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Travail des enfants et secteur de l’exportation

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Les économies réalisées sur le coût du travail

La question cruciale est la suivante : quel coût, en pourcentage, est économisé grâce au travail des- enfants ? Ou, en d’autres termes, quelle serait l’augmentation du prix de revient, en pour- centage, si l’on supprimait le travail des enfants ? I1 est bien évi- dent que ceci dépend de deux paramètres particulièrement impor- tants : ( I ) le pourcentage du travail des enfants par rapport à la main-d’œuvre totale et (2) le salaire des enfants par rapport à celui des adultes. Pour aucun de ces deux paramètres on ne peut utiliser une valeur unique ; et plutôt que d’un seul barème salarial -appli- cable aussi bien aux adultes qu’aux enfants, il faut parler d’une hiérarchie de barèmes salariaux qui vont en décroissant au fur et à I mesure que l’on s’éloigne du centre urbain de l’industrie vers la périphérie et les zones rurales. Certains exportateurs ont déclaré que le salaire journalier atteignait 50 ou 60 roupies. Nous nous sommes aperçus que ces chiffres étaient fondés sur l’hypothèse d’un tisserand réalisant deux deharis par jour (un dehari .est composé de 6 O00 nœuds). En réalité, la majörité ne parvient à achever qu’un dehari par jour, voire moins, si bien que le chiffre donné par le directeur d’Obeetee

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35 roupies par jour. pour un travailleur adulte - semble plus raisonnable. Si l’on déduit les 25 % de commission - ainsi que les diverses commissions versées

aux sous-traitants, propriétaires de métiers et maîtres tisserands -, - on peut supposer que le salaire-moyen journalier d’un adulte tourne autour de 20 à 25 roupies.

On peut aussi partir du chiffre de 1’5 million de travailleurs dans l’industrie du tapis. La base du montant des exportations pour 1993-94, de 13,9 milliards de roupies, donne une valeur approchée de la valeur des tapis exportés. La facture salariale des exportateurs (en l’estimant toujours à 50 % de la valeur totale) s’élèverait donc à 6’95 milliards de roupies. Le total des salaires des travailleurs du tapis

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compte non tenu de la part des com- missidn (25 %) - s’élèverait à 5,2 milliards de roupies. Sur la base de- 300 jours ouvrés par an, on aboutit à I1,6 roupies par jour (environ US$0,34).

Ce chiffre de 11’6 roupies doit être considérée comme unë moyenne pondérée des salaires des adultes et des enfants. Si l’on admet, pour les adultes, notre estimation d’un salaire moyen de 25 roupies (environ US $0,64), nous pouvons en déduire l’une des deux propositions suivantes - ou- les deux à la fois : ( I ) le travail des enfants doit représenter un pourcentage extrêmement élevé de la main-d’œuvre totale ; et/ou (2) pour avoir abaissé la moyenne salariale de 25 à 11,6 roupies, la différence de salaire entre celui d’un adulte et celui d’un enfant doit être extrêmement élevée. I

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D’ailleurs, constatons que si tous les ouvriers du tapis- au nombre de 1,5 million - étaient des adultes, comme le prétend l’industrie, et s’il recevaient le -salaire quotidien de 25 roupies estimé ci-dessus (et bien inférieur à ce que -prétendent les exportateurs), la facture salariale totale s’élèverait en ce cas à I 1,25 milliards de roupies, ce qui équivaudrait à augmenter de 4,3 milliard l’estimation crédible dë 6,95 milliards. I1 suffit de comparer avec le bénéfice annuel approximatif de l’industrie (1,4 milliard de roupies) pour comprendre à quel point des salaires très bas sont indispensables à la survie de l’industrie.

Par contre, le montant de 5,3 milliards de roupies, comme -Evaluation des économies dues au travail des enfants, peut être contesté sur plusieurs- plans : ( I ) le chiffre de 1,5 million de travailleurs du tapis peut être exagéré ; (2) certains des travailleurs

- ne le sont qulà temps partiel, ou de manière saisonnière ; (3) le salaire moyen d’un adulte est inferieur ii 25 roupies.

