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L‘ENFANT EXPLOITÉ

Dans le document L’ENFANT EXPLOITÉ (Page 63-68)

Économie et travail des enfants Claude Meillassoux I

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ÉCONOMIE ET TRAVAIL DES ENFANTS

marchandises pour lesquels l’avantage comparatif ne ,réside que dans un coût du travail extrêmement bas >> (Gulrajani). A cet égard comme à d’autres, le coût du travail -comme son prix, le salaire

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dépend d’une conjoncture dominée à leur avantage par les grandes puissances. Les économistes classiques raisonnent comme si le salaire payé à l’ouvrier pour sa force de travail ne pouvait pas descendre au dessous de son coût. La théorie suppose ici encore, comme en ce qui concerne le prix des marchandises, que la morale est inhérente au fonctionnement du capitalisme.

Mais lorsque la main-d’œuvre est abondante et surtout lointaine et jetable à volonté, il est indifférent qu’elle meure de faim. Dans la situation de régression actuelle, les salaires peuvent être diminués jusqu’au dessous de leur coût, c’est-à-dire au dessous du K seuil de pauvreté >> et même de survie, non pas sous l’effet d’obscures lois économiques, mais en raison d’une politique commerciale et monétaire délibérée, sinon planifiée. ~

Concurrence et dépendance entre p a p

L’ajustement structurel est donc la manifestation d’un rapport de force qui vise à faire baisser le prix de la force de travail employé par les entreprises, donc l e coat de fabrication de leurs produits.

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ces politiques, qui prétendent stfucturer les économies locales pour qu’elles produisent à bas prix, s’en ajoute encore une autre, globale, la mise en cdncurrence des pays fournisseurs entre eux, afin de faire baisser encore davantage les prix de leurs pro- duits sur le marché international. De façon systématique, la Banque Mondiale encourage la culture, l’exploitation ou la fabri- cation simultanée des mêmes produits dans de nombreux pays à la fois, pour provoquer une surproduction chronique qui maintient les cours au plus bas. Faute d’une entente internationale difficile entre les nombreux producteurs des mêmes produits, les spécula- teurs peuvent aisément déjouer les tentatives de refus de vente dans le but de faire monter les prix -comme Houphouet-Boigny l’a expérimenté à ses dépens, avec le café de Côte d’Ivoire. On sait aussi comment les prix du café, par exemple; ont été maintenus très bas, même lorsque leur relèvement aurait pu dissuader les paysans colombiens de cultiver la coca. En revanche, les

<< accords >> du GATT ou de Lomé, déjà très défavorables aux

fournisseurs de produits primaires, ne sont -respectés par les grandes puissances que s’ils leur conviennent.

Une autre pratique, moins souvent évoquée, intervient comme facteur d’affaiblissement des pays dits en développement : les

<< investissements étrangers >>. Souvent présentés comme des

<< aides >> désirables, ces investissements sont le fruit de politiques

de délocalisation qui visent à- rechercher à travers le monde la

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main-d’œuvre la moins chère possible, quitte à déplacer rapidement ces investissements d’une région à une autre, selon les prix locaux de la force de travail. Certains pays, comme la Chine dite popu- laire, ont créé à cet effet des << zones spéciales >> où sont livrées aux entreprises étrangères des travailleurs particulièrement bon marché, dont naturellement des enfants. De tels investissements étrangers aggravent la dépendance des pays où ils s’installent, car ils ne lais- sent pas le capital s’accumuler sur les lieux de production des marchandises et d’exercice du travail (d’où le recours incessant de

- ces pays aux instances -financières internationales). Ils ne contribuent qu’accessoirement et médiocrement à I’édification d’économies nationales cohérentes. Or le progrès économique d’un pays dépend de sa capacité d’accumulation, de mise en œuvre et de gestion du capital, c’est-à-dire de sa capacité à consti- tuer et à reconstituer ses bases humaines et matérielles selon la configuration la plus favorable au développement du pays. Faute de pouvoir retenir les profits du capital, ces pays sont en position de dépendance constante envers les banques et les instituts finan- ciers étrangers. Le progrès écönomique réside pourtant dans l’indépendance à I’.égard de décisions extérieures qui compro- mettent la stabilité de l’infrastructure industrielle, donc l’emploi (Sancho). Lorsqu’une entreprise étrangère s’installe, elle ne le fait pas dans la perspective d’y construire I’économie nationale, mais de réaliser des profits dans une activité ciblée. Elle rapatrie ses profits et ne laisse sur place que des salaires souvent très bas, puisque c’est la raison de sa délocalisation. Or les salaires’ n’ont d’autre destination que de rétribuer la force de travail, donc d’être consommés entièrement par les salariés. L’argent des salaires exerce, certes, une demande locale sur des biens de première nécessité ; mais il est insuffisant pour contribuer à une accumula- tion significative du capital national. Ce sont les profits qui sont destinés à remplir cette fonction. Or leur rapatriement dans les e, souvent encouragé par des exonérations fiscales, d’accueil de la valeur äjoutée, c’est-àidirë‘ du capital productif provenañt du travail de ses ressortissants. Les profits des entreprises étranghes étant << rapatriés D, et non réinvestis sür place, il ne peut y ävoir d’investissements nationaux qu’à petite échelle, dans le secteur infra-capitaliste, << informel >>. Et il y a risque- de stagnation et même de décrépitude des infrastructures industrielles existantes. -Enfin, le volume du capital productif étant, par rapport la demande du secteur du travail sur le. marché des nécessités, proportionnellement très inférieur lës salaires, même bas, agissent comme facteur inflationniste et affaibli

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. - h t e u r s de la direction).

