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Les interventions d’autres organismes

entre propriétaires et locataires

L’IMPACT DU SINISTRE DU VERGLAS ET LES OBLIGATIONS DE CHACUN

1.2 Les obligations et les droits des locataires et des propriétaires

1.2.5 Les interventions d’autres organismes

Lors de la tempête de verglas ou peu après, des organismes chargés d’informer la population sur ses droits, notamment la Régie du logement13et le Barreau14, ont donné des avis très prudents sur les droits et obligations des locataires et des propriétaires. Sans se prononcer clairement sur la possibilité de demander une diminution de loyer pour la période où les logements n’ont pas été habitables, on y retrouve les principes généraux énoncés plus haut.

12. Corporation des propriétaires immobiliers du Québec inc., mémoire présenté à la Commission scientifique et technique [verglas de janvier 98], 1998.

13. Régie du logement, communiqués de presse datés du 21 janvier et du 5 février 1998.

14. Barreau du Québec,Tempête de verglas. Les aspects juridiques,1998, 23 p.

LA JURISPRUDENCE

SECTION 2

La CORPIQ et le RCLALQ sont récemment intervenus dans deux causes mettant en jeu les principes et des questions similaires à la situation vécue par les locataires sinistrés suite au verglas.

Bien que le litige ait été de nature purement privée, la Régie du logement a accepté que ces associations participent aux débats pour faire valoir les points de vue de leurs membres.

Dans la première cause, Bilodeau c. Lareau15, la Régie du logement avait accepté une demande de diminution de loyer d’un locataire n’ayant pu jouir de l’usage de son logement pendant un certain temps. Elle avait tenu compte du fait que, bien que le propriétaire n’ait pas été en mesure de respecter ses obligations, cela ne résultait pas d’une faute de sa part, mais plutôt d’un cas de force majeure. La question suivante se pose alors :

« Le bail étant un contrat synallagmatique16où chacune des parties est à la fois débitrice et créancier, le propriétaire qui se trouve dans l’impossibilité d’exécuter son obligation en raison d’un événement constituant une force majeure, peut-il tout de même exiger l’exécution de l’obligation corrélative du locataire, c’est-à-dire, le paiement du loyer ? »

Après une revue de la jurisprudence et de la doctrine de la théorie des risques, et considérant que celle-ci, en droit québécois, fait retomber sur le propriétaire le risque d’inexécution du contrat par cas de force majeure, le tribunal a accordé la diminution de loyer demandée par le locataire. Cette décision n’étant pas « appelable », une requête en révision judiciaire a été présentée par la CORPIQ à la Cour supérieure17. La CORPIQ y prétend que la décision de la Régie du logement est fondée sur des erreurs de droit et de faits manifestement déraisonnables, portant atteinte à la juridiction du tribunal (la Régie du logement) et que, pour ces motifs, la décision devait être cassée et annulée. La décision de la Cour supérieure relativement à cette requête n’a pas encore été rendue.

Dans la deuxième cause, Fréchette c. Robert18, pour les mêmes motifs que dans la première, la Régie du logement a accordé à des locataires une diminution de loyer correspondant à la période pendant laquelle ils n’ont pu habiter leur logement. Cette cause est particulièrement intéressante par sa nature et par le fait qu’une permission d’en appeler a été accordée par la Cour du Québec19. En effet, même dans les cas où l’appel n’est pas exclu par la Loi sur la Régie du logement,une permission doit être demandée à la Cour du Québec20et la preuve doit être faite que la question est suffisamment d’intérêt général pour être soumise au tribunal. En l’occurrence, le tribunal considère que :

15. Régie du logement, Iberville, no25 980223 002 G, 15 mai 1998.

16. Qui comporte obligation réciproque entre les parties.

17. C.S. Iberville, no755-05-001085-982.

18. Régie du logement, Saint-Hyacinthe, no23-980323-001-G, 19 juin 1998.

19. C.Q. Saint-Hyacinthe, no750-02-002410-989, 17 septembre 1998.

20. L.R.Q., c. R-8.1, art. 91.

« Dans le présent cas où une tempête de verglas a résulté à une panne générale et à la non-fourniture d’électricité par Hydro-Québec à une grande partie de la population pour une période aussi longue avec des conséquences juridiques exceptionnelles pour les cocontractants, il est essentiel de déterminer la responsabilité et l’étendue des obligations des parties face à un événement aussi unique comportant des conséquences difficilement mesurables.

Dans un tel contexte, les questions soumises par le procureur du propriétaire-requérant sont sérieuses, nouvelles et d’intérêt public et général.

Il est de plus dans l’intérêt de la justice d’accorder la permission d’interjeter appel de la décision de la Régie du logement ayant accordé de telles diminutions de loyer dans un contexte général de conditions extrêmement précaires vécues par tous les cocontractants en matière de baux résidentiels de même que par la population en général. »

Le tribunal a cependant suspendu l’appel jusqu’au jugement de la Cour supérieure dans l’affaire Lareau, parce que cette cause soulève sensiblement les mêmes points de droit et de fait que la présente affaire, qu’aucun préjudice sérieux ne peut en résulter pour le propriétaire requérant et que ceci permettra «d’éviter des jugements dont les effets pourraient être contradictoires».

