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L’ENFANT EXPLOITÉ

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dans l’espoir de leur assurer un avenir meilleur. Le mythe de l’école a survécu tant que les enfants trouvaient un emploi à l’issue de leur scolarité. Cette représentation de’ l’école a franchi les frontières de la ville et propulsé le mouvement d’exode rural pour des raisons scolaires. -Face à l’école, les comportements familiaux ont donc sensiblement été les mêmes en milieu rural.

Ceux-ci ont eu pour impact de maintenir tant bien que mal les enfants hors des circuits menant au travail précoce.

Or, depuis quelques années, la pression des exigences liées au fonctionnement du système éducatif a contraint les pouvoirs publics à se désengager du financement de l’école. Par ailleurs, les parents d’élèves, dans leur lutte quotidienne pour le bien-être de leurs enfants, ne peuvent plus couvrir les besoins y afférents. Le caractère obligatoire de l’éducation étant durement mis à mal par les effets de la crise socio-économique et l’école ne conduisant plus automatiquement à un emploi, les enfants sont davantage exposés à de brefs séjours dans le système scolaire, voire même à un manque d’éducation. La non-scolarisation, ainsi que les rejets actuels et nombreux des enfants du système éducatif se mirent à alimenter les réseaux du travail précoce, sans véritablement y trouver les mêmes solutions et les mêmes espoirs que ceux suscités initialement ou mis à leur disposition par l’école.

Les incertitudes liées au relâchement d filets scolaires de protection des enfants incitent à plus de précaution dans les lec- tures possibles des relations qui pourront s’établir entre le système éducatif dans ses mutations actuelles et l’expansion ou le tasse- ment du travail des enfants.

Caractéristiques et circulation des enfants travailleurs

Le travail des enfants au Congo donne lieu à une multitude de situations lorsqu’il s’agit de décider de l’exercice d’une activité économique. Deux cas restent cependant dominants.

D’un côté, on observe des enfants ayant choisi seuls de travail- ler, de manière précoce ou non, qu’ils soient en harmonie (enfants vivant sous le toit familial) ou en rupture avec leurs familles (enfants de la rue). A l’origine, ici, la famille n’a aucune emprise sur le travail de ces enfants, qui choisissent d’orienter leur exis- tence selon leur gré.

À titre illustratif, plus de la moitié des enfants et des jeunes de la rue, travailleurs à Brazzaville, sont nés dans cette ville. Ce phé- nomène touche beaucoup plus lës enfants qui y .ont vécu sans interruption, depuis au moins cinq ans. Le recours à une activité rémunérée touche très tôt les enfants de la rue, ce phénomène de dissidence familiale des enfants affectant beaucoup plus les gar- çons que les filles.

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TRANSITION DÉMOGRAPHIQUE AU CONGO 93 D’un autre côté, le cas le plus répandu est celui des enfants mis aÜ travail par leurs parents, mais tout en restant en harmonie avec leur milieu familial -ce qui favorise u n e interaction entre l’enfant et sa famille ; et l’on distingue des rapports de dépen- dance mutuelle entre les deux entités, lorsque l’enfant joue le.rôle de pourvoyeur de ressources dont la famille a besoin -pour se reproduire. Un enfant travailleur dans le ménage est toujours reçu avec beaucoup d’égards et d’attention, particulibrement dans les familles pauvres.

Mais les conflits surgissent dès l’instant où l’enfant travailleur, confronté à d’autres préoccupations financières en ville, ne comble pas les attentes de la famille d’accueil.

II ressort de nos investigations qu’entre cinq et neuf ans, les enfants les plus sollicités sont ceux de sexe féminin. II s’agit des filles venues de l’hinterland et placées dans des ménages urbains, souvent pour exercer des tâches domestiques. Ces filles, qui dis- posent dans certains cas d’un logis dans la résidence même de leur employeur, ne reçoivent que de bas salaires, inférieurs au SMIG (23 500 FCFA).

Entre dix et quatorze ans, il y a une prédominance masculine, certainement liée aux jeunes garçons citadins de naissance ou migrants qui, n’ayant pu conduire à terme leurs études, ont rejoint les rangs de la main-d’œuvre juvénile. Si avant dix ans, c’est la zone rurale qui alimente le plus le contingent des jeunes migrants qui deviennent enfants travailleurs à Brazzaville, on remarque un changement de pôle de départ à partir de quinze ans. Pour près de la moitié, les jeunes adolescents interrogés au cours de notre enquête, et qui alimentent différents réseaux professionnels, sont des migrants en provenance d’autres villes et de la zone rurale : ceci met en relief l’ampleur numérique des enfants et des jeunes confiés à d’autres membres de la famille,qui en assurent la garde à Brazzaville.

Au Congo, les enfants mis au travail empruntent des canaux de mobilisation assez complexes. L’examen des réseaux intra- familiaux de circulation des enfants travailleurs potentiels permet de constater que ceux-ci sont, pour la plupart des cas, issus des familles nombreuses.

À l’origine, ce qui apparaît comme u n point de stabilité, de solidarité et d’hospitalité familiales fixé par le nombre se révèle rapidement comme -porteur d’antagonismes et de ruptures. En effet, les frères aînés sont censés recevoir leurs cadets, et les sœurs aînées leurs cadettes. Ces rapports de parenté ne résistent malheu- reusement pas longtemps, particulièrement parmi les garçons. La chaîne verticale des affinités entre les aînés (espace d’accueil) et les jeunes cadets (travailleurs), les frères et/ou les sœurs, se rompt faci lement.

