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L’appréhension de la tempête et les problèmes pratiques

Les aspects psychosociaux

L’ÉTUDE DES IMPACTS PSYCHOSOCIAUX

1.3 L’appréhension de la tempête et les problèmes pratiques

Au plus fort du sinistre, la moitié des résidents du Québec étaient atteints par la tempête de pluie verglaçante. Les pannes de courant qu’elle a entraînées ont duré plusieurs semaines dans de nombreuses municipalités.

Personne ne s’attendait à ce que le sinistre perdure. En ce sens, durant les premières journées chacun s’organisait temporairement, se contentant d’utiliser des moyens qui devaient, présumait-on, permettre de faire face à un sinistre dont les conséquences seraient vite oubliées.

Une solution choisie par ceux qui ont vécu chez eux, sans chauffage et ont mangé froid ; cette vision était partagée par ceux qui ont cherché refuge chez des proches, pour une période qu’ils estimaient de 48 à 72 heures.

Les quatre premiers jours, au plus fort de la tempête, les principaux problèmes ont été :

• d’obtenir l’information pertinente quant à savoir ce qui se passe et, surtout, ce qui pourrait arriver ;

• de supporter le froid4;

• de s’approvisionner en biens permettant de vivre sans électricité (chandelles, huile à fondue, bois de chauffage, lampes de poche, piles, etc.), démarche nécessitant de nombreux déplacements5dans des conditions souvent difficiles ;

4. Commission scientifique et technique [verglas de janvier 98], Sondage téléphonique réalisé auprès de 2 112 répondants ayant vécu le sinistre, 10 juin au 2 juillet 1998. Selon l’enquête téléphonique, 9 % des sinistrés considéraient que le fait d’avoir souffert du froid, entre autres, constituait l’aspect négatif le plus important de leur expérience de sinistrés du verglas.

5. Ibid., l’enquête téléphonique révèle que les difficultés de déplacement ont été un problème assez ou très important pour 34 % des personnes touchées par le verglas.

• d’établir des contacts pour obtenir des nouvelles de leurs concitoyens en zone perturbée, pour rassurer les gens à l’extérieur, pour suivre les déplacements de ceux qui quittent leur domicile, pour offrir ou demander un hébergement de courte durée, pour prendre des nouvelles du travail ;

• d’arriver à réorganiser la vie quotidienne, en particulier pour les parents obligés de travailler et dont les enfants bénéficient d’un congé.

En milieu rural, le problème du froid cause moins de ravages qu’en milieu urbain : on dispose habituellement d’un système de chauffage d’appoint. Par contre, le problème de l’eau prend de l’importance. La plupart des gens s’alimentent de puits artésiens et les pompes fonctionnent à l’électricité. Dans certains secteurs, le téléphone a aussi connu des pannes assez longues.

1.3.1 L’ampleur de la tempête

Aux multiples phases d’événements et d’actions correspondent des états psychosociaux différents.

Durant la première étape, la majorité des gens attendent un retour rapide à la normale, se satisfont d’une organisation très temporaire, et démontrent même une certaine insouciance. Cependant, pour les plus vulnérables, cette première phase est ressentie de façon plus problématique.

« Il y a des personnes qui devenaient vraiment agressives. Avec une personne ayant une déficience intellectuelle, si la routine est brisée, ça dérange beaucoup, beaucoup, ça désorganise la personne au complet6».

Pour les familles nombreuses, pour les parents qui devaient concilier le travail et la vie de sinistré, la gestion du temps se complique rapidement.

La succession des pluies verglaçantes et la détérioration du système électrique ont progressivement fait prendre conscience à plusieurs que le sinistre allait durer beaucoup plus longtemps qu’au premier abord. À cet égard, les résidents des milieux ruraux semblent avoir jaugé assez rapidement l’ampleur des dégâts, contrairement aux habitants des grandes villes. Ils ont souvent constaté, dans leur environnement proche, les dommages au réseau électrique (poteaux tombés dans l’ensemble du village et de la campagne) et ont pris immédiatement l’initiative de s’organiser en vue d’un sinistre prolongé.

Pour ceux qui vivaient l’événement dans l’insouciance, les quatrième et cinquième journées (les vendredi 9 et samedi 10 janvier) ont été des moments critiques : au départ, ils espéraient que la situation reviendrait à la normale bientôt, pour finalement se convaincre de passer à une phase d’organisation à plus longue échéance, à la suite des informations officielles données lors des conférences de presse.