I Selon notre définition, le salaire se caractérise en ce que son montant est calculé sur une mesure précise du temps de travail accompli p u de la quantité produite (a la différence des

<< appointements n, traitements D, a émoluments.r, etc., pGyés aux cadres et autres collabo-

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Les pays qui ont recours aux capitaux étrangers se placent ainsi dans une situation fragile qui ne leur donne pas le contrôle de leur économie et qui les contraint à exporter à bas prix. En outre, plus ils accueillent de capitaux étrangers, plus ils s’exposent à la spéculation internationale et à l’effondrement de leur économie en cas de revirements boursiersi. Faute d’accumulation d’un capital national, donc à défaut de moyens modernes de production, il faut davantage de temps de travail pour produire : la productivité du travail stagne. Le coût de la force de travail, usant de moyens de production à basse productivité, est proportionnellement plus élevé que dans les pays à fort taux de capitalisation. Ainsi,_tandis que la force de travail des secteurs sous-capitalisés est, en terme réel, d’un coût élevé, les structures du commerce international agissent en même temps pour abaisser les prix des marchandises d’expor- tation. Ces circonstances convergent pour affaiblir la balance commerciale et pour rendre plus difficile, sinon impossible, le paiement de la dette. L’appel aux investissements étrangers est un pis-aller et non l’expression d’une politique de développement*.

Pour compenser la cherté relative de la force de travail due à sa faible productivité, et afin d’atteindre directement ou indirecte- ment le marché international, il faut, pour être compétitif malgré un capital médiocre, payer les salaires au plus bas et exploiter la main-d’œuvre au maximum. La présence et la persistance d’un secteur infra-capitaliste contribuent à faire baisser fortement les salaires, ce qui permet aux entreprises les mieux équipées de béné- ficier la fois $’un faible coût de main-d’œuvre et d’une meilleure productivité. A partir de s’engage localement un processus d’enrichissement d’une minorité de gens d’affaires, qui contraste avec les petits bénéfices des entreprises infra-capitalistes (Uribe) et avec la misère croissante de la main-d’œuvre dont les ressources . sont sans cesse diminuées par l’ajustement structurel. La disparité des revenus s’accroît dans presque tous les pays soumis à cette politique. Elle est l’indice précis du sous-développement. C’est en cela que la présence d’un large secteur spus-capitalisé qui échappe aux instruments de ’contrôle de I’Etat est non seulement

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Cf. le cas du Mexique (février 1995) dont I’entde dans la zone nord américaine de libre échange (ALENA) avait provoqué une vague de placements spéculatifs (plus que d’a investissement N industriels) qui se sont retirés brusquement, laissant h I’Etat mexicain une dette accrue de $50 milliards, l’engageant dans une position de dépendance aggravée d’autant, et le contraignant h mettre en gage son l’industrie pétrolitre. La restauration de la situation économique se fait par l’aggravation de l’ajustement structurel, la baisse des salaires, les licenciements, la vente bon marché des produits d’exportation, c’est-à-dire par la punition des fractions sociales les moins responsables de cette situation, mais sans aucune sanction envers les spéculateurs qui se sont enrichis h cette occasion. II faut noter ici que les agences internationales. selon le modèle stalinien dinoncé par Orwell qui consiste i cacher les faits derrikre un vocabulaire frelatd. honorent les spéculateurs du nom tantôt U d’investisseurs >>,

tantôt U d’épargnants n.

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L‘hostilité aux investissements étrangers alimente la propagande de partis ou de sectes nationalistes ou h tendance fasciste (le Shiv Shena de Thakeray, h Bombay, par exemple).

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<< l’expression d’une paupérisation croissante et peut-être irréver-

sible, mais aussi d’une déstabilisation

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>>. (Sari). C’est en cela encore que ce secteur infra-capitaliste est << partie intégrante du procès d’extraction du surplus dans -le monde capitaliste et de surexploitation, en particulier du travail des enfants D (Gulrajani).

L’extension mondiale du marché du travail par la délocalisa- tion, la division des salariés en catégories concurrentes, les mesures politiques, dites structurelles, qui freinent la valorisation du travail local et sa-capitalisation, la faiblesse programmée de l’accumula- tion d’un capital national, toutes ces circonstances créent les conditions- de production bon marché de marchandises expor- tables. Ainsi sont mobilisés, au service des pays riches, les pays vres que tenaille une dette internationale entretenue indéfini- t par le bas prix de-leurs produits d’exportation. Ainsi est abandonnée au maigre bénéfice d’entrepreneurs d’autant plus exigeants la fraction la moins coûteuse, la plus-docile et la plus périssable du prolétariat : les enfants.

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