Ainsi le montant exact des économies faites grâce à l’emploi du travail des enfants est-il difficile à calculer, du fait de la nature des-données. Pourtant, même si l’on étudie la question en envisa- es chiffres les plus -favorables, les résultats montrent tou- suffisance que sa suppression réduirait considérablement la compétitivité, de l’industrie, pour--ne pas- dire qu’elle la rendrait non-viable. A partir des estimations prudentes du NCAER, on obtient 54 O 0 0 enfants salariés dans le tapis (soit 3,6 % du total de

- ‘1,5 million de travailleurs). Selon cette étude, I’économie salariale réalisée en embauchant un enfant se situe, par mois, entre 404 e t . 474 roupies, soit une économie annuelle .comprise entre 260 et 317 millions de roupies. E t c e chiffre serait encore bien

si l’on prenait en compte les économies faites par le r

66 O00 enfants (soit 4,4 96) qui produisent dans le secteur familial.

Ceci dit, les estimations de Juyal -(environ 300 O00 carpet chif- dren, dont environ 76 % travaillent dans le secteur salarié) nous donnent un nombre d’enfants embauchés s’élevant approximati- vement à 228 000, et un montant de sous-paiement annuel qui atteint le chiffre stupéfiant de I1,63 milliards de ro

On pourrait nous opposer, du fait que les (propriétaires des métiers, tisserands ...) s’appr

nomies réalisées grâce au sous-paiement des carpet children, que leur montant constitue non pas des économies pour la facture salariale des fabricants, mais seulement un transfert de paiement ; et en déduire que la suppression du travail des enfants n’aurait pas d’effet significatif sur les prix de revient totaux. Cette argumenta- tion est erronée sur au moins deux points : premièrement, I’élimination du travail des enfants provoquera nécessairement l’augmentation du salaire des adultes, et deuxièmement, en .

organisant le, tissage dans le secteur décentralisé

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inorganisé, le

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réseau des intermédiaires donne au fabricants exportateurs les moyens de maintenir la facture salariale à u bas niveau. Une coupe sombre dans leur part peut rendre impossible le maintien de cette structure et, ultérieurement, provoquer u n e très forte augmentation des prix de revient.

Redisons-le : l’industrie du tapis, tout comde de nombreuses autres industries exportatrices indiennes, tire ses- marges des très faibles coûts de la main-d’œuvre. Sans prétendre rien de précis concernant l’augmentation des coûts de main-d’œuvre qui pour- rait résulter de I’élimination du travail des enfants, on peut cepen- dant affirmer qu’elle suffirait, dans tous les cas de figure, pour réduire considérablement le degré de compétitivité (déjà faible) de l’industrie du tapis et pourrait, de fait, constituer une sérieuse -menace, jusque pour sa survie.

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Boycott ettravail des enfants

À la lumière de l’analyse faite ci-dessus, on ne peut manquer de conclure que si les pays développés devaient imposer un embargo sur l’importation de biens fabriqués grâce au travail des enfants dans les PED, il pourrait en résulter, dans.de nombreux cas, l’élimination de l’industrie elle-même ; ceci rendrait plus -critique encore la situation-de l’emploi dans son ensemble et, loin de le . diminuer, augmenterait le besoin de recourir à l’embauche d’enfants. En second lieu, une telle interdiction, portée sur le seul secteur de l’exportation (qui ne-représente qu’à peu près 5 % de l’économie indienne dans son ensemble), ne ferait que déplacer les enfants qui y travaillent vers d’autres secteurs -où leur triste sort pourrait ne pas être meillëur, sinon pire. Pour emprunter le jargon . de la théorie commerciale usuelle, si la distorsion est domestique, alors la politique optimale est domestique. Auquel cas, c’est ‘au gouvernement indien d e supprimer simultanément Le travail des enfants de tous les secteurs de l’économie. Une interdiction ou un boycott par des agents externes, pour le problème du travail des enfants dans les pays du Tiers monde, n’est donc pas une panacée.

ppées tentent d’introduire dans les programmes commercia oit unilatéralement, soit par l’intermédiaire du GATT ou

travail des enfants -et d’autres lois sur le travail - en les lia aux problèmes des droits de l’homme et h la préservation de

- l’environnement est perçu par uné majorité d’Indiens avec, pour le moins, u n fort scepticisme. L’opinion de gauche voit ces tentatives (et, en fait, l’ensemble de l’accord du GATT, y compris sa clause d e G dumping social D) comme une autre manière de perpétuer la domination des. pays développés, alors que les économistes libéraux -les considèrent comme des barrières commerciales non

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Le fait que les nations dé

OMC) -des lois concernant

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douanières visant à défaire les acquis de l’Uruguay Round’.