1.3.2 L’installation dans la durée

La deuxième phase, pour ceux qui sont déjà sinistrés mais aussi pour ceux qui le deviennent autour de la fin de la première semaine, est marquée par deux événements importants. L’annonce que les dommages au réseau électrique prendront un certain temps à être réparés, jointe à l’appréhension d’une vague de froid, force finalement à partir de chez elles bon nombre de personnes qui refusaient de quitter leur domicile.

6. Commission scientifique et technique [verglas de janvier 98], Enquête par entrevues semi-dirigées avec des personnes ayant été sinistrées (un résident en milieu rural), 1998.

Cette deuxième phase consiste à rechercher un hébergement de plus longue durée.

L’organisation de la cohabitation devient le centre des préoccupations, mais on doit en outre concilier divers déplacements nécessaires entre la résidence (pour prévenir les dégâts, aller nourrir les animaux domestiques ou chercher des vêtements propres) et les lieux d’hébergement de la famille – quand cette dernière est divisée. Il faut ajouter les visites à des proches dont on s’inquiète et les déplacements exigés par le travail, alors que les routes restent généralement impraticables.

Si, durant la première semaine, on a consommé les aliments qui risquaient de se perdre, durant la deuxième, il faut se réapprovisionner. Les difficultés engendrées ont constitué un problème jugé important pour 29 % des personnes touchées (40 % dans le « triangle de glace »), selon l’enquête téléphonique. Des conflits émergent d’ailleurs autour de cette question pour les personnes appelées à cohabiter. Après plusieurs jours, nombre de biens essentiels commencent à manquer dans les commerces encore ouverts en zone sinistrée ou dans les régions limitrophes.

Les premiers jours ont été marqués par un mouvement d’entraide important entre voisins, amis et parents, plusieurs ont recours à leur réseau éloigné (en dehors de la région) pendant la deuxième semaine pour se procurer argent liquide, bois de chauffage et génératrices.

La « quête de la génératrice » est vite devenu le problème majeur de cette seconde phase, en particulier pour les commerçants de biens périssables, pour les agriculteurs, pour les personnes dépendantes de l’électricité pour pomper l’eau, mais aussi pour bien des citoyens désireux de vivre à la maison malgré la vague de froid. Dans le « triangle de glace », 31 % des sinistrés qui sont demeurés à domicile ont affirmé avoir recouru à ce moyen. 15 % des Montérégiens « hors triangle » et 18 % des résidents du Centre-du-Québec et de l’Outaouais ont utilisé le même processus.

Pour trouver de l’hébergement, les cheminements varient et dépendent de la durée des pannes, des ressources personnelles, des lieux disponibles et de l’évaluation que chacun fait de sa situation personnelle et familiale, en particulier des difficultés que son état de dépendance pourra imposer à des hôtes éventuels. Le passage d’un lieu d’hébergement à un autre amènera des problèmes successifs de réorganisation de la vie quotidienne. D’autres demeurent au même endroit et font face à l’usure de la cohabitation, tant en termes pratiques (questions d’inconfort) que dans les rapports interpersonnels. Le séjour en centre d’hébergement permet aux bénéficiaires de cesser de se préoccuper du froid, des repas, de la disponibilité de certains services ou du manque d’information ; en revanche, il comporte de l’inconfort et une absence d’intimité.

Néanmoins, restent les préoccupations pour la maison et les membres dispersés du réseau social.

Parmi les privilégiés qui avaient opté pour l’hôtel et qui voyaient la panne se prolonger, certains remettent en question un choix qui devient vite coûteux.

Pendant cette deuxième phase, quelques résidents préfèrent quitter la région sinistrée pour être hébergés ailleurs. Ce choix provoque des préoccupations particulières, car elle coupe les visites régulières au domicile et donne l’impression de perdre contact avec le milieu. Cette option de trouver refuge à l’extérieur s’adresse plus facilement aux jeunes adultes, moins préoccupés, qu’aux personnes chargées de responsabilités et obligées de travailler. D’ailleurs, tout au long du sinistre, la conciliation du travail et de la vie quotidienne pose de nombreuses complications. L’enquête téléphonique révèle que la difficulté à concilier travail et responsabilités domestiques a été un problème jugé assez ou très important par 42 % des travailleurs. L’enquête téléphonique montre que 36 % des personnes sinistrées occupant un emploi et résidant dans la zone du « triangle de glace » (47 % pour la Montérégie « hors triangle ») ne se sont jamais absentées du travail durant la période critique, mais que toutes ont éprouvé de la difficulté à se concentrer sur leurs tâches.