Conclusion

Les travaux de la Commission quant aux dispositions légales qui régissent les relations entre propriétaires et locataires ont mené aux constatations et aux interrogations suivantes :

• Les dispositions actuelles de la Loi obligent les locataires à faire une demande au tribunal pour obtenir une diminution de loyer pour la période durant laquelle ils n’ont pu habiter leur logement. Devrait-on prévoir une diminution autorisée au préalable, dont la formule serait préétablie ?

• Les dispositions actuelles, d’après l’interprétation qu’en ont faite les tribunaux à ce jour, font porter le poids des conséquences financières d’un tel sinistre sur les propriétaires. Est-ce le choix de société qui doit être maintenu, ou veut-on y apporter des modifications ?

• Quels seraient les mécanismes de déclenchement ou de mise en œuvre d’une telle diminution de loyer autorisée au préalable ? Devraient-ils être associés à l’adoption d’un décret d’état d’urgence, tel que prévu présentement par la Loi sur la protection des personnes et des biens en cas de sinistre21ou à tout autre processus de mise en œuvre de mesures d’urgence à être adopté éventuellement ? (Il n’y a encore jamais eu, à ce jour, d’adoption de décret d’état d’urgence lors d’un sinistre au Québec.)

• Faut-il laisser les tribunaux décider de l’issue de ces problématiques ou faut-il l’intervention d’autres instances pour rééquilibrer les forces en présence ?

• Doit-on insérer dans le formulaire de bail obligatoire de la Régie du logement une clause établissant clairement ce qu’il advient du paiement du loyer en cas d’évacuation ou laisser les parties s’entendre entre elles ?

21. L.R.Q., c. P-38.1, art. 16.

• Dans des cas semblables à celui de la tempête de verglas, devrait-on faire une distinction entre les logements dont le chauffage est à la charge du locataire et ceux dont le chauffage est à la charge du propriétaire ?

Au sujet de cette question de la prise en charge des coûts de chauffage des logements, on constate que les jugements n’en font pas état.

• Pourtant, on pourrait prétendre que, dans le cas d’un logement où le chauffage est à la charge du locataire, même lors de pannes d’électricité, le propriétaire a fourni ce qu’il s’était engagé à fournir, soit un logement habitable et des équipements en bon état de fonctionnement (appareils de chauffage). Ce serait alors le fournisseur de service, Hydro-Québec, qui aurait fait défaut de fournir l’électricité à son client, le locataire.

• Dans le cas où le propriétaire s’est engagé à fournir un logement chauffé et où il n’est pas en mesure de respecter cet engagement durant une panne d’électricité, la situation est tout autre. Ainsi, même si l’impossibilité pour lui de donner le service attendu est causée par une force majeure, on pourrait prétendre que le propriétaire ne peut exiger de son locataire le paiement du loyer relativement à la période où ce dernier est privé d’électricité.

• D’autre part, on constate qu’il faudrait prévoir les cas où la durée de l’évacuation et sa nécessité pourraient faire l’objet de litiges dans le cadre des recours devant la Régie du logement. En effet, bien que le premier ministre ait fortement incité les gens à quitter leur logis sans électricité, il n’y a jamais eu d’ordre d’évacuation formel, tel que prévu à la Loi sur la protection des personnes et des biens en cas de sinistre.22Cette problématique a d’ailleurs été soulevée dans le cadre des réclamations de frais de subsistance aux compagnies d’assurance.23

• Il faudrait aussi considérer le fait que des organismes qui se sont chargés d’informer la population sur ses droits (par exemple la Régie du logement24ou le Barreau25) ont donné des avis très prudents sur les droits et obligations des locataires et des propriétaires. Sans se prononcer clairement sur la possibilité de demander une diminution de loyer pour la période où le logement n’est pas habitable, ces avis rappellent les principes qui précèdent. Ainsi, on constate que le droit n’est pas fixé à cet égard et qu’une situation exceptionnelle comme celle du sinistre du verglas soulève beaucoup de questions. La conclusion des appels et requêtes en révision judiciaire devrait éventuellement permettre de mieux connaître l’état du droit à cet égard.

• Les jugements rendus à ce jour semblent conformes à l’économie générale du droit du logement et aux dispositions du Code civilsur le droit du logement qui prévoient des dispositions de protection des droits des locataires. De nombreuses dispositions sont d’ailleurs d’ordre public et on qualifie même certaines d’ordre public de protection, ce qui signifie que même les personnes protégées par ces dispositions ne peuvent choisir d’y renoncer.

22. Ibid.,art. 22.

23. Bureau d’assurance du Canada, mémoire présenté à la Commission scientifique et technique [verglas de janvier 98], 1998, 53 p.

24. Régie du logement, op. cit.,note 13.

25. Barreau du Québec, op. cit.,note 14.

Livre 2

Le territoire, l’environnement