Les gains obtenus par l’enfant au cours de son activité sont sollicités par l’espace d’accueil selon le degré dë proximité qui le lie à ce milieu d?attache. Enfant confié, il est, dans la plupart des cas, tenu de contribuer aux dépenses alimentaires, voire domes- tiques du ménage. Cette participation financière peut aller jusqu’à représenter des sommes plus importantes, l’enfant ne pouvant plus alors disposer et jouir du fruit de son labeur. Cette contribution de l’enfant confié aux charges du ménage d’accueil est parfois perçue comme un droit d’habitation et de protection. L’enfant du couple, lui, subit souvent une contrainte plus modérée et contribue de manière plus << raisonnable n, sinon volontaire, aux besoins financiers et matériels du ménage.

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Les aspirations d’autonomie et d’affirmations- individuelles des enfants créent des tensions dans les ménages. Ainsi, lorsque sa mère et son père constituent sa tutelle habituelle, l’enfant qui quitte le toit familial pour travailler dans la rue est sans perspectives -de retour. I1 peut marquer une autonomie jusqu’à s’installer chez des amis ou des personnes connues mais sans lien de parenté avec lui (familles voisines, personnes de même ethnie, camarades, etc.. .).

Par contre, l’enfant mis- au travail ou en apprentissage par ses parents (père et/ou .mkre) tend à préserver des relations harmo- nieuses avec son espace familial (46,6 96 d’enfants interrogés). I1 ne manifeste le plus souvent ni désir d’autonomie, ni volonté de ont permis d’établir que -la nature de la vie familiale (espace familial incomplet et conflic- tuel, respectivement- par décès et divorce des parents en particulier) est l’un des déterminants qui assurent la qualité de la relation entre l’enfant au travail et sa famille. Le cas le plus extrême est celui de l’enfant qui, par. son travail, assume l’essentiel des charges du ménage, lorsqu’il doit, s, suppléer I’ab- sence de son père ou du

Activités exercées p

Les activités exercées par les enfants poÜr se- procurer de l’argent gravitent autour des travaux domestiques et du commerce de détail qui, à eux seuls, mobilisent environ la moitié des enfants travailleurs interrogés. Ce commerce se fait dans des kiosques où sont vendues des cigarettes, des allumettes

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Malgré la législation en vigueur qui interdit le travail des enfants en bas âge, on assiste à Brazzaville à la prolifération des petits métiers utilisant cette main-d’œuvre attirée par des gains

discussions avec lès e

- même dérisoires.

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Les promoteurs familiaux de ces activités, ainsi

employeurs de cette main-d’œuvre, ne- sont portés que par la volonté pour les uns de s’assurer leur reproduction, pour les autres de réussir leurs opérations, sans toutefois se soucier de la situãtion de l’intéressé lui-même, de son.milieu de départ

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lorsqu’il s’agit d’un migrant -, de son sort, une fois le travail achevé.

La seule réaction des pouvoirs publics selimite à la répression des enfants, alors que les rouages essentiels de cette logique sont détenus- par les employeurs souvent sans scrupules, les enfants n’étant que les maillons les plus faibles de ce processus.

À ce niveau, l’encouragement- des enfants à une plus grande recherche d’autonomie, en fait à une dissidence tacite ou ouverte, est entretenu par des adultes qui trouvent des créneaux de recettes et de gains à moindres coûts, à moindres investissements.

Dans ce jeu d’intérêts immédiats, les adultes, c’est-à-dire la génération des parents, exploitent les jeunes, les enfants, les déstabilisent avant de dénoncer curieusement et sans états d’âme

<< une jeunesse irresponsable, délinquante et sans perspectives >>.

Certains enfants apprennent un métier (cordonneri menuiserie, fonderie artisanale, etc...). Les métiers ch

enfãnts ne nécessitent pas des connaissances intellectuelles particu- lières. Avec des salaires faibles et des encouragements fin-anciers ou matériels d’apprentissage laissés à la volonté .et I’appréciatiÕn du maître ou de l’encadreur n’obtiennent que que subsides pour survivrë en ville.

en définitive que de faibles perspectives d’emploi, liées aux trois facteurs suivants :

L’ensemble des activités p ées par les enfants n’offre

- le bas niveau d’instruction des enfants ;

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l’amplification rapide du phénomène des. enfants travailleurs ; - l’absence de structures publiques chargees de s

blement de la récupération et du placement socio-économique des enfants échappant au système scolaire.

Les vicissitudes dú phénomène des enfants travailleurs

Confrontés à un espace h e misère qui s’auto-reproduit, les enfants de Brazzaville trouvent dans le travail précoce- la réponse inachevée que leur comportements individuels, leur spontanéité et leur capacité d’adaptation leur permet d’apporter à l’impuissance de leur famille devant le caractère structurel de la désarticulation socio-économique nationale.

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Les enfants devenus précocement travailleurs’ projettent une image réfléchissant. des formes particulières de revendication passive, silencieuse, dans un enviionnement demeuré longtemps

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