• Aucun résultat trouvé

L‘ENFANT EXPLOITÉ

Dans le document L’ENFANT EXPLOITÉ (Page 45-49)

une histoir de l’enfant exploité

44 L‘ENFANT EXPLOITÉ

UNE HISTOIRE DE L‘ENFANT EXPLOITÉ

florentins, âgés de dix-treize ans, employés dans les ateliers’de la laine, gagnaient Ün peu plus de la moitié du salaire des ouvriers adultes les moins payés (Franceschi, 1993: 251). Car voici le cœur de l’affaire : quand ils sont payés autremen

les enfants sont sous-payés; -

dans tous les secte tivités. Dans les plus anciennes compta-

- bilités de chantiers raissent des pueri

(en fan ts) salariés, és beaucoup moins

. que les adultes. C’est le ca ouvent des Augus- tins de Paris, en 1299-1301 (Fagniez, 1877: 359-365), comme sur ceux des Dômes de Florence, de Sienne et de Milan à la fin d u XIVe siècle (Pinto, 1984: 78). Dans le travaux agricoles, il en allait de même. La comptabilité de l’hôpital de Tonnerr

Bourgogne); du XIVe au XVIe siècle, révèle que, d

de vignes, on emploie constamment des enfants -cdmme -aides aux tailleurs, vendangeurs ou isseleurs, et que leurs gains sont

- aussi constamment égaux à itié du salaire des ouvriers vigne- rons adultes et, de maniè ificative, égaux. aux salaire femmes recrutées pour sarmenter ou vendanger (Ady, !Mi EI-E98). Dans une sentence du bailli d’Auxerre, en 1480, te à mettre fin aux conflits incessants entre ouvriers êt propriétaires de vignes, on fixe les salaires maximums auxquels les vignerons peuvent prétendre : il y est précisé que les garçons ne peuvent gagner plus de 60 % du salaire d’un ouvrier adulte, et les femmes plus de 40 % (AMA, HH-27). Car de-fait, lorsqu’il~s’agit de sous- payer des ouvriers, on pense toujours aux femmes et aux enfants.

Le vocabulaire de la- dépendance

Faire travailler des enfants se pratiquait dans le but d’avoir du travail gratuit ou à moindre coût. L’examen historique des faits l’atteste, tout comme le vocabulaire de la dépendance, réelle ou symbolique.

effet, à I’équa- tion enfant = inférieur, enfant = soumis. Prenons le plus plein des termes désignant la dépendance personnelle : m a n c i p i u m ,

<< esclave >>, en latin classique. Les servi, devenus << serfs >> au cours

du Moyen Âge central, et la désignation ethnique des esclaves de traite du bas Moyen Âge occidental, slaves, s’imposant dans le langage à partir du XIIIe siècle, l’utilisation du vocable mancipium connota alors un d’infériorité de sexe d’âge. L-e glissement

On trouve cette constante du bas-Moyen Â

.

Toute une panoplie termi

46 L‘ENFANT EXPLOITÉ

fut progressif, bien sûr, mais il est symptomatique que, dans cer- tains cas, le ‘latin médiéval employa le terme mancipium pour- dire discipulus, << apprenti D (Du Cange, 1883). C’est ainsi qu’en espa- gnol, en portugais ou en provençal, le terme’rizancebo désigna peu à peu le valet, le garçon, le célibataire. Au féminin, manceba devint la pcostituée, mancebia le bordel, et le tenancier d’une maison de prostitution fut appelé padre de mancebia (Enciclopedia Univer- sal : Dictionnaire étymologique, 1985 ; Diccionario, 1956).

L’érudit espagnol du XVIIe siècle, Sebastian de Covarrubias, donnait cette explicãtion d’un tel glissement terminologique : << on est encore sous le pouvoir de son père, comme si on était esclave >>

(Covarrubias, 161 1). Chacun sait, par ailleurs, qu’émancipation n’est’plus utilisé que pour désigner la fin de la soumission d’un groupe social (émancipation de la classe ouvrière), d’un genre (émancipation de la femme), ou ‘d’un mineur en droit (émancipation du mineur).