Essayer d’introduire les problèmes sociaux dans l’ordre du jour commercial est ainsi très généralement ressenti comme un néo- protectionnisme de la part des pays développés plutôt que comme l’expression d’un intérêt sincère pour les populations des P.E.D.

Vu l’opposition des pays en développement à tout ce qu’ils perçoivent comme outil néo-protectionniste, ce n’est donc pas dans des forums multinationaux tels que le. GATT (ou I’OMC) qu’un accord pourra aboutir.

C’est d’une intervention politique massive de la part du gouvernement indien dont on a besoin pour régler le problème du travai1,des enfants en Inde. On ne peut pas se contenter d’attendre le moment où, les effets de la croissance atteignant jusqu’aux plus pauvres,. il deviendrait enfin possible de se passer du travail des enfants !

Comme l’ont montré Gary Rodgers et Guy Standing, Myron Weiner, et bien d’autres, le travail des enfants accroit la pauvreté, en provoquant la baisse des taux salariaux et en reduisant les possibilités d’emploi de la main-d’œuvre adulte. Etant donné l’ampleur du chômage et du sous-emploi en Inde, cet argument est particulièrement frappant pour I’économie du sous-continent.

Mais avant tout argument Cconomique, il faut reconnaître que tout emploi qui va à l’encontre du droit de l’enfant à la santé, à l’éducation, est dangereux pour sa croissance et doit Ctre éliminé.

11 faut mettre en œuvre sans délai l’obligation constitutionnelle majeure de donner aux enfants au moins six ans d’éducation obligatoire, conventionnelle et gratuite.

Ces deux mesures, cependant

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l’interdiction du travail- des enfants et l’éducation primaire obligatoire - ne peuvent, à elles seules, contribuer que faiblement à l’éradication du travail des enfants (l’existence d’une infrastructure scolaire - ainsi que l’ont montré certaines études, notamment celle menée par l’UNICEF dans la région du Sivakasi

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n’est pas suffisante pour faire baisser le pourcentage des enfants quittant l’école avant la fin de la scolarité obligatoire). La condition nécessaire pour éradiquer le travail des enfants est de s’attaquer efficacement au problème de la pauvreté des parents, et de la transmission inter-générations de la pauvreté.

I Des avis semblables sont exprimés d a n d e s cercles officiels. Au cours d’une réunion récente de I’ESCAP (Economic and social commission for Asia and Pacific), le Premier ministre fit remarquer qu’une action menée pour introduire les problèmes sociaux dans l’ordre du jour sur le commerce avait pour but d’annuler l’avantage relatif des PED. Le ministre du Commerce. au cours de ce même forum, déclara : << nous ne sommes pas du tout convaincus que la motivation première de telles actions soit humanitaire, ni qu’un organisme commercial soit compétent pour examiner les problèmes de politique sociale n. Récemment, nu cours de la SOème réunion du FMI, le ministre des Finances exprima également son objection h I’égard d’une telle action.

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Mais il faut bien voir que ceci requiert -condition indispensable

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une garantie minimale d’emploi pour toutes les familles, et leur accès à un capital productif, foncier par exemple.

Une attention toute particulière doit être accordée aux parties les plus vulnérables du marché du travail (comme les membres des

<< basses >> castes et tribus << inférieures w , etc.). La segmentation du

marché du travail doit être réduite, et les secteurs les plus faibles doivent être protégés par des organisations modernes du travail (telles que, par exemple, les syndicats), par des lois sur un salaire minimum et sur la sécurité de l’emploi ; en attendant, si quelques droits leur sont reconnus sur le marché du travail, ceux-ci doivent être complétés par d’autres avantages, tels que l’accès à un minimum de ressources alimentaires (subventionnées par le système de distribution publique), à un système adéquat de santé et II est donc nécessaire que le gouvernement et les organisations non gouvernementales repensent les stratégies de développement actuelles. Encore une fois, une << interdiction >> et/ou un boycott sur l’importation de produits fabriqués par le travail des enfants de la part des pays développés n’est pas une solution au problème.

- d’enseignement, etc.

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