de vulnérabilité psychosociale. Le mémoire de l’Ordre des psychologues du Québec40mentionne qu’il faut notamment considérer la santé des personnes touchées par le sinistre, leurs habitudes de vie et leur personnalité, de même que l’assistance disponible.

Par exemple, les immigrants récents sont parfois perçus comme un groupe vulnérable parce qu’ils sont susceptibles de connaître une situation d’isolement importante. Ceux d’entre eux qui ont participé à l’enquête semblaient effectivement avoir des réseaux personnels très restreints et vivaient dans des immeubles plutôt anonymes. Pour eux, le stress de la désorganisation et de l’incertitude était fortement lié au manque d’argent, à leur incertitude ou à leur incapacité à surmonter financièrement le sinistre.

Les personnes ayant des problèmes de santé mentale ou celles qui souffrent de perte de capacités physiques sont aussi perçues comme plus fragiles aux situations stressantes. Mais ces dernières ont parfois, plus que le reste de la population, l’habitude et la capacité de déterminer leurs besoins et de s’entendre avec ceux qui dispensent les services. Cet état de fait a été vérifié lors des entrevues avec des responsables de l’accueil aux personnes qui présentent des handicaps physiques ou intellectuels.

« Moi, j’ai un peu plus d’avantages. Je me prépare pour les situations comme ça, d’avance. Avec une famille d’accueil, avec des personnes ayant des déficiences intellectuelles, on a besoin de vraiment se préparer41... ».

Selon l’enquête téléphonique, les ménages dont un des membres présentait des problèmes de santé ont vécu plus de situations d’inconfort et divers problèmes, dont du stress, durant la période du verglas. Le mémoire présenté à la Commission par l’Association des hôpitaux du Québec (AHQ) a rappelé que les personnes les plus vulnérables aux impacts d’une panne d’électricité sont sans doute celles qui vivent, au moment du sinistre, dans les établissements de santé ou les personnes en situation de maintien à domicile. L’enquête téléphonique a aussi révélé que les travailleurs connaissant une situation d’emploi précaire ont été plus nombreux à déplorer des problèmes de stress importants, comparativement aux autres.

En audience, certains ont aussi mentionné le stress particulier vécu par les agriculteurs.

Interrogé sur les manifestations de stress observées chez les producteurs agricoles, M. Hébert a raconté que certains producteurs, ne pouvant laisser leur génératrice sans surveillance, ont à peine dormi deux heures par nuit pendant un mois.42

En général, selon les données du sondage de la Commission et les mémoires présentés par les CLSC, le bilan des impacts psychosociaux après le verglas n’apparaît pas aussi lourd qu’après une catastrophe qui aurait provoqué beaucoup de dommages matériels ou qui aurait entraîné de nombreuses pertes de vies humaines. Retrouver son milieu presque intact après le sinistre favorise un retour rapide à la vie normale. Mais il faudra voir comment l’arrivée du froid, à la fin de l’automne 1998, ravivera certaines des peurs, des craintes et des angoisses des sinistrés du verglas de janvier.

40. Ordre des psychologues du Québec, op. cit., note 22.

41. Commission scientifique et technique [verglas de janvier 98], Enquête par entrevues semi-dirigées avec des personnes ayant été sinistrées (un résident en milieu rural), 1998.

42. Commission scientifique et technique [verglas de janvier 98], compte rendu de l’audience publique du 16 juin 1998 (intervention d’un représentant du syndicat UPA de Saint-Rémi).

Pour beaucoup, le sinistre a été perçu comme une occasion de croissance personnelle.

Plusieurs ont noté des impacts positifs, notamment le renforcement de la capacité à protéger sa famille, le renforcement du sentiment d’appartenance à la communauté. L’assurance – et souvent la fierté – d’être capables individuellement et collectivement de faire face à une situation difficile ressortent comme des aspects très positifs.