« Ça m’avait choquée, les messages. C’était comme si on disait vous ne rentrez pas, le bureau est fermé, mais vous pouvez travailler à la maison, accéder au réseau quand même. Mais tu n’as pas la tête à ça7... »

Le milieu de travail est parfois lui-même sinistré et on a l’obligation d’œuvrer dans le froid. Le maintien de son emploi suppose des déplacements dans des conditions difficiles ou un emménagement temporaire à proximité du lieu de travail, facteur qui empêche de quitter la région.

L’attitude des employeurs n’est pas toujours conciliante8. S’ils sont eux-mêmes sinistrés, ils se montrent plus compréhensifs. Ailleurs, c’est business as usual, comme quelques-uns l’ont rapporté. Les travailleurs à domicile, souvent à contrat, ont parfois la possibilité de reporter leurs échéances, mais pas toujours. Ils peuvent être contraints de produire au milieu d’un groupe de sinistrés oisifs. Pour bon nombre d’employés, la fermeture des écoles ou des garderies complique leur vie ; ils doivent alors trouver un lieu de garde ou d’hébergement pour leurs enfants. Dans des situations spécifiques, notamment chez les professionnels de la santé et maints travailleurs œuvrant dans le domaine des services à la population, le sinistre provoque systématiquement une augmentation de la tâche. Pour d’autres, les pertes de revenus ou d’emploi viennent s’ajouter aux problèmes de gestion quotidienne du sinistre.

Par ailleurs, parce que Montréal est rebranché plus rapidement, maints sinistrés de la Rive-sud qui y travaillent sont contraints de prendre les bouchées doubles pour le travail resté en suspens en combinaison avec les difficultés de la vie d’un sinistré : installations d’hygiène inadéquates, conditions de vie précaires ou cohabitation avec des personnes inactives. Alors que la moyenne est de 42 % dans l’ensemble de la zone sinistrée, la conciliation du travail et des responsabilités domestiques a été considérée comme un problème important par 50 % des sinistrés occupant un emploi et résidant dans le « triangle de glace » ; c’est aussi le cas pour 52 % des personnes de la Montérégie « hors triangle » ; ce chiffre correspond en particulier à la situation des villes de la banlieue montréalaise. D’ailleurs, on observe qu’en Outaouais, 56 % corroborent cette affirmation : la proximité d’une grande ville vient donc accentuer de telles difficultés.

1.3.3 L’après-sinistre

Le retour du courant électrique ne signifie pas la fin des problèmes ; à ce moment débute la phase de l’après-sinistre.

Les pertes matérielles dues au verglas ont été constatées surtout à cette étape. Certains répondants montréalais n’ont simplement pas pu réintégrer leur logement, devenu insalubre.

D’autres ont passé quelques jours dans une situation de grande désorganisation, des pièces de leur domicile n’étaient plus habitables, allant même jusqu’à l’effondrement de plafonds. Le ménage des maisons chauffées avec des moyens de fortune et éclairées à la chandelle ou à la lampe à l’huile durant des semaines restait encore à faire au moment d’entrevues effectuées en juillet. Cette tâche s’est révélée assurément plus lourde chez ceux qui avaient hébergé plusieurs personnes ayant campé un peu partout dans la maison, situation ayant inévitablement provoqué désordre et saleté parce qu’on manquait sérieusement d’éclairage et d’eau chaude.

7. Commission scientifique et technique [verglas de janvier 98], Enquête par entrevues semi-dirigées avec des personnes ayant été sinistrées (une résidente en milieu rural), 1998.

8. Voir « Impacts de la tempête de verglas sur les conditions de travail des Québécois » dans le présent volume, Appendice (sections 2.2.7 et 2.2.8), 1999.

Si la période du verglas et de la panne a donné lieu à l’expression de l’entraide entre voisins, amis et membres de la famille, à l’opposé, l’après-sinistre, au chapitre des corvées de nettoyage, de réparation ou de déblaiement des branches, a été vécu de façon isolée ou individuelle.

Pour la majorité des gens, le sinistre a été vécu chez eux ou dans leur réseau personnel.

Certains ajoutent que, vu la lenteur des ressources publiques face à la problématique de l’hébergement, ils ont été contraints de ne compter que sur eux-mêmes. Paradoxalement, comme l’ont souligné plusieurs mémoires présentés à la Commission, ceux qui avaient choisi de demeurer à la maison ont bénéficié de très peu de services. Les entrevues révèlent par ailleurs que ces derniers ont souvent manqué d’information, ils ont parfois souffert de l’isolement et, occasionnellement, ils ont pris des risques pour leur santé.