Moço, qui, à l’or$ine, signifiait << enfant B, en vint à désigner, au cours du Moyen Age et de l’époque moderne, en espagnol et en portugais, le jeune serviteur et, en particulier, les domestiques

(mogoslas de soldada), pour en arriver, en français, à prendre le sens de jeune serviteur de bateau, le << mousse D (Diccionario Cri- tico, 1981). Ge terme, toujours dans l’espace ibérique, fut employé alternativement avec celui de criado/a (litt. : << élevé dans la mai- son >>) pour indiquer les serviteurs domestiques. Et lorsque les esclaves étaient affranchis, ils continuaient généralement à servir dans la même maison, passant dans la catégorie des. criados. Et cela, qu’ils soient enfants, adolescents ou adultes : les glissements de vocabulaire traduisent bien la confusion qui s’est opérée entre dépendance liée à I’âge, liée à l’appartenance à une maison, et dépendance personnelle tout court. Un exemple de cette confusion nous est donné par un formulaire notarial du XVe siècle, dans lequel le contrat de mise en service d’une jeune fille est répertorié sous l’intitulé d’affirmacio ancille (formularium: 32), corres- pondant féminin en latin classique de mancipium ; de même, les verbes utilisés à Piacenza, au XIIIe siècle, pour les contrat d’apprentissage sont dedit et locavit (Greci, 1988: 227).

En italien, le terme fante a joué pratiquement le même rôle.

Dérivé de infante (enfant), il désignait le serviteur domestique et le serviteur militaire (le français : fantassin) sans indication de diffé- rence d’âge ; l’usage fit que, gour désigner des jeunes serviteurs, on inventa des’ termes tels que funtina etfanticello/a. Le serviteur domestique était aussi appeléfamiglio (a familier D), dérivé du latin classique famulus, qui était l’esclave appartenant à la famille. La

. .

UNE HISTOIRE DE L‘ENFANT EXPLOITÉ 47 confusion sémantique est à son comble dans une loi vénitienne de

1402 adressée aux Corporations citadines ; elle vise à mettre de l’ordre dans les contrats de travail établis avec << garcons et filles (pueros et puellas), autant petits que grands, domestiques (famuli), serviteurs, servantes, travailleurs et familiers >> (Lazzarini, 1960:

70). Pour finir, << garçon >>, qui, dans la Venise moderne, était équi- valent d’apprenti, a connu en français une grande diversité d’ac- ceptions, liées au type de travail effectué, allant du garçon d’atelier, au garçon de courses et au garçon de ferme, de cuisine, etc...

.

Si ce n’est pas un dépendant eñ jeune âge, c’est un petit dépendant.

Conclusions

Du padre-padrone d’une maison, d’un atelier ou d’une ferme médiévale, au patron-père d’une manufacture du XIXe siècle, quelles ont été les évolutions, et quelles ont été les constantes ? I1 parait évident qu’il faut tout d’abord associer travail et famille, et ce dans tous les cas de figure. Loin d’être une invention des temps modernes, la mise au travail des enfants est une pratique banale jusqu’à la deuxième moitié du XXe siècle, la mécanisation de l’agriculture, l’allongement de la durée de vie, l’enrichissement social et la scolarisation de masse. Les enfants travaillaient, et travaillaient d’abord pour leurs parents qui les nourrissaient. Selon I’âge, se rendre d’abord utiles, puis rentables pour I’économie familiale, ne saurait a priori faire des enfants qui travaillent des enfants exploités. Mais, en effet, c’est bien dans ce rapport nourri- cier que l’exploitation des enfants comme travailleurs puise ses racines. Car la caractéristique première du travail des enfants est d’être rétribué par le gîte et le couvert. Paye << normale >> à I’inté- rieur d’une famille consanguine, elle sera normale aussi dans une famille de substitution. L’enfant mis e n apprentissage ou mis en service ne saurait prétendre, dans sa nouvelle << famille >>, à un trai- tement différent de celui qu’il aurait reçu dans son foyer parental ; et cela sera encore plus contraignant pour les orphelins, ceux qui n’ont plus, ou n’ont jamais eu, de famille,

.

Un écrivain florentin du XVe, Leon Battista Alberti, le résumait bien dans un dialogue littéraire : << Qu’appelez-vous famille ? Giannozzo : les enfants, la femme, et les autres domestiques, serviteurs, esclaves >> (Alberti, 1960: 1,186). Car l’assimilation était vite faite avec les autres

<< membres >> de la famille dont le travail était payé par l’entretien.

Ceci a pu se perpétuer parce-que le statut de dépendance de l’enfant est considéré << naturel n. Les enfants sont par définition

.

Dans le document L’ENFANT EXPLOITÉ (Page 